Deux lunes dans ce ciel nocturne

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Installée sur mon lit, dans ma chambre, j'avais ressorti mes petits carnets de ma jeune enfance, lorsque je n'étais pas une collégienne insouciante et narquoise, et quand j'écrivais des morceaux d'histoires jamais terminées. Je me rendais compte que je passais des journées entières à griffonner, à gribouiller, à noter et à dessiner, sur ces carnets aux couvertures plastifiées. Des phrases écrites à la hâte avant d'éteindre ma lampe de chevet aux histoires passionantes mais aux chapitres ne faisant pas plus de dix phrases, chaque nouvelle page tournée me donnait le sourire. Je débordais d'imagination, mais, sans m'en rendre vraiment compte, à treize ans, j'avais encore un monde incroyable caché dans mes pensées. Mes récits pouvaient parler de dragons impitoyables, mais aussi de gens comme moi, vivant comme moi, et pensant comme moi.

Il était tard, presque minuit, et mes parents ignoraient que je ne dormais pas. Leurs ronflements perçaient à travers les murs qui séparaient nos deux chambres. Je ne voulais pas me coucher, je voulais encore m'abreuver de mes idées d'enfance, et de tous ces récits que je n'avais jamais terminé. Cependant, il était tard, et je pouvais sentir mes paupières devenir lourdes, mes yeux, progressivement, se fermer...

J'ignorais que cette nuit là un drame allait survenir.

Lorsque je me réveillai, je vis que je me trouvais dans une forêt sombre, baignée par la lumière de la lune. Quelle ne fut pas ma stupeur lorsque, levant les yeux vers le plafond célèste, je ne vis pas un astre lunaire, mais bien deux lunes dans ce ciel nocturne ! Je me rassurai en me disant que je me trouvais une nouvelle fois dans un de mes rêves, dans mon monde imaginaire. Mais une brise glacée se heurta à ma peau, et le froid soudain engourdit tous mes muscles. De plus que je n'étais vêtue que d'un simple pyjama et d'une robe de chambre fourrée ! Mes pieds nus pouvaient sentir la surface glacée de galets plats et pointus. Une odeur d'humus, de neige et de vent des montagnes pénétrait dans mon nez qui commençait à rougir sous le froid... Toutes ses sensations étaient bien réelles, et pourtant, j'étais persuadée qu'il s'agissait tout simplement d'un songe un peu plus réaliste que les autres. Pour éviter de mourir de froid dans cette nuit nordique, je décidai d'explorer un peu les environs tout autour de moi. A peine ai-je fait quelque pas qu'un étrange bruit se fit entendre...

Au loin, l'aube commençait à poindre, derrière les montagnes, et le cliquetis qui me parvenait était celui de roues de métal, comme celles d'une charrette au Moyen-Âge, ou quelque chose qui y ressemblait. Des voix me parvinrent, portées par la brise fraîche qui s'estompait peu à peu. Intriguée, je m'avançai, et je vis en effet une carriole tirée par un puissant cheval de trais de plusieurs centaines de kilogrammes. Le cocher était un homme à la peau pâle et sale, coiffé d'un casque brun et rouge, et habillé d'une sorte de tunique portant les mêmes couleurs. Etrange, on aurait dit une armure... Pourtant, depuis bien longtemps, plus personne ne porte d'armure ni ne conduit une charrette ! Je devais me trouver dans un rêve se passant dans une époque ancienne.

A l'arrière de cette charette étaient installés quatre personnages, l'un portait une somptueuse robe à cape fourrée de plumes et de peaux de bêtes, ses cheveux blonds et longs étaient tressés par endroits, et un baillon obstruait sa bouche. Il y avait également un homme brun habillé de haillons, qui ne cessait de se plaindre en marmonnant des phrases que je ne pus entendre. Le troisième était également blond, et en plus de bonne stature, comme s'il avait un passé de sportif. Il était habillé de bleu et de gris, et affichait une mine plus détendue. La quatrième était une femme, aux cheveux roussâtres, qui dormait sur sa propre épaule. En voyant leurs mains entravées de solides liens, je compris qu'il s'agissait de prisonniers, sans doute destinés à croupir dans une geôle, là où le mystérieux cocher en armure les emmenait.

Je remarquais une autre charrette, qui menait le petit convoi, entièrement chargée d'hommes et de femmes en armure bleue, comme l'homme aux cheveux blonds. Ils insultaient à vive voie le cocher qui conduisait leur voiture, mais il ne répondait pas, sans doute las d'entendre ces mêmes phrases.

Le froid dévorant me rammena à la réalité : et si je demandais à ces gens de m'emmener quelque part où je pourrais me nourrir et me réchauffer ? Ou me procurer des vêtements aussi chauds que les leurs ? Je ne pus réfléchir plus longtemps, car une voix forte et masculine se fit entendre dans mon dos :

  • Que fais-tu là, gamine ? gronda un gaillard habillé de l'armure brune et rouge. C'est un convoi de prisonniers, affaires Impériales.

Je ne compris pas ce qu'il me racontait, et l'implorai :

  • Je ne veux rien déranger, je ne sais pas ce que je fais là, j'ai froid et je...
  • Très bien, je vais voir ce que je peux faire pour toi, soupira le soldat en levant les yeux au ciel. Mais si tu t'avises de faire quoi que ce soit...
  • Je vous promets de rester tranquille, dis-je, un peu plus rassurée.

Le froid semblait me déchirer de l'intérieur, et pourtant, toutes les personnes présentes, en armures ou en tuniques à manches courtes, ne souffraient point du froid. L'homme - comme il l'avait dit il devait être l'un de ces Impériaux - m'aida à me hisser aux côtés du cocher de la dernière carriole, après lui avoir rapidement expliqué la situation.

  • Ca ne va pas plair au commandant, maugréa celui-ci, tout en me faisant une petite place à ses côtés.
  • Tu préfères la laisser mourir de froid ou des loups ? répliqua son collègue, en marchant à côté de la charrette de prisonniers. Et que ses parents nous accusent de ne pas l'avoir aidée ? Ce n'est pas de cette manière que l'Empire va gagner la guerre, si tu veux mon avis.

Son compagnon ne répondit pas. Mais il avait parlé d'une guerre ? Dans quel pétrin m'étais-je fourrée ?

Soudain, la femme aux cheveux roux cendré assise à l'arrière inspira bruyamment, et se réveilla en un sursaut, ses yeux noisette affolés cherchant du regard quelque chose qui n'existait pas. Le blond à l'armure bleue devant elle lui sourit gentiment.

  • Enfin réveillée ? demanda-t-il. Ca tombe bien, je pense qu'on en a plus pour très longtemps.
  • Par Shor, où nous emmennent-ils ? s'exclama le brun en tunique de jute.
  • La fin du voyage, quelque part en Epervine, d'après les pins clairs qui nous entourent. Je peux déjà sentir la fumée des maudits brasiers de la ville où ils nous conduisent.
  • Pardon ? s'étrangla la femme, elle aussi vêtue d'un habit minime semblable. Il y a un malentendu, je ne sais pas ce que je fais là !

Intérieurement, je me dis qu'elle devait être comme moi, perdue dans cet univers un peu étrange. Sauf que sa phrase suivante effaça mes derniers doutes.

  • J'ai été surprise par une bataille entre Sombrages et Impériaux, et ils m'ont prise pour l'une des vôtres !
  • Pourquoi diable portiez-vous une armure Sombrage ? railla le voleur en haillons, en fronçant le nez. On ne trouve pas les ennuis sans les chercher !
  • Ca n'a plus d'importance, gronda l'homme aux cheveux blonds mi-longs, tout en fixant la personne vêtue de la robe de fourrure. J'étais honnoré de me battre à vos côtés, mon Haut-roi.
  • Silence, derrière ! s'exclama vivement l'Impérial assis près de moi, en détournant un instant le regard de la route où il conduisait.

Je compris que ces hommes en tuniques bleues étaient de vaillants guerriers combattant non pour survivre, mais pour l'honneur et la gloire. La personne baillonée assise à côté de la rouquine devait être leur chef. Leur destin était scellé, et pourtant ces "Sombrages" ne semblaient pas avoir peur de mourir. Ils devaient le savoir, au fond, qu'un jour la situation ne pencherait plus en leur faveur. C'était assez triste, en fait. Je sentis mes mains devenir moites, et je me mis à espérer sortir bientôt de cet enfer.

Les murs d'un village m'apparurent bientôt. En haut, des soldats fixaient le convoi qui passait, examinant de leur perchoir chaque prisonnier. Mon regard se tourna vers trois curieux personnages, portant de solides armures dorées et scintillantes. L'un d'entre eux, une femme, a priori, était montée sur un cheval, et sa peau était étrangement jaunâtre. Ses yeux de félin me scrutèrent avec hargne, et je fus obligée de détourner le regard, parcourue d'un frisson.

  • Qui sont ces gens là ? demandai-je, en les désignant du menton, sans pour autant regarder la femme à cheval aux yeux tueurs.
  • Des Thalmors, des Hauts-Elfes du Domaine Aldmeri, me répondit le cocher en accélérant la cadence de son cheval, alors que la charrette arrivait près de la place principale.
  • Vous avez dit des elfes ? m'étranglai-je, éberluée.
  • Bien sûr, en quoi ça t'étonnes ? grogna-t-il, en arrêtant sa voiture à a même hauteur que l'autre.

D'un geste de la tête, il m'invita à descendre. J'avais les jambes qui tremblaient d'appréhension, je venais d'appercevoir la tête encagoulée d'un bourreau tenant une impressionante hache déjà maculée de... de sang ! Quelle vision d'horreur ! Ce n'était plus un rêve, mais un cauchemard !

Le soldat en armure brune et rouge me conduisit près d'un homme à la forte stature, vêtu d'une simple tunique couleur miel de paysan, et lui glissa quelques mots à l'oreille. L'homme acquiesça, puis glissa un main réconfortante sur mes épaules. Il m'ammena à l'intérieur d'une sorte de maison au toit de chaume, et aux murs de bois épais. A l'intérieur brûlait un foyer, et une femme touillait une cuillère dans une casserole.

  • Que se passe-t-il ? demandai-je, ma voix tremblant sous l'effet de la peur.

Je n'ignorais pas que les prisonniers allaient être exécutés dans les minutes qui allaient suivre, mais j'étais prisonnière d'un songe étonnement réaliste qui devenait de plus en plus glauque.

  • Tout va bien aller, sourit l'homme barbu devant moi. Les Impériaux vont exécuter ces chiens de Sombrages, dont leur chef, et la guerre se terminera ainsi. Je ne veux pas manquer cela. Fraiga ! s'écria-t-il ensuite en direction de la femme. Garde-la à l'intérieur le temps que ça se passe, ordre du général Tullius !
  • Viens ici ma fille, m'accueillit-elle.

Fraiga était une femme assez âgée, je lui donnais la soixantaine, sans doute la mère de l'homme à qui le soldat Impérial m'avait confiée. Elle était habillée d'une robe jaune un peu poussiéreuse, et ses cheveux grisonnants étaient coiffés sous un bonnet de lin blanc particulièrement laid. Ses mains fripées me tendirent un bol de bouillon de quelque chose, des légumes oranges et verts flottant dans un liquide fumant. Moi qui n'étais pas vraiment friande de soupe, ce potage avait un goût très équilibré, relevé d'une note sucrée, provenant certainement d'une quelconque herbe que la femme avait ajouté dedans.

Elle m'invita à m'assoir sur le lit, puis me passa un couverture autour des épaules, pour m'aider à me réchauffer. Les sensations me revinrent, et je me sentis beaucoup mieux. Je me tournai vers Fraiga.

  • Quelqu'un peut me dire où je suis ? fis-je, encore chamboulée de tout ce qui venait de se passer.
  • Tu es à Helgen, dans ma maison et celle de mon fils, expliqua la vieille femme. Les Impériaux, ceux à qui appartiennent les terres où nous nous trouvons, ont capturé tout un bataillon de Sombrages, qu'ils vont exécuter aujourd'hui.
  • Mais pourquoi ?
  • Ils sont du mauvais côté, sourit tristement Fraiga. Il n'y a de la place que pour les vainqueurs, ici, en Bordeciel.
  • En quoi ?
  • Mais d'où viens-tu, ma petite ? s'esclaffa-t-elle. Bordeciel est la terre au Nord de Tamriel, la terre des Nordiques ! Les Impériaux vont sans doute la raccrocher à Cyrodiil, une fois la guerre remportée.
  • Il y a un énorme malentendu, m'exclamai-je, en me redressant d'un bond. Je vis à Paris, et je ne sais absolument pas ce que je fais ici !
  • Paris ?

Profondément agacée, j'oubliai alors l'exécution publique qui devait se produire, et je me dirigeai d'un pas décidé vers la porte.

  • Non, arrête ! s'écria Fraiga en voulant me rattraper. Tu ne dois pas sort...

Une formidable détonation se fit entendre. Tout le toit se brisa, et un énorme roc enflammé surgi de nulle part pénétra dans un violent fracas à l'intérieur de la chaumière, pour retomber sur la vieille femme, qui disparut dans les décombres. J'ouvris la porte à la volée, pour échapper au brasier qui commençait à prendre forme, et découvris une scène apocalyptique. Des rocs tombaient du ciel, des soldats de chaque camps confondus qui couraient en tout sens, le cadavre du bourreau sous une montagne de caillous noirs... Les archers Impériaux avaient bandé leurs arcs, et visaient le ciel. Le ciel ?

Un rugissement à vous déchirer les tympans provenant d'au-dessus de ma tête résonna dans toute la ville, et une pluie de rochers en feu tomba à nouveau sur Helgen. Ce que je vis, je m'en souviendrais à jamais. Immense, c'était une immense créture, entièremment recouverte d'écailles noires et hérissées, sa tête allongée disposait de nombreux crocs, ses yeux étaient rouges comme ceux d'un démon, et il avait en sa possession deux ailes plus grandes que des maisons. Un dragon. C'était un dragon, le plus gros dragon de tous les temps. De sa voix grave, il semblait ricaner. A vrai dire, il prononçait des mots, des mots terrifiants, sans queue ni tête, qui retentissaient dans mon cerveau comme mille hommes criant la même chose. Le vacarme produit par la bête, les rocs tombant du ciel, et toutes ces personnes qui hurlaient de peur me faisait tourner la tête.

Je fus projetée en avant lorsque le porche de la maison de Fraiga - qui n'était sans doute plus du monde des vivants, à présent - explosa, suite à une pluie de caillous carbonisés. Au contact des pierres qui dallaient la cour, mes genoux s'écorchèrent au travers de mon pyjama, et mes mains furent brûlées par les rochers qui cinglaient l'air. Comment ce ciel matinal aussi clair avait-il put être noirci à tel point ? Pourquoi un dragon attaquait-il ? Où étais-je ?

Soudain, je sentis qu'on me soulevais du sol, et qu'on me hissait sur une épaule. Il s'agissait de l'homme blond portant l'armure bleue, dans le chariot où j'avait été issée, il y avait à peine une demie-heure. Il était suivi de la femme aux cheveux roux, le visage noirci de cendres. Ils m'emmenèrent dans la tour d'un donjon, où la porte se referma juste derrière nous. Des Sombrages gisaient, agonisant dans des flaques de sang. Cette vision me fit vomir par-dessus l'épaule de mon sauveur.

  • Ouh là, tout doux, souffla-t-il, en me reposant au sol, toute pâle.

Il s'adressa ensuite à l'homme à la robe de fourrure, dont le baillon avait été arraché.

Le monde, autour de moi, tournait à une vitesse ahurissante. J'étais à présent persuadée qu'il ne s'agissait pas d'un rêve, car, dans un songe, rien ne peut être aussi organisée et aussi... réel, de par les émotions et les sensations que je ressentai. La femme aux cheveux roux se pencha vers moi.

  • On va réussir à s'enfuir d'ici, ne t'en fait pas, sourit-elle, malgré la douleur qui déformait également son visage.

Un nouveau rugissement du dragon fit réagir le blond musclé, qui saisit une hache et qui ordonna à la rouquine de monter en haut de la tour. Il me remit sur ses épaules, et nous montâmes en haut du donjon, comme prévu. Sous nos yeux horrifiés, le dragon détruisit un mur, et cracha de formidables flammes orangées et destructrices dans notre direction. Sans plus attendre, nous nous mîmes à couvert derrière un morceau de pierre délogée, nous protégeant ainsi de son souffle mortel, roussisant juste la pointe de nos cheveux. Une fois le monstre noir parti, le Sombrage et la prisonnière en haillons se hissèrent au bord du trou créé par le dragon.

  • Sautez sur le toit de cette auberge, vous deux ! nous hurla l'homme, en faisant demi-tour.
  • Il... il a dit de sauter ? balbutiai-je.
  • Alors on saute, répliqua la femme.

Elle me prit dans ses bras, et, sans plus attendre, s'élança dans le vide. Ses jambes heurtèrent un pan du toit en chaume, ce qui amortit notre chute, puis nous descendîmes.

Un Impérial aidait un jeune garçon d'environ huit ans à se mettre à couvert derrière une maison enflammée, devenue un véritable brasier sous le feu du dragon. Lorsqu'il nous vit, il nous ordonna de le suivre, ce que nous fîmes, soulagées d'être encore prises en main.

Après un long chemin entre les baraques carbonisées et les corps blessés, parfois sans vie - à ma grande horreur -, nous arrivèrent devant un grand bâtiment tout fait de pierre, qui nous protégerai du dragon. Nous aperçûmes le Sombrage aux cheveux blonds, qui nous fit signe de le rejoindre. Epuisée de m'avoir porté, la rouquine me laissa tomber entre les bras de notre sauveur, et nous pénétrâmes dans le donjon.

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