Chapitre 50 Au bord de moi-même
J’ai cette boule au ventre et cette douleur dans la poitrine. C’est une douleur physique, mais dont la cause est psychologique.
Pourtant, la seule idée qui me traverse l’esprit — cette pensée obsédante qui occupe tous mes cauchemars, du plus simple au plus horrible — c’est de trancher ces veines bleues qui courent sur mes poignets.
La nausée, cette envie absurde de vider mon corps, de me blesser, de me faire volontairement du mal, serre ma gorge et me donne mal à la tête.
Je n’ai envie de rien faire. La preuve : je suis là, à écrire mes envies, au lieu d’être allongée sur le sol d’une salle de bain, en train de me vider de mon sang par les poignets et les chevilles, tandis que ma tête deviendrait plus légère et que mon cœur battrait douloureusement au rythme de fines lignes rouges.
Rouge. Red. N s’obstine à me demander pourquoi je veux qu’on m’appelle Blue et pas Red, sachant que j’ai une mèche rouge dans les cheveux. J’y vois un signe, un présage de ce que j’aimerais voir couler sur mes doigts.
Mais j’ai promis. Je lui ai promis que je ne me ferais jamais de mal. Y me l’a rappelé par message hier soir. Il était vraiment inquiet. J’étais en pleurs.
La seule raison pour laquelle j’ai tenu, c’est que L est resté dans la salle principale avec moi jusqu’à ce que je sois assez stable pour aller me coucher.
Mais je ne tiens plus. Enfin… si, je tiens. Mais c’est intense. Dur. Très dur. J’ai des images obsessionnelles qui remplissent ma tête : je me fais violer, toujours par un homme dont je ne vois pas le visage, ou bien je me fais du mal.
Ce matin, j’ai mis une tenue que j’aime bien. Je me suis maquillée pour cacher ma pâleur et mes cernes, pour essayer de m’aimer un peu. J’ai même reçu des compliments.
Pourtant, je ne me sens pas vraiment mieux. J’ai même déjeuné. Enfin… un petit peu. J’ai laissé deux tartines pour « plus tard » parce que j’avais trop envie de vomir.
Est-ce que j’ai envie de mourir ? Pas vraiment. Je veux la revoir. Je ne sais pas. Peut-être. J’aimerais surtout que ça s’arrête. Pourquoi je n’arrive pas à contrôler mes pensées alors qu’ils m’aident tous ?
G m’a envoyé un message hier soir, qui m’a fait tant de mal. Je lui disais que j’étais adulte, mature et responsable, et que j’avais fait mes choix.
« Plus tu répètes cette phrase, plus on se rend compte que tu ne l’es pas. Tes paroles ne sont pas crédibles. Tu es un cas social qui a besoin des autres pour se sentir heureuse.
Tu ne peux pas te débrouiller toute seule. Tu crois vraiment que t’éloigner de nous t’a enlevé tous tes problèmes ?
Tu te fais des idées, ça ne durera qu’un temps. Tu verras, la vie va te mettre la plus grosse claque que tu auras jamais eue, et celle-là fera plus mal que celle que papa t’a mise.
Je suis choqué, je ne sais plus quoi dire. Le seul truc qui t’intéresse vraiment, c’est ton bonheur. T’es égocentrique.
Tu pompes le bonheur des autres sans savoir donner pareil. C’est dégueulasse. C’est infâme. Je suis choqué, j’en peux plus. »
 
Je sais que rien de tout cela n’est vrai. Mais… c’est mon petit frère ?!
J’ai dû quitter la maison de mon enfance, ma famille que j’aime malgré tout ce qu’ils ont pu me faire, simplement parce que j’ai décidé d’être moi.
J’ai dû supporter leur homophobie quotidienne.
Ils me manquent. Ils me font mal, mais ils me manquent. Je… je ne sais pas. J’ai l’impression d’être un échec total.
J’ai fait deux crises d’angoisse hier, et de la dissociation. J’aimerais bien prendre un médicament et tout oublier… ou m’endormir et ne plus jamais me réveiller.
… Mes anciennes émotions me manquent
 La douleur que j’avais autrefois me manque
 Je fais les choses machinalement
 Je vendrais mon âme pour redevenir triste
 
… J’avais besoin de quelque chose
 Pour m’aider à tenir
 Je voulais quelque chose
 Et le médecin m’a dit de :
 
… Prendre cette pilule, tu te sentiras bien mieux
 Quand tu te réveilleras engourdi, le cerveau sectionné
 Et que ton cœur ne battra plus au rythme de la météo
 Quand tu t’es vendu à moi
 J’ai pris ta paix, ta douleur, ton plaisir
 Et je t’ai laissé avec un seul visage pour toujours
 Tu ne souffriras plus, fais attention à ce que tu souhaites
 
… Il manque quelque chose, c’est une prédisposition
 J’ai l’impression de vivre à l’intérieur de ma tête
 Comment peuvent-ils te vendre quelque chose, t’aider
 Puis te dire que ça pourrait te faire souhaiter de ne plus vivre ?
 
… J’avais besoin de quelque chose
 Pour m’aider à tenir
 Je voulais quelque chose
 Et le médecin m’a dit de :
 
… Prendre cette pilule, tu te sentiras bien mieux
 Quand tu te réveilleras engourdi, le cerveau sectionné
 Et que ton cœur ne battra plus au rythme de la météo
 Quand tu t’es vendu à moi
 J’ai pris ta paix, ta douleur, ton plaisir
 Et je t’ai laissé avec un seul visage pour toujours
 Tu ne souffriras plus, fais attention à ce que tu souhaites
 
… Fais attention, fais attention
 Fais attention à ce que tu souhaites
 Fais attention, fais attention
 Fais attention à ce que tu souhaites
 

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