L'invitée des Vents

10 minutes de lecture

Les voyant enfin quitter les lieux, Cupidon souffla, soulagé de ne plus les avoir sur le dos. Par contre, la paix fut de courte durée quand une voix colérique l’appela à grand vent :

« CUPIDON ! Sale petit idiot !

— Oh… Salutation Minerve… Co… comment tu vas aujourd’hui ? Bégaya le dit Cupidon, tendu comme une corde de guitare.

— Alors comme ça, on me manipule pour que je bénisse un enfant ! Sale menteur ! Vociféra-t-elle, ne répondant pas à la salutation.

— Ah ! Tu parles du fils de la famille Junius Silanus, continua le dieu aux ailes immaculées, la main se grattant l’arrière de la tête dans une tentative de paraître détendue. Je ne vois pas ce qui te dérange là dedans. C'était une broutille pour toi. Et puis, je leur devais bien ça...

— Mais pourquoi lui ? Et puis, tu aurais pu me demander mon avis, non ! J'ai mon mot à dire ! Sale bâtard égoïste, » l'interrompit la déesse de la sagesse.

A cette insulte, la divinité ailée fronça les sourcils. Oui, il devait le reconnaître. La déesse de la Sagesse avait été la victime de sa facétie. Il avait espéré garder cacher pendant longtemps sa manipulation, mais visiblement toute vérité est destinée à être sue un jour. En effet, après la naissance d’Himéros, lors de sa tournée dans le monde des Mortels, il avait entendu les pleurs et les lamentations de la veuve de Sol. Il avait également été le témoin du serment de Marius. Culpabilisant, il s’était alors promis de faire quelque chose. Il avait ainsi poussé sa comparse à faire un pari qu'il était sûr de gagner, le tir à l'arc. Le plus difficile pour lui avait été d'écarter Diane du défi pour être sûr de le remporter, et finalement, il avait réussi. Le gage de Minerve ? Descendre sur Terre et bénir l’enfant qu’il lui avait désigné. Il avait bien sûr désigné le jeune Endymion, âgé d’à peine deux ans, à cette époque. S’introduisant dans sa chambre en pleine nuit, et lui baisant légèrement le front dans son sommeil, la déesse lui avait insufflé le don de l’intelligence. Jamais elle n’avait su les vraies raisons de son acte. Jamais la famille Junius Silanus n’avait eu vent de l’arrivée de Minerve et du miracle qu’elle avait gratifié le fils de Sol. Pour l’heure, ne désirant pas se faire marcher sur les pieds ainsi, même par la fille de Jupiter, il décida de répliquer, s’agaçant et les yeux assombris :

« Premièrement, je te rappelle que l'enfant venait de perdre son père, en parti à cause de moi. Deuxièmement, ce père était le seul étranger à Pompéi. Les morts étaient soit célibataires, soit habitants de la ville. Je ne pouvais réaliser leur souhait pour les rembourser, ou les soulager de leur douleur. Tous étaient déjà sur la rive du Styx. Je me devais de payer ma dette,…, et je n'allais pas lui promettre de trouver l'amour avec la plus belle femme du monde connu. On a vu ce que cela a donné avec Troie. Troisièmement, c'est la famille la plus pieuse que je connaisse, et je ne me rappelle pas beaucoup que tu leur aies accordé une réponse à une de leurs prières. Donc dis-moi qui est égoïste entre nous deux ?

— Peut-être, mais tu ne réponds pas sur le fait que tu aurais pu me demander avant de m'avoir avec ton stupide pari, s’énerva la déesse. Je ne suis pas ton chien ou ta chose !

— Voyons Minerve, sois honnête avec toi-même. Nous savons tous les deux que si je te l'avais demandé, tu m'aurais refusé cette faveur,…, à moins que je me trompe.

—…

— Alors dis-moi, ai-je raison ou pas ? Insista Cupidon, ne supportant plus qu'on le prenne pour un idiot, et face au silence de sa comparse.

— Mmm... Ne sut que répondre la divinité de la Stratégie Guerrière.

— Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai senti au plus profond de mon cœur que je devais le faire, un point c'est tout !

— Mais bien sûr, le nargua Minerve. Tu…

— Bah ! Laisse tomber ! Tu ne comprends pas, et tu ne me prends jamais au sérieux de toute façon ! » Interrompis froidement Cupidon, en s'éloignant de la fille de Jupiter, avant de perdre complètement son sang froid.

L’Amour n'avait pas envie de laisser la rage le dominer, surtout aujourd'hui. Il préféra donc partir à son tour, et la laissa à ses propres pensées. D’ailleurs, Minerve était bouche bée par la répartie du jeune dieu. Elle n'avait jamais vu le fils de Vénus aussi froid, et aussi proche de la colère, surtout avec elle. Il était toujours de bonne humeur, remontant le moral à tout le monde malgré les insultes et les moqueries. Avait-elle été trop loin ? Et puis, connaissait-elle vraiment Cupidon malgré les siècles vécus ensemble ? Etait-elle vraiment égoïste ? Non, elle était belle, intelligente et forte. C'était lui qui avait des problèmes. Sûre du bien fondé de sa réflexion, Minerve reprit sa route vers le palais de Jupiter, où elle désirait se rendre. Quant à Cupidon, il se dirigea vers la forêt, où l’avait abandonné sa mère autrefois. Arrivé, il prit la direction d’une petite crypte, dont l’entrée était dissimulée par un saule pleureur au branchage d’émeraude dense et éternel. Passant le barrage végétal, il chemina dans un court tunnel rocailleux qui aboutit sur une clairière. Cette dernière était entièrement entourée et protégée par une falaise abrupte, d’où une cascade s’écoulait dans une source d’eau cristalline. Sur sa surface, se baignaient ses animaux préférés, un couple de cygnes et leurs petits. Des bosquets de fleurs poussaient sur un gazon verdoyant d’herbe grasse et aussi douce que de la soie. Le jour, un tel paysage s’apparentait à un véritable paradis. La nuit, des lucioles jouaient avec les papillons au-dessus du lac, transformant la vision paradisiaque en une totale féérie.

Etant vraiment à l'écart des palais des Dieux, ce lieu était devenu le jardin secret de l’Amour. Il y trouvait toujours la paix quand le besoin se faisait sentir, un besoin d’isolement, surtout lorsqu'il voulait fuir les moqueries des Nymphes et des Faons. Il s'y sentait à l'abri, protégé. Ce fut encore une fois le cas. S’asseyant sur la rive, ses pieds s’enfonçant dans l’eau, Cupidon mit toutes ses forces pour oublier sa colère. Petit à petit, baigné par l’ambiance angélique de la clairière, il reprit son calme et décida d'ignorer Minerve pendant quelques temps. Il devait vraiment faire le point sur sa relation avec elle. Lorsqu'il se rendit complètement maître de lui-même à nouveau, le dieu de l'Amour ressortit de sa solitude. Ressortant par où il était entré, il se dirigea vers le lieu de la cérémonie. Chemin faisant il rencontra Eole qu’il salua :

« Tiens, Eole. Salutations ! Ça fait longtemps que nous ne t'avions vu au sein de l'Olympe, salua-t-il avant d’apercevoir une ombre au côté de son ami. Tiens, tiens, mais qui t'accompagne ? »

Le dieu des Vents, ainsi interpellé, fit face à Cupidon. La personne qui se trouvait à ses côtés, se cacha derrière lui, apeurée. C'était une jeune fille, dont l’apparence était celle d’une personne âgée d’une vingtaine d’année. Elle semblait étrangère à tout ce qui l'entourait. Elle possédait un regard noisette qui était rempli à la fois d'émerveillement, de curiosité et de malice, mais aussi de crainte. Elle était habillée richement prouvant qu'elle appartenait à une famille royale. Ses cheveux châtains étaient ornés d'une coiffe doré qui contenait sa chevelure dans une coiffure des plus complexes. En l'observant, Cupidon fronça les sourcils. Il le sentait cette jeune femme ne venait pas de l'Olympe. Non, son cœur était définitivement mortel, prouvant qu'elle venait de la Terre. Après son observation, il retourna son attention vers son ami qui lui rendit ses salutations :

« Bonjour, Cupidon, Comment vas-tu ? Tu me sembles assez tendu. Est-ce la prochaine cérémonie qui te stresse ?

— Non, pas vraiment, même si j'ai une petite appréhension, répondit le dieu de l'Amour, en mettant sa main derrière la tête.

— Tu es sûr qu’il n’y a que ça, interrogea plus avant son ami, sentant que quelque chose clochait.

— Et bien, pour dire la vérité, je viens juste de sortir d'une discussion assez mouvementée avec Minerve et mes stupides frères, avoua Cupidon, son bras reprenant sa position initiale et ses yeux s'assombrissant. Mais laissons-cela de côté. Tu ne me présentes pas à ta compagne ?

— Bien sûr, accorda Eole, qui avait compris que l’Amour ne voulait pas s’éterniser sur ce qui s’était passé avec leur comparse au casque spartiate.

C'était ce qui plaisait tellement chez son ami. Ce fils de Mars pouvait compter sur lui pour l'écouter et le comprendre. La divinité des îles éoliennes savait quand il fallait se taire, et quand il fallait parler. Il ne poussait jamais à la confidence, mais attendait patiemment qu'on vienne vers lui. Le dieu des Vents donnait l’apparence de la froideur, et d’être sans émotion, car il présentait souvent un visage fermé et sans expression. Cependant, elle était trompeuse. Ce n’était qu’une image poussée par l'obligation de garder son sang froid, et ne pas céder à la colère, sous risque de détruire le monde de ses Vents. Pour l’heure, il se décala un instant pour offrir sa compagne à la vue de son ami, mais en vain. Elle faisait son possible pour le suivre dans son mouvement. Visiblement, elle était déterminée à rester à l’abri de son dos. Autant agacé qu’amusé par la timidité de la jeune femme, le dieu des Vents l’interpella d’une voix douce et confiante :

« Approche-toi donc. Ne t'inquiète pas, tu n'as rien à craindre. »

Face à ces encouragements, la jeune femme finit par sortir timidement de sa cachette provisoire, baissant les yeux vers le sol, et laissa son protecteur la présenter :

« Cupidon, je te présente Iphigénie, princesse grecque, fille d'Agamemnon, roi d’Argos et de Mycène… Iphigénie, voici, mon ami Cupidon, le dieu de l'Amour, fils de la déesse Vénus et du dieu Mars. »

En entendant cela, la dite Iphigénie releva le visage avec les yeux ronds, et porta son regard sur l’Amour. Elle vit alors le dit dieu au corps d'enfant, mais surtout les ailes blanches présentes dans son dos, lui prouvant qu’elle ne rêvait pas. Elle fit alors une chose que jamais Cupidon ne s'attendait à voir arriver en terre d’Olympe, lui, l’être toujours moqué en catimini. Elle se jeta à genoux, et baissa son front jusqu'à terre devant lui. D’une voix un peu précipitée, tant elle était tendue, elle honora cette divinité :

« Je vous salue, ô Cupidon, dieu de l'Amour. Je suis votre humble et dévouée servante. »

En la voyant dans cette position et en entendant ces paroles, Cupidon afficha un visage des plus étonnés, et fit un pas en arrière. Jamais il n’aurait pu prévoir une telle attitude à son égard. Il était tellement accoutumé à faire face à des regards moqueurs, ou à une expression du type « qu'il est mignon », mais certainement pas à autant de respect. Il adressa une question muette à Eole qui à sa grande stupeur, lui fit un sourire, certes petit et timide, mais un sourire. Ce qui était assez rare venant de lui. Cette jeune fille devait être exceptionnelle pour arriver à cet exploit. Cupidon, embarrassé, s'approcha d'elle, et lui tendant la main, lui dit :

« Relève-toi, Iphigénie. Tu n'as pas besoin de te prosterner devant moi.

— Si, seigneur, vous êtes divinité. Moi, je ne suis qu'une humble mortelle, s'exprima, d'une petite voix, la princesse grecque.

— Mais non, j'insiste. Remets-toi debout. Certes, je suis un dieu, mais si tu es avec Eole, c'est que tu mérites considération et respect, » insista Cupidon en rapprochant sa main d'elle, l'invitant de la prendre pour se relever.

Iphigénie la prit avec reconnaissance, et se remit aux côtés d’Eole une fois de nouveau debout. Celui-ci l'accueillit en lui souriant tendrement, et surprenant encore plus son ami. De plus, le fils de Vénus avait capté une curieuse sensation au contact de la jeune femme. C’était encore un peu flou, mais il en était certain. Il se passait quelque chose dans le cœur de cette mortelle. Cupidon en avait bien une petite idée, mais il ne voulut pas conclure trop tôt avant de vérifier quelques points. Curieux, il demanda alors au couple comment ils s'étaient rencontrés, et comment elle s’était retrouvée au sein de l'Olympe. Un peu amusé par cette curiosité, Eole lui raconta qu’au moment du second déploiement de l’armée grecque lors de la guerre de Troie, il avait dû revenir sur Terre en urgence, afin de faire souffler les vents avant qu'une innocente vierge ne soit immolée. A ce moment-là, Cupidon se rappela, dans un lointain souvenir, avoir entendu parler de cette affaire de la bouche de son ami :

« Heureusement, je suis arrivé à temps avant que le prêtre ne puisse embraser l’autel. Diane m’y aida, continua le dieu des Vents.

— C’est vrai ? S’exclama Cupidon, ses yeux prêts à sortir de leurs orbites. Mais pourquoi Agamemnon a-t-il eu l’idée de sacrifier sa propre fille. C’est cruel.

— Pour te répondre, je vais laisser la parole à Iphigénie, » invita Eole, en encourageant de la main sa compagne.

Face à cette invitation, la princesse grecque eut un petit mouvement de recul, un mouvement engendré par l’hésitation et la crainte de faire un mauvais pas qui pourrait éveiller la colère divine sur elle. Devinant un peu ses pensées, Eole lui sourit. Son regard était empli d’une telle douceur qu’Iphigénie trouva enfin le courage de raconter son histoire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Edwige BOUDAS ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0