20.

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Des jours comme ça, Rick en redemandait. Sourire aux lèvres en s'imaginant le soutien-gorge de Patty Bells se dégrafer sous ses doigts ; ballade en forêt et pisse salvatrice ou bout de laquelle il repartait avec une valise remplie de pognon ; hormis quelques fiottes des grandes villes, auteurs gauchistes ou intellectuels de mes-deux, nul homme normalement constitué ne rechignerait à signer pour pareille journée.

La chance avait tourné. Tel le vent en pleine mer, elle soufflait dans le bon sens et à une vitesse constante pour Rick Paterson. Et le rivage était proche. Ce dernier se matérialiserait par un étalage de son trésor, une petite semaine de réflexion (quoique, quelques jours devraient suffire) puis un départ vers le sud. Le Mexique, voire plus bas sur le continent. Il avait entendu dire que le Nicaragua était un pays formidable. Peu importait. À vue d'oeil, il devait détenir près d'un million de dollars. Suffisamment pour une retraite peinarde dans n'importe quel État d'Amérique du Sud. Il pourrait même envisager l'Europe ou l'Asie. Pour cela il attendrait de s'être bien imprégné du fonctionnement d'un malfrat en cavale ou d'un ex nazi. Il apprendrait vite les ficelles de la vie marginale, enfin... de la riche vie marginale, et visiterait le monde sous une fausse identité. Bon sang ! Les projets affluaient dans sa tête comme ces fichues truites qui descendaient les rivières partout autour de lui. Et Denise ? Oh... je lui laisserai une liasse. Deux peut-être. Mais elle ne viendra pas avec moi. Mon exil n'accepte pas les personnes irresponsables et incapables de surveiller un enfant. Mon exil n'admet pas non plus les gens qui se laissent aller à devenir gras et dégoulinant comme...

Les pensées de Rick furent interrompues par une paire de phares remontant le chemin. La route étant trop étroite, il dût s'immobiliser en même temps que le véhicule lui faisant front. Il fouilla sa mémoire en quête du dernier renfoncement sur son trajet mais il avait été bien trop préoccupé pour s'en souvenir. Il allait falloir faire demi-tour à l'aveugle jusqu'à en trouver un. À moins que l'autre n'en fasse de même dans l'autre sens. L'important à ce stade était que personne ne quitte sa voiture et que tout le monde poursuive sur sa voie.

Alors qu'il tergiversait à sa stratégie, il remarqua que la porte de l'invité surprise s'était ouverte sans que le plafonnier ne s'allume pour autant. Quelqu'un sortit et s'approcha d'un pas décontracté à travers les ornières et la boue. Cette démarche et cette morphologie lui disaient vaguement quelque chose. Et alors qu'il remettait le visage de Paul McPherson au fur et à mesure qu'il se découvrait à la lumière, il fut à la fois rassuré et inquiet de le trouver ici. Rassuré car ce n'était pas un des malfrats ou il ne savait qui à qui appartenait le magot qu'il transportait. Inquiet car il tenait une carabine entre ses mains.

Arrivé à sa hauteur, McPherson toqua sur la vitre à l'aide du canon. Rick ouvrit la fenêtre.

— Oh ! Bonsoir monsieur McPherson. Quelle surprise de...

— Descends.

Rick fut saisi de stupeur.

— Je suis désolé d'avoir pris un peu de retard. Je voulais...

— Descends je te dis.

Rick comprit que ce n'était pas la peine de discuter et s'exécuta.

Le regard de McPherson était scintillant et gorgé de larmes. Il avait rongé son frein tout du long de son voyage et le stress avait été à deux doigts de lui provoquer une crise cardiaque. Maintenant qu'il se trouvait face à ce petit enfoiré de Paterson un flingue à la main, il se sentait à nouveau maître de la situation et sa tension diminuait à mesure que le temps s'écoulait.

— T'es viré, débuta-t-il en inspectant l'habitacle.

Rick s'en fichait pas mal et ne réagit pas.

— Où est l'équipe ? Je croyais que vous étiez piégés comme des rats.

— Ils n'ont pas voulu rentrer.

— Ah parce que ce sont eux qui décident maintenant ! Ce sont eux qui font leurs horaires et choisissent comment organiser les semaines de boulot !

— Je ne sais pas. J'ai voulu les convaincre mais ils ont refusé.

McPherson serra les dents, faisant rouler ses mandibules.

— Et bien on va aller les voir. Prends le volant.

Rick ne savait pas trop s'il devait se sentir menacé ou pas. McPherson n'avait pas encore pointé son arme sur lui. Dans le doute, il reprit place à bord sans broncher tandis que son patron s'installait derrière. Après une marche arrière d'une cinquantaine de mètres, il trouva un étroit chemin dans lequel faire demi-tour.

— Te plante pas dans ta manoeuvre, tu le vois peut-être pas mais y'a un putain de précipice.

Effectivement, Rick ne l'avait pas vu. Caché derrière une nuée de sapins, un vide de près trois-cent mètres en à-pic menaçait celui qui s'aventurerait trop loin. Il recula très lentement, repartit de l'avant en contre-braquant et répéta l'opération plusieurs fois pour ne pas risquer de trop s'approcher du ravin.

— T'aurais quand même pu le faire en un coup je pense, répliqua McPherson. Tu sais que des semi-remorques empruntent cette route quand même. Allez, roule.

Lorsqu'ils arrivèrent devant le chalet, ils aperçurent des types rigoler à travers les fenêtres. Ça avait l'air de bien festoyer là-dedans. Mais que dire, que faire ? On était bien au-delà des heures de travail et ces gars méritaient un peu de repos. Et puis McPherson n'était pas venu pour beugler et interdire à tout va. La détente faisait partie du job après tout – tant que le job était fait.

Ils quittèrent la voiture. Autour d'eux la forêt sonnait le calme à présent. La pluie avait cessé et pas une once de vent ne remuait les arbres millénaires. Les étoiles s'étaient découvertes et il n'aurait pas fallu longtemps pour qu'une paire d'yeux s'habituent à la pénombre.

McPherson hésita à prendre sa carabine mais opta pour la laisser sur la banquette arrière. Après tout, il n'était pas censé se pointer pour menacer qui que ce soit mais pour rendre une visite tout à fait amicale.

— Viens, on va discuter cinq minutes et ensuite je te ramènerai chez toi.

Alors que Rick venait de descendre, il vit que son ex patron prenait la direction du petit hayon. Il se voyait déjà lui sauter dessus ou simplement hurler pour l'empêcher de regarder sous la bâche tendue.

— Et merde...

— Quoi ? fit Rick, jouant l'assurance.

— J'ai oublié que c'est dans mon coffre que j'ai mis le pack de bière pour les gars. Quel con.

— Ils en ont encore il me semble.

McPherson ne le montra pas mais il avait parfaitement remarquer un changement d'expression dans le visage de Rick. Il n'aurait pas trop su définir ce qu'il y voyait avant mais c'était bien du soulagement qu'il lisait désormais. C'était assurément louche.

— Tant pis. Allons-y.

Il contourna le véhicule, ouvrit la porte arrière et saisit sa Winchester. Il ne visa pas pour autant son ancien employé, mais le geste fut perçu comme un signal plutôt négatif.

— T'avais pas l'air rassuré, Paterson. Je vais peut-être jeter un coup d'oeil sur ce qu'il y a là-dedans avant d'aller toquer à la porte.

Rick se décomposa à nouveau, ce qui conforta McPherson dans son idée que quelque chose clochait sérieusement avec l'arrière de ce véhicule.

Il libéra le loquet et le hayon tomba. Puis il ramena la toile vers le cockpit. La malle était au milieu et la lumière émanant du chalet était suffisante pour distinguer de la terre brune et humide tout autour.

— Tiens tiens. T'avais pas besoin de faire tes bagages pour la mission que je te confiais.

— C'est rien. C'est...

— Chut.

Sentant que la situation se tendait, McPherson arma la carabine et ordonna à Rick de venir ouvrir la malle. Il ne l'avait toujours pas clairement menacé, ce qui ne signifiait pas pour autant que ce n'était pas le cas. McPherson était doué pour masquer les apparences.

Rick demeura un instant planté, à se demander s'il fallait obéir ou se jeter sur lui. Il choisit d'obtempérer et souleva le coffre. L'opération réalisée, il recula de quelques mètres afin que McPherson puisse inspecter le contenu.

— Doux Jésus !

Doux Jésus était belle et bien la dernière expression que Rick s'attendait à entendre sortir de la bouche de son ex boss.

— Où t'as trouvé ça ?

Rick ne répondit pas. Il réfléchissait à un plan mais sentait bien que tout était confus dans sa tête. Le fait d'avoir joué le mouton obéissant aux yeux de McPherson avait fini par réellement le déstabiliser.

— De toute façon on s'en branle. Tout ce putain de terrain m'appartient. Ce camion aussi m'appartient. Ce qu'il contient aussi, pas vrai ?

Il tenait toujours la Winchester entre ses bras mais sa main avait quitté le chien pour brasser une liasse comme un jeu de cartes. Son sourire était pareil à celui qui vient de gagner le pactole à une loterie.

Voilà qui suffit à raviver l'étincelle.

Oh que non, pensait Rick. Oh que non. Ça ne se passera pas comme ça...

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