Chapitre 9 : L'enfantement divin

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Alors que les autres divinités étaient dans une attente angoissante, leur reine rentra dans ce qui s'avéra être une chambre. Des rideaux habillaient les fenêtres de leur broquard bleu roi. Un lit mélangeant plusieurs essences de bois comme le cèdre, le citronnier, enrichi de figures et d’ouvrages de marqueterie fit son apparition en son centre. Ses pieds étaient ornés de lames d’ivoire, d’or et d’argent. Le matelas de laine et de plumes du plus doux duvet accueillait en son sein une forme toute gémissante. En s’y dirigeant, la souveraine du monde divin pouvait y apercevoir une femme. Elle possédait de longs cheveux de couleur rivalisant avec l'ambre le plus pur. Ces derniers entouraient le plus beau visage que tout l'Olympe pouvait admirer, mais n'exprimant à cette heure que la plus grande douleur. Son front était en sueur et ses yeux d'un vert émeraude exprimaient fatigue et espoir. A ses côtés se trouvait une de ses compagnes, aux cheveux noirs et aux yeux confiants en sa science, qui, ses mains posées sur le ventre arrondi, semblait analyser chaque mouvement, chaque soubresaut. Au fond de la pièce, trois sœurs priaient et se tenaient près d'une bassine d'eau scrutant tous signes d'alarmes, prêtes à apporter leur aide. Junon s'approcha du lit et posa une main réconfortante sur le front de la jeune femme alitée.

« Alors, ma petite Vénus, comment te sens-tu ? demanda-t-elle. Et toi, Latone, comment cela se passe-t-il ? Se présente-t-il une difficulté ? Cela va faire douze heures que notre déesse de la Beauté et des Plaisirs se bat avec sa douleur ? »

Car oui, la reine des Dieux se trouvait à présent en présence de Vénus, mère de Cupidon, amante de Mars et épouse de Vulcain. Celle-ci avait son sort entre les mains de Latone. Ancienne amante de Jupiter, cette dernière présidait la naissance des hommes. Les mères lui adressaient des invocations pour les aider à supporter leurs angoisses et leurs souffrances lors de l’accouchement. Ainsi, la fonction lui incombant au sein de l’Olympe, était d’assister ses consœurs lors de cette épreuve. Et comme habituellement, elle était soutenue par trois sœurs, les Parques, aussi appelées les Moires, les trois divinités maîtresses du sort de l’humanité. Ces dernières avaient délaissé, pour la benjamine sa quenouille, où elle filait le fil du Destin de chaque mortel, pour la cadette, le rouet de la Destinée, symbolisant le déroulement de la vie de chacun, et enfin, pour l'aînée, ses ciseaux, qui tranchaient le fil, mettant fin à l'existence et au destin des Hommes. Leur rôle, en cet instant, était d'assister les deux déesses par leur prière et leur savoir. Sortant un peu de la crainte que la souveraine de l’Olympe lui inspirait depuis son aventure avec Jupiter, Latone lui répondit. Sa voix quelque peu enrayée témoignait de l’épuisement, dû à toutes ces heures de travail auprès de la déesse aux cheveux d’ambre :

« Et bien, Junon. Tout se passe plutôt bien. Une seule difficulté se présente à moi. Je suis obligée d'utiliser énormément de puissance pour contraindre l'énergie présente dans le corps du bébé… Toute cette aura essaie de sortir d'un coup, au lieu de se libérer progressivement. Si je la laisse faire, cela sera fatal pour Vénus et pour nous.

— Je vois, je vais t'aider. Occupe-toi de réguler cette énergie. Je vais m'occuper de Vénus. Quand à vous, les trois sœurs, restez vigilantes et soyez prêtes à toutes les éventualités le moment venu, ordonna la reine des Dieux, dont l'expression affichait sévérité et sérieux. Vénus, encore quelques efforts et tout sera fini. Tu pourras te reposer et rejoindre Mars et Cupidon qui t'attendent.

— Merci, Junon... Je vais faire de mon mieux. Je n'abandonnerai pas, pas si près du but, murmura la déesse de la Beauté, la détermination se lisant dans ses yeux.

— Bien, déesse parmi les déesses ! Nous sommes prêtes ! » Dirent les Parques en cœur.

Junon se mit au pied de Vénus. Elle se prépara à exercer une de ses plus grandes fonctions, celle pourquoi les femmes la priaient et lui offraient en offrande le dictame, le pavot et la grenade, ainsi que de jeunes brebis, dans les temples qui lui étaient dédiés, la mise au monde d’un enfant en bonne santé. Alors que la mère de l’Amour luttait et mettait toutes ses dernières forces dans la bataille qu'elle menait, Cupidon et Mercure, dans la grande salle du trône, perdaient patience et commençaient à faire les cent pas, ou à se lancer des défis. Cette attitude enfantine eut le don de mettre les nerfs de notre déesse de la chasse, Diane, à vif. Plus les garçons augmentaient l'absurdité de leur duel, plus le poivre montait au nez de cette dernière. Elle n'était pas la seule. Eole, commençait également à perdre son sang froid. Ce qui n'était pas très bon signe. Le bouchon de sa gourde, qui retenait normalement enfermer les Vents à l’intérieur, tremblait dangereusement, risquant de céder. En tant que leur gardien, s’il perdait le contrôle, il risquait de déclencher un cyclone sur l'Olympe, ravageant alors tous les palais et les jardins. De plus, la terre des Hommes en subirait les plus grosses conséquences, que ce soit dans les campagnes, ou sur les mers. Au lieu d'avoir une petite brise poussant les voiles, un véritable typhon s’abattrait sur les marins. Si en plus, Neptune s'en mêlait, ces derniers devraient faire face à des trombes d'eau et souffrir d’un naufrage. Cette perspective ne réjouissait personne. Les dieux se passeraient bien d’un tel désastre. Le nettoyage de leur injuste colère n'était pas vraiment leur tasse de thé, surtout pour Morphée. Ce dernier prônait les longues siestes entourées de muses jouant des airs doux, ou alors les parties de ludus Latrunculorum, jeu de stratégie conçu pour tester les prouesses militaires et tactiques. Voyant le danger, il décida d'intervenir :

« Arrêtez-vous deux. Vous êtes énervant à ne pas tenir en place. Vous ne pouvez pas vous tenir tranquille un peu.

— Mais, j'en ai assez d'attendre, moi. C'est bien trop long... Soufflèrent Cupidon et Mercure en même temps, penchant leur tête vers le ciel et les bras pendouillant à leur côté.

— Pathétique, interpella avec dédain Vulcain. Et ça se dit un dieu. Tu devrais rester dans le corps d'un enfant. Je comprends pourquoi la destinée à voulu te garder dans ce corps chétif. Même pas respectueux de ce que sa mère fait pour lui. Tu ne mérites pas de grandir… Bâtard.

— Je te prierai de ne pas t'en prendre à mon fils, Vulcain ! Tu es peut-être le mari de Vénus, mais cela ne te donne pas le droit de l'insulter ! » S'écria Mars en s'approchant de Cupidon, qui baissa la tête à l’insulte qu'il avait tellement l'habitude d'entendre depuis des siècles.

Le dieu toujours victorieux était tellement en colère d'avoir entendu son frère rappeler la situation de son fils, que des nuages noirs commencèrent à s'amonceler au-dessus du palais de Jupiter. Mars était prêt à utiliser toute sa puissance, toutes ses connaissances dans l'art de la Guerre pour faire payer au forgeron divin ses paroles. Anticipant le danger, les autres divinités se précipitèrent entre les deux combattants. De son côté, Diane essaya de calmer le père du chérubin aux ailes immaculées :

« Mars, calme-toi. Je t'en prie. Il est juste jaloux de toi, Tu as plusieurs enfants, et l'amour de Vénus. Tu peux partager son lit, alors que lui, son époux, elle le lui interdit.

— Et puis, il n'en vaut pas la peine, ajouta Apollon. Nous savons, tous ici, que tu es beaucoup plus fort que lui. Il forge peut-être les armes divines et les éclairs de Jupiter, mais il ne sait pas les utiliser, ou en faire sortir toute la puissance… Et puis, tu vaux mieux que de céder à la colère.

— Ah, ah, ah ! Apollon et Diane ont raison papa, intervint Cupidon en riant. Je me moque de ce que dit Vulcain sur moi. Le seul jugement qui importe est celui que je porte sur moi-même, ainsi que celui de ceux qui me sont chers, et qui se soucient de moi. Seul l’avis des personnes qui m’acceptent tel que je suis est le plus important, pas celui des médisants et des harceleurs. Les mauvaises langues ne méritent aucune considération. En réalité, au fond d’eux, ils ne sont que des enfants apeurés qui ont peur de faire face à leur propre incapacité, et qui cachent leur propre insécurité sous l’image d’une force en réalité inexistante…Ils sont à plaindre au final. Les lâches sont ceux qui les suivent aveuglément, sans réfléchir à leurs actes… Moi au moins, je peux me regarder dans un miroir sans honte. Je n’ai pas à rougir de qui je suis, et je m’accepte. C’est ce qu’ils me reprochent au fond. Voilà, d’où vient la motivation de mes détracteurs… De toute manière, tout cela n'aura bientôt plus aucune forme d’importance. »

Ce discours a eu le don de calmer Mars qui regarda avec fierté son fils. Celui-ci avait peut-être un corps d'un enfant de cinq ans, mais il lui arrivait de parler avec maturité et sagesse…, enfin, quand il n'occupait pas son temps à faire des farces et à décrocher ses flèches de passion amoureuse.

« Et puis, poursuivit le dieu de l'Amour, nous connaissons tous les conditions du mariage de ma mère avec lui. N'est-ce pas Vulcain ? Peux-tu nous les rappeler.

—…

— Non... Et bien je vais le réaliser à ta place… Tu as osé faire du chantage à Junon et à Jupiter pour que tu puisses l'épouser, le leur faisant promettre sur le Styx. La seule chose que ma mère a pu obtenir, en faisant appel à la clairvoyance de Justitia, est que tu ne la touches pas sans son consentement. Qui n'a pas de fierté et de respect pour les sentiments d'autrui ? Moi, au moins, je n'ai pas contraint une femme à s’unir à moi pour revenir aux domaines des Dieux.

— Tu dis que je ne connais rien à l'amour, mais toi non plus. Tu le distribues autour de toi, pour tous les êtres vivants, mais tu ne sais rien de ce que..., répliqua Vulcain avec froideur.

— Il suffit ! Interrompit Jupiter qui commençait à être fatigué de ces disputes interminables. Nous sommes tous éreintés par l'attente. Ce qui se passe entre Mars, Vénus et Vulcain ne nous regarde pas. Tout ce qui importe, pour l'instant, est ce qui se passe de l'autre côté de cette porte. Nous sommes entrain d'assister à ... »

Soudainement, provenant du centre de la salle du trône, une lumière vive clignota, attirant toute l’attention. N’écoutant plus le dieu de la Foudre, toutes les divinités se précipitèrent vers la source d’où elle provenait. Ils se retrouvèrent alors tous autour d’une grande vasque en marbre blanc, contenant une eau aux multiples couleurs de l’arc en ciel. S’y penchant, tous aperçurent l’image du monde des Hommes faire son apparition, et ce n’était pas très joli à voir. Un tremblement de terre phénoménal s’était abattu sur la terre des Mortels. A Pompéi, une force incontrôlable commença à grandir au sein du Vésuve, volcan pourtant endormi depuis des siècles. Pendant que les dieux assistaient à ce spectacle et craignaient le pire, étrangères à l’agitation de la pièce avoisinante, Junon et Latone faisaient tout leur possible pour, l'une, soutenir Vénus, quand l'autre mettait tous ses pouvoirs pour contenir l'énergie présent dans son corps, et qui ne demandait qu'à sortir. Les deux déesses, priées par toutes les mères et les femmes pour les aider dans la souffrance de l'enfantement, réalisaient tout ce qui était possible pour mener à bien leur tâche. Malheureusement, Vénus commença à faiblir, alors que la souffrance augmentait inexorablement. Tout son être demandait d'être enfin délivré de la raison de sa douleur.

« Allez, Vénus, un dernier effort et tout sera fini, déclara nerveusement Junon. Une dernière poussée et il sera avec nous. Allez !

— AAAAAAAh ! » Se mit à crier la belle déesse.

Son front était en sueur, son visage était rouge, et tous ses muscles étaient tendus à l'extrême, prêts à se rompre. Puis, soudainement, ce fut la délivrance. Un immense soulagement envahit Vénus, qu’elle en retomba contre les coussins qui lui soutenaient le dos, respirant profondément les yeux fermés. Junon, les bras tendus, récupéra un petit corps recouvert de sang et de liquide. Le sourire aux lèvres, elle le déposa dans les bras de la déesse de la Beauté en la félicitant. Ce fut à cette seconde qu’un grand malheur toucha la terre des Mortels.

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