Épisode 4: Celui qui téléphone
Rachel observait Joey. Les yeux fermés, il respirait lentement, alors que Sarah lui parlait à voix basse. Sarah diffusait de la musique avec son téléphone. De la flûte de paon ? Oui, c’est ça… Mais que faisaient-ils, bon sang ? Rachel interpella Phoebe, affairée derrière son bar.
- Phoebe, tu peux me dire… ?
- Chuuuut, rétorqua Phoebe en faisant de grands signes.
- Mais enfin, Phoebe, qu’est-ce que …
- Chuuuut, chuuut !
Elle s’approcha de Rachel à pas feutrés, le doigt sur les lèvres, les épaules rentrées. On aurait dit qu’elle s’apprêtait à jouer dans un film d’espionnage.
- Peux-tu me dire ce qu’ils sont en train de faire ? articula Rachel, à voix basse.
Tous ces mystères l’agaçaient. Elle n’avait jamais été d’un tempérament patient et ce n’était pas maintenant que ça allait changer. Phoebe vint s’asseoir à ses côtés et lui chuchota à l’oreille.
- De la méditation.
- De la quoi ? s’esclaffa Rachel.
- Chuuuutttt. Tais-toi ! répéta Phoebe… en hurlant à son tour, énervée.
Sarah se racla la gorge en leur jetant une œillade furibonde.
- Pardon, pardon, reprit Phoebe, faisant mine de fermer sa bouche avec ses doigts.
Puis, se tournant à nouveau vers Rachel.
- Ils font de la méditation.
- OK, rien ne va plus, j’avais donc bien entendu. Mais depuis quand… Joey fait-il… de la méditation ? Et pourquoi ?
- Tu te souviens des exercices d’hypnose que Chandler a utilisés pour arrêter de fumer ?
- Oui, exercices qui n’ont jamais servi à rien d’ailleurs. Il a juste appris à mieux cacher ses clopes. Quel rapport ?
- Même principe ! Il essaye de se purifier des mauvaises ondes… celles de la viande, tu vois.
- La viande émet des « ondes », maintenant ?
Phoebe soupira. Décidément, Rachel restait toujours aussi fermée d’esprit.
- Pour Joey, la viande, c’est toute sa vie… Sarah veut qu’il se détache de tous les bons souvenirs qu’il associe à ça.
- Elle veut le reprogrammer ou quoi ? Joey sans la viande c’est… comme si Ross oubliait l’existence des dinosaures.
- Les filles, s’il vous plaît, vous ne m’aidez pas.
Sarah s’était à nouveau tournée vers elles. Son petit sourire contrit ne trompait personne, se dit Rachel. Dieu qu’elle pouvait être agaçante ! Sur le ton de la confidence, Phoebe reprit :
- Bref, l’idée c’est de guider Joey en douceur vers le végétarisme.
- On doit au moins reconnaître à Sarah qu’elle a le sens du challenge. Mais, Phoebe, un bar pour de la méditation, tu es sûre que c’est l’endroit le plus… approprié ? Tu ne vas pas demander à tes clients d’être silencieux toute la journée, si ?
Le sourire de Phoebe s’élargit.
- Il paraît que le Central Cats à un « très bon aura ». Tu te rends compte ? Il n’y en a plus pour très longtemps de toute manière. Et pour les clients, ils ont intérêt à faire profil bas sinon… Félix s’en charge. Crois-moi, ils n’ont pas envie de ça…
Puis se tournant vers son ami et le désignant du menton :
- En tout cas, ça a l’air de fonctionner. Regarde comme il est calme et absorbé par l'activité.
- Tu es sûre qu’il ne dort pas, plutôt ?
- Non… enfin, je ne pense pas…
Le carillon de l’entrée retentit, dévoilant une Monica survoltée, comme à son habitude, suivie de Chandler, le nez vissé sur son téléphone. Phoebe gesticula frénétiquement pour leur faire comprendre que le silence était de rigueur.
Joey, visiblement moins concentré que ce qu’il laissait paraître, entrouvrit un œil… qu’il referma aussitôt en apercevant Chandler. Sa respiration s’accéléra.
- Qu’est-ce qui lui arrive ? demanda Rachel. Il transpire beaucoup, là, non ?
- Peut-être un méchant souvenir lié à la viande ? suggéra Phoebe.
- Ou de mauvaises ondes qui viennent d’entrer dans la pièce, rétorqua Sarah, en jetant un regard appuyé à Chandler
Celui-ci, ravi de trouver un auditoire – et un nouveau terrain de jeu avec cette histoire de méditation – releva la tête, déjà hilare.
- Fais gaffe, Joey. Les mauvaises ondes se baladent autour de toi… Oh mais attends, je les perçois… Elle se sont fait faire un brushing et sont d’humeur grincheuse.
Joey ne bougea pas. Pas un cil. Juste un rictus coincé. Pétrifié par la situation, il se mit à observer le plafond comme si une réponse divine pouvait s’y afficher.
Faire comme s’il n’était pas là, faire comme s’il n’était pas là se répétait-il comme un mantra.
Chandler, persuadé que Joey n’avait pas entendu, en rajouta une couche.
- Des ondes à talons qui mangent du tofu, lâcha-t-il, hilare.
Sarah leva les yeux au ciel. Joey, lui, se raidit d’un coup, les mains moites.
- Oula, toute cette méditation, ça m’a… ça m’a… donné envie d’aller aux toilettes, lança-t-il d’une voix aigüe avant de bondir hors du canapé.
Et il se rua vers le fond du bar, laissant Chandler cligner des yeux, l’air perdu.
- Qu’est-ce qui lui prend ? Il rit toujours à mes blagues, pourtant…
- Il a peut-être enfin compris qu’elles n’avaient rien de drôle, rétorqua Sarah, un sourire triomphant au coin des lèvres.
- Tu vois ce que je vis au quotidien ? renchérit Monica tout en goûtant le café que Phoebe venait de lui apporter. Elle grimaça aussitôt.
- Phoebe, sérieux, tu as mis quoi dans ce café ?
- Du lait d’alpaga. Directement en provenance du Pérou, sans additif.
- Tu veux dire que le lait a traversé la moitié du continent sans avoir été traité ?
Ça explique… pas mal de choses.
Elle versa discrètement le contenu de sa tasse dans un vase posé sur la table basse, tout en interpellant son mari.
- Chandler, tu peux arrêter avec ce téléphone ? On critique les ados, mais toi, tu es pire qu’eux.
Chandler releva la tête en soupirant puis afficha un sourire aussi faux qu’un selfie retouché :
- Désolé, mon lapin… Il paraît que je t’ennuie avec mes blagues, alors j’en cherche de meilleures pour te plaire.
Il se redressa soudain, regarda vers la porte, et ajouta, un sourire en coin :
- Quoique… je n’aurai peut-être pas besoin de chercher longtemps… Elles viennent à moi…
Tous les regards suivirent le sien. Ross venait d’entrer, suivi d’Emma. Et sa démarche… ne passa pas inaperçue.
Jambes arquées, il soulevait un pied qu’il redéposait au sol avant de faire de même avec l’autre.
Rachel éclata de rire :
- On dirait que tu portes un lange et que tu n’es pas parvenu à te retenir. Emma avait plus ou moins la même démarche à dix-huit mois…
- C’est bon, m’man, arrête de me foutre la gêne. C’est déjà assez atroce d’avoir dû le suivre depuis l’appartement. La honte, putain !
- Jeune fille… ton langage ! rugit Ross.
- Oh, ça va, tu me saoules, lâcha Emma en s’affalant dans un fauteuil. Quelle famille de tarés, j’te jure…
- Tu ne diras pas ça quand tu grelotteras cet hiver.
Rachel leva un sourcil, sceptique…
- Ross, qu’est-ce que tu as encore fait ?
- Il y a, ma chère, que j’ai investi dans une découverte scientifique qui ne tardera pas à être à la mode et qui…
- Un pantalon chauffant, coupa Emma. Il a acheté un pantalon chauffant.
Incrédule, chacun tourna le visage vers Ross, attendant les explications du siècle. D’un ton professoral, il se lança :
- Il s’agit effectivement du vêtement dernier cri, imaginé par des étudiants de Stanford. Leur mission : empêcher les explorateurs de l'Antarctique de finir congelés.
Il bomba le torse et se racla la gorge :
- Ils ont donc intégré un interrupteur dans la poche arrière qui permet d'augmenter la température du pantalon. Niveau 1, petite brise d’automne. Niveau 10, Antarctique.
Rachel s’escafla :
- Parce que tu comptes bientôt partir en Antarctique ?
- Oh, tu pourras aller dire bonjour à David ? hurla Phoebe, enthousiaste, en frappant dans les mains. Il a une nouvelle mission là-bas !
- Minsk est en Biélorussie, Phoebe, pas en Antarctique. Et de toute manière, je ne vais nulle part.
Il reprit, sans se démonter :
- Mais avec le dérèglement climatique, on n’est pas à l’abri de tempêtes de neige de plus en plus importantes… Vous verrez, quand nous serons tous enfermés dans un bunker, à grelottez, vous direz : « Si seulement nous avions écouté Ross ! Aujourd’hui, nous allons tous mourir de froid ! »
Ross, le ton plein d’emphase, levait les bras au ciel, habité par sa propre prophétie.
Chandler, leva à peine les yeux de son téléphone :
- Si on se retrouve enfermés avec toi dans un bunker, on sera morts d’ennui avant de mourir de froid, Ross.
Fier de sa blague, il releva alors la tête vers Joey :
- Eh, t’as vu ? Celle-là, elle est géniale, non ? Ah, je suis bon, je suis bon, je suis bon !
Joey éclata de rire, jusqu’à croiser le regard glacial de Sarah. Mal à l’aise, il se racla la gorge et tenta à nouveau de trouver un nouveau sujet de conversation. Il articula avec application, comme un élève qui a appris un poème par cœur, sans le comprendre.
- Euh, Ross, peux-tu nous expliquer le… le fonctionnement de ton engin ? Enfin, je veux dire, de ta machine ? De ton chauffage, quoi ?
Chandler roula des yeux :
- Mais ça ne va pas de lui poser des questions comme ça ! Tu espères l’inciter à nous raconter sa thèse de doctorat, tant qu’on y est ?
- Et bien, à ce propos… commença Ross.
- Non ! hurla la bande en cœur.
Chandler se retourna vers Joey. Mais ce dernier baissa aussitôt les yeux. Il était au plus mal. Cette situation n’était pas tenable. Comment faire comprendre à Chandler l’ultimatum que lui avait donné Sarah ? Il avait bien le droit à son histoire d’amour, lui aussi, non ? Mais Chandler, c’était son pote, son frère… Tout ça était tellement compliqué…
Sans s’en rendre compte, Rachel vint à sa rescousse :
- OK pour le pantalon… thermodynamique. Mais cela n’explique pas pourquoi tu marches comme un cow-boy qui aurait avalé une bonne dose de laxatif avant un rodéo…
- La batterie, répondit Emma, blasée.
- Pardon ?
- Les étudiants « super ingénieux » n’ont pas trouvé où caser la batterie. Donc… ils l’ont mise au niveau des...
- De l’entrejambes, coupa Ross, rouge écarlate. Ils l’ont placée au niveau de l’entrejambes.
Phoebe, hilare, frappa dans ses mains :
- Oh mon Dieu, Ross, tu es littéralement hot stuff maintenant !
- Bon sang, on obtient un brevet en imaginant n’importe quoi maintenant… C’est complètement absurde, lâcha Monica.
- C’est-à-dire que… tenta Ross. Ils n’ont pas vraiment eu leur diplôme. En fait, ils n’ont pas la licence… Mais ce n’est pas pour ça que ce n’est pas une invention géniale. Leurs professeurs n’ont pas vu… leur potentiel, c’est tout.
Le téléphone de Chandler se mit à sonner à cet instant.
- En parlant de potentiel, j’ai… un collègue qui a un problème. J’arrive tout de suite, dit-il en sortant pour répondre.
- Il reçoit des appels le week-end aussi à présent ? demanda Rachel.
- Si ce n’était que le week-end, réagit Monica d’une voix lasse. J’ai parfois l’impression qu’il passe plus de temps avec son téléphone qu’avec moi. Mais, à part ça, vous ne connaissez pas la dernière ? J’ai été présélectionnée pour le concours de cuisine !
Enthousiastes, les autres ne remarquèrent pas qu’elle avait changé précipitamment de sujet de conversation. Elle n’avait pas envie de s’étendre sur sa relation avec Chandler pour l’instant.
En tant que frère, Ross n’était pas la personne idéale à qui se confier. Sans compter ses trois divorces… Joey, n’en parlons pas. Quant à Rachel, si elle était contente de son retour, elle avait encore un peu de mal à retrouver leur lien d’avant. On n’efface pas dix années d’éloignement d’un coup de baguette magique. Phoebe semblait tellement épanouie avec Mike. Monica ne pouvait s’empêcher de se demander – non sans admiration et une pointe d’envie – comment ils parvenaient à jongler entre cinq enfants, les fous rires et autant de regards complices.
Elle qui avait toujours rêvé d’être mère déchantait un peu depuis quelques années. Oui, elle aimait ses enfants, mais ils avaient aussi le don de la rendre dingue. Était-ce si compliqué de ne pas crier et mettre la maison sens dessus dessous pendant plus de dix minutes ?
Quant à Chandler, il restait cet éternel enfant. Il gérait, c’est sûr. Enfin… souvent. Mais la plupart du temps, elle avait l’impression de vivre avec trois gosses. Dernièrement, elle s’était même surprise à se demander ce qu’aurait été sa vie si elle avait choisi Richard, plutôt…
Ce concours de cuisine arrivait donc à point nommé. Oui, cela lui donnait du travail supplémentaire – beaucoup de travail, à dire vrai –, mais cela lui permettait surtout de s’échapper de son quotidien. Redevenir la femme ambitieuse avant la mère, avant l’épouse…
- Monica ?
- Hein ? Quoi ?
La voix de Rachel la tira de ses pensées.
- Tu es à l’ouest ou quoi ? Tu étais encore plongée dans une nouvelle idée de recette, c’est ça ?
- Une nouvelle recette ? cria soudain Joey, qui semblait s’être réveillé de sa séance de méditation. Je pourrai goûter ? Dis, dis ? Monica ? Je pourrai ?
Quatre enfants, à bien y penser…
Joey poursuivit sur sa lancée, fermant les yeux pour tenter de visualiser le plat.
- Est-ce qu’il y aura ces petits morceaux de pâté dont tu as le secret ?
- Joey… commença Sarah.
- Oh non, ne me dis pas que le pâté… c’est aussi de la viande !
Il n’attendit pas la réponse avant de se renfrogner dans le fauteuil, dépité, comme un gamin à qui on aurait annoncé que le père Noël n’existait pas.
Chandler, qui venait de rentrer, déposa son téléphone sur la table et tenta de dérider son ami une nouvelle fois.
- Pas de pâté dans un repas ? C’est « pathétique ».
Face au silence qui régnait, il reprit, ricanant tout seul.
- Tu comprends : pâté – pathétique…
Silence.
- Même Joey ne rit plus à tes blagues. C’est grave, Chandler…
- Je n’ai peut-être pas encore trouvé la recette des blagues végétariennes, tenta-t-il, un sourire nerveux aux lèvres.
Toujours aucune réaction.
Le malaise s’installa doucement, palpable.
Joey, lui, se décomposait. Ce n’était pas dans sa nature de ne pas rire aux boutades de Chandler. Même si, pour être honnête, il n’avait quand même pas compris celle avec pâté, patéquiche ? C’était quoi encore, ce mot-là ? Une nouvelle invention de Monica ? Intéressant…
Phoebe rompit le silence…
- Bon, en parlant de pâté, je vais aller préparer les rations de Laurel et Hardy, avant notre thérapie.
- Laurel et… Hardy ? questionna Rachel.
- Les deux chats qu’on a récupérés il y a trois mois dans un refuge. Leur couple bat de la patte pour le moment.
- Leur couple ? Mais, ce sont… deux mâles ?
Phoebe aussi les épaules.
- Oui, et alors ? Ne me dis pas que ça te pose problème, Rachel ?
- Mais… Phoebe… ce sont des chats et…
- Tu te rends compte que tes propos sont animomophobes ? C’est la discrimination féline que tu fais là. Tu me déçois beaucoup !
Rachel resta bouche bée. Littéralement. Si la surprise avait un visage, ça aurait été le sien à cet instant. Les autres éclatèrent de rire.
Ross, hilare, reprit son souffle :
- Attends, tu n'as pas encore deviné ce que Phoebe a l’intention de faire avec ces deux-là…
Emma elle-même avait relevé la tête, impatiente d’entendre la suite. Les amis de ses parents étaient franchement barrés.
Phoebe se redressa et tourna sur elle-même pour annoncer, théâtrale :
- Je me suis lancée dans la thérapie de couple !
Rachel resta figée, les yeux dans le vague, la bouche grande ouverte. Phoebe avait toujours eu un grain de folie, mais là, c’était carrément un champ de maïs !
Emma avait dégainé son téléphone pour filmer la scène : pas de doute, cette vidéo allait faire un carton!
Rachel tenta de reprendre ses esprits.
- Des thérapies de couples… pour chats ?
- Oui ! Tu ne t’imagines même pas tout ce qu’ils ont à nous dire. En fait, ils ont des soucis similaires aux nôtres : nourriture, sieste, jalousie… le sexe aussi !
Le téléphone de Chandler résonna à nouveau.
- Une chose est certaine, les chats n’ont pas ce genre de problèmes, eux ! soupira Monica.
- Et l’option « j’ai une "femelle" qui me fait sans cesse des remarques », tu as aussi en stock chez tes félins, Phoebe ? demanda Chandler, sarcastique.
- À vrai dire, oui… D’ailleurs…
Elle s’interrompit, observant Ross qui se contorsionnait de plus en plus sur son siège.
- Ça va, Ross ?
- Oui, oui… un léger ennui mais rien de grave. Tout va s’arranger.
Il se redressa soudain et se mit à gigoter dans tous les sens. On aurait dit qu’il improvisait un cours d’aérobic en plein milieu du Central Cats.
Un sourire espiègle aux lèvres, Rachel ne put s’empêcher d’intervenir.
- Un problème avec « l’exceptionnelle invention du futur » qui te sert de pantalon, peut-être ?
- Juste un petit souci de réglage, lâcha-t-il, tout va bien.
Il tenta un sourire, mais son visage devint peu à peu cramoisi. Des gouttes de sueur s’écoulaient sur son front. Déjà en sueur, il enleva sa veste, son pull, et tenta d’atteindre la batterie en déboutonnant son pantalon.
- Ross ! cria Monica. Tu es fou, ou quoi ? Tu es dans un lieu public et là… ça pourrait très mal être interprété !
Ross avait de plus en plus de difficultés à s’exprimer.
- Oui, tu as raison, je… je vais me rendre aux toilettes.
- Hors d’usage… lâcha Joey.
- Comment ça, mais depuis quand ? demanda Phoebe.
Joey haussa les épaules.
- Depuis que j’y suis allé…
Le visage de Ross passa de cramoisi à livide.
- Bon sang, je ne comprends pas… Le curseur est coincé sur le mode "antarctique" et je…
Il se tourna – autant que possible, vu la situation – vers sa fille.
- Viens, Emma, on y va.
- Mais non ! Tom devait justement arriver dans cinq minutes et…
- On y va, rugit Ross !
La jeune fille se tourna vers sa mère, adoptant le regard du cocker éploré.
- M’man, je peux rester avec toi ?
- Désolée, c’est le tour de ton père et… j’ai un rendez-vous ce soir.
Ross était déjà sorti. L’adolescente n’eut d’autre choix que de le suivre tout en frappant les pieds au sol, comme si ses cris ne suffisaient pas à manifester sa colère. Un ogre dans un magasin d’Antiquité aurait sans doute fait moins de bruit.
- Mais vous faites vraiment tout pour bousiller ma vie, en fait ? Vous ne pensez qu’à vous ! J’en ai marre, marre, marre ! Arggghhh !
La porte du bar claqua dans un bruit assourdissant et tous les chats, habituellement imperturbables – ou presque – se réfugièrent sous les jambes des clients, eux-mêmes médusés.
- Pas de doute, elle a ton caractère, Rachel, lâcha Phoebe.
Puis, tentant de récupérer tous les félins tremblants, elle soupira.
- Il va peut-être également que je me spécialise dans le stress post-traumatique.
Monica, de son côté, se demandait si elle devait être rassurée ou... plus angoissée.
Rassurée de voir qu’elle n’était pas la seule à galérer avec ses enfants.
Mais terriblement angoissée aussi en pensant qu’Erika et Jack n’en étaient même pas encore au seuil de l’adolescence.
Était-elle prête à affronter toutes ces épreuves ? Rien n’était moins sûr.
De son côté, Joey s’était tourné vers Rachel. Avec un grand sourire, il lui lâcha un clin d’œil.
- Alors ? On a un rendez-vous, hein ? Petite cachottière.
Le visage de Sarah, déjà aussi lumineux qu’une journée de pluie ces derniers jours, s’éclaira d’un soupçon d’espoir.
Un rendez-vous ? Mais oui ! Voilà qui pourrait la détourner de Joey une bonne fois pour toutes. Le coup du « On est juste amis », elle n’y croyait toujours pas.
Elle se retourna vers Rachel avec un sourire d’une hôtesse de l’air phobique de l’avion – poli, crispé, mais convaincue que le vol allait bien se passer :
- Je suis ravie pour toi!
Une Rachel en couple serait toujours moins… disponible. Et donc moins dangereuse…
Rachel se mit à rire.
- Merci, mais ne vous emballez pas. Le rendez-vous en question… c’est avec moi-même, un bon verre de vin et une série romantique sous un plaid.
Elle s’étira – comme Nestor à ses côtés – avant de se lever et d’enfiler son manteau.
- Depuis le temps que je n’ai pas eu de moment à moi. J’en aurais presque un orgasme rien qu’à y penser !
Le semblant de sourire de Sarah se figea net. Le crash avait bien eu lieu. Et ses espoirs s’étaient écrasés avec. Elle allait devoir garder un œil sur elle…
Après le départ de Rachel, Monica pivota, enthousiaste, vers Sarah et Joey.
- Et sinon, ça vous dit une petite soirée à quatre ? Bon, ça serait chez nous parce que c’est un peu compliqué de caser les enfants, mais… je m’occupe de tout et…
- On a déjà des projets, la coupa Sarah. N’est-ce pas mon roudoudou d’amour ?
Joey, perdu, regarda Chandler une seconde avant de se tourner vers Sarah, un sourire contrit aux lèvres.
- Euh, oui c’est ça, désolé…
En moins de deux minutes, le couple s’était éclipsé. Ils n’auraient pas été moins rapides s’ils venaient de commettre un braquage.
Phoebe constata leur départ en revenant des cuisines.
- Eh ben, ils étaient pressés tous les deux, dis donc. Ça ne m’étonne pas que Joey soit si accro. Cette Sarah doit avoir… de sacrées qualités.
- C’est beau l’amour, hein ? renchérit Monica, dans un soupir rêveur.
- À ce propos, rebondit Chandler… Si on en profitait pour se faire une soirée à deux ? Madame Snirple est sans doute disponible pour s’occuper de…
Monica l’interrompit.
- Oh non, pas ce soir. En fait, ça me soulage un peu qu’ils aient refusé. Je crois que je vais juste essayer une dernière petite sauce que j’ai vue sur le Net et puis… au lit !
Chandler ne dit mot, mais n’en pensa pas moins. Encore une tentative de raviver la flamme – ou la mèche – qui finirait par s’éteindre dans le frigo, entre le chou kale et le tofu.
Il soupira et suivit sa femme d’un pas lourd. Une nouvelle soirée à passer seul en perspective. Même pas de Joey pour faire une partie de baby-foot. Juste lui, le canapé, et… les souvenirs d’une relation passionnée.
Phoebe salua les derniers clients et entreprit de ranger le bar, quand elle aperçut un téléphone oublié sur un fauteuil.
Une photo de Monica, Erika et Jack s’affichait sur l’écran.
- Oh, Chandler… Quelle tête en l’air tu fais, marmonna-t-elle avant de le saisir.
L’appareil vibra aussitôt.
- Tiens, il appelle sûrement pour savoir où il a pu le laisser.
Elle décrocha, prenant une intonation grave et nasillarde pour l’imiter :
- Ici, Chandler Bing, le roi du sarcasme et de l’humour à deux balles !
Une voix stridente et pleine d’enthousiasme lui répondit au bout du fil :
- Oh. Mon. Dieu ! Toujours aussi drôle, mon Chandlerounet… BING !
Phoebe écarquilla les yeux :
- Janice ?
Elle raccrocha et lança le téléphone sur le fauteuil, comme si l’appareil s’était soudain mis à brûler. Elle plaça les mains sur son visage et hurla :
- Mes oreilles ! Mes oreilles ! Tout mais pas ça… Chandler… non… pas Janice !

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