La Foi considère que tout ce qui est céleste est sacré et tout ce qui est terrestre est impur. Ainsi l’eau qui tombe du ciel est pûr et l’or que l'on creuse est impur. Le feu est un purificateur, ainsi en cuisant les aliments, en faisant bouillir l’eau des puits, ceux-ci s'en retrouvent purifiés. Par extension, on brûle les morts pour purifier une dernière fois leur chair. L’idée originel était de ne pas se complaire dans les plaisirs terrestres et rechercher la sagesse céleste.

La réforme d’où est issue l’inquisition met l’accent sur la purification, elle prétend que brûler un homme (ou une femme) purifie également son âme. Elle dit également que le fer forgé et trempé est un métal divin. Autrefois, beaucoup de prêtres géraient les points d’eau, désormais, ils occupent le plus souvent la fonction de forgeron.

Les inquisiteurs sont recrutés très jeunes, ils subissent un rituel long et douloureux censé les purifier. Ils en ressortent dénués d’émotion et complètement fanatiques. Au sommet de leur hiérarchie trônent les exarques. Ils sont au nombre de neuf, ils ont été si purifiés que leur corps a disparu, se présentant sous la forme d’armures vides, mais animées. Ils ont de grands pouvoirs qui, selon eux, ne sont pas de la magie.

Journal du prince Symeith

Le lendemain de la fête, la salle du trône était bien moins fréquentée qu’à l’accoutumée. Les courtisans semblaient dans un état intermédiaire entre la fatigue et l’agacement. Balian du haut de la chair semblait rayonner de plaisir, ce qui alimentait le déplaisir ambiant. Sur le trône, le Roi contemplait ce spectacle d’un air morne, lui n’avait que peu été à la fête, mais tout cela ne l’intéressait guère. À côté de lui ne se trouvaient que Symeith, la Reine était souffrante et Tymérand introuvable. Symeith n’avait pas dormi de la nuit, la fatigue avait temporairement effacé sa crainte, mais l’avait laissé dans un état de conscience tout relatif.

• Je pense que s’il les a tous fait lever pour leur parler d’égout encore une fois, il risque sa tête, chuchota le Roi d’un ton comique.
• Je suis sûr que non, Père, répondit Symeith avec un sourire complice. »

Le Prince s’était, en effet, longuement employé à moderniser les égouts à travers le Royaume. Il souhaitait éradiquer les épidémies qui frappaient les Royaumes de l’Ouest à cause de la contamination de l’eau. Ce genre de mesure lui valut des moqueries et des sobriquets tels que « Prince des Égouts ». Le Roi se désolait de cela, lui-même avait commencé son règne dans des guerres dont il était sorti invaincu. Il en avait tiré une gloire immense. Fort de sa réputation, personne n’avait plus osé l’attaquer depuis plus de vingt ans. Balian avait toujours trouvé ces histoires ridicules, il avait vu le jour dans une ère de paix et ne rêvait que de faire de son royaume un pays d’abondance et de raffinement guidé par l’art, le commerce et la connaissance.

• Nobles représentants du Royaume, commença-t-il. Je souhaiterais vous faire part d’une heureuse nouvelle. La Princesse Eloïse, fille du Roi Georges du royaume de Lanceron à accepté ma demande en mariage ! »

Il fallut quelque secondes pour que la salle réagisse par des applaudissements et des félicitations. Le Roi, lui, se massait lentement les tempes et Symeith semblait foudroyé sur place.

Balian ne le voyait pas, mais autour de lui, un vent de déception soufflait. Toutes les familles du royaume voulaient mettre une des leurs sur le trône. Même si cela revenait à faire une fusion dans l’avenir, pour le moment, tous ne voyaient que leur intérêt partir en lambeaux.

• Le mariage est prévu dans un an, jour pour jour. Le Seigneur d’Aristand nous invitera à célébrer cet événement à Port-Royal et …

Il fut interrompu par l’irruption d’un garde qui se fraya un chemin à travers la foule jusqu’au Roi. À la fois gêné et essoufflé, son visage rouge s’approcha de l’oreille du Roi pour lui murmurer un message. Le Roi bondit du trône, bousculant par ailleurs le garde dans l’indifférence générale.

• Pardonnez-moi mon fils, nous reviendrons une autre fois sur votre mariage. Nous recevrons dans quelques instants la visite d’un Exarque. Je vous conseille de vous préparer, lança t-il à la foule.

Un vrai mouvement de panique s’empara de l’assistance. Certains prirent la fuite, d’autres estimèrent que c’était trop risqué. Tout le monde se mit à toucher ses cheveux, essayant de tous les faire rentrer dans des coiffes trop petites. Les femmes placèrent des étoles sur leurs poitrines et tout le monde rangea ses bijoux.

Balian descendit de la chaire d'un pas rapide et vint rejoindre le Roi.

• Père, que devons-nous faire ?
• Nous avons déjà parlé de ça hier, répondit-il d’un ton las.
• Mais nous n’avions pas parlé d’un exarque ! Ils peuvent faire dire ce qu’ils veulent avec leur magie !
• Ils ne peuvent ni tromper ni mentir, c’est l’avantage avec eux. On les craint, car ce sont les plus puissants, mais ils ne peuvent pas contourner leurs règles. Si le récit de ton frère est juste, il ne craint rien.

Cette dernière phrase suffit à acter la terreur de Symeith. Il ne faisait que mentir depuis hier. Le destin avait voulu qu’il meure, hier il aurait été dévoré, demain il serait brûlé. Il avait choisi de sauver sa vie grâce à la magie, désormais c’est le royaume qui devra souffrir de sa honte.

Les courtisans se rangèrent de manière à laisser un passage entre la porte et le trône. Des inquisiteurs entrèrent, portant le tabard blanc sur une armure complète ils se rangèrent en colonne tandis que l’un d’eux, dont le heaume était orné d’une couronne de fer, approcha en lévitant. Tout le monde se mit face contre terre sauf le Roi. Quand il se posa sur le sol, l’assemblée toujours à genou put relever la tête.

• Je vous salue Roi Charles. Je demande votre hospitalité, lança une voix spectrale venue de l’armure de l’exarque.
• Elle vous est, bien sûr, acquise, Exarque.
• Nous avons été informés qu’une bande de Lycanthropes s’était rassemblée dans les régions sauvages. Nous étions en chemin pour les purifier quand nous avons été avertis que le problème avait été réglé.
• Oui c’est exact, répondit le Roi.
• On m’a également dit que votre fils s’en était occupé lui-même, est-il présent ?
• Oui, je vous présente le prince Symeith, mais il n’en a abattu que deux. Un avec ses frères et un seul.
• L’individu que vous désignez n’est pas votre fils, Roi Charles, commenta l’Exarque d’un ton neutre. Cela explique d’ailleurs bien des choses.

L’Exarque pointa deux doigt sur Symeith. Terrifié, il ne sentit rien d'autre qu'un piquotement au bout des oreilles. Il s’attendait à être brûlé vif par la magie de l'Exarque, mais autour de lui les regards avaient changé. Les nobles proches et même son frère le regardait avec étonnement et inquiétude. Symeith passa machinalement une main dans sa nuque, mais eut une curieuse sensation en touchant son oreille. Elle était devenue presque deux fois plus longue et se finissait en pointe. Paniqué, il se pencha pour regarder son reflet dans l'eau du bassin. Il eut un haut-le-corps. Son visage s'était transformé. Ses yeux étaient plus grands et son arcade sourcilière s'était allongé, tout comme ses oreille. En fait, il ressemblait aux dessins d'elfes présent dans les vieux ouvrages de la bibliothèque.

L’épreuve fut si violente qu'il fut arraché la réalité. Il se rappela vaguement son frère lui poser frénétiquement des questions ainsi que les inquisiteurs qui le traînèrent jusqu’au cachot. Il demeura là, interdit, tâtonnant compulsivement ses oreilles. Attendait-il qu’elles retrouvent leur forme normale ? Il n’en savait rien. Les inquisiteurs faisant le guet devant sa cellule lui apprirent qu'il allait être brulé au premières lumières du matin.