Chapitre 7 : Une étrange assemblée

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Nous voici en l’an 79 avant Jésus-Christ, en Italie, sous le règne de l’empereur Titus Flavius Vespasianus, héritier de la dynastie des Flaviens. Dans la campagne avoisinant Rome, une blanche colombe, oiseau préféré de la déesse Vénus, connue par les Grecs sous le nom d’Aphrodite, tenant en son bec un rameau d'olivier, virevoltait gaiement. Il faisait tout son possible pour retrouver son nid où sa compagne couvait le témoignage de leur ébat. Elle zigzaguait entre les branches de cet arbre symbole d’Athènes, ville soumise à la domination romaine. S’alliant au tronc, des jeunes adolescents y cueillaient les olives. Pendant ce temps, non loin, leurs aînés, entourés de jeunes filles chantant et dansant, pressaient de leurs pieds les grappes de raisins, afin de récolter le breuvage divin qui s’écoulait du pressoir. Tous respiraient la joie de vivre en ce beau jour d'été et priaient le Dieu du vin, Bacchus, et la déesse des cultures agricoles, Cérès, de bénir leur récolte et leurs danses. Dans leur enthousiasme, deux jeunes filles, lançant quelques brindilles dans les airs, firent peur à la douce colombe qui, lâchant son chargement, s'enfuit et se dirigea dans la panique vers la ville toute proche.

Le volatile dut se frayer un chemin entre les chariots de voyageurs et de commerçants qui avançaient dans la poussière. Il passa au dessus du théâtre romain où un philosophe contait des pamphlets. Arrivée dans les rues, la colombe, frôlant le majestueux Colisée, put reprendre de la hauteur. Elle vit les habitants vaqués à leur occupation sous les cris des marchants, qui promouvaient leurs marchandises. La foule était si dense que les mères faisaient attention à ce que leurs enfants ne se retrouvent pas bousculés, sous les pieds des chevaux tirant ou portant les civières des nobles citoyens romains. Les soldats faisaient leur ronde, et les esclaves suivaient leurs maîtres à l'écoute de toutes revendications ou ordres. Un peu lasse, la colombe fit une pose sur une des chaises à porteur qui a eu le malheur de se retrouver dans un ralentissement. Après un repos bien mérité, l'oiseau reprit son envol et virevolta entre les colonnes des grandes villas blanches aux portants finement sculptés. Plus il avançait et plus les maisons étaient impressionnantes montrant la richesse de leurs occupants. Le volatile vit au loin une fumée s'élever dans le ciel. Intrigué, il s'y dirigea. C’était près de ce bâtiment que se trouvait son nid. Il arriva en quelques coups d'ailes au sommet de la plus belle des sept collines de Rome. Il se retrouva devant des bâtiments majestueux ornés des plus imposantes statues et des plus somptueuses fresques, surement, inspirées par le dieu des Arts Apollon.

L'oiseau immaculé était finalement arrivé au Capitole, lieu où résidaient les plus hautes administrations de Rome, et les temples dédiés aux Divinités Jupiter, Junon et Minerve. Il se faufila à travers une des fenêtres du plus imposant d’entre eux. Il entra ainsi dans une salle au plafond démesurément haut et aux décorations montrant le faste des lieux. Au fond de cette pièce trônait une vertigineuse statue toute en ivoire et vêtue d'or représentant Jupiter dans toute sa splendeur, avec la foudre dans sa main et l'aigle à ses pieds. La fameuse fumée partait de ses pieds. Devant elle, un prêtre, récitant une prière, tenait dans ses mains une coupelle contenant des cendres et à côté de lui des offrandes offertes au dieu. Le laissant à sa dévotion, la colombe rejoignit sa compagne au sein de son nid. Après s'être posé sur les branches de son logis, les yeux de l'oiseau suivirent la fumée. Cette dernière se dressait sur un chemin imaginaire jusqu’au toit ouvert au dessus de la tête de la statue. S’élevant dans le ciel, elle finit par disparaître, se mélangeant aux nuages, détenteurs et protecteurs d’un fabuleux secret.

Dans le firmament, les vents soufflant les emmenaient à voyager autour de la Terre. Formant une véritable barrière protectrice, ils cachaient aux yeux des Mortels le plus beau trésor du monde, un mont verdoyant, parsemé d'arbres à feuilles d'or et au tronc en argent. Profitant de leur branchage, des Phoenix y construisaient leur nid. Sur ces terres, des bâtiments aux murs de marbres des plus recherchés, soutenus par des statues monumentales, et ornés des plus beaux atours s'élançaient vers l’univers. Des fleurs au parfum des plus subtils embaumaient l'air. Elles étaient cueillies par des jeunes femmes à la beauté resplendissante, une beauté pour qui des Mortels seraient près à se maudire pour s’en faire aimer, ou à déclencher une guerre. A leur côté, plusieurs de leurs compagnes, assisses dans une herbe aussi douce que de la soie, écoutaient un être au corps d’homme, mais aux jambes et aux cornes de bouc.

Ses cheveux et sa barbe étaient négligées, contrastant avec la vivacité de son teint exprimant l’éclat du ciel. Une peau de chèvre étoilée ornait son estomac, comme si elle représentait les étoiles du firmament. Assis sur un rocher, cette créature extraordinaire jouait d’une flûte de son invention. De cet instrument à sept tuyaux de roseau de Laton, plante dont la nymphe Syrinx s’était métamorphosée, il envoutait les oreilles de ses auditrices. Il y était un tel maître dans cet art qu’elles en oubliaient son apparence quelque peu difforme et très laide. Non loin d’eux, des licornes et des chérubins accompagnaient d’autres beautés enchanteresses, dansant auprès d’une rivière si pure qu’elle était transparente, et chantait gaiement à travers les roches. Quel spectacle ! Un spectacle tel que l’enchantement aurait rempli le cœur de tout romain, mais aussi une crainte viscérale. Voici comment s’établissait l’Olympe, domaine des Dieux, où aucune pluie ne déchirait le ciel.

Malheur aux Mortels qui interrompraient l’occupation divine de cet être fantastique qui n’était autre que le dieu Pan. Il était le dieu protecteur des chasseurs, du rustre, et des Arcadiens qui lui offraient en sacrifice du miel et du lait de chèvres. Fils de Mercure, en grec Hermès, et de la nymphe Pénélope, il avait autrefois accompagné les divinités égyptiennes dans leur expédition en Inde, et avait inventé l’ordre de bataille, ainsi que la division des troupes en aile droite et en aile gauche, les cornes d’une armée. Puis, il s’était retiré dans les campagnes, près des pasteurs et des troupeaux, pour en devenir leur protecteur et leur guide. Malheur à tous ceux qui oseraient poser leurs yeux sur les nymphes du printemps et les Muses, ses compagnes. Malheur à ceux qui perturberaient la danse des Naïades, jeunes femmes à la beauté marine, aux bras et jambes nus, ainsi qu’à la chevelure ornée de roseaux et de plantes aquatiques, accompagnées par des licornes et des chérubins. Protectrices des Fontaines, des rivières et des Fleuves, elles étaient filles de Jupiter, prêtresses de Bacchus, de son nom grec Dionysos, et mère des Satyres. Malheur à ceux qui causerait une fausse note à leurs chants qui enchantaient les Napées, nymphes, tout aussi gracieuses que belles, des collines, des vallons, et des vertes prairies. Il était si rare de les côtoyer. Farouches, elles ne sortaient de leurs bocages que pour assister aux ébats de leurs amies, sur les bords des ruisseaux solitaires, et qui les charmaient par leur murmure et leur gazouillement.

Oui, l'Olympe ne pardonnerait jamais à un Mortel son impudence. Heureusement, pour le moment, la tranquillité et la joie étaient les maîtresses de cette divine terre. Néanmoins, tout cela prit fin quand un cri des plus perçants brisa cette atmosphère d'oisiveté, les Phoenix s’envolant dans la panique. A l’opposé, tous les olympiens se figèrent, ne prononçant aucun mot, même le cours de l'eau fut interrompu, jusqu'à que les Naïades l'obligèrent à reprendre son mouvement.

« Mais que se passe-t-il donc au palais de Jupiter ? » Se demanda Pan qui se leva et se dirigea vers l'édifice, suivi par toutes les nymphes et les Muses.

Grace à la rapidité de ses jambes et à sa souplesse, le divin joueur de la flûte portant son nom, arriva sans attendre devant le palais le plus immense et le plus éblouissant de l’Olympe, le palais du dieu des Dieux, Jupiter. Il fut vite rejoint par ses compagnes qui le suivirent à l’intérieur. Malgré la magnificence des lieux, toute cette petite assemblée n’en avait cure. Elle était trop préoccupée pour admirer les hauts murs de marbre, les colonnes de jade, et les statues en or montrant la puissance et la position du maître du domaine. Mais était-ce si étonnant ? Tellement habitué à cet environnement, plus personne n’y prêtait attention depuis des millénaires. Pourtant, peu de Mortels résisteraient longtemps à la tentation de dérober toutes les richesses du palais, quitte à risquer la foudre divine. Tous voudraient pouvoir s'asseoir dans les fauteuils d'albâtre et de bois richement sculptés, se prélasser sur les canapés au milieu des coussins en soie, dormir dans des étoffes de tissus les plus fins et les plus doux au monde, festoyant autour des tables de marbre blanc. Toutefois, tous ces trésors laissaient indifférents les Dieux coutumiers à tant de richesses.

Arrivé devant une lourde porte, et poussé par son énergie légendaire, Pan en a oublié de ralentir, et rentra dedans de tout son poids et de toute sa vélocité. L’ouvrant avec fracas, le choc fut tel qu’il tomba à la renverse, son ventre lui servant alors de luge. Le bruit qu’il fit, interpella les personnes déjà présentes dans la pièce. Tout le monde le vit alors glisser à une vitesse folle sur le sol aussi lisse et brillant que du cristal. Sans pouvoir s’arrêter, Pan passa devant une estrade pour finir sa course la tête la première dans le mur d’en face. Sous les rires de l’assemblée, et après multiples gesticulations désordonnées, il réussit à se dégager laissant la marque de son corps y être inscrite. Posé sur son divin derrière, le dieu aux jambes de bouc prit quelques secondes pour reprendre ses esprits, et se remettre sur ses pieds.

Heureusement, il fut aidé dans son entreprise par Mercure, son père, dieu de l’éloquence et de l’art du bien dire, des voyageurs, des marchands et même des filous. Ce fils de la divinité de la Foudre et de Maïa, fille d’Atlas, était le messager de l’Olympe, spécialement du dieu des Dieux. D’un corps svelte, et non dépourvu de muscles, car forgés pour la course, cette engeance de Jupiter était un éternel jeune homme au beau visage, à la taille dégagée, tantôt nu, tantôt avec un manteau sur les épaules, et une bourse attaché à sa tunique montrant sa fonction tutélaire. Ainsi, il participait à toutes les affaires, s’occupant de la paix et de la guerre, des querelles et des amours, des intérêts du monde, du ciel sur la terre et dans les Enfers. Dans cet univers infernal, sa fonction était de guider les âmes des Morts avec son caducée. Baguette en rameau d’olivier, cet attribut du messager divin supportait deux serpents entrelacés, de sorte que leurs têtes formaient en haut un arc. Deux ailes finissaient de l’orner. Ambassadeur des dieux, Mercure assistait au traités d’alliance, les sanctionnait, et les ratifiait, ainsi que les déclarations de guerre entre les cités et les peuples. Les Mortels le rendirent, de ce fait, le créateur du développement du commerce et des arts, de l’écriture et de l’harmonie des phrases, d’une langue exacte et régulière, d’une infinité de mots pour désigner les choses, de l’institution des pratiques religieuses et des relations sociales, ainsi que l’enseignement du devoir aux époux et aux membres d’une même famille. Ils allèrent jusqu’à le désigner comme l’inventeur de la lutte, de la danse et de tous les exercices nécessitant de la force et de la grâce. Jamais fatigué, ce fils de Jupiter accomplissait ses devoirs avec zèle, même dans des entreprises peu honnêtes, comme le meurtre d’Argos par ses soins. Ainsi, de jour, comme de nuit, il était la divinité la plus vigilante, la plus attentive et alerte de l’Olympe. Heureusement, il aimait également se divertir, du moins, quand les Dieux lui en laissaient le loisir. De fait, il était devenu le maître dans l’art de la filouterie. Ainsi, il avait dérobé à Neptune son trident, à Mars son glaive, et à Vénus sa ceinture, cet artefact qui la faisait aimer de tous les hommes. Mercure avait même été jusqu’à échanger la lyre qu’il inventa, contre les bœufs d’Apollon, qui en fit un de ses attributs. Pour le moment, à cette heure, ses sandales et son pétase ornés d’ailes, symboles de la légèreté de sa course et de sa rapidité, lui avaient permis d’être auprès de son fils à la vitesse de la lumière.


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