Chapitre 29 : Le jugement de Pluton

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Voici donc le lieu de son nouveau jugement, le lieu où toute âme aimerait avoir les honneurs d’y entrer, tout en le craignant à la fois, le palais de Pluton lui-même. Sans attendre, Ocypétès s’engouffra à travers un arc qui s’ouvrit comme par enchantement à son arrivée. Virevoltant à travers les couloirs, la Harpie arriva bientôt à l’intérieur d’une immense salle richement décoré d’or, d’argent et de pierres précieuses. Au fond, au sommet de plusieurs marches, un trône de brocard et de pierre sculptée, supportant le poids d’une silhouette avachie et cachée par l’ombre d’une colonne, apparut de façon assez floue à Psy. Pour dire la vérité, Ocypétès la secouait avec tellement de zèle que sa vision était tout, sauf nette. De plus, elle était trop concentrée à conserver le nouveau-né dans ses bras, que la décoration intérieure était le cadet de ses soucis. A quelques mètres du sol, la Harpie la lâcha sans ménagement dans le vide.

Par instinct maternel, Psy se tourna, dos vers l’étendue de marbre, afin de protéger le bébé. Le choc aurait dû être terrible, mais tout en ces lieux allaient à l’encontre de la normalité. Au lieu d’un choc, l’impression de tomber sur un matelas fut le sentiment de Psy. Ouvrant les yeux qu’elle avait fermés, cette dernière se leva pour voir Ocypétès atterrir à côté d’elle, et reprendre une forme plus humaine. Sans un regard pour sa prisonnière, la Harpie lui ordonna de garder la tête baissée, indigne qu’elle fût de poser les yeux sur le personnage devant elle. Psy s’exécuta sans demander son reste, priant pour que rien de grave n’arrive à sa protégée. De son côté, droite comme un piquet, Ocypétès fixa un point devant elle, pour finir par mettre un genou à terre, au moment où une voix solennelle, mais surtout lasse, se fit entendre :

« Qui vient donc me déranger en cette heure ? Qui ose troubler mon dur labeur ?

— Seigneur, moi, Ocypétès, ose le troubler, car cette âme m’a outragée et…

— Crois-tu donc que ton sort, et tes états âmes m’importent, l’interrompit le maître des lieux, d’un ton lasse. Je n’ai que faire de ces détails… Fais-en ce que tu veux. »

A ces paroles, Psy trembla de tout son corps, mais pas pour elle, mais pour l’enfant. Elle était prête à assumer son acte, mais la petite fille était innocente. Désobéissant à l’injonction de sa geôlière, elle releva la tête, prête à se défendre. Elle allait plaider sa cause que la Harpie l’en empêcha en reprenant la parole :

« Seigneur… » Commença-t-elle, d’une voix quelque peu agacée.

Ce ton étonna la mère d’Endymion. C’était comme si son intervention coûtait à Ocypétès. Se pourrait-il qu’elle aurait préféré sauter sur cette occasion pour s’amuser à ses dépens ? Une petite voix lui soufflait que la réponse se trouve dans les pupilles déçues de la Harpie. Oui, cette créature des Enfers les aurait bien emmenées dans son antre pour se délecter de leur détresse. Toutefois, quelque chose l’en empêchait, mais quoi ?

« Seigneur, pardonnez-moi d’insister, mais une des lois des Enfers a été bafouée, reprit Ocypétès. Mais surtout, cette âme a outragé celle qui la dicta, et à qui nous devons obéissance… Cette âme s’en est prise à un de ses protégés, et elle seule peut la juger et la punir... Je ne fais qu’obéir à votre ordre. »

A cette évocation, toute l’intention de ce dernier s’éveilla, au point qu’il se redressa sur son trône, se penchant ensuite vers l’avant. Seul son visage restait cacher par l’ombre, alors que son corps révélait à Psy une tunique noire aux broderies d’or et d’argent. Cette dernière constata qu’à gauche du trône, se trouvait un autre d’ébène portant un flambeau à la flamme mêlée d’une fumée noirâtre, et à droite, une table soutenait un casque d’orichalque. Dans un mouvement calme, une main s’avança vers un long spectre à deux fourches du même métal, et s’en saisit. S’appuyant dessus, la silhouette se leva de toute sa hauteur, rentrant en entier dans la lumière des fenêtres. Voyant ses craintes se confirmées, Psy en écarquilla les yeux avant de tomber sur les genoux pour s’incliner jusqu’à toucher le sol avec son front en disant :

« Je vous salue, et vous bénis, ô Pluton, dieu des Enfers, maître de la Mort. Je suis votre humble servante. »

A cette salutation, de sa haute stature, la divinité eut un léger sourire qui s’effaça aussitôt qu’il était apparu. Il aimait ressentir cette crainte mélangée au plus grand respect. Il était peut-être l’un des rares dieux à posséder ce privilège, même si, à une époque, il l’avait regretté. Faisant quelques pas vers Psy, il la surplomba de toute sa hauteur, et lui ordonna de se redresser. Tout en restant à genoux, elle s’exécuta, tout en essayant de cacher le mort-né avec sa tunique. Puis, le dieu la sonda un instant. Comment une si insignifiante créature avait-elle pu enfreindre une des plus grandes lois de son royaume ? Puis, sans un mot, il se dirigea vers une sphère gardée dans un coin non loin du trône, et la touchant à peine, l’illumina. Une forme floue apparut à l’intérieur, une forme qui grossit à vue d’œil pour finir par en sortir. En un instant, le juge infernal Minos se trouva en face de Pluton, le saluant en mettant un genou à terre pour se relever aussitôt. En s’asseyant à nouveau sur son trône, le dieu des Enfers le questionna :

« - Qui a jugé cette âme ? Et quel a été le verdict ?

— C’est Eaque, seigneur. Il l’a jugée digne de rejoindre directement l’Ile des Bienheureux, fut la réponse de Minos, après qu’il ait jeté un coup d’œil à Psy. Rhadamanthe a émis toutefois des réticences. J’ai dû trancher, et je l’avoue, en faveur d’Eaque.

— Visiblement, vous auriez dû écouter Rhadamanthe. Son jugement était vraisemblablement plus fin. Auriez-vous perdu de vos vertus en la justice impartiale ? Dois-je vous démettre de votre fonction, et la transmettre à Rhadamanthe, ainsi que les clés des Enfers ?

— Seigneur, voulut s’offusquer Minos, qui ne supportait pas que quiconque mette en doute ses capacités, pas même un dieu.

— Je ne veux rien entendre, l’interrompit Pluton. Aux dires d’Ocypétès, cette âme aurait commis un crime sur le sol des Enfers, dès sa sortie du tribunal. Envoyez-la…

— Et quel est ce crime ? » Intervint une voix féminine emplie d’autorité, le coupant.

Tout le monde se tourna vers la nouvelle venue. Debout sur le perron de la porte, elle arborait une tunique faite de toutes les pétales du monde connu. Sur sa tête apparaissait un diadème d’orichalque et de diamants, dont le plus gros était un rubis en son centre. Il retenait de longs cheveux d’un blond faisant penser à la lumière du soleil sur un pré rempli de fleurs. Ils en dégageaient même l’odeur. De ses pupilles aux multiples couleurs du printemps, elle observa la petite assemblée avant de s’avancer dans la pièce en prenant la parole :

« Depuis quand le dieu des Enfers juge sans entendre les deux parties ? Depuis quand se montre-t-il aussi intransigeant envers une âme, sans faire la lumière sur un crime ? Serait-il devenu un traître à sa propre justice ? Questionna-t-elle en chemin, pour enfin s’asseoir à son tour sur le trône d’ébène, près de Pluton.

— Proserpine, ma reine, que viens-tu faire ici ? Demanda à son tour ce dernier.

— J’étais venue te demander de m’accorder une faveur, lui répondit la souveraine des Enfers. Mais au lieu de m’entretenir tranquillement avec toi, je suis obligée de te remettre sur le droit chemin. Je n’aime pas te voir ainsi, à manquer à ton devoir de justice, tu le sais.

— Mon amour, lui chuchota Pluton à son oreille pour qu’elle soit la seule à l’entendre. Les réprimandes, pas devant les autres.

— Alors que se passe-t-il, et qui est donc cette âme ? » Déclara Proserpine après lui avoir offert un doux sourire, en guise d’excuse.

Se levant, la déesse du Printemps surplomba Psy, la dévisagea de la tête au pied, quand soudain, elle écarquilla les yeux. Fronçant les sourcils, son visage angélique se ferma, pour devenir aussi froid que les eaux du Cocyte.

« - Ame, je t’ordonne de révéler ce que tu caches entre tes bras ! »

Ecarquillant les yeux, Psy se figea un instant avant de baisser doucement les yeux vers son fardeau. Alors ainsi, la souveraine des Enfers avait découvert ce secret. Elle voulut refuser, mais reportant son attention sur la déesse, elle comprit, à la tension qui émanait d’elle, que si elle désirait avoir une chance de s’expliquer, et de ne pas être envoyée au Tartare, il lui fallait obtempérer. La mère d’Endymion exécuta alors l’ordre, et découvrit la petite fille aux yeux de tous. D’un mouvement rapide, tout en étant remplie de douceur, la divinité du Printemps s’en saisit pour la bercer entre ses bras en exigeant :

« Que faisait l’âme de cette enfant mort-née entre tes mains ? Que comptais-tu faire d’elle ?

—… Je…

— Réponds, ou je demanderai à Cerbère de te dévorer, et jamais tu ne trouveras le repos, ou la chance de la réincarnation, menaça Proserpine.

— Je l’ai trouvée pleurante au pied du tribunal des Enfers. Elle était dissimulée derrière de lourds rochers, sous un feuillage, s’empressa de répondre Psy, la peur se lisant dans ses yeux. Je n’ai aucune mauvaise intention à son égard. Je peux vous le jurer, ô déesse.

— Arrête de mentir, intervint Ocypétès qui accapara toute l’intention. Tu as refusé de me la rendre quand je t’ai ordonnée de le faire. Je n’ai pas accompli mon devoir à cause de toi. Je suis certaine que tu désirais lui faire du mal… La jeter dans le Phlégéthon par exemple.

— Non, bien sûr que non. Je… Je désirai juste protéger cette petite fille. Je vous prie de me croire, supplia Psy, les yeux larmoyants. Je ne suis que l’âme d’une mère d’un fils de huit ans, une mère qui ne pourra plus jamais participer à sa vie, et le voir devenir un homme. Quand j’ai vue cette petite fille seule, je n’ai pas pu résister, et je l’ai emmenée avec moi, me promettant de la protéger. Oui, je reconnais m’être enfuie avec elle, mais mon instinct maternel me le dictait.

—…

— O divinités et souverains du monde souterrain, je vous supplie de me croire, continua Psy, en s’inclinant une nouvelle fois. Si mon acte est répréhensible, alors je suis prête à en assumer les conséquences, même si la sentence est de me retirer le privilège de me rendre sur l’Ile des Bienheureux. Toutefois, je ne regrette pas mon action, qui était dictée par les meilleures intentions… Je ne souhaite qu’une seule chose. Epargnez cette enfant. Elle est innocente.

— Tu n’es qu’une menteuse, n’en démordit pas Ocypétès.

— Une menteuse, je ne pense pas, intervint Minos après un temps de réflexion. Nulle âme ne peut mentir à ces terres des Enfers, à moins de souhaiter vivre un séjour auprès des suppliciés du Tartare dès le mensonge prononcer. L’aurais-tu oublié, Harpie ?

— Comment ?

— Je me demande si ce n’est pas plutôt toi qui nous mens, accusa le juge infernal, s’en faire attention à sa tentative d’intervention. Se pourrait-il que ce soit toi qui aies dissimulé l’enfant pour t’en amuser dès la nuit tombée, et tes sœurs endormies ? L’intervention de cette âme aurait alors dérangé ton plan. Furieuse, tu exiges vengeance auprès de Pluton, en affirmant agir au nom de notre souveraine… Ou alors, ta négligence t’a fait perdre cette enfant, et tu essaies de la cacher en accusant une autre.

— Je t’interdis de me calomnier ainsi, sale juge ! » Cria Ocupétès, prête à se jeter sur Minos.

Une bataille de regard suivit toutes ces paroles, les deux êtres infernaux refusant de céder face à l’autre. Sur son trône, Pluton se mit à se masser les tempes, sentant une migraine arrivée. Il n’avait vraiment pas besoin de ces ennuis. D’un autre côté, il devait reconnaître que Proserpine avait eu raison de le stopper. Il aurait été injuste dans sa sentence prématurée. Visiblement, il s’était avancé un peu trop vite. La seule excuse était qu’il perdait tout pragmatisme dès qu’il s’agissait de son aimée, et tous le savaient. Tous,…, tous, se répéta Pluton. Se pourrait-il que Minos ait eu raison ? La Harpie s’en serait-elle servie ? Alors qu’il tordait cette hypothèse dans tous les sens, Proserpine donna raison au juge, et reprit la parole :

« Il suffit ! Ordonna-t-elle d’un ton qui obligea les deux lutteurs à reprendre leur calme, avant de continuer d’une voix plus douce. Ame, comment te nommes-tu ?

— Mon nom est Psy Junius Silanus.

— Junius Silanus, dis-tu, » se mit à réfléchir la souveraine des Enfers, avant de se tourner vers le maître de son cœur.

Ce dernier plongea son regard dans le sien, et hocha de la tête comme pour répondre à sa silencieuse question. Puis, la déesse descendit de l’estrade et au moment où elle arriva à la hauteur de la mère d’Endymion, lui donna à porter à nouveau la petite fille et l’interpella encore une fois :

« -Suis-moi ! »

Même si elle était complètement perdue par tous les événements, Psy se releva et s’exécuta sans rien dire. Se mettant au moins à trois pas derrière la déesse, elle lui emboita le pas. Elle dut même faire attention à ne pas rentrer en collision avec son dos lorsque Proserpine s’arrêta sans prévenir. N’y prenant pas ombrage, la déesse s’adressa à son divin époux :

« Pluton, j’aimerai que tu m’accompagnes.

— Mon cœur voudrait te satisfaire, ma reine, répliqua-t-il. Mais tu sais bien que je dois remplir mes devoirs.

— Tu es lasse, je le vois bien. Te promener un instant te fera le plus grand bien. Viens avec moi, » insista la souveraine, en lui tendant la main.

N’ayant plus la force de lui résister, Pluton accepta. Toutefois, avant de la rejoindre, il congédia Minos en le remerciant, et s’adressa une dernière fois à Ocypétès, la regardant avec des yeux remplis de noirceur et de fureur :

« Harpie, ne t’avise plus d’utiliser ta souveraine pour cacher ta négligence, et m’obliger à accomplir ta volonté, ou il t’en coutera. Me suis-je bien fait comprendre ?

— Oui, seigneur, trembla-t-elle d’avoir été découverte. Vu que tout est réglé, je vais maintenant prendre congé. »

Joignant l’acte à la parole, Ocypétès reprit sa forme ailée et s’envola pour disparaître comme elle était venue. Le calme de retour, Pluton finit par rejoindre Proserpine. Lui présentant le bras, il l’invita donc à s’en saisir. Lui souriant, la déesse du Printemps glissa sa main et se laissa tranquillement mener par son époux. Enfin mener était un grand mot, car ce fut elle qui le guida, Psy sur leur talon. Bientôt, le trio arriva à l’arrière du palais, où un magnifique jardin aux multiples plantes et arbres les accueillirent. Un plan d’eau aux fontaines chatoyantes y apportait un peu de fraîcheur. Dans ce paysage, Psy y vit des âmes occupées à l’entretenir, et à servir des héros mythologiques entrain d’écouter des musiciens. A la venue des souverains des Enfers, tous cessèrent leur activité et les saluèrent. Leur répondant en retour, le couple infernal les libéra des formalités, et continua à avancer. Plus loin, un char d’argent tiré par deux chevaux à la robe noire et aux yeux blancs, ainsi qu’aux crins, à la queue et aux fanons d’un feu bleuté, les attendaient. Faisant partis de douze poulains, fils du vent du nord Borée et de son amante Orithyie, princesse d’Athènes, qu’il avait enlevé en la couvrant d’un épais nuage et séduit en prenant la forme d’un étalon, ils étaient capable de courir sur les champs de blé sans en courber les épis, et sur les flots sans y tremper les pieds.


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