Roue 7 –

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Un café à la main, la musique lancé sur l’enceinte de son appartement, Paloma fredonnait les paroles tout en sirotant sa boisson. Le ciel était dégagé, le soleil réchauffait les températures automnales qui s’installaient et éclairait le studio de Paloma. Elle s’installa à son bureau, étalant devant elle les différentes fournitures de scrapbooking qu’elle possédait. Elle regardait les stickers et les papiers stylisés, sans parvenir à se lancer dans cette activité qui, habituellement, lui venait naturellement. Dans un soupir défaitiste, elle attrapa son téléphone, proposant à Hugo d’aller se balade sur les quais. Elle patienta, ses jambes se balançant énergiquement. Il avait finalement lu sans répondre. Paloma passa une partie de la journée à hésiter entre le relancer, lui proposer autre chose, ou simplement laisser tomber. Son humeur devenant de plus en plus sombre à mesure que son message restait sans réponse.

Le soleil déclina en fin d’après-midi. Son diner au micro-ondes, elle scrolla sur les réseaux sociaux, survolant les dernières stories. Elle fronça les sourcils, revenant en arrière. Héloïse avait posté deux stories. La première en début d’après-midi montrait les quais, les rollers aux pieds, elle se baladait, se faisait filmer par quelqu’un. Sur la suivante, datant que quelques minutes à peines, elle était installée en terrasse, Hugo passant un bras au milieu de la table pour prendre un verre. Iels rigolaient, exposant leur joie de vivre sur le petit écran de Paloma.

La sonnerie du micro-ondes la fit revenir à la réalité. Elle posa son téléphone avec plus de force que nécessaire, sortant son bol réchauffé. Elle grimaça, délaissant son diner sur le plan de travail. Elle mordilla l’ongle de son pouce quelques instants.

— Pourquoi ça me met tellement en colère ? grogna-t-elle.

Comme un animal en cache, elle marcha dans son petit appartement. Elle passa en revue la discussion avec Hugo, cherchant une quelconque maladresse de sa part. Elle fit défiler dans sa tête leur moment ensemble. Elle frissonna au souvenir de leur nuit, se laissant finalement tomber sur son lit. Elle soupira, regardant le plafond.

Après plusieurs minutes, Paloma se résigna à manger son repas en mettant une série sur son téléphone. Au quatrième épisode, elle étira un sourire en voyant une notification apparaitre par-dessus les images.

◄ Tu veux venir dormir ce soir ?

Elle s’empressa de répondre par un oui sans fioritures. Son sourire s’élargit un peu plus en recevant un smiley en guise de retour. Une petite voix dans sa tête la convainc que c’était sa façon à lui de se rattraper pour l’avoir laissé en vue toute la journée.

◄ Je passe te prendre d’ici quinze minutes

Elle sursauta, s’empressant de se changer. Elle troqua son jogging par un ensemble pantalon et pull noir. Elle tenta de lâcher ses tresses, sans être convaincu. Elle remonta ses cheveux en une queue de cheval avant de prendre son téléphone et son sac à la hâte. Elle descendit les escaliers de son immeuble en trottinant. Un nouveau sourire s’étira sur ses lèvres en découvrant la voiture d’Hugo. Elle s’engouffra dans l’habitacle en le saluant. Elle s’attendait à un baiser, une caresse néanmoins, Hugo se contenta de sourire, reprenant la route.

— Héloïse m’a fait goûter un vin super chelou, raconta-t-il avec nonchalance.

— Ah, tu étais avec Héloïse ? questionna-t-elle innocemment.

— Ouais, on a fait une balade en roller sur les quais tout à l’heure. Ça faisait longtemps que j’avais pas fait du inline c’était bizarre. Mais j’ai kiffé.

Elle rit, acquiesça. Une curieuse boule s’était formée dans son estomac. Il n’avait pas l’air gêné, ni désolé. Comme si elle n’avait jamais proposé de faire une balade sur les quais. Comme s'il ne l’avait pas ignoré toute la journée. Peut-être que je me suis fait des films, pensa-t-elle amer.

La fin du trajet se passa en silence, en dehors de la musique qui envahissait l’habitacle et l’habitude récurrente d’Hugo à tapoter l’air sur le volant. En arrivant chez lui, elle salua le colocataire d’Hugo qui partait de l’appartement. Timide, elle resta dans l’entrée. Hugo délaissa ses rollers inline dans un coin, avant de s’approcher d’elle, enroulant ses bras autour des épaules de Paloma. Il se pencha, l’embrassant. Elle eut l’impression de fondre. Elle aimait cette façon qu’il avait de la prendre tout contre lui pour l’embrasser. Ce flegme naturel qui le rendait attractif.

Affalés sur le canapé, il la tenait contre lui, jouant avec ses doigts. Elle sentait son cœur se détendre. Elle était bien. Ça voulait dire quelque chose. Il se tourna vers elle, glissant son visage dans le cou de Paloma, l’embrassant avec des baisers volatils. Elle étouffa un rire.

— Tu ne vois même pas le film là, fit-elle remarquer.

— J’m’en fous, je te préfère toi, souffla-t-il contre sa peau.

Son cœur battu plus fort, son estomac se contracta. Elle plongea ses doigts dans les cheveux d’Hugo, jetant sa tête en arrière pour lui offrir un peu plus d’accès à son cou. Lorsque les dents du rouquin remplacèrent ses lèvres, elle laissa échapper un gémissement sonore et incontrôlé.

— On va aller dans la chambre, c’est mieux, pouffa Hugo en se redressant.

Paloma acquiesça, le suivant dans le couloir jusqu’à la dernière pièce tout au fond.

— Je vais éteindre les lumières, installe-toi.

Elle acquiesça, découvrant la chambre d’Hugo avec intérêt. Sur le mur, des photos de lui et de ses parents. De sa sœur, ses amis. Et, sur une majorité d’entre elles, elle découvrit Ariane. Leurs années de relations retranscrites ici et là, sur les photographies et les souvenirs accrochés. Elle pinça ses lèvres, continuant son explication. Au-dessus du lit d’Hugo, sur un crochet mal enfoncé, il y avait des colliers qui pendaient. Dans le placard mural ouvert, elle découvrit un pot en verre comprenant des boucles d’oreilles et des bagues. Un nouveau poids s’installa dans sa poitrine.

Même s'il est passé à autre chose, Ariane est omniprésente… pensa-t-elle, amère.

Sans rien dire, elle retira son pantalon, le déposant sur la chaise de bureau. Hugo arriva derrière elle, l’enlaçant en silence, couvrant son cou de baiser. Elle étira un sourire, se tournant face à lui, l’aidant à se déshabiller avec une ambiguïté qui ne laissait aucun doute sur ce qui allait suivre dès qu’iels seraient sous la couette.

Le café était agité. Les rires, les commérages et les prises de commandes au comptoir donnaient un brouhaha dense et envahissant. Tommy se plaignait pour la troisième fois parce qu’un client avait tapé dans l’une de ses roues. En face de lui, Paloma était calme, presque rêveuse. Au quatrième à-coup dans sa roue, il soupira, desserra les freins, et recula d’un mouvement fluide.

— Viens, on se met sur la terrasse.

Paloma acquiesça, prenant les deux cafés tout en suivant son ami à l’extérieur. Il ne faisait pas du plus chaud en ce lundi après-midi. Aussi enroula-t-elle son foulard plusieurs fois autour de son cou en s’installant à la seule place éclairée par le soleil timide.

— On est mieux là ! clama-t-il, ravi du calme environnant.

Paloma acquiesça de nouveau, portant la paille à ses lèvres. Après quelques gorgées, elle reposa le verre et raconta à Tommy les derniers évènements de sa vie. Hugo. Devant le visage défait de son meilleur ami, elle s’extasiait sur cette nouvelle relation.

— Tu dépeins la situation dans beaucoup trop de nuances de rose… glissa-t-il lorsqu’elle fit une pause pour boire.

— C’est pas vrai. Je suis juste heureuse.

Tommy eut un sourire tendre, attrapant la main de la jeune fille pour la serrer dans la sienne.

— Je suis sincèrement content de te voir sur ton petit nuage. Promets-moi simplement de faire attention, d’accord ?

— Promis, souffla-t-elle, scellant leur petit doigt ensemble.

Leur discussion dériva sur les actualités, la faculté, la musique, le restaurant dans lequel Tommy avait mangé avec Axel. Tout semblait au beau-fixe. Autant l’un que l’autre était satisfait de leur situation actuelle.

Les boissons étaient finies, le soleil déclinait, et Paloma commençait à greloter. Alors, d’un accord commun, iels quittèrent le café. Côte à côte, sur la rue pavée, Paloma demanda à faire un détour au Skate N’Roll pour une nouvelle paire de freins.

Agathe était derrière le comptoir, avachie sur son siège, frottant énergiquement une pièce de métal avec un chiffon. La clochette tintinnabula, informant de leur entrée. La blondinette sauta sur ses pieds, saluant chaleureusement Paloma, avant de se tourner vers Tommy. Elle siffla d’admiration avant de s’abaisser à la hauteur des jambes du métis.

— Tu mets quoi comme types de roulements ? C’est confort pour rouler dehors ?

— Du ABEC 5 suffit, mais je préfère le 7. Depuis que j’ai mis des roues de skate en gomme, ouais, c’est plutôt confort.

Paloma étira un sourire, s’éloignant discrètement vers l’étagère de présentation des différents freins. Agathe avait ce curieux pouvoir de tout rendre génial. Elle rayonnait comme un soleil, et avec son simple sourire, elle mettait tout le monde à l’aise. En fond, elle entendait Tommy sympathiser avec la derby-girl. Iels échangeaient et riaient comme si iels se connaissaient déjà depuis longtemps.

Le choix de Paloma s’arrêta sur une paire de freins en forme d’étoile avec plusieurs gommes de couleurs différentes. Elle s’approcha du duo et c’est tout naturellement qu’Agathe recula d’un pas, invitant Paloma dans leur cercle de discussion. Paloma serra les freins contre sa poitrine. Elle ne se sentait pas exclut. Elle n’était pas en dehors de leur groupe.

— En tout cas, tu n'hésites pas pour les roues. J’en ai plein. On pourra faire des essais si besoin.

— Carrément, ça serait cool ! Et toi, Pam, tu as trouvé ce qui te fallait ? questionna Tommy avec intérêt.

Elle acquiesça, montrant le petit carton qu’elle tenait contre elle.

— Oh ! Les multicolores, je les adore. Très bon choix ! Tu veux pas changer tes lacets aussi ? J’ai reçu de magnifiques lacets à paillette dorée ! Tout à fait ton genre, s’enthousiasma Agathe, accompagné d’un clin d’œil.

Paloma déclina poliment suivant Agathe vers la caisse d’un geste machinal. Une fois le paiement effectué, Paloma la remercia, glissant son nouvel achat dans son sac à dos, ses yeux pétillants d’une joie perceptible. Agathe se racla la gorge, attirant l’attention de la jeune fille.

— Un film sort au cinéma mercredi. Ça parle de derby, ça te dirait de venir le voir avec moi ?

Paloma hésita, se balançant maladroitement d’une jambe sur l’autre. Tommy lui donna un coup de coude, mettant fin à son débat intérieur :

— Franchement, ça serait cool. En plus, tu m’as dit que ça faisait un moment que tu étais pas allé au ciné. C’est l’occasion.

— C’est vrai, admit-elle. Mercredi, j'ai club, jeudi, je vais à la piste, et je ne sors jamais le vendredi vu que j’ai club le samedi matin. Dimanche après-midi ?

— Quel emploi de ministre ! Désolée, mais le dimanche, j'ai entrainement. Lundi soir ? Je finis de bosser à dix-neuf heures. On peut aller à la séance de vingt heures.

— Ça me va ! Tu m’enverras un message pour me confirmer quand même.

— Bien sûr. J’hésitais à t’envoyer un message pour t’inviter de toute façon.

Le cœur de Paloma fit un bond. Agathe, par sa gentillesse et sa bienveillance, donnait à Paloma un sentiment d’importance. Elle avait hésité, elle aussi, à converser par message avec la blonde. Ne serait-ce que pour la remercier. Cependant, gênée et timide, elle avait préféré laisser tomber, ne voulant en aucun cas passer pour la fille pot de colle.

En quittant le magasin, Agathe fit promettre à Paloma de ne pas annuler leur rendez-vous. Curieusement, cette promesse avait enveloppé la jeune fille dans une étreinte chaude. La sensation d’être attendu, désirée, choisie. Elle ne ressentait cela qu’avec Tommy habituellement. Pourtant, le soir même, assise sur son lit, son ordinateur ouvert sur une dissertation qu’elle devait finir, elle se surprenait à saisir son téléphone, échangeant sans interruption des messages avec Agathe. Elle n’avait pas besoin de chercher des sujets de conversation, ni peur des silences. C’est fluide. Naturel.

Paloma s’était endormi ce soir-là avec la bonne nuit d’Agathe, et le sourire aux lèvres, bien qu’elle n’ait eu aucune nouvelle de son amoureux.

La semaine défila. Paloma partagea le lit d’Hugo le mardi et jeudi soir. Au vendredi soir, elle n’eut aucune nouvelle de sa part jusqu’au commencement de la nouvelle semaine. En début d’après-midi, elle reçut :

◄ Tu dors chez moi ce soir

Elle songea un bref instant si l’absence de point d’interrogation était volontaire. Elle préféra faire taire ce doute, déclinant l’invitation. Elle lui expliqua brièvement qu’elle avait prévu une soirée film avec une amie, et qu’elle ne pouvait pas annuler au dernier moment. Elle se relut, mordilla l’ongle de son pouce, et au même moment qu’elle appuya sur envoyer, Agathe venait de joindre un GIF dans leur conversation, exprimant son excitation à l’idée de leur sortie. C’est avec un sourire amusé que la culpabilité de Paloma s’envola.

Son message resta distribué sans être lu.

Vêtue d’une robe blanche aux manches bouffantes, Paloma se regardait dans le miroir avec scepticisme. Elle prit une photo, l’envoyant à Tommy qui valida dans la seconde. Pourtant, Paloma ne parvenait pas à accepter le reflet qu’elle voyait.

— Non, le blanc, ça me met vraiment pas en valeur. Je sais pas pourquoi j’ai acheté cette robe, c’est ridicule.

Elle soupira, trainant des pieds jusqu’à son lit, retirant le tissu pour finalement enfiler sa tenue la plus confortable, celle qui lui permettait de s’effacer dans le décor.

Elle regarda son téléphone. Toujours aucune réponse.

À défaut d’une robe blanche, Paloma décida de mettre en lumière son visage. Arc-en-ciel sur les paupières et liner blanc, elle avait fait attention aux détails. Agathe ne manqua pas de le remarquer en la voyant descendre la rue pavée. Elle écarquilla les yeux, se penchant avant même de l’avoir saluée, elle lui demande :

— Ferme les yeux.

Paloma obtempéra silencieusement.

— C’est trop beau ! Tu gères niveau make-up ! s’extasia Agathe.

Elle papillonna des yeux un instant, les joues cramoisies. Elle remercia timidement la blonde tout en prenant la direction du cinéma d’un pas décidé. Popcorn et soda, Agathe se laisse choir dans l’un des fauteuils rouges du cinéma dans un grand soupire d’aise. Paloma, plus discrète, s’installa sans un bruit, une cup de café à la main. Pendant le défilé des publicités, elles se racontèrent mutuellement leur journée, Paloma parla de la robe blanche, montrant la photo à Agathe. Alors que les lumières se tamisaient, la blonde ne se pencha plus près de Paloma, chuchotant tout bas :

— Le blanc te va à ravir. C’est dommage de t’interdire de t’habiller comme tu veux. La prochaine fois, vient comme tu as envie.

Paloma piqua un fard dans la salle obscure. Agathe l’avait complimenté sans la brusquer et venait de proposer une prochaine fois. Ce n’était pas un sous-entendu, une interprétation, une extrapolation. Non. Avec Agathe, c’est limpide, logique, facile. Pourquoi Hugo n’est pas aussi direct ? Peut-être que c’est moi le problème, songea Paloma en replongeant son attention sur l’écran.

Après la séance, Agathe critiqua tout. Le choix des acteurs, la façon de filmer, l’intrigue. Pour elle, tout avait romantisé, simplifié et embelli.

— Raah ça m’énerve ! Si tu veux voir un vrai match de derby, je t’inviterai à l’un des nôtres ! Tu verras que c’est vachement mieux que ce film nous a vendu ! Tu m’étonnes que personne connaisse notre sport s’ils sortent que des bouses pareilles !

Paloma éclata d’un rire sonore et après une poignée de secondes, Agathe se joignit à elle. Au milieu des rues presque désertes, la blonde raccompagna Paloma jusqu’au pied de son immeuble dans une complicité chaleureuse.

Allongée dans son lit, Paloma regarde la conversation avec Hugo, toujours sans réponse.

► Tu fais la tête

Elle le relit. Le supprima sans l’envoyer.

► Tu veux qu’on se voie demain ?

Cette fois, elle appuya sur la touche d’envoi. Elle attendit. Rien. Elle reposa son téléphone, restant allongée dans le noir. Elle se demanda ce qu’elle avait fait de mal. Elle commença même à s’en vouloir d’avoir refusé. Si elle avait dit oui, elle serait avec lui en ce moment. Même si elle avait adoré cette soirée avec Agathe, elle était comprimée par sa culpabilité. Écrasé par un remords.

Je gâche toujours tout… Et si… il me parlait plus ? Est-ce que notre relation est finie parce que j’ai passé une soirée avec Agathe ? J’aurais dû annuler.

Sans même s’en apercevoir, elle finit par sombrer dans les bras de Morphée, les yeux humides, les pensées emmêlées et le cœur comprimés.

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