Chapitre 14

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— Comment se porte-t-il ?

Voilà ce que Flavie dit à Asher à peine celui-ci eut mis les pieds dans la crèche. C'était la première fois de la journée qu'on l'abordait ainsi. Sa famille avait été relativement calme à son réveil. Il se tenait donc face à elle, la bouche grand ouverte, prête à recevoir une nouvelle cargaison de céréales. 

— Alors ? insista-t-elle.

Il reposa la cuillère dans le bol.

— Il est en forme. 

— Dans quel sens ?

C'est en voyant le visage de Flavie qu'il comprit l'ambiguïté de sa phrase.

— Sportivement ! Sportivement, il est en forme.

Son amie fronça les sourcils. Elle attendait une suite.

— Par contre, là, le message ne passe pas. Que veux-tu savoir ?

— Ce qu'il pense de la situation.

Asher écarquilla les yeux.

— Tu as oublié de lui en parler ?

— Peut-être...

— Mais tu y es allé pour quoi faire ? s'exclama-t-elle un peu sur les nerfs.

— J'ai oublié ! rétorqua-t-il en panique.

Puis tous deux devinrent silencieux, à se regarder l'un l'autre.

— On est ridicules, pas vrai ? dit-il finalement.

— Eh bien tu sais quoi ? Je me disais la même chose.

Elle marqua une pause.

— Mais ça ne t'excuse pas du fait que tu ais séché ! Hier a été un calvaire avec Keaton !

— Encore ?

— Oui, encore. 

Asher tourna son attention vers le bébé qui paraissait, à cet instant, très calme.

***

Keaton ! Cette poupée n'est pas qu'à toi ! Keaton ! On ne pousse pas les autres ! Keaton ! Pourquoi as-tu recommencé ? Aïe ! Keaton ! On ne mord pas !

KEATON !!

Flavie avait imposé le silence dans la pièce, même de la part de son fils. Quand elle atteignait ce stade, il ne fallait pas se trouver sur son chemin. C'est pour cela qu'Asher se rangea dans un coin, puis se mit à bouquiner un livre illustré sur une théière qui voulait faire aussi à manger. En fin de compte, il lut l'histoire à tous les petits, pendant que le benjamin se faisait remonter les bretelles par sa mère dans le jardin.

— Les scènes commencent à se ressembler, confia Asher à Marjorie.

— Et tu n’étais pas là hier. C’était la même. J’ai essayé de le consulter, mais je crois que te faire porter une tenue en noir et blanc est une mission plus accessible à l’être humain. C'est pour dire.

— Rien que ça. Eh ! Attends ! Comment sais-tu ça ? Pour la tenue.

— Les femmes parlent, les femmes parlent, répondit-elle sur le ton de la plaisanterie.

L’éducateur ne rebondit pas là-dessus et prit une expression sérieuse. Il fixait l’extérieur à travers une fenêtre. Il resta ainsi pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que Jérôme ne l’interpelle.

— Ça va ? Tu semblais être parti bien loin de nous. Tu réfléchissais à la raison pour laquelle Keaton agit comme ça ?

— Hmm ? Ah. À vrai dire, au départ, oui. Et puis j’ai dérivé et à l’instant, je pensais à la soirée de tout à l’heure. Je n’ai pas envie d’y aller, mais ton frère m’y oblige.

— Il n’a pas envie d’être seul. Il a besoin que tu l’épaules, que tu le conseilles.

— C’est ce que tu crois. Il prendra vite ses marques, j’en suis sûr. Bon, lança-t-il en se relevant. Attends… Où sont les autres ?

— Dehors. Tu étais vraiment absorbé par tes pensées, dis-moi.

Il lui fit ensuite signe de le suivre.

Le reste de la journée se résumait à des bêtises de Keaton et sa mère qui le remettait à chaque fois à sa place. Cette dernière en avait perdu la voix. Épuisée, elle était partie plus tôt et Asher devait lui ramener son fils en fin d'après-midi. Il avait attendu la fermeture de la crèche au public pour laisser Marjorie osculter le petit tranquillement. Elle lui fit un bilan médical et tout semblait aller pour le mieux.

— Je ne sais pas, en conclut-elle. Je ne sais pas pourquoi il agit comme ça. En plus, il s'est laissé faire. La dernière fois, c'était une autre histoire.

— Très étrange, ajouta Asher tandis qu'il observait le bébé qui lui-même le fixait avec des yeux ronds. Nous voilà face à un véritable mystère.

— C'est le cas de le dire.

— Areu.

— Et si… commença le jeune homme. Et si ce n'était plus le même bébé ?

— Tu parles de la rupture de ses parents et le fait qu'il voit moins souvent son père ? Ça avait débuté avant.

— Ce n'est pas ce que j'insinuais.

Il remonta ses lunettes invisibles.

— Et si le bébé que nous avons devant nous n'était qu'un imposteur ?

Marjorie le regarda la bouche ouverte.

— Pourquoi n'y avais-je pas pensé avant ?

— C'est une bonne hypothèse, hein ?

— Non, elle est absurde. Tu t'es cru dans de la science-fiction ?

— Tu es trop terre à terre. Quitte à rester dans le mystère, autant s’en amuser. Bref, je vais ramener le petit chez lui. Si c’est bien lui. Passe un bon week-end.

— Toi aussi, répondit Marjorie qui semblait toujours un peu assommée par l'imagination de son collègue.

Lorsqu'Asher retrouva Flavie, celle-ci affichait une mine fatiguée, mais elle était tout de même contente de voir son fils. D'autant plus qu'il dormait à poings fermés. Le jeune homme le posa dans les bras de sa mère.

— Il va sérieusement falloir trouver une solution, dit-elle.

— Soit pour qu'il se calme, soit pour qu'il dorme à tout jamais, compléta son ami.

— Asher…

Elle dut se contenter d'un large sourire en guise de réponse.

— Enfin, je dois te laisser. Je vais, ou plutôt on me force à aller à une soirée.

— Amuse-toi bien.

— On verra ça, lui dit-il en levant les yeux au ciel.

À contre-cœur, Asher se dépêcha de rentrer chez lui pour se préparer. Il savait que quand Sulo arriverait, il devrait être prêt à partir. Heureusement, pour cette soirée, il ne comptait pas faire un effort particulier sur sa tenue. Il opta donc pour le classique jean-sweat. Alors qu’il attendait patiemment son ami sur le canapé, on sonna et sa mère alla ouvrir.

— Ash' ! C'est pour toi.

Le jeune homme les rejoignit aussitôt. 

— On rentrera sûrement tard, prévint Sulo.

— Je ne serais pas aussi catégorique, rétorqua son ami.

— Ne l'écoutez pas, madame. On ne dirait pas, mais Asher est casanier. C'est pour ça que je le pousse à sortir de temps en temps.

— Tu dis que des âneries. C'est juste que je ne suis pas adepte des soirées où mes connaissances se résument à toi, aux apéritifs et aux boissons. Et encore…

Alors que Sulo allait entraîner son ami hors de l’appartement pour partir, il vit Jada.

— Qui est-ce ?

— Ma fille aînée.

— Elle a l’air de s’ennuyer, non ? fit-il remarquer.

— Draguisier est l’opposé de notre patelin et elle n’est pas du genre à sortir seule.

— Pourquoi ne viendrait-elle pas avec nous ? proposa-t-il.

La jeune femme leva sa tête en sa direction puis regarda sa mère.

— Tu peux y aller, si tu veux.

— Dans ce cas, attendez-moi, je viens. Ça m’évitera de faire un tour de plus de cet appartement.

Elle fouilla dans sa valise et fila dans la salle d’eau. Elle en ressortit, un bon quart d’heure plus tardvêtue d'une robe mauve qui s'arrêtait au-dessus des genoux et avait enfilé des bottines noires. Ses cheveux bruns tombaient sur son épaule droite.

— Je n'ai pas sauvé cette robe du naufrage pour qu'elle moisisse dans un placard.

— Tu es ravissante, commenta Cécilia.

— Je ne savais pas que tu avais une sœur pareille, chuchotant Sulo à l'intention d'Asher.

— Moi non plus. Enfin, ça fait longtemps que l'on ne se voit plus régulièrement.

— Allez, la fine équipe ! On est parti ! lança alors son ami.

Jada embrassa sa mère.

— À tout à l'heure.

***

— Ne fais pas cette tête, Asher. On y va pour s'amuser, rappela Sulo.

— Il agit souvent comme un enfant, renchérit Jada.

— Complètement. Surtout quand...

— Il n'y a pas son gel douche dans les rayons. Enfin, avant, c'était ça.

— C'est toujours le cas. Du moins le peu de fois où on a fait les magasins ensemble.

— Il le fait encore ? Il est temps qu'il grandisse.

— Dites-moi si je vous dérange, intervint le principal concerné. Je suis devenu le centre d'attention de ce bus…

En effet, tous les passagers lui jetaient des regards furtifs, certains d'un œil amusé, d'autres semblaient le prendre pour un fou. Et ce, jusqu'à ce que le trio descende du véhicule. À partir de là, ils marchèrent un court moment avant que Sulo ne s'arrête devant un immense portail noir avec des ornements dorés.

— Vous ne trouvez pas que ça fait… tape-à-l'œil ? fit remarquer Asher.

— Ça, ça signifie grosse ambiance de l'autre côté, assura son ami.

— Tu fais de ces raccourcis parfois…

Ni une ni deux, Sulo appuya sur la sonnette. Il attendit trois secondes avant de sonner de nouveau. Et encore. Et encore. Et encore. Jusqu'à ce qu'un jeune homme leur ouvre quelques minutes après leur arrivée. Il semblait avoir du mal à tenir sur ses jambes et son visage était tout rouge.

— C'éweuh qwieuh ? 

— Nous avons été invités par l'ami de l'amie du cousin du frère d'une connaissance d'une amie de la sœur de l'organisateur de la fête, expliqua Sulo avec le plus grand des calmes.

— Ah bwah c'éweuh mwouaeuh !

— Qui ça ? ne put s'empêcher de dire Asher. Qu'est-ce que je raconte ? Ça n'a aucune importance.

— On peut entrer ? demanda son ami.

— Bwein sour qweuh ouiiiiii ! 

Le trio passa donc de l'autre côté du portail. Asher prit ses distances avec l’homme et força sa sœur à faire de même.

— Ça va être démant ! lâcha Sulo.

— Je ne te le fais pas dire, ajouta Jada qui jouait des coudes pour se défaire de l’étreinte de son frère.

— C'est le début de la fin, s'attrista Asher.

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