3. Je savais que le courant passerait avec toi (1/2)

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(Pour l'ambiance sonore : https://www.youtube.com/watch?v=OMOGaugKpzs)

3. Je savais que le courant passerait avec toi

   Les premiers accords du morceau qui lui tenait lieu de réveil arrachèrent violemment Thaïs à la douceur du sommeil le lendemain matin. Tout en se maudissant d'avoir veillé si tard, elle s'assit et se frotta les yeux. Au creux de sa main, Sting entonnait les paroles de l'onctueux Every Breath You Take.

   L'étudiante ramena les genoux sous son menton et contempla son œuvre derrière le rideau de boucles châtain qui lui barrait le visage. Lit, bureau, étagères, lampe, armoire, mini fauteuil et table basse, tout s'emboîtait parfaitement dans la pièce principale de son petit T1, tel un tableau Tetris de niveau ultime. Elle avait bien bossé. Certes il manquait quelques touches de déco ici et là, mais l'ensemble lui paraissait harmonieux et fonctionnel. « Fonctionnel » : Thaïs salua d'un sourire l'arrivée de cet adjectif de vieux dans son vocabulaire. Qui donc, à dix-neuf ans, se préoccupait de ça en aménageant son premier appart ? Pas elle en tout cas, pas sans sa mère qui lui avait rabâché ce mot en boucle pendant des semaines. Elle serait transportée de joie en apprenant que son indépendante de grande fille chérie qui rejetait toute forme de conseil de sa part en avait retenu et appliqué un, tout compte fait. Ou pas. Non, pour s'épargner la répétition du couplet « je te l'avais bien dit », Thaïs ne l'avouerait jamais.

   La jeune femme attendit la fin du morceau pour sortir du lit. Après avoir ouvert les rideaux et la fenêtre, elle prit une profonde inspiration et savoura tout à la fois la fraîcheur du jour et la beauté du soleil qui se levaient aussi. Malgré la fatigue, elle se sentait bien. Au calme, enfin. Il n'y aurait plus, désormais, de pépiants bavardages de maman le matin, plus de live Instagram de la frangine à la table du petit-déj, plus de commentaires enflammés de papa devant les infos continues de BFM. Quel pied ! Et en prime, aujourd'hui, c'était le lendemain de la rentrée. Un jour ordinaire, sans blablas inutiles ni présentations gauches ; aujourd'hui commençait réellement sa nouvelle vie. La journée s'annonçait idéale.

   Douche, habillage, maquillage et rassemblement de ses affaires de cours expédiés, l'étudiante fit un saut à la cuisine dans l'idée d'apaiser son estomac qui maintenant criait famine. Mais, devant son frigo et ses placards tristement vides, elle se rappela que sa nouvelle vie était livrée sans option de remplissage automatique du garde-manger. Son regard se posa sur la paillasse de l'évier. Les emballages vides du Golden Menu dont elle avait dîné la veille semblaient se foutre d'elle : hé ouais, t'as tout bouffé ! Tu peux même pas te rabattre sur une frite ! Sans trop savoir ce qu'il convenait d'acheter, la jeune femme se promit de faire des courses au retour de la fac et quitta son cocon avec un haussement d'épaules. Elle s'achèterait un croissant sur le chemin.

*

   La matinée tint ses promesses de routine, à la fois familière et nouvelle, avec son pesant de prises de notes et d'annonces relatives au calendrier de partiels du premier semestre. Edwige et Thaïs se réunirent spontanément dès la première séance et partagèrent leurs pauses clopes sur fond de bâillements prolongés. Entre deux lamentations réciproques sur leurs nuits trop courtes, Thaïs apprit que sa camarade avait vingt-cinq ans et vivait à Saint-Germain-des-Prés avec son mec, chez le père de ce dernier.

   — C'est un ménage à trois qui fonctionne depuis quelques années, confia-t-elle de sa voix feutrée.

   Thaïs n'osa pas demander s'il fallait comprendre par « ménage à trois » la configuration qu'elle imaginait.

   Les trois premiers cours terminés, deux heures libres s'offraient aux étudiants de Licence 1. Tandis qu'Edwige s'en allait déjeuner avec l'un de ses colocataires, Thaïs acheta un sandwich à la boulangerie la plus proche et revint l'engloutir sur les marches de la bibliothèque universitaire afin de profiter du soleil. Une fois le fil d'actualité de tous les réseaux sociaux qu'elle fréquentait écumé, elle échangea quelques messages avec sa sœur et sa mère – surtout sa mère, désireuse de tout savoir – puis, armée de ses cigarettes et de son bloc-notes, s'attela à la rédaction de sa lettre de motivation. Une heure plus tard, ses efforts se réduisaient à un tas de cendres considérable d'un côté, et une quantité non moindre de ratures de l'autre. Ça n'allait pas. Sérieuse, organisée, ponctuelle : sous les adjectifs convenus qu'elle peinait à pondre sans même parvenir à les insérer dans des phrases, son absence de motivation suintait par tous les grains du papier malmené. Thaïs devait demander conseil, elle le savait. Mais non. Elle refusait de se tourner vers ses parents. Et même de s'en remettre à Google : il fallait qu'elle y arrive, seule.

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