Elle m’a longtemps utilisée.

Ses petits doigts fins m’attrapaient avec calme ou empressement. Le crissement de ma pointe dans l’encrier bleu, puis sur le papier à grain fin, se mêlait à celui de mes camarades, dans cette salle de classe aux senteurs de poussière, de craie et de pâte à modeler.

Souvent, ses doigts étaient tachés.

La pauvre petite gauchère faisait de son mieux pour s’adapter à l’écriture qu’on lui imposait. Ce n’était pas simple : elle devait traverser sa feuille pour me plonger dans l’encre, et sa manche faisait baver les lignes tracées avec soin.

Puis elle a grandi. Elle est entrée en cours moyen, et ne m’a plus utilisée que par intervalles, de plus en plus espacés.

Aujourd’hui, je repose au fond de sa trousse d’art, coincée entre deux crayons à dessin, un pastel et une gomme mie de pain. Je sers, tout au plus, une fois l’an — pour une carte de Noël, un mot calligraphié, ou lorsque je suis prêtée à un frère ou une sœur.

Bientôt… je ne serai plus qu’un souvenir, rangé au fond d’une boîte. Elle me montrera peut-être à ses petits-enfants, avec des photos de classe datant de 2010, en expliquant mon usage d’autrefois. Peut-être leur apprendra-t-elle à se servir de moi.

Et puis, un jour, je disparaîtrai.

Remplacée par les stylos-plumes, les bics… et les outils numériques.