17.

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Denise aborda la dernière ligne droite vers son domicile au ralenti, passa devant la maison d'Amy et hésita à s'y arrêter. Elle ne lui dirait sûrement pas qu'elle venait de gagner plus de cent de millions de dollars mais cela justifierait au moins son retard auprès de Rick. Elle savait qu'il ne vérifierait pas qu'elle soit allée ou pas chez les Jones. Mais Denise ne voulait pas la voir. De plus, elle n'était pas sûre qu'elle parviendrait à dissimuler son émotion. Amy la connaissait bien et elle remarquerait quelque chose.

L'Escort atteignit le pavillon Paterson. Premier constat : le fourgon de Rick était absent – sauf s'il l'avait rangé dans le garage, ce qui n'arrivait que l'hiver. Denise se gara sur le trottoir et coupa le moteur. En descendant, elle constata que quelqu'un avait posé son vieux Schwinn contre sa poubelle. Y'en a qui s'en font pas ! songea-t-elle. Il y avait parfois de beaux enfoirés qui déposaient leurs objets encombrants dans d'autres quartiers. Ça permettait d'épargner au voisinage la vision d'un pot de peinture bon marché ou d'un vieux matelas plein de taches de sang. Ce coup-ci était tombé sur les Paterson voilà tout.

Elle entra dans la maison. Tout était éteint. Après quelques pas, elle appela Rick sans obtenir de réponse. Il n'était pas là, mais elle préféra prendre cinq minutes pour inspecter chaque pièce de la maison. Sauf la cave évidemment. Elle n'allait plus dans la cave.

Son premier réflexe fut de s'asseoir dans la cuisine et d'observer son ticket Lotto America. Elle le scruta dans tous les sens. Il était inscrit en tout petit qu'elle avait six mois à compter de la date de validation pour retirer son lot. Denise prit cette information comme une bouffée d'air. Du temps ! elle écopait donc de beaucoup de temps pour réfléchir.

Après s'être imprégnée du moindre détail du billet, elle partit en quête d'un endroit où le cacher. Un endroit ou Rick n'irait pas fouiller. Logiquement, il n'irait voir nulle part. Hormis ses tiroirs à slip et le frigo, il ne regardait pas grand chose dans cette maison. Mais Denise savait qu'il était capable de tout pour trouver ce qu'il cherchait. Le jour où il avait perdu sa cassette audio de George Strait, il avait été jusqu'à vider la trousse à pharmacie pour vérifier si elle ne s'y trouvait pas.

Quelque chose fit grincer le perron. Prise de panique, elle rangea le ticket dans son sac à main qu'elle glissa sous l'évier. Elle attrapa un filet de pomme de terre et en saisit une poignée qu'elle se mit à éplucher frénétiquement en attendant que la porte d'entrée s'ouvre et fasse apparaître un Rick apathique, dont la première interrogation serait : et qu'est-ce qu'on mange ? Ce à quoi Denise pourrait répondre : un gratin de pommes de terre.

Ça n'arriva pas. Les secondes puis une minute entière s'écoulèrent. Cela devait être un chat, se dit-elle. Mais ça n'enlevait en rien l'urgence de sa situation. Elle reprit son sac et en versa tout le contenu sur la table. Le milky way acheté chez Francis recouvrait le billet de loto, et sa base correspondait aux dimensions du ticket si elle le pliait en deux. Elle prit un couteau, fit une légère incision droit à l'angle de la barre chocolatée. Elle plia son trésor et le glissa entre l'emballage et le milky way. Il déteste les sucreries, jamais il n'ira mettre la main dessus, se félicita-t-elle. Elle ouvrit la porte de l'armoire que Rick surnommait "l'usine à diabète". Dedans dormait tout son stock multicolore de bonbons et de chocolats. Elle y déposa son milky way pas convaincue pour autant. Car il y avait quelque chose qui clochait. Après observation approfondie, elle s'aperçut que toutes ses confiseries étaient achetées en gros, emballages noyés dans des plus grands emballages. Si une barre se promenait seule, ce serait étrange. Elle farfouilla parmi les paquets et en dégota un de milky way. Seul inconvénient, il s'agissait du format mini. Mais ce ne serait pas un problème, Rick ne pousserait pas le vice jusqu'à ouvrir individuellement chaque sachet pour y retrouver une cassette audio ou sa ceinture – de merde – préférée. De la même manière que pour la barre, elle fit une incision dans le plastique et glissa cent-cinq millions de dollars à l'intérieur.

C'est pile à cet instant qu'on frappa à la porte.

Denise referma le placard et s'approcha de l'entrée. Elle était à peu près sûre que ce n'était pas Rick. Pour quelle raison aurait-il été toquer à la porte après tout ?

Elle découvrit une jeune femme brune au teint étonnamment hâlé pour la saison. Cette dernière restait plantée sans bouger, sa bouche pulpeuse recouverte d'un rouge à lèvre rouge vif remuant sans sortir un mot. Difficile de lui donner un âge. Elle n'aurait pas été surprise qu'elle ait quinze ou trente ans. Mais qu'importait son âge, Denise ressentait quelque chose de très malsain venant de cette fille. Quelque chose proche de la maladie vénérienne ou de la lèpre. Le genre de saleté qu'on pourrait presque choper rien qu'en le regardant.

— Oui ?

— Est-ce que Rick est là ? Il faut que le voie.

Déjà pas mal déboussolée par sa gestion de la fortune, Denise contrôla au mieux l'effet de surprise provoqué par cette irruption ; elle s'était attendue à tout sauf à ce qu'une petite écervelée vienne lui poser cette question.

— Euh... Non. Vous êtes ?

— Vous êtes sûre ? J'ai sonné tout à l'heure, et je crois bien avoir entendu du bruit.

Au-delà de cette présence insolente réclamant son mari, cette information inquiéta Denise, elle qui s'était crue en parfaite intimité.

— J'en suis certaine oui. Que lui voulez-vous ?

La femme se contenta de sourire, dévisageant Denise d'un air pire que condescendant. Cette morue représentait presque la moitié de son volume, le savait et lui faisait clairement savoir à travers son regard.

— Écoutez, il est tard. Allez-vous en s'il vous plaît.

Denise voulut fermer la porte mais la femme la bloqua d'une main ferme.

— Attendez ! fit-elle.

Denise ne résista pas et laissa le battant s'entrouvrir.

— Mais que voulez-vous ?

La fille déglutit. Denise ne put s'empêcher de suivre le mouvement de sa gorge allant de haut en bas. Elle remarqua la commissure de ses seins qui semblaient mourir d'envie de respirer hors de ce manteau trop serré.

— Ce que j'ai à vous dire n'est pas facile, débuta-t-elle, mais voilà, Rick et moi sommes amoureux et on va partir ensemble.

— Qu... Quoi ! Mais qu'est-ce que vous me racontez ? Et qui êtes-vous bon sang ?

— Je m'appelle Patty Bells. On s'est rencontrés ce matin et ça a été un véritable coup de foudre entre nous. Je suis désolée de vous annoncer ça comme ça, mais je me suis dit que c'était peut-être plus courageux que ce soit moi qui vous l'apprenne.

Denise ne savait pas comment réagir. Soit cette femme était complètement débile, soit elle savait très bien ce qu'elle faisait. Dans tous les cas, que cette Patty dise vrai ou faux, Denise se sentit submergée par la folle envie d'attraper une poignée de ces magnifiques cheveux naturellement ondulés et de lui faire rebondir sa petite gueule contre le montant plusieurs fois consécutives. Elle se vit également lui hurler de foutre le camp de chez elle et de crever la bouche ouverte. Mais elle ne fit rien de tout ça.

À la place elle invita la maitresse de son mari à entrer.

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