Chapitre 8

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Contrairement à ce à quoi Asher s'attendait, c'était le silence le plus complet dans l'appartement. Le ménage y avait d'ailleurs été fait. Ses parents et ses frères et sœurs, exceptée Lynnette, étaient à table. L'aîné les rejoignit, non sans exprimer sa surprise à travers ses yeux et sa bouche grands ouverts.

— Ah ! Voilà Ash' ! s'exclama sa mère. Viens. Ça va refroidir.

Son fils s'exécuta.

— Comment s'est passée cette soirée ? Sympa ? Pas trop d'alcool et autres cochonneries j'espère.

— Hmm ? Ah, oui, oui. Enfin, non. Rien de tout ça et oui, ça a été. Et Lynnette ? Elle n'est pas là ?

— Elle ne devrait pas tarder, affirma son père. Elle a été faire un tour à une supérette. On a fini le sel et les herbes pour l'assaisonnement.

Comme s'il venait de l'invoquer, l'adolescente fit irruption. Elle portait un sac en toile dans la main, mais plus intrigant, elle était essoufflée.

— Que t'arrive-t-il ? demanda Cécilia, quelque peu inquiète de l'état dans lequel était sa fille.

— Il... ! En fait... ! C'est... ! C'est... !

— Respire, lança son père, respire. Décidément, c’est de famille.

Le visage de Lynnette devenait encore plus rouge. On aurait dit qu'elle allait exploser et que ses mots allaient s'envoler dans tous les sens.

— Alias Myo !

Asher pinça, par réflexe, l'arête de son nez.

— Il... Il va faire un concert ! Ici ! Dans cette ville ! À Draguisier !

— Oui, on avait compris dès le début que c'était ici. Inutile de le dire de différentes manières, se moqua son grand frère, bienveillant.

— Et où est-ce exactement ? interrogea son père.

— À vrai dire, on ne sait pas.

— Comment ça ?

— En fait, il organise une sorte de concert surprise. On connaît la date, mais pas le lieu.

— Je vois, répondit-il. Quand est-ce ?

— Dans deux jours ! Le soir ! Il faut que j'y assiste ! s'écria l'adolescente, presque hystérique. En plus, c'est gratuit !

— À vrai dire, commença sa mère, ton père et moi avions prévu de sortir en tête à tête.

— Ah oui ? lâcha son mari.

Elle lui donna un petit coup de coude.

— Ah ! Oui, oui, c'est vrai. On ne sera pas disponible à cette date-là. Ce sera à Jada ou Asher de t'emmener.

La jeune femme roula des yeux.

— C'est Asher qui t'emmènera, conclut-il.

Le principal concerné était ahuri de la manière dont les événements s'étaient enchaînés. À cet instant, il ne put s'empêcher d'éprouver un profond respect pour sa sœur. Elle était forte et surtout plus réactive.

— Tu voudras venir avec nous, Mavuto ?

Celui-ci exprima immédiatement son refus en secouant la tête.

— Eh bien, ce sera une soirée entre vous deux, se réjouit la mère. Maintenant, viens manger, Lynnette.

Durant le reste de la soirée, plus personne n'évoqua le concert. Même la jeune fan en restait muette. Cependant, cela se voyait qu'elle explosait de joie de l'intérieur. Si personne ne voulait l'accompagner, ce n'était pas parce qu'il s'agissait d'Alias Myo, mais plutôt parce qu'il s'agissait de Lynnette, une admiratrice folle furieuse.

Les membres de la famille se couchèrent au même endroit que deux jours auparavant.

✦ • ✦

Asher se leva un peu plus tôt que d'habitude, il ne souhaitait pas être mis en retard. La veille, il avait mis de côté ses vêtements pour la journée et se dirigeait vers la salle d'eau quand il entendit l'eau de la douche couler.

— Roh..., souffla-t-il.

Il n'hésita pas à toquer à la porte.

— Oui ? lança une voix, celle de sa mère.

— Ah, c'est toi. Écoute maman, je dois aller au travail, ça te dérangerait de me laisser ta place ?

— Non, non, pas le moins du monde. Je sors, je sors.

Une minute plus tard, la petite dame ouvrit la porte, les cheveux encore mouillés.

— Je te laisse la place.

Asher allait entrer quand on l'interpella.

— Au fait, Ash'. Je me demandais, est-ce que tu fréquentes quelqu'un ?

— Pourquoi cette question ? demanda-t-il le regard déjà fuyant.

— Parce que quand je vois ton stock de gel douche, je me dis que vous devez être au moins deux à vivre ici.

— Non, non. C'est…

Asher était embarrassé. Il pouvait avouer soit qu'il y avait quelqu'un pour éviter le sujet du gel douche, soit son obsession pour celui-ci.

— Oui, répondit-il, droit comme un "i".

— Oui quoi ?

Trop tard, Asher s'était réfugié en vitesse dans la salle d'eau. Il avait préféré couper court la conversation. Qui sait sur quel sujet délicat ils auraient atterri. Le trentenaire souhaitait ne pas perdre plus de temps et décida de faire une rapide toilette.

— Quand ils découvriront pour Vénus…, dit-il à lui-même tandis qu'il savonnait ses bras. Quoique, qui dit qu'ils le sauront ?

Il fixa la paroi de la douche, silencieux.

— Ouais, je les connais, ils sauront.

Cette fois, Asher avait appris de la journée précédente, il se retint de chanter. Toutefois, il ne fut pas assez fort pour s’empêcher de se trémousser devant la glace et de faire du play-back.

Quand il ressortit de la pièce, il eut le malheur de marcher sur l'un des jouets de Mavuto. Il se retint de hurler de douleur. En réalité, tout son appartement s'était déjà transformé en champ de bataille. Le benjamin de la fratrie fuyait sa mère, qui lui ordonnait de se préparer pour aller à l'école, Lynnette était en séance d'admiration face à ses posters, Dallán lisait tranquillement le journal et Jada s'attardait sur la table basse. Asher ne reconnaissait plus le havre de paix quelques que son appartement représentait quelques jours auparavant.

Il traversa la pièce principale tout en regardant bien où il posait les pieds et se saisit de la boîte de céréales posée sur le plan de travail.

— Quoi de neuf ? demanda-t-il à l'adresse de son père.

— Rien d'extraordinaire, mis à part le fait qu'ils ont quand même consacré une double page sur le concert surprise de Alias Myo. Sincèrement, bon courage.

— Il faut bien que l'un de nous y aille, répondit son fils en déversant le contenu du paquet dans son bol. Si ça lui fait plaisir, je peux bien me sacrifier.

Son père se contenta de sourire.

— Euh… Papa ? commença Asher d’un ton saccadé et hésitant. Est-ce que, de par ton expérience, tu penses que…

— Dis-moi, mon garçon.

Plusieurs fois son fils tentait de dire quelque chose, mais il se ravisait. Dallán se mit alors à chuchoter.

— Tu veux me parler d'un truc d'homme ? Je suis ouvert à n'importe laquelle de tes interrogations. Si…

— Non. Non, c'est plus… universel. Est-ce que… Est-ce que le changement entraîne inévitablement une rupture totale avec le passé ?

Le cinquantenaire le regarda, hagard.

— C'est une blague avec tes frères et sœurs ? Parce que sinon, je dois dire que je ne suivais pas trop les cours de philosophie.

Le jeune homme lâcha un petit rire.

— Laisse tomber. Je t'embête pour rien.

— Si tu le dis. Allez, ne traîne pas trop, ne sois pas en retard.

Asher acquiesça et saisit son bol, puis ses clés. Alors qu’il était sur le point de quitter son appartement, Dallán l’interpella.

— Tu es si en retard que ça ?

— Non, je suis même en avance. Pourquoi ?

— Tu comptes sortir avec ton bol à la main ?

— Oui. C’est une habitude. Je vois.

Il paraissait très amusé.

— D’accord. Passe une bonne journée, Ash’.

En effet, ce jour-là, Asher ne devait surtout pas être en retard. Une sortie avec la crèche avait été organisée. Ils allaient tous passer la journée au dragon vert, le quartier campagnard de Draguisier. Quand Asher arriva, Flavie et Pauline s'occupaient des casse-croûtes et Marjorie et Jérôme, de la trousse à pharmacie. Il donna un bref coup de main, puis se chargea d'accueillir les petits qui devaient arriver un peu avant huit heures.

Quelques minutes, les adultes conduisirent les enfants jusqu'à leur destination. Il ne fallait qu'une dizaine de minutes de marche, mais il était tout de même nécessaire de sortir les poussettes à quatre places. La petite troupe se mit alors en route. Les enfants étaient surexcités. Il fallait dire que l'on leur avait vendu du rêve : la ferme. Sur le chemin, Asher leur fit réviser les cris des animaux. Tous jouèrent le jeu, à leur manière. Tandis que certains murmuraient les réponses, d’autres les hurlaient. Ce qui était sûr, c’était qu’ils montraient tous beaucoup de motivation et d'enthousiasme. Finalement, ils arrivèrent à destination avec des petits encore plus en ébullition.

L'imposant corps de ferme les laissa sans voix. On entendait déjà les vaches, les poules, les chèvres, les cochons et les deux gros chiens qui accueillirent le groupe. Soudain, une voix grave s'éleva.

— Donut ! Candy !

Les deux canidés se retournèrent d'un coup et accoururent en direction d'un homme.

— J'espère que ces foufous n'ont pas terrorisé les petits. Ils peuvent être un peu brutaux, mais ce sont de vraies guimauves.

L'homme en question s'avança, tout comme les chiens.

— Ne vous inquiétez pas pour cela, le rassura Jérôme qui caressait l'un d'eux.

— Papi ! s’exclama Keaton.

— C’est ton beau-père ? glissa Asher à Flavie, étonné.

— C’est ça, mais je lui avais pourtant expliqué qu'il ne devait rien dire. J'ai peur qu'ils s'intéressent plus à ça qu'aux animaux et à la ferme.

— Je n'ai pas ces craintes, la rassura Asher. Je suis persuadé qu’ils vont accaparer toute leur attention.

— Soyez les bienvenues à ma ferme ! lança le fermier. Je m'appelle Samuel, mais appelez-moi Sam, ça fera amplement l'affaire. Nous allons donc passer toute cette journée ensemble. Allez, suivez-moi.

Sam avait décidé de les emmener dans un premier temps voir la traite des vaches qui avait commencé il y avait plus d’une heure. Les petits ne cessaient de pousser des « Meuh ! » à tout bout de champ jusqu'à ce qu'ils les aient devant leurs yeux. Ils étaient tous entrés dans un bâtiment collés à l'enclos des vaches.

Asher fut le dernier à y pénétrer. Il sourit d'abord quand il entendit les bambins exprimer leur joie, puis il ne put s'empêcher de trembler lorsque Keaton cria « Papa ! »

— Pardon ? lâcha-t-il aussitôt.

Effectivement, Neidhart, le copain de Flavie, était bien là, en combinaison et ses cheveux blonds bien attachés, à traire les vaches.

— Euh je croyais qu'il travaillait dans une salle de musculation ?

— C'est bien le cas, mais à côté de ça, il donne un coup de main à ses parents à la ferme.

Le sportif prit le garçon dans ses bras, le fit sauter avant de le recoiffer. Asher jeta un œil à l'homme en question et ne pouvait s'empêcher de sourire en découvrant ce lien père-fils qu'il voyait rarement de ses propres yeux. Seulement, il le réprima soudainement quand Neidhart le fixait à son tour tout en fronçant les sourcils.

Le petit ami de Flavie montra alors aux enfants comment traire les vaches. Habituellement, il le faisait à l'aide d'une machine, mais exceptionnellement ce serait à la main. Les petits voulaient absolument essayer, eux aussi, mais il expliqua que cela serait trop dangereux. Toutefois, à la place, il proposa à l'un des adultes. Flavie l'avait déjà fait de nombreuses fois et Pauline, Marjorie et Jérôme refusèrent poliment. Il ne restait plus qu’Asher. Les enfants l'encouragèrent à le faire.

— C'est que je ne veux pas prendre le risque de la blesser, se justifia le trentenaire.

— Pff ! Pas de ça chez moi !

Neidhart le tira par le bras et le plaça devant la vache. Il lui laissa sa place sur le tabouret.

— Alors, tu dois prendre fermement le pis, mais pas trop non plus. Il faut bien doser. Ensuite, fait en sorte que le lait tombe dans le seau, ne courbe pas le pis.

— Pourquoi je le ferais ?

— On ne sait jamais. Si tu souhaites faire ça...

Neidhart saisit un pis, pointa Asher avec et l'aspergea de lait. Tous éclatèrent de rire. Tous sauf Flavie.

— Pouah ! fit-il. Il n'est pas bon ce lait ! C'est normal ?

— Oui, assura Sam. C'est parce qu'il n'est pas encore traité.

Le propriétaire de la ferme tendit à Asher un chiffon pour qu'il puisse s'essuyer le visage. Ensuite, il put vraiment essayer et s'était plutôt bien débrouiller. Neidhart le complimenta, bien que l'on sentait que cela lui avait coûté quelque chose.

Après la traite des vaches, Sam emmena le groupe voir le poulailler. Seule Flavie resta plus longtemps avec son compagnon. On ne les revit qu'à l'heure du déjeuner, après la visite de l'enclos des chèvres. Les enfants engloutirent leur pique-nique, affamés de par les expériences qu'ils venaient de vivre. Quant aux adultes, ils durent les surveiller quand ceux-ci se baladèrent dans l'enceinte de la ferme, ne pouvant tenir en place. Heureusement, la grande majorité ne pouvait pas aller bien loin. Puis, alors que Sam racontaient des anecdotes provenant de son expérience aux employés de la crèche, Neidhart bondit de sa chaise.

— Où est Keaton ?

En entendant cela, Flavie s'affola elle aussi. Leur fils n'était plus dans les environs. Tous se mirent alors à le rechercher et à appeler le garçon en criant ainsi que Kassie qui était, elle aussi, introuvable. Asher était parti dans la même direction que le couple qui s’imaginait les pires scénarios. Cependant, il avait du mal à suivre jusqu’à l’enclos des chevaux. Heureusement, ils avaient eu le nez fin, Keaton s'y trouvait bien, mais loin de la clôture et dangereusement proche d'un des équidés. Kassie était, quant à elle, aussi présente. Flavie lâcha un cri et s’apprêtait à lui venir en aide quand Neidhart plaça son bras devant elle, sauta par-dessus la barrière et accourut afin de sauver son fils. Ce dernier, inconscient du danger, agrippa une jambe du cheval. L'animal se cabra et le petit s'envola à un mètre du sol. La jeune femme, Sam et Asher crièrent en chœur. Ce dernier alla jusqu’à mettre ses mains devant ses yeux pour ne pas voir cette voltige. Neidhart arriva juste à temps pour rattraper le garçon. Une fois le Keaton en pleurs dans ses bras, il se dépêcha de rejoindre les autres de l'autre côté. La mère de famille enlaça aussitôt son petit ami. Des larmes roulaient sur ses joues. Sans rien dire, Asher fit signe à Kassie de s'en aller avec lui et Sam, ce qu'ils firent.

Le trentenaire prévint les autres adultes que Keaton avait été retrouvé et qu'il allait bien. Ainsi, ils se retrouvèrent là où ils étaient avant que la panique ne se soit installée. Les discussions avaient repris, jusqu'à ce que la petite famille ne revienne et un long silence avec eux. Personne n'osait parler de peur de dire quelque chose qu'il ne fallait pas. Finalement, Neidhart proposa de reprendre la visite. Tout le monde acquiesça et se leva.

Ce fut donc au tour des cochons d'être l'objet de la fascination des bambins. De plus, les adultes devaient retenir les quelques enfants qui voulaient eux aussi se jeter dans la boue. Comme précédemment avec les autres animaux, les enfants s'amusaient à les imiter. Asher se mit à faire de même, ce qui fit rire Flavie, mais bien moins son copain. Cela créait un sacré vacarme. Avant l'heure du goûter, le groupe s'arrêta devant les box des chevaux. On les avait fait rentrer après la courte disparition de Keaton et Kassie. Bien que le garçon ne risquait rien, on sentait qu'il n'était pas à l'aise avec les équidés. Il serrait le bras de son père et ne le lâcha que lorsqu'il ne les voyait plus.

La visite de la ferme se clôtura par le goûter, offert par Sam. Les petits devaient s'en aller, mais à contre-cœur. Tous saluèrent chacun leur tour Sam et Neidhart. Quant à Keaton, il enlaça longuement son grand-père et son père.

— Allez viens, Keaton, lança sa mère. Tu le verras ce soir papa.

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