7. Elle s'en allait à regret (2/2)

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   L’instant d’après – il y eut comme un trou dans sa mémoire immédiate –, ils se trouvaient dehors et Sourou insistait pour qu’elle enfile sa veste.

   — Tu vas attraper la crève, affirmait-il.

   Thaïs s’en foutait. Thaïs ne s’intéressait qu’au pull bleu outremer de son camarade. Les mailles lui enserraient amoureusement les muscles, mais surtout, dissimulaient quelque chose que la jeune femme brûlait de découvrir. Que planquait-il là-dessous ? Sa peau nue, un T-shirt ? Un simple débardeur... ? Débardeur, manteau de peau lainée : l’association fut immédiate, tout comme le regain de curiosité.

   — Le jour de la rentrée…, commença l’étudiante avant de s’interrompre, car elle préférait disposer de facultés intactes pour aborder ce sujet-là.

   — Quoi ? s’enquit Sourou.

   — Rien, laisse tomber.

   Elle pensa porter la cigarette à ses lèvres, mais quelque part en cours de route, son geste se perdit et sa bouche continua :

   — Tu t’es pointé avec un gros manteau, mais juste un débardeur en-dessous.

   OK. Bon, ben… Tant pis pour les facultés.

   — Et c’est con, mais ça m’obsède depuis. Pourquoi t’avais pas de pull, Sourou ?

   Un éclat de rire secoua les épaules du jeune homme, bien qu’il se frottât la tête avec embarras. Thaïs le vit réfléchir à sa réponse, hésiter, soupeser. Une fille bourrée n’était sûrement pas la meilleure personne à qui se confier, il fallait bien l’avouer.

   — Je me rappelle plus, éluda-t-il.

   — Tu mens ! contra sa camarade sur un ton décidé qui le fit rire encore.

   — De toute façon, tu t’en souviendrais plus demain si je te le disais.

   — C’est fort plobla, probr... sûrement, ouais.

   — Tu veux rentrer chez toi ?

   — Ah non ! s’exclama Thaïs en levant l’index. Sasharivari a dit que je devais pas bouger d’ici.

   — Qui ça ?

   — Ma sœur. C’est son pseudo sur Insta. Tu devrais aller voir son profil, c’est un truc de dingue : y’a des milliers de gens qui la suivent ! Ché pas comment elle fait, la p’tite !

   Pourquoi tant de monde se passionnait pour la vitrine virtuelle de sa frangine, en effet ? Comment pouvait-on s’intéresser à ce point aux photos de petit-déj – qu’elle préparait si longuement pour le cliché qu’elle n’avait souvent plus le temps de manger, après –, de sorties avec le chéri et d’escapades nocturnes d’une parfaite inconnue ? Sasha partageait toute sa vie sur les réseaux. Elle faisait des tutos maquillage, montait des vidéos de ses sorties shopping, diffusait à tout va des avis sur à peu près tout, des culottes menstruelles aux applis de téléphone en passant par de régulières prises de position sur le féminisme et le body positivisme, et les gens l’adoraient pour ça. Elle recevait tout le temps des messages privés qui la félicitaient pour son travail, et tout ce cirque… Bah, ça dépassait Thaïs.

   — Tu vas me dire pourquoi ça te mettait de mauvais poil qu’elle veuille sortir avec toi ? questionna Sourou avec malice.

   — Et toi, tu vas me dire pourquoi tu portais pas de pull ?

   — Je suis tête en l’air.

   — Je suis lunatique.

   Ils échangèrent un sourire complice. Elle l’aimait bien, tout compte fait. Ou l’alcool de riz l’aimait bien. Ou la pastèque. Ou sa libido. Un truc comme ça.

   — Ma sœur grandit plus vite que moi, avoua-t-elle sans l’avoir prémédité. Quand on traîne ensemble, j’ai l’impression que tout le monde…

   … le voit. Ainsi se serait achevée sa phrase, si un type plus alcoolisé qu’elle encore ne l’avait pas bousculée en trébuchant à côté. Sourou attrapa la jeune femme par la taille et la plaqua contre ses côtes pour lui éviter de tomber.

   — Regarde où tu vas, frère ! dit-il au gars qui ne s’était rendu compte de rien.

   Le décor s’effaça. Thaïs sentait les doigts de Sourou contre sa peau, juste au niveau de la hanche. L’étau de son bras qui la maintenait contre son torse. Son parfum boisé qui lui emplissait les narines, et sa poitrine à elle, qui lui effleurait la cage thoracique à chaque respiration. Bien peu de choses les séparaient de la nudité de leurs corps. Elle se demandait si lui aussi en avait conscience.

   — Bambou !

   L’étudiante sursauta, et tourna la tête. Sa frangine se dirigeait vers eux avec la détermination d’un lion en chasse.

   — Sasharivariiii ! s’exclama Thaïs. Sourou, regarde, c’est ma petite sœur ! Sasha, dis bonjour à Sourou !

   — Salut, Sourou. Enlève tes mains, fit la cadette qui dardait sur lui un regard assassin.

   Au grand regret de sa camarade, le jeune homme s’exécuta. Hors de son étreinte, il faisait froid.

   — Thibault nous attend dans la voiture, annonça Sasha. Va chercher tes affaires.

   Thaïs ne réagit pas. La tête en biais, elle alluma une nouvelle cigarette et contempla sa cadette. Les regards se tournaient déjà vers elle. Le mec qui venait de la bousculer lorgnait sur son fessier, et un autre lui jetait des regards intéressés. Sasharivari possédait ce pouvoir-là. Elle entrait quelque part, et aussitôt les hommes la remarquaient. Ils voyaient sa crinière de boucles châtain, ses rondeurs sensuelles, sa féminité travaillée jusqu’au bout des ongles. Et son assurance, aussi. Thaïs lui enviait ça. Tout ça.

   — Je m’en occupe, déclara Sourou avant de disparaître.

   — Il sort d’où, lui ? interrogea Sasha.

   — La fac. C’est juste un pote, t’inquiète pas pour moi.

   — T’inquiète pas, t’inquiète pas… T’as l’air bien attaqué, quand même !

   — Emmène-moi manger, ça ira mieux, concéda Thaïs avec un sourire.

   Sourou rapporta le sac, la veste et le pull de sa camarade. Il refusa de prendre le billet que cette dernière lui tendit pour régler sa part de la note, souhaita aux filles une bonne soirée et s’apprêta à rejoindre Paulo.

   — Tu me dois toujours une explication pour le pull ! lança Thaïs tandis que Sasha l’entraînait de l’autre côté de la rue.

   Le sourire énigmatique qu’il afficha en retour lui donna chaud de nouveau. Mouais, il était temps de partir. Mais quand même... Elle s’en allait à regret.

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