Chapitre 16 - suite

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Au premier étage, Hélène vérifie les noms inscrits sur chacune des deux portes. Aucune n’est celle de Martin. Elle poursuit sa montée. Bien que sportive et habituée aux randonnées, elle perd son souffle trop vite. Les marches pèsent plus lourd qu’une montagne. Chou blanc au deuxième : Martin n’est toujours pas là. Elle continue son ascension, le pas plus hésitant.
Au troisième, elle s’approche de la première porte à gauche, ce n’est pas celle de Martin. Puis elle se dirige vers l’autre. Son cœur fait un saut dans sa poitrine. C’est là. Je peux faire marche arrière. Non. Si. Tu es bête ou quoi, Hélène ? Elle regarde son portable. Un message d’Irène attend d’être lu : « Fonce ma belle ». Un rire lui échappe. Elle ne peut plus fuir. Il est là, à l’attendre. Elle lève sa main, la referme, puis va pour frapper quand la porte s’ouvre avant qu’elle ait pu l’effleurer. Un homme, plus grand qu’elle, la regarde comme une apparition. Le temps se suspend — le battement d’un cœur, peut-être deux. Elle sourit.

— Bonjour, Martin.

Il met quelques secondes à lui répondre.

— Bonjour… Hélène. Entre, dit-il en s’effaçant de l’embrasure.

Les premières minutes dans son appartement sont déstabilisantes. Hélène ne parvient pas à le regarder, tandis que lui ne se gêne pas pour la dévorer des yeux. Il a tellement changé ! Elle a bien vu sur les photos qu’il avait grandi. Mais ce n’est pas pareil une fois la personne en face de soi. Hélène est perturbée par sa taille qui la domine, ses traits fins plus affirmés et sa façon de la détailler. Son regard perçant n’a pas changé, même si elle a du mal à le soutenir. Elle évite de le croiser, pour ne pas rougir. Son seul repère reste sa voix. Elle s’est familiarisée avec ce timbre grave, masculin, grâce aux échanges téléphoniques. Il lui faut juste un peu de temps pour être à l’aise. En cet instant, Martin est à la fois son confident, son ami le plus intime, et un parfait étranger.

— Tu veux boire quelque chose ? De l’eau, du jus de fruit, une bière ? Ou n’importe quoi d’autre. Je peux descendre acheter ce que tu veux.

— De l’eau, ça ira très bien.

— Assieds-toi, j’arrive…

Martin ouvre précipitamment la porte, qui bute violemment contre une desserte. Le bruit de la collision, des bouteilles s’entrechoquant, fait sursauter Hélène.

— Je suis désolé… c’est un vieux frigo qui a du mal à s’ouvrir. J’y vais toujours trop fort.

Hélène se contente d’esquisser un sourire. Elle tourne autour du canapé sans y prendre place. Ses mains caressent le cuir usé tandis que son regard parcourt la pièce. Il lui est impossible, dans son état, de rester statique. Pourtant, l’état des lieux est vite expédié : un vrai repère de mecs. Elle aime bien. Le dépouillement le plus absolu. Aucune décoration, aucune personnalisation ; juste un bouquet de roses au milieu de la table basse. Elle ne voit que lui. Les fleurs délicates sortent du cadre. Magnifiques. Sublimées par la nudité de la pièce.

— Tu es là depuis combien de temps déjà ?

— Mmm… deux ans, je crois, répond Martin, deux verres à la main.

— Ah oui, quand même !

Il pose l’eau sur la table basse et s’assoit le premier sur le canapé. Hélène l’imite en respectant une distance correcte. Tous les deux ont perdu leurs habitudes, incapables de se mouvoir de façon naturelle dans le regard de l’autre. Ils doivent s’apprivoiser à nouveau, en se tenant l’un à côté de l’autre comme à Saint-Louis. Hélène n’a toujours pas le courage de tourner la tête vers lui. Elle sent son regard sur elle. Des frissons parcourent son corps.

— Ça fait bizarre, Martin, dit-elle après un long silence.

— Comment ça ?

— Je ne pensais pas être si intimidée pour te dire la vérité. Je dois m’habituer à ton visage. Tu es si grand aussi. Tu me dépasses maintenant. C’est perturbant ! Je ne sais pas…C’est bête à dire, mais j’avais oublié qu’une voix avait besoin d’un corps. Elle me paraît plus réelle, soudain. Je repense à tout ce que j’ai pu te dire au téléphone.

Martin se lève avant de se rasseoir aussitôt au bord du canapé.

— Je vois, réfléchit-il à haute voix sans la regarder. Je ne veux pas te mettre mal à l’aise, tu sais. Pour moi aussi, c’est étrange d’être face à toi. Même si tu n’as pas changé. Ou si… tu es plus petite maintenant, ajoute-t-il avec un sourire.

Hélène sourit à son tour, heureuse de retrouver la malice de Martin.

— Qu’est-ce qui t’aiderait à te sentir mieux ?

— Que tu ne me regardes plus ? risque-t-elle. Enfin…pour le moment.

Martin détourne immédiatement le regard et le pose sur le bouquet de fleurs.

— Je les ai choisies pour toi.

— Tu as bon goût. Pour les fleurs, en tout cas.

— Tu fais allusion à mes talents de décorateur ?

— Je ne me permettrais pas, voyons !

La jeune femme rit doucement. La prévenance de son ami la touche.

— Si tu veux aller ailleurs, je connais d’autres endroits nettement mieux décorés qu’ici, propose-t-il sans détacher ses yeux des fleurs.

Hélène profite de cet instant pour tourner la tête vers lui. Le profil offert à ses peurs, à ses interrogations, à sa curiosité. Envolé l’ado. Martin, le Martin de ses souvenirs, c’est un livre à lui seul : abîmé, déchiré par endroits, crayonné à d’autres, corné, baladé partout.

Lu et relu.

Une couverture tant de fois caressée du regard, rassurante, engageante. C’est un roman sans titre, sans quatrième de couverture, sans résumé, sans auteur. Elle emmenait ce livre dans l’intimité de sa vie.

Confiante.

À présent, quelque chose a changé.

À présent, ce livre si familier contient un nouveau récit.

Celui qu’elle n’a encore jamais lu.

— Je te vois sourire, tu sais.

— Je pense à quelque chose de bête, dit-elle.

— Raconte-moi.

— Que penses-tu d’un livre que tu connais par cœur, vraiment par cœur, et que tu découvres sous un nouveau jour ?

— Je dirais que c’est un bon livre !

— Comment ça ?

— Un bon livre n’est jamais exactement le même, il se renouvelle, se dévoile, de lecture en lecture. Ou bien…

— Ou bien ?

— Tu dis que tu le connaissais par cœur ce livre ?

La jeune femme acquiesce.

— Alors, je ne vois qu’une autre possibilité. C’est la lectrice qui a changé. Tu as dû changer d’opinion sur ce livre, tout simplement. Il t’apparaît autrement.

— Tout simplement, répète Hélène, les yeux dans le vague.

La jeune femme s’empresse de détourner la conversation.

— On ne devait pas sortir ?

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