Chapitre 3.1
Petit à petit, son esprit reprit le dessus, les questions commencèrent à se bousculer dans sa tête. Il était ridicule de penser qu'il était un elfe, ils avaient disparu il y a des siècles. Et en même temps, il reconnaissait que certaines de ses aptitudes, dont la magie, tendaient à le prouver. Mais s'il était vraiment un elfe, que faisait-il ici ? Et d'ou viendrait cette apparence humaine ? Qui serait ses parents ? Etait-il l'objet d'une conspiration contre le royaume ?Non, c’était trop tôt, il le refusait.Symeith s’approcha de la porte du cachot. Une petite lucarne lui permettait de voir les deux inquisiteurs qui gardaient la prison. Il vit sur la table entre eux un trousseau de clefs. Il prit une lente inspiration et expira brutalement en faisant signe d’attraper quelque chose dans le vide. Les deux gardes furent projetés contre le mur et s’effondrèrent, assommés. Symeith fit ensuite léviter le trousseau dans sa direction et attrapa au vol sa liberté.
La nuit était bien avancée quand on fit appeler Balian. Il ne dormait pas, comment le pouvait-il. Le moindre événement de la journée avait mal tourné. L’annonce de son mariage avait reçu un accueil bien tiède. Son frère se révélait être un elfe. Il fut incapable de le protéger et maintenant ça ! Il rencontra son père dans les couloirs, tous deux se saluèrent d’un hochement de tête en se rendant au cachot. Ils découvrirent la cellule ouverte et vide. À l’intérieur, deux hommes baignaient dans une mare de sang. L’un d’eux avait une armure d’Inquisiteur, l’autre n’avait plus que ses chausses. Il était de dos et Balian pouvait voir les cicatrices des longues heures de torture qu’il avait subies pour devenir inquisiteur. Leur gorge avait été tranchée et il manquait une épée. L’exarque était penché sur l’un des corps, il semblait se recueillir.
- Il s’est vraiment échappé ? demanda le Roi. J’imagine que vous n’auriez pas mis tout cela en scène pour l’amener chez vous.
- J’ai sous-estimé cet elfe, déclara l’exarque. J’ignorais qu’il connaissait la magie.
- Je ne vois rien de magique là-dedans, déclara le Prince. En admettant que les inquisiteurs se trouvaient à l’intérieur de la cellule, au moins l’un d’eux, tout cela s’explique.
- Aucun ne devait s’y trouver, j’ai fait respecter votre volonté, pas d’interrogatoire, pas de torture !
- Mais vos soldats ne devraient-ils pas être préparés à ce genre de chose ? demanda le Roi. Je doute de plus en plus de vos méthodes. Il y a deux jours la moitié des nobles de ma cour ont manqué de se faire dévorer par des lycanthropes. Aujourd’hui un elfe de quinze ans sous votre garde arrive à s’évader en tuant deux des vôtres.
- Nos soldats sont immunisés contre de nombreuses formes de magie, mais d’autres utilisent des objets bien concrets pour frapper. Il a très bien pu faire léviter leurs épées et les transpercer avec.
- Nous le traquerons sans relâche.
Le Prince regarda à nouveau les deux cadavres dans la cellule. Son père avait raison, l’exarque était trop honnête pour tenter de les tromper, son incrédulité était réelle. Mais dans ce cas qui fait bouger les pions ? Cette personne avait sans aucun doute atteint son but, le coup avait été terrible pour la famille royal et metant en péril sa domination sur le royaume. C'était décidé, il ne pouvait plus rien pour son frère mais Il pouvait encore sauver son peuple :
- L’exécution était pour nous un moyen de sortir de cette crise la tête haute. Par votre faute, les conséquences pourraient être désastreuses, notre royaume n’a jamais été aussi vulnérable depuis au moins quarante ans. Vous devez absolument le retrouver avant que d’autres ne s’en charge. En attendant, je suspends les conscriptions, gronda Balian.
- Est-ce un défi ? Demanda menaçant l’exarque. J’aurais aimé compter sur vos ressources.
- C’est un encouragement et nous sommes à votre entière disposition dans cette affaire, mais nous devons protéger le royaume et si vous êtes trop faible pour le faire nous le ferons nous-même.
- Dans ce cas réveillez vos maîtres-chiens et vos éclaireurs et permettez-nous d’emprunter des chevaux reposés, les nôtres sont fatigués.
- D’après nos légendes, les elfes ont un pouvoir sur les animaux. Lors de la guerre sainte, toutes vos troupes de cavalerie ont été décimés car les elfes pouvaient à loisir retourner les montures contre vos hommes. Je ne vous recommande pas de recourir à l’aide d’animaux.
- Je me rappelle très bien de cette époque, Roi Charles. Mais il faut à un elfe des décennies d’entraînement pour parvenir à cela. Celui que vous preniez pour votre fils est bien trop jeune. Je vous promets cependant de protéger vos hommes comme s’ils étaient les miens.
Le Roi se tourna vers un chevalier présent et fit un mouvement de tête. Celui-ci partit transmettre ces nouveaux ordres. L’Exarque et ces hommes partirent aussi. Balian rejoigni sa chambre. Ce jour avait été épouvantable, mais quand il avait défié l’Exarque, pour la première fois depuis bien des années, il avait vu dans les yeux de son père une lueur si revigorante : de la fierté, enfin !
À des kilomètres de là, Symeith était revenu sur l’îlot qui lui avait déjà servi de refuge face aux loups-garous. Il avait le sentiment qu'il serait à l'abri ici plus que nul par ailleurs. Il avait bien fait attention de brouiller les pistes lors de son évasion. Après avoir tué les gardes dans la cellule, il avait enfilé une de leurs armures et avait volé un de leur cheval pour quitter le Château. Il avait ensuite traversé le fleuve pour arriver dans la Ville-basse. Là, il avait traversé les docks et le marché pour sortir par la porte sud, la porte de la mer. Il s'était débarrassé de l’armure dans la fosse putride où débouchaient les égouts (merci mon frère !) et échangea le cheval contre une grande cape à capuche à un ivrogne des faubourgs. Il était alors de nouveau rentré dans la ville, avait traversé le fleuve dans l’autre sens pour sortir par la porte de la forêt. Il avait orienté ses faux indices vers la direction la plus plausible pour quitter le pays, les gardes ayant sûrement repéré son costume d’inquisiteur. Quitter le pays n’était pas son projet, en vérité il n’en avait pas. Il comptait survivre un petit peu ici et voir plus tard. Rien ne se passa de toute la nuit, pas un seul bruit, pas une seule patrouille. Mais à l’aurore, il vit sur la rive la forme flottante de l’Exarque qui observait dans sa direction. Il était seul et il ne bougeait pas. Symeith resta également immobilie en attendant un geste ou une parole de sa part mais rien ne vint. Finalement il s’envola un peu plus loin et examina un point inerte dans le lac.Il ne peut pas me voir ! pensa Symeith qui ne bougeait pas et respirait le plus bas possible. C’était plus une prière qu’un réel constat.Au fil des heures, l’Exarque finit par disparaître pour de bon. Symeith put se détendre, son intuition était bonne, cet îlot le protégeait. Après tout, ce lac était autrefois le coeur du pays elfique. À la fin de la journée, il commença à avoir terriblement faim, mais l’idée de quitter l’île était terrifiante. Il tenta de manière un peu inespérée de faire venir un poisson à lui par magie. Accroupi, il tendit le bras vers la surface du lac et projeta sa magie dans les eaux. Rien ne se passait. Désespéré il tenta d’attirer tout ce qu’il pouvait, cherchant de plus en plus loin, il se vidait de son énergie à un rythme soutenu quand soudain, il trouva quelque chose. Dans son esprit, cela ressemblait à un courant qui au contact de la magie semblait le nourrir. Ce n’était pas comme s’il mangeait, mais plutôt comme si sa faim disparaissait. Il dut rompre le contact, épuisé, mais la faim ne revint pas pour autant, il était vraiment rassasié. Il recommença le lendemain et l’expérience fut la même. De la manière la plus inattendue, il avait trouvé un moyen de survivre en restant sur cet îlot.Le procédé fonctionna toute la semaine. Chaque jour, il trouvait le courant de plus en plus rapidement et il maintenait le contact de plus en plus longtemps. À mesure que les jours passaient dans le silence, sa conscience de la forêt augmenta, il ressentait absolument tout ce qui se passait autour de lui. Il s’amusait à suivre les aventures tantôt d’un écureuil faisant des provisions, tantôt d’un jeune cerf dans sa lutte pour prendre la tête du troupeau pour pouvoir avoir la femelle qu’il désirait. A mesure qu'il restait dans cet état, Symeith perdait sa propre conscience. Il était moins un individu que la forêt entière à présent. Beaucoup de ses préocupations étaient devenus secondaire. Il ne fit pas vraiment attention aux patrouilles d'inquisiteurs qui passèrend par moment sur la plage. Il ne se souciait plus du sort du royaume ou de la politique. Tout ceci n'existait plus pour lui.
Les jours passèrent de plus en plus vite. La forêt se para progressivement de ses couleurs d’automne. Symeith observa chaque feuille jaunir puis rougir puis tomber. Il observait le balai des feuilles soulevé par le vent dans des tourbillons or et carmin. Avec la prudence d’une jeune femme, les arbres se dénudèrent, mais non sans fierté, ils restèrent dressés, dans toute leur nudité. Un vieux charme non loin du rivage avait un tronc étrange comme si deux d’entre eux avaient fusionné. Symeith trouvait qu’il ressemblait à Tymérand, il le voyait encore fièrement debout au milieu des bains, nu comme un vers et le sourire jusqu’aux oreilles. Comme ses frères lui manquaient, il souhaitait tellement les revoir. Cette simple pensé le fit frissoné et l'éspace d'un instant, il se rappela qui il était et qu'il avait un corps. Le froid tomba, les arbres se couvrirent de givre, puis de neige, l’eau du lac gela en surface. Les animaux se faisaient plus rares. Les oiseaux étaient partis dans les contrées du sud et les autres dormaient confortablement dans leur nid. L’étrange énergie dont Symeith s’abreuvait l’aidait aussi à supporter le froid. Cela faisait désormais des mois entier qu’il n’avait pas bougé. Il devait à présent se nourrir en continu pour ne pas succomber au gel. Son esprit était à présent si loin de son corps qu’il n’avait plus conscience d’être. Il était le monde tout entier qui sommeillait dans l’attente du printemps. Le soleil se fit de plus en plus fort. Il fit fondre la neige et la nature reprit vie dans la forêt. Les arbres se parèrent de fleurs comme les courtisanes à un bal. Certaines tombaient et s’envolaient grâce aux vents dans de folles danses. Une idée s’épanouit elle aussi dans l’esprit de Symeith : il voulait assister au mariage de son frère. Cette pensée était si forte qu'elle lui permit d'émergé de son état végétatif. Il se rendit compte qu'il était recouvert d'humus. Les feuille d'automne s'était décomposé sur son corps sous l'effet du temps et du gel. Curieusement, ses membres n'étaient pas si engourdit qu'il aurait pu le craindre après ces mois d'immobilité. En fait, il se sentait bien seulement un peu plus faible qu'avant. Il avait beaucoup maigri et ses vêtement ne lui allait plus. Par ailleurs, il avait une faim dévorante. Pour autant, tout ceci était secondaire à présent. Il devait aller à Port-Royal, tel était son but.
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