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Arrivée au Tribunal, j’enfile ma toge, puis prends mon miroir de poche, me recoiffe, essuie les traces de maquillage sous les yeux. Un coup de blush, je suis prête.

Je retrouve Miguel dans la salle d’audience, ainsi que les avocats. Je m’installe, tapote les dossiers. Maître Allard recommence sa plaidoirie. J’écoute à moitié. Tout de même, cette phrase et ce dessin sont étranges. L’écrit de ma mère aussi. Certains mots qu’elle a utilisés m’interpellent, comme « bras droit », « criminel », « padroni », « règles », « extorsion », « respect »… tournent en boucle dans mon esprit. Mon cœur tambourine. Et l’arme du gosse… une mitraillette…, oui, c’est ça le nom. Je serre le marteau dans ma main. Quelque chose me déplaît dans cette histoire. Je n’aime pas ça.

— Madame la juge !

La voix forte de Maître Allard me fait sursauter.

— Oui ?

Maître Allard s'approche et se penche vers moi pour me parler à voix basse.

— Bon sang, Madame la juge, je n’arrête pas de vous appeler. Vous n’avez pas répondu à la question...

— Pardon, quelle question ?

Il souffle exagérément pour me montrer son agacement, tape du pied, furieux. Je n’ai pas la tête au procès. Je tape avec mon marteau. Les gens chuchotent, puis tous sortent de la salle. Dossier sous le bras, je descends de l’estrade, puis file dans mon bureau. Je me sers un café à la machine à dosettes Nespresso. Vingt minutes plus tard, quelqu'un frappe à ma porte. Je lui dis d'entrer, c'est Maître Allard.

— Juge Walker, vous avez une minute ?

— Oui ?

— Que vous arrive-t-il ?

— Rien, pourquoi cette question ?

— Juge Walker, vous étiez dans la lune tout le long du procès.

— Seulement un peu de fatigue.

— Pas de ça avec moi. Écoutez, l’inspecteur Jefferson m’a informé de votre dossier.

— Lequel ?

— Le vôtre ! Vous êtes trainée en justice pour une affaire vieille comme Hérode !

— Oui, soupiré-je.

— Vous n'avez pas la tête à juger le cas de Miguel.

Je le regarde sévèrement, puis il quitte la pièce, penaud. Au fond, il a peut-être raison, cette histoire me préocupe plus que je ne veux l'admettre. L’affaire médiatique de mon grand-père peut me causer du tort, et s’il est bien coupable du meurtre de Robert Tucker, je n'ose imaginer l’ampleur des répercutions que cela entraînera au sein du tribunal. Une chose que je souhaite ardemment éviter. Sans parler de ma réputation au sein de la profession... Je soupire. Les ragots se propagent comme une traînée de poudre. Il vaut mieux que je reporte le procès de Miguel à une date ultérieure, le temps qu’il me faudra pour que cette enquête soit résolue.

Je fais part de ma décision à Maître Allard et de Maître Gonzalez. Je me lève, prends mes affaires, sors du Tribunal.

Je grimpe dans ma Mercedes, puis file directement chez ma mère. Arrivée, je monte au grenier. Je prends le carnet « famille » et le relis une seconde fois. Quelque chose me turlupine. Mais quoi ? Je fronce les sourcils. Je chope la photo. La phrase ! J’attrape mon téléphone dans mon sac à main. J’utilise Google Traduction. « Pour faire des affaires en silence, vivons cachés ». Hum… Ma main tremble. Je navigue sur les résultats du dessous. « Voyages à Naples », puis j’écarquille les yeux, je lis « Camorra », « Napoli », « Roberto Saviano » et … « Mafia ». Je bute sur ce dernier mot. Ma respiration s’accélère. Tout à coup, je vois des étoiles. Je m’assieds lourdement. Le parquet grince. C’est pas possible, dans quel bourbier vais-je m’embarquer ? Dois-je réparation aux Tucker ? Un cliché, une page et déjà mon cœur palpite à tout rompre. Tout se bouscule dans ma tête, je commence à paniquer. Comment vais-je pouvoir leur payer les 500 000 dollars ? Impossible ! Et si les gens découvrent que le grand-père d’une Juge des mineurs appartenait à un clan mafieux, que va-t-il advenir de ma carrière ? De ma famille ? De moi ?

Je me lève, marche de long en large dans le grenier. Je me rassois en tailleur, en posture de Yoga cette fois. Je commence à égaliser les quatre temps respiratoires du Pranayama appris avec la coach Indira. Cette discipline est censée m’aider à me calmer lors de moments de stress et d’anxiété. Six mois que je pratique cet exercice du souffle pour m'avancer sur la voie du prāṇa, l’énergie vitale universelle. Une idée de Tiffany. Pourvu que ces cours et ces trajets au centre Iyengar Yoga Institute de San Francisco, tous les mardis soirs, me servent enfin à quelque chose. Je tente, je respire, cela semble fonctionner, je m’apaise.

Puis, je regarde la photo une nouvelle fois. Ce n’est pas un jeu… Je voudrais me tromper… Je me replonge dans la lecture. Je dois comprendre ce qui a amené les Tucker à accuser mon grand-père. Un indice doit bien se trouver quelque part parmi ces lignes. Il faut que j’épluche ces carnets dans l’ordre, de manière organisée pour appréhender sa version de l’histoire. J’en parlerai à l’inspecteur, si je découvre des éléments pour l’enquête. Mais si les médias fourrent leur nez là-dedans… Je suis fichue. Je penche la tête en arrière. Ah pitié !

Tiens…, que fait ce jouet en bois sur cette armoire bancale ? Un pantin ? Je me lève, m’approche de l'objet usé, à la peinture rouge écaillée et aux points noirs à la place des yeux. Son long nez est pointu et rayé. Un Pinocchio, avec de longs bâtons de bois pour les jambes et les bras. Il n’a pas de mains, les bouts semblent avoir été rabotés. Fabrication qui me semble très artisanale, par rapport aux jouets en bois que l'on trouve à la boutique « Jeffrey's Toys » sur Kearny Street. Je ne me souviens pas l’avoir déjà vu. Je le retourne, il est couvert de poussière. Je glisse une main sur son dos, me pique le bout du majeur avec une écharde qui dépasse. Je suce le sang qui sort de mon doigt, puis penche le pantin et la tête, constate deux lettres gravées en majuscules : « E.C ». Je fronce les sourcils. Des initiales ? Mais qui désignent-elles ? Ma mère, non, mon grand-père, non plus, ma grand-mère peut-être ? Ou alors, des lettres en rapport avec… Je secoue la tête, je ne veux pas penser à cette option. Que me cachais-tu, maman ?

Mes mains tremblent, je grelotte, non pas de froid, mais d’anxiété. J’ouvre le deuxième carnet sur lequel est inscrit, sur la couverture vert foncé, le numéro « 1 ». En haut de la première page est écrit : Lisa - Jour 1 et la date : 10 septembre 1943.

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