Épisode 7: Celui qui a fugué

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Au sein du Central Cats, c’était l’effervescence. Ross faisait les cent pas, le nez collé à son téléphone, qu’il rafraîchissait toutes les dix secondes.

- Toujours rien de nouveau, grommela-t-il.

- Ces ados…, soupira Chandler. Ce sens du drame. Est-ce que j’exagère comme ça, moi ?

D’un ton hésitant, Mike risque :

- Hm, disons que, depuis qu’on se connaît, tu as quand même…

- Oh, ça va toi, la pièce rapportée !

Assise sur le bord du fauteuil, Rachel se rongeait les ongles.

- Toujours rien de nouveau…, répéta Ross.

- MAIS TU VAS TE TAIRE ?! hurla Rachel. Tu crois vraiment que ça nous aide, tes commentaires ?

Ross se pencha vers elle, un sourire venimeux aux lèvres.

- Oui, mais moi, au moins j’agis, Madame « Je connais si bien ma fille ». Comment tu disais, déjà ? Ah c'est vrai : « combien tu paries qu’on va la retrouver ce soir sous un plaid avec un bol de glace ? »

- Oui, ça va, ça va ! À mon époque, les gens fuguaient cinq minutes, sans laisser un teaser dramatique sur leur Insta ! Et puis c’est de TA faute, tout ça ! Tu es tout le temps sur son dos ! Pas plus tard qu’hier…

Rachel prit alors un ton professoral et imita Ross avec mauvaise foi olympique :

- « Non, Emma ! Pas de chips, Emma ! C’est pas bon pour toi, Emma ! » Tu la rends folle, Ross!

- Mais… mais on avait déjà mangé !!!

Chandler pointa Ross du doigt, hilare :

- « On avait déjà mangé ! », « On avait rompu ! »… toujours la phrase qui tue ! Tu as le goût du risque !

Le regard assassin de Rachel les fit taire instantanément.

Une voix résonna soudain depuis l’entrée :

- Toujours rien de nouveau ?

Rachel poussa un cri, prêt à arracher la tête de la personne qui avait prononcé ces mots, avant de s’étrangler :

- Oh ben mince… Mais que… ?

Monica entra… en treillis militaire, cheveux tirés en un chignon impeccable, traînant un énorme sac à matériel. Chandler pensa fugitivement qu’elle n’avait jamais été aussi sexy, puis se reprit en lâchant, avec son sarcasme habituel :

- Chaton, je sais qu’on s’est disputés, mais de là à envisager une reconversion dans l’armée…

- En même temps, s’il y en a bien une qui est faite pour ça… glissa Phoebe.

- Très drôle. Vous êtes hilarants, répliqua Monica en ouvrant son sac. La situation est grave. J’ai donc élaboré un plan d’action.

Elle dévoila des pochettes, des carnets, des stylos, des talkies-walkies…

- J’ai divisé New York par secteurs. On se répartira par équipes de deux et…

- Qui te dit qu’elle est encore à New York ? demanda Joey.

- D'abord, c’est une ado. Impulsive ? Oui. Organisée ? Certainement pas. Si ça avait été ma fille, je ne dis pas, mais ici…

Monica jeta un regard appuyé à Rachel, qui se renfrogna aussitôt.

- Et puis, avec les dix dollars d’argent de poche que lui donne Ross, elle n’ira pas bien loin.

- Dix dollars ?! s’étrangla Joey. Sérieux Ross ! Même moi, je donnerais plus à… comment tu t’appelles déjà ?

- Nath… murmura le jeune homme, persuadé que son père n’était décidément pas la frite la plus croustillante du paquet.

- Ben moi, je te donnerais plus que dix dollars, répondit Joey, tout fier.

Rachel soupira.

- Bon, OK, elle n’a sans doute pas quitté New York. Monica, continue.

- On voit un stand de hot-dog derrière elle, sur la photo qu’elle a postée. Il y en a vingt-deux en tout dans Manhattan. Elle est forcément dans le secteur. On va se répartir et…

Joey bondit sur ses pieds.

- Je suis votre homme ! Je les connais tous !

D’une voix agacée, Monica répliqua :

- Non, Joey, toi, tu vas te charger des stations de métro…

- Quoi ? Pourquoi ?

- Parce que, sinon, tu vas t’arrêter à chaque stand pour goûter…

- C’est injuste ! Bon, sur ce, faut que je fasse des réserves. Mike ? Tu peux me mettre tout ce que vous avez à manger de côté ?

Mike releva la tête derrière le bar, surpris.

- Quand tu dis tout… c’est vraiment tout ?

- Tout ! La moitié maintenant et l’autre pour tout à l’heure, quand on aura retrouvé Emma.

Monica enchaîna sans perdre le fil :

- Voici les talkies-walkies. Voici les cartes. Et… les chargeurs portables.

Devant leurs regards incrédules :

- C’est pour attirer une ado en fugue avec potentiellement 8 % de batterie. Faut s’adapter à sa cible. Rachel ? Un bon chez Jimmy Choo. Ross ? Une entrée à Dino Land. Joey ? Eh bien…

Elle le pointa du doigt.

- D’ailleurs, Joey…

Ce dernier était penché sur son plat, engloutissant la nourriture comme si sa vie en dépendait. Devant le silence de ses amis, il releva tout de même la tête et tenta d’articuler, la bouche pleine :

- Si tu veux quelque chose, demande-le. Mais si c’est dans mon assiette, la réponse est non !

Monica prit une grande inspiration :

- Ne t’inquiète pas, je ne suis pas folle ! J’ai vu que Nath avait un scooter ? Vous pourrez faire toutes les stations avec?

- Trop bien ! Je conduis ?

- Euh, je ne suis pas certain que ça soit une bonne idée, hésita Nath, déjà soucieux pour sa propre survie.

Monica s’apprêtait à répartir les équipes, mais chacun intervint en même temps, l’empêchant d’en placer une :

- Je pars avec Rachel. En tant que parents, on connaît ses endroits « fétiches ». Les boutiques de luxe essentiellement. Telle mère…

- Et moi, je fais duo avec Phoebe. La ville, ça m’angoisse. Au moins, avec elle, je sais que je me sentirai en sécurité.

Phoebe lui sourit et lui tapota la joue :

- Mon pauvre chéri. Bien sûr que je te protégerai ! Je serai ton Avenger personnel !

Dépitée, Monica sentit tout son plan de bataille se désintégrer devant elle.

- Mais, mais… ce n’est pas du tout comme cela que je l’avais prévu.... Normalement, Phoebe, tu partais avec moi et…

- Dis-le que ça t’angoisse de te retrouver avec ton incapable de mari, lâcha Chandler d’un ton grinçant.

Poings sur les hanches, Monica se tourna vers lui, furibonde :

- Tu sais quoi ? Oui ça m’angoisse ! Tu n’as aucun sens de l’organisation et... avec toi, tous les plans foirent ! Toujours ! Oh, mais, j’oubliais. Je ne dois pas m’inquiéter ! Si on est perdus, tu pourras encore appeler Janice !

- Ne recommence pas avec…

Ils s’interrompirent net en voyant Phoebe installer Bouli dans un porte-bébé ventral.

- Phoebe… on peut savoir ce que tu fais ?

- Pour qu’il flaire son aura, Ross ! Tiens, renifle, dit-elle à son chat en lui collant la photo de profil d’Emma sous le nez.

Ce dernier bâilla et se blottit contre Phoebe, sans réagir le moins du monde.

- Avec les ondes des écrans, ça fonctionne moins bien. Ou alors, il est allergique aux ados.

Un vrombissement retentit devant le Central Cats. Joey avait réussi à convaincre Nath de conduire, mais celui-ci ne semblait absolument pas rassuré. Ses amis, non plus. Ross demanda, perplexe :

- Tu sais au moins ce que tu dois faire ?

- Bien sûr ! Si je vois une ado qui ressemble à une ado… je fonce !

Nath s’agrippa un peu plus à Joey, livide.

- Euh… on n’est peut-être pas obligés de foncer, si ?

- T’inquiète, je gère. Je suis père maintenant : j’ai le sens des responsabilités.

C’est précisément à ce moment-là que le scooter démarra d’un coup… et finit cent mètres plus loin, encastré dans des poubelles. Père et fils se relevèrent et Joey hurla, dans un grand sourire :

- C’est bon ! Rien de cassé ! On y retourne !

- Et on critique ma façon de conduire le taxi de grand-mère, soupira Phoebe. Bon, Mike, on y va ? Je sens que Bouli a une forme d’intuition, dit-elle en désignant le chat qui… n’avait pas bougé d’un poil.

Monica leva son Talkie-Walkie, solennelle :

- Bon. Canal trois pour tout le monde. On se met en route et…

Un grésillement atroce retentit. Puis la voix de Joey :

- Test… Test ! Pourquoi j’entends ma propre respiration ?

- Joey, tu appuies sur tous les boutons ! gronda Monica.

- Ah, c’est pour ça que ça chauffe ?

Rachel leva un bras, excédée :

- Écoutez... Dans les films d’horreur, les amis se séparent toujours après un truc dramatique. Et on sait comment ça se termine… Avec les poubelles, on l’a notre indice, non ?

Monica explosa :

- Et sinon, tu veux retrouver ta fille, OUI ou NON ?

Et sans attendre la réponse de Rachel, tétanisée :

- Donc, on y va ! Et plus vite que ça. Ross et Rachel, zone bleue. Phoebe et Mike, zone grise. Et nous deux Chandler. Zone jaune. Puisse le sort vous être favorable… Et que le meilleur gagne !

- C’est PAS une compétition, Monica ! maugréa Chandler.

- C’est TOUJOURS une compétition !

Et chacun partit vers la zone qui lui avait été attribuée.

Ross avançait à toute vitesse, suivant le plan de Monica à la lettre.

- Cinq pas en avant. Pivote à gauche… Pivote !

- Pourquoi ai-je l’impression d’avoir déjà vu cette scène quelque part, grommela Rachel. Ross, sérieux ! Calme-toi !

Elle lui arracha la carte des mains.

- Et arrête avec ça ! Ce que vous pouvez être agaçants toi et Monica avec votre envie de tout contrôler. On n’est pas dans Jurassic Park mais dans Manathan ! Pas besoin de ce foutu plan !

- Ouais ben, justement, dans Jurassik Park, ils auraient retrouvé les gamins en moins de dix minutes avec un plan… Pivote… à droite !

- Arrête avec ton fichu Pivote !

La voix de Rachel atteint des aigus dignes des plus grandes chanteuses lyriques… la justesse en moins. Ses pieds étaient douloureux – quelle idée aussi de porter des talons de dix centimètres de haut pour arpenter tout Manhattan ! Mais surtout, l’angoisse lui serrait la gorge. Elle aurait dû mieux connaître sa fille. Savoir qu’elle ne se contenterait pas de « bouder » comme une ado standard. Elle aurait dû…

Elle prit une profonde inspiration.

- Écoute, j’en ai marre de tous ces plans. Et si on suivait juste… je sais pas moi, notre intuition de parents.

- On n’est peut-être pas dans Jurassik Park mais on n’est pas dans Disney non plus, rétorqua Ross, le nez toujours collé à son bout de papier.

- Ross, s’il te plaît…

Ce dernier releva enfin la tête et aperçut les larmes dans les yeux de Rachel. Depuis la disparition d’Emma, ils n’avaient cessé de se déchirer, mais il comprit soudain qu’elle paniquait autant que lui. Et s’il y avait bien une chose qu’il ne supportait pas, c’était de la voir dans cet état.

- OK c’est bon, tu as raison… On va suivre notre intuition… Dis-moi, on commence par où ? Bref... quel magasin?

Il lui adressa un clin d’œil, ce qui arracha à Rachel un rire étranglé entre ses larmes.

À cet instant, le talkie-walkie grésilla.

- Allô, allô…

Les mots de Phoebe résonnaient avec une intonation grave. Rachel extorqua le talkie-walkie des mains de Ross.

- Phoebe ? C’est Rachel !

- On a un visuel, chef ! Cible en vue !

- Quoi ? Où ça ? Dis-moi où !

- Trop bien ! J’ai toujours rêvé de dire ça ! Je gère, hein ?

Phoebe avait retrouvé son ton joyeux, déstabilisant Ross et Rachel.

- Phoebe ?! Tu l’as trouvée, oui ou non?

- Non, pas du tout, mais ça devient long et je n’avais pas encore utilisé le talkie-walkie. Et vous, ça va ?

- ARGH ! Je vais te bouffer, Phoebe Bouffay ! vociféra Rachel.

- Oh là là… Si on ne peut même plus rigoler maintenant…

Une voix tonitruante s’ajouta soudain au vacarme, mettant en péril la santé auditive du groupe.

- ALLÔÔÔÔÔÔÔ ? ALLÔÔÔÔÔÔÔ ?

- Joey ! On t’entend ! Pas besoin de hurler, cria à son tour Monica en écho. Tu as trouvé quelque chose ?

- Oui ! Mais… c’est pas beau à voir…

Le cœur de Rachel fit un triple bond dans sa poitrine. Les pires scénarios se bousculaient dans sa tête. Sa pauvre fille enlevée, renversée, tuée par balle…

- Tout est bon à jeter… poursuivit Joey.

- QUOI?

- Je pourrais peut-être récupérer quelques restes, mais bon…

- JOEY TRIBBIANI ! TU VAS ME DIRE CE QU’IL SE PASSE ?! hurla Rachel.

- Et après, on dit que c’est moi qui gueule… Le stand de hot-dog de la Sixième Avenue… Il a été renversé. Les chiens ont tout dévoré. Enfin… presque.

- TU TE MOQUES DE MOI ?!

Cette fois, Ross et Rachel avaient crié à l’unisson. L’ascenseur émotionnel venait de les achever.

- Quel rapport avec Emma ?

- Ah oui ! Le vendeur a dit qu’il avait vu deux ados passer. La fille, blonde, avec des talons… Elle a traversé et s’est pris les pieds dans son sac à dos rouge…

Les indices concordaient. Ça pouvait être Emma. Monica refréna l’envie de hurler à son tour sur Joey – incapable de suivre un plan, certes, mais pour le coup… utile.

- OK ! Changement de programme. On se dirige tous vers Central Park. Si quelqu’un la repère… vous connaissez le signal !

Oubliant durant quelques secondes leur querelle, Monica attrapa la main de Chandler pour avancer dans la direction indiquée.

- Avec ce sens de l’organisation, ça ne m’étonne pas que ça se passe si bien pour toi, en cuisine. Tout le monde doit t’obéir au doigt et à l’œil. Tu vas remporter ce concours haut la main.

- Y a plus de concours…

Monica avait lâché ça sans réfléchir. Elle s’arrêta net, les larmes coulant d’un coup. Hésitant, Chandler la prit doucement dans ses bras.

- Je suis désolé, chaton. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Entre deux sanglots, Monica parvint à articuler :

- Pendant la dernière épreuve, le chef n’a pas voulu m’écouter pour ma recette de crème anglaise. Alors que j’avais raison, j’en suis certaine. J’ai tenté d'attraper la casserole, mais… je l’ai fait tomber sur Kiki.

- Kiki ?

- Le jack russel du chef. Il… il n’a pas supporté et m’a renvoyée.

- Faut dire que… hot-dog et crème anglaise… ça ne fait pas bon ménage.

Chandler sentit Monica se crisper dans ses bras. Ce qu’il pouvait être nul ! Même dans ce genre de circonstances… il ne pouvait s’empêcher de plaisanter.

Un temps, il crut que Monica était à nouveau prise de sanglots, mais c’est un fou rire qui sortit de sa poitrine. Un vrai. Le rire de sa femme qu’il n’avait plus entendu depuis longtemps… Et bon sang que ça faisait du bien !

- Ce que tu peux être idiot, Chandler Bing !

- Oh ! Mon ! Dieu ! s’exclama Chandler, tentant d’imiter Janice avant de s’arrêter, mortifié. Euh, trop tôt pour la blague, c’est ça ?

- Beaucoup trop tôt ! Comment as-tu pu laisser cette chèvre folle entrer à nouveau dans nos vies ? Sans compter qu’on n’a pas besoin de ça… On dirait qu’elle sait toujours où on est,… et quand !

Chandler éclata de rire :

- Janice, c’est un peu l’équivalent du traceur que Ross a installé sur le téléphone d’Emma. Sauf que le téléphone… c’est moi !

Monica releva la tête vers lui, les yeux écarquillés, comme frappée par la foudre :

- Chandler, tu peux être agaçant, inconstant et ton humour est souvent franchement limite, mais, sur ce coup-là… tu es un génie !

Sans réfléchir, elle embrassa Chandler avec passion avant de lui arracher le talkie-walkie des mains pour contacter son frère, laissant son mari aussi rêveur qu’estomaqué.

- Ross ! Tu avais bien installé un traceur sur le téléphone d’Emma ?

Gêné, Ross observa Rachel du coup de l’œil avant de riposter :

- Euh, oui, mais tu crois vraiment que c’est le moment de remettre cette affaire sur le grill ? Je me suis excusé et…

- Tu l’as laissé ? Le traceur, Ross ! Tu l’as laissé ou pas ?

Ross semblait chercher la réponse dans les airs, comme si elle pouvait lui tomber du ciel.

- Oui… mais promis, dès que toute cette histoire est terminée, je le désinstalle sur-le-champ !

- Qu’il est con…

La voix de Rachel était empreinte d’une profonde lassitude.

- Je savais que tu avais parfois la tête ailleurs, mais… à ce point-là !

Ross battit des paupières, perdu…

- Je… je ne comprends pas. Tu préfères que je le laisse pour finir ? Je croyais que c’était une atteinte à son intimité et…

Le regard meurtrier de Rachel aurait pu faire reculer un T-Rex. Ross déglutit, avant de saisir enfin où Rachel voulait en venir.

- Le traceur…

- C’est bon ? La pièce est tombée ? gronda Rachel.

À cet instant, toutes les voix fusèrent en même temps dans le talkie-walkie, créant un chaos sonore digne d’un karaoké raté.

- ROSS GELLER ! Tu es un imbécile fini ! hurla Monica. J’ai fait tous ces plans pour rien ! Je veux un divorce entre frère et sœur ! Illico !

- Je dis ça, je dis rien… ajouta Joey. On me prend toujours pour une andouille parce que je n’ai pas de « vrai métier ». Comme quoi, le diplôme ne fait pas le paléon…, le pala… bref, le mec intelligent !

- Sinon… tente Phoebe, on peut continuer à suivre la piste de Bouli. Je sens que son flair se réveille là…

Elle regarda le chat qui… bâillait encore.

- Ou alors c’est une remontée de boule de poils, remarque Mike. Difficile à dire.

- STOOOP !

La voix de Rachel transperça les quatre coins de Manhattan.

- Peut-on se concentrer sur Emma ? Ross, lance les recherches. Vite !

Fébrile, Ross farfouillait sur son smartphone.

- J’essaie, j’essaie, mais… je ne suis pas doué avec toute cette technologie et… ah ça y est ! J’ai une adresse ! Mais…

Son teint devint livide. À ses côtés, Rachel trépignait.

- Mais quoi ? Qu’est-ce qui se passe Ross ? Tu vas me rendre dingue avec tes silences ! On n’est pas dans un film à suspense ici !

- Il doit y avoir une erreur… Le GPS indique 90 Bedford Street.

- Oh, ben c’est l’adresse du Central Cats, hurla Phoebe à l’autre bout du talkie-walkie.

- Ce n’est pas possible ! cria Monica. J'ai planifié toutes les hypothèses. L’un de nous aurait forcément dû la croiser si elle avait fait demi-tour.

Après un moment d’hésitation, elle poursuivit…

- Sauf si… Joey ! Où es-tu ? Tu as rejoint les stations de métro comme prévu ?

- Ben… plus ou moins, mais là on est devant le stand de glaces « Chez Léo » et je me suis dit qu’il fallait que je fasse goûter à Nath les…

- Joey !

- Mais on a longé quelques rues, hein ! On a même croisé une fille blonde avec un sac rouge, mais Nath voulait absolument essayer le parfum smarties-nutella-chantilly !

- Eh, rétorqua Nath. T’abuses ! C’est toi qui as tout mangé…

- Tais-toi ! Ils vont t’entendre !

- On a tout entendu, Joey, soupira Rachel. Bon, eh bien… retour à la case départ. On se retrouve au Central Cats dans une quinzaine de minutes.

Un quart d’heure plus tard, Monica déboulait à toute vitesse, suivie par un Chandler épuisé et dégoulinant de sueur. Apercevant Ross et Rachel au loin, s'exclama :

- On a gagné ! On a gagné !

- Monica, je… t’ai… dit… que… ce n’était pas… une compétition, dit Chandler, peinant à retrouver son souffle.

- Et moi, je te dis que c’est TOUJOURS une compétition !

Devant l’air triomphant de sa femme, Chandler ne put retenir un sourire. Décidément, il ne la changerait pas… Et c’était sans doute mieux ainsi.

- Vous l’avez trouvée ? demanda Rachel, paniquée.

- Pas encore, on vous attendait pour entrer et…

Un bruit assourdissant interrompit la conversation. Joey avait de nouveau foncé dans une poubelle et, cette fois, Nath semblait au bord de la crise de tétanie.

- Plus jamais ! Plus jamais je ne monte derrière toi, tu m’entends ? Tu es un véritable danger public !

Joey s’épousseta avant de hausser les épaules, l’air désinvolte.

- Oh, c’est bon hein ! Respire quoi… Ce que tu peux être coincé !

Sur le ton de la confidence, Chandler se pencha vers Monica :

- Quand je te disais… On ne sait pas vraiment qui va être un exemple pour qui. Ou plutôt si… et c’est bien ça le problème.

- Et Phoebe ? Où est Phoebe ? Je m’en fiche, tant pis pour elle… On rentre ! Hein, Ross ? On rentre ?

Rachel, au bord de la crise de nerfs, parlait si vite qu’elle n’attendit même pas la réponse avant de pousser la porte du Central Cats.

Emma était bien là.

Assise en boule au fond de la salle, secouée par des sanglots maladroits. Les quelques clients présents au bar l’observaient, l’air inquiet.

- Je le savais ! hurla Rachel en se précipitant vers elle. Il lui est arrivé quelque chose !

Elle enveloppa sa fille dans ses bras et Emma se mit à pleurer de plus belle.

- Qu’est-ce qui s’est passé ma puce ? On t’a agressé ? Tu n’as rien ? Dis-moi que tu n’as rien ? Je suis désolée… Je… On aurait dû être là pour te protéger.

À côté, Ross serrait déjà les poings.

- Où est Tom ? grogna-t-il.

- Il… est… parti…

La voix de Ross devint soudain basse, presque dangereuse.

- Est-ce que… est-ce qu’il t’a fait du mal ?

Emma hocha la tête d’un geste dramatique. Ross explosa immédiatement.

- J’en étais sûr ! Bon sang ! Je vais avoir sa peau ! Vous m’entendez ? Je vais…

Il sortit du café tel un taureau furieux. Puis revint moins d’une minute plus tard.

- Déjà de retour ? lâcha Chandler. T’es efficace, toi !

- Je sais pas où il est… Et j’ai pas de traceur pour lui.

Pendant ce temps, Rachel continuait à bercer Emma, aussi soulagée de l’avoir retrouvée que paniquée.

- Ça va aller mon ange… Tu veux nous dire ce qui s’est passé ? Tu n’es pas obligée, hein…

- Moi, j’appelle la police, grogna Ross. Ça, au moins, je sais faire !

Emma inspira, hoqueta, avant de lever un regard éploré vers eux.

- Il… Il a...

Toute la bande retint son souffle.

- Il… Il a dit que c’était normal qu’on n’avance pas, vu comme j’étais habillée. Puis il a observé mes bottes et…

Elle éclata en sanglots.

- Il a dit que c’était du FAUX cuir ! Des bottes Jimmy Choo, maman ! Tu te rends compte?

Ross cligna des yeux.

- Euh… Et ensuite ? Il a été violent avec toi, c’est ça ?

Emma se redressa, interloquée, comme si la question de son père était la pire des aberrations.

- Mais c’est de la violence ! De la violence psychologique ! Je lui ai dit ses quatre vérités et… il est parti ! Le lâche !

Silence. Ross pinça l’arête de son nez.

- Donc… si je résume… TU as décidé de fuguer pour des broutilles. TU étais prête à tout quitter, nous compris. TU nous as laissés dans une angoisse pas possible. Et, pour finir, la seule raison qui t’as poussée à revenir… c’est une critique que Tom a faite à propos… de « tes bottes » ?

Rachel se tourna soudain vers lui, pleine de rage.

- MES bottes, Ross ! À mille dollars la paire.

Puis, s’adressant à Emma :

- À quel moment tu t’es permise de les prendre, hein ? À quel moment ?

- Rachel, ce n’est pas le propos….

- Ah, mais si c’est le propos ! Fuguer avec des bottes Jimmy Choo… c’est un sacrilège !

Emma renifla.

- Je n’allais quand même pas partir en Converse.

Emma renifla à nouveau, mais ses épaules se relâchèrent un peu sous le regard médusé — et désormais beaucoup moins paniqué — de ses parents.

Ross croisa les bras, incrédules.

- Emma… tu te rends compte que tu nous as fait mourir d’inquiétude, là ?

La jeune fille ouvrit la bouche… puis la referma. Pour la première fois depuis qu’elle était revenue – et depuis bien longtemps, en réalité –, elle semblait réfléchir.

Rachel essuya une larme sur sa joue ; de colère ou de soulagement, elle n’aurait su le dire. Un peu des deux sans doute.

- Tu aurais pu être perdue… blessée…

- Je sais, dit Emma en baissant la tête. Je voulais juste… que vous arrêtiez de me prendre pour une enfant et Tom… j’ai cru que, s’il tenait vraiment à moi, il reviendrait.

Les mots tombèrent en même temps que la tension dans la pièce. Ross échangea un regard avec Rachel, l’un de ces regards silencieux qui disait : OK, elle n’a pas encore quinze ans… Et nous, à cet âge-là… on n’était pas mieux.

D’une petite voix, Emma murmura :

- Papa, maman, je suis désolée. Vous… Vous pouvez me prendre dans vos bras ?

Les dernières barrières s’effondrèrent. Ross et Rachel enlacèrent leur fille qui, finalement, était toujours une enfant. Et c’était très bien comme ça.

Le silence fut interrompu par Joey, qui s’adressa à Nath.

- Bon, on retourne faire la tournée des stands de hot-dogs ?

Tout le monde se tourna vers lui, consterné.

- Quoi ? Les émotions, ça creuse, non ?

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