2. Bien de l'intérêt pour son temps de présence quasi nul (2/2)

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   Le fait que sa camarade ne lui tînt pas la jambe sans raison la rendit d’autant plus sympathique aux yeux de Thaïs. Les gens bousculaient trop souvent les silences.

   La salle libérée de ses précédents occupants, ce paisible duo y pénétra à son tour et se choisit une table. Edwige émit le souhait qu’on leur communiquât cette fois une bibliographie moins fournie et Thaïs en profita pour la questionner sur ses lectures. Le fait de n’avoir jamais ouvert aucun des ouvrages imposés l’inquiétait. Peut-être entamait-elle l’année mal préparée ?

   Un instant plus tard déboulèrent deux autres nanas du premier cours, une rousse et une brune, qui s’installèrent au même niveau sur le rang précédant le leur. Un regard suffit à Thaïs pour reconnaître les filles abordées par Sourou en sortant de Littérature et arrêter son opinion. Si la rousse paraissait fadasse mais pas bien méchante, la brune en revanche… Eh bien, pour commencer, elle avait un nez de hérisson – tout fin, puis rond comme une bille au bout –, ce qui suffisait en soi pour savoir que ça ne collerait pas avec celle-là. Ce profil était rédhibitoire. Dans une autre vie, elle devait avoir eu maille à partir avec une de ces bestioles à picots ou quelqu’un qui possédait le même genre de tarin. Ensuite, son visage inexpressif et sa façon de fixer les autres comme si elle les passait aux rayons X lui donnaient l’air d’un cyborg à la recherche de Sarah Connor. On faisait mieux dans le genre avenant.

   Lorsque la rouquine engagea la conversation, Thaïs décida de rester en retrait, littéralement : à peine la première s’était-elle retournée que la seconde se reculait, bras croisés, aussi loin que le lui permettait le dossier de sa chaise. Elle n’était pas là pour se faire des potes. Ce qu’elle n’entendait que d’une oreille ne paraissait pas follement intéressant, du reste. Edwige, qui se révéla de bien meilleure composition, assura la réciprocité des échanges pendant plusieurs minutes avant de montrer des signes de désintérêt. Mais quand la rousse mentionna pour la troisième fois son copain dans un intervalle qui n’aurait même pas dû suffire à l’évoquer ne fût-ce qu’une seule dans pareille situation, la conversation tourna au monologue.

   — Vous vous connaissiez déjà ? demanda-t-elle ensuite à Thaïs et Edwige, qui secouèrent la tête en silence. Nous, on était ensemble au lycée.

   Elle désigna la brune, qui jusqu’ici n’avait pipé mot mais dévisageait les filles de son regard robotique.

   — Vous avez vu la liste des bouquins à lire en Littérature ? C’est abusé, non ?

   Thaïs retint un soupir. Ces mots, ce ton, cette scène : tout lui rappelait le lycée et l’ambiance puérile qu’elle avait eu tellement hâte de fuir. Encore quelques semaines et les ragots s’inviteraient à la table, ça ne ferait pas un pli.

   — Il est pas avec toi, le gars de ce matin ? l’interrogea la brune d’une voix rocailleuse quand le silence devint complet.

   Semaines ? Correction : secondes. L’heure des potins sonnait déjà.

   Thaïs la dévisagea à son tour. L’espace d’un instant, elle envisagea de livrer une réponse stupide à cette question qui l’était tout autant : à l’évidence, à moins de se planquer sous une table, le gars de ce matin n’était pas avec elle, non. Mais puisque c’était le premier jour, et puisqu’on allait se côtoyer quotidiennement pendant toute une année, elle opta pour une formule plus neutre :

   — Non.

   Basta. Le fait que Sourou fût parti juste après le premier cours ne les regardait pas.

   — Vous vous connaissiez déjà ?

   — Pourquoi ?

   — On se demandait ce qu’il foutait là, avoua la rouquine en secouant sa crinière avec désinvolture.

   — Dans quel sens ?

   — Bah, clairement, il sort pas du lycée. Il doit avoir trente ans, le mec.

   — Et ? intervint Edwige dont le timbre n’était plus velouté mais affûté. On n’a pas sa place à la fac quand on n’a pas l’âge classique du cursus, selon vous ?

   Sa réaction souleva une bise polaire et fit pleuvoir entre leurs tables de jolis flocons d’embarras. Thaïs s’efforça de contenir son sourire.

   — Non, pas du tout ! s’empressa de rectifier la rousse. C’est inhabituel, quoi.

   — Pas tant que ça, siffla Edwige.

   — C’était juste par curiosité.

   — Plutôt mal placée, il me semble.

   — OK, bah... désolée.

   À en juger par l’expression de son visage, elle n’était pas désolée le moins du monde mais venait d’étiqueter Edwige « chien enragé » pour le restant de l’année. Elle pivota en sens inverse sans demander son reste. La brune toisa les filles une seconde encore avant de l’imiter.

   Thaïs arqua les sourcils, toute à ses réflexions. Une pensée venait de germer dans son esprit qui l’accompagna tout au long de la séance, pendant laquelle elle noircit plus de carreaux sur sa feuille qu’elle ne prit de notes. Plus personne ne parla, et Edwige semblait toujours furieuse quand elle prit congé en fin de matinée. Cette pensée accaparait encore l’esprit de Thaïs quand elle se dirigea vers le métro qui la ramènerait au bercail. Lorsque les portes du wagon se refermèrent, elle se dit que décidément, de façon indirecte ou non, pour une raison ou une autre, le gars au manteau de peau lainée avait suscité bien de l’intérêt pour son temps de présence quasi nul.

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