Chapitre 6 - suite

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Un jour, il trouva une jeune femme à sa place. Il s'installa quand même parce qu'il n'y avait meilleur point de vue sur le camp. Sans dire un mot. De longs cheveux châtains l’empêchaient de voir son visage.

— À l’heure, comme d’habitude, dit-elle d'une voix grave.

— Sûrement, répondit Martin d’un ton détaché.

— Pourquoi ne vas-tu pas jouer avec les autres ?

Martin tourna la tête vers la jeune femme.

— À quoi cela servirait ?

— À te créer des souvenirs agréables… Te trouver des amis… T’amuser… Enfin, tu vois. Tout ce qu’un ado doit faire à ton âge.

Martin réprima un ricanement méprisant :

— À pas grand-chose, donc.

— Tu es trop jeune pour penser ça, contesta-t-elle avec force.

— Il n’y a pas d’âge pour se rendre compte que ces futilités n’apportent rien. Je vais rester encore deux semaines ici. Et après ? Je rentrerai chez moi. Tout ce que je vois n’est qu’éphémère. À quoi bon chercher à y laisser ma trace ? Je veux juste regarder, enregistrer, et laisser les choses se dérouler sans perturber quoi que ce soit. Ils n’ont pas besoin de moi. Dans deux semaines, je serai à nouveau sur mon lit, me demandant si j’ai réellement été ici, ou si ce n’était qu’un rêve.

Tout sera déjà loin dans ma mémoire.

En bas, les enfants riaient encore. Lui, déjà, n’entendait plus rien.

Il n’avait jamais autant parlé à quiconque avec une telle franchise. Les mots explosèrent le barrage de sa raison.

— Je vois, glissa la jeune femme, visiblement troublée par les propos du garçon.

Elle se leva d’un coup et laissa Martin, satisfait de la voir partir.

Il entendit le bruit de ses pas s’éloigner dans son dos, une pause, puis elle disparut définitivement. Martin souffla, soulagé d’être à nouveau seul. Il avait réussi à la faire fuir. Personne ne voulait rester aux côtés d’un garçon aussi étrange que lui.

Le lendemain, il eut la désagréable surprise de la voir assise sur la marche. Il hésita à opérer un demi-tour mais après tout, c'était son repaire. Il s’assit près d’elle sans un mot. Etrangement, le silence était appréciable, ponctué seulement par les cris des joueurs et le bruissement des branches hautes du baobab. Il n’avait pas besoin de raconter sa journée, de justifier ses propos de la veille, de l’écouter bavasser. Il lui fallait uniquement tolérer la présence de cette femme juste à côté de lui. C’était supportable car cela ne nécessitait aucun effort, n’entraînait aucune fatigue intellectuelle. Cela faisait longtemps qu'il savait n'accorder aucune attention à l’autre.

Au bout d’un certain temps, sa voisine silencieuse s'éclipsa, laissant sur la marche un exemplaire du Petit Prince. Martin, fidèle à lui-même, n'intervint pas pour héler la jeune femme et lui rendre le livre oublié. Il ne devait rien déranger de tout ce qui se faisait sans lui. Pourtant, il finit par l'emporter avec lui, cédant à une pulsion mal éclaircie. Il le cacha sous son oreiller sans l’ouvrir.

Le jour suivant, elle était de nouveau là, la femme aux cheveux châtains. Martin n’était plus surpris. Il s’installa à ses côtés. Elle ne fit pas mention du livre. Il comprit alors qu’il lui était destiné. Le soir, il commença à lire l’histoire du mouton et de la rose. Cela lui plut.

Ainsi, un rendez-vous silencieux fut pris. Tous les jours, sur la plus haute marche du bâtiment principal, Martin et la jeune femme se taisaient. Ensemble. Ils laissaient le temps s’écouler, la vie défiler sous leurs yeux. Sans intervenir, puisque c'était la règle de Martin. La quiétude nouvelle du moment accompagnait l'adolescent jusqu’à son lit le soir.

Martin prenait son temps pour lire Le Petit Prince. Il relisait certains passages. S'attardait sur un autre. Quelque chose le séduisait dans ce petit livre mais les mots n’étaient pas assez forts encore. Les émotions qu'ils évoquaient lui demeuraient étrangères.

Un soir, Martin attendit sur la marche que sa partenaire silencieuse le rejoignît. Il patienta calmement avant d’être prit d’inquiétude. Il ne parvenait pas à se concentrer. Il espérait entendre le bruit de ses pas mais seuls les cris des joueurs lui parvinrent. Martin sentit son corps s’alourdir. Il se rendit compte qu'il avait pris goût à sa présence. Tout à la fois étonné et furieux contre lui-même, il découvrit le manque. Là, dans son ventre, une douleur sourde pointa. Il n’avait pas le pouvoir de l’ignorer ni de la taire, ce qui le perturba encore plus profondément. Il désirait la jeune femme à ses côtés pour partager le silence et lui en voulait d’être parvenue à l’apprivoiser.

Il partit plus tôt que d'habitude, ne supportant plus cette nouvelle émotion qui l’assaillait. Il dîna et se coucha en silence. Au lit, il attrapa son livre. Les mots lui apparaissaient sous un jour nouveau, avoir une autre signification. Il les entendait pour la première fois.

La jeune femme revint le jour suivant au point de rendez-vous. Martin esquissa un sourire qu’il masqua aussitôt. La douleur au ventre s’estompa. Il s’installa à côté d’elle.

— La réunion a duré plus longtemps que prévu, s’excusa-t-elle.

Elle continua de regarder droit devant elle, adoptant la même position que Martin.

— Une réunion de quoi ? demanda-t-il naturellement.

Elle manqua de s'étouffer. Martin feint de ne pas remarquer ses joues s’empourprer.

— Je suis coordinatrice du site, balbutia-t-elle, il y a toute une logistique derrière ce camp. Mais je ne veux pas t’ennuyer avec ça.

— Tu ne m’ennuies pas, répondit Martin.

Alors elle lui parla de la difficulté d’obtenir des financements pour de tels projets, de la réticence des politiques, de logistique, de sécurité, avec de grands gestes. Martin écouta attentivement, sans dire grand-chose. Son énergie l’amusait.

Il ne découvrit son prénom qu’au dernier jour. Il n’en avait jamais eu besoin jusqu’ici, mais elle voulait qu’ils s’écrivent. Martin, sceptique, lui donna malgré tout son adresse. Il ne se faisait aucune illusion.

Quelques semaines plus tard, il reçut une carte postale de Rio. Hélène avait tenu sa promesse.

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