8

3 minutes de lecture

San Francisco, 2012

Premier carnet terminé. Je le referme, le presse entre mes mains. Mon cœur bat à tout rompre, et je sens mes lèvres trembler pendant qu’un frisson glacial me traverse le corps. Je me frictionne les bras. Vite, Pranayama ! Je souffle. Je n’arrive pas à me calmer. Deuxième solution, j’appelle Matthew.

— Oui chérie ?

— Viens vite !

— Il est à peine 15 heures et je n’ai pas terminé mon appel d’offre. Tu sais, celui dont je t’ai parlé, le contrat pour une entreprise de BTP pour la construction de la tour Salesforce, dans le quartier de South of Market. Le chantier doit démarrer en 2013 et…

— Tu finiras demain !

— Je dois le rendre avant ce soir.

— Finis après !

— D’accord, d’accord, calme-toi.

J’ai peut-être crié un peu fort… Je tourne en rond en attendant mon mari. Je me ronge les ongles. Ce vieux pantin de bois me scrute. Il me cherche ? Je le prends et le fourre dans l’armoire. Il ne me regardera plus comme ça. J’entends la porte d’entrée s’ouvrir. Matthew arrive dans le grenier. Je lui saute dessus. Je lui mets le carnet sous le nez.

— Regarde ça !

Je ne tiens pas compte de son air ahuri, et continue d’insister.

— Lis et dis-moi ce que tu en penses.

— Euh…

— Et la photo aussi !

Je ne lui laisse même pas le temps de retirer son manteau. Et je ne culpabilise absolument pas. Je veux savoir s’il pense comme moi ! Je le regarde s’installer sur une chaise, puis mettre ses lunettes. Dépêche-toi ! Il scrute la photo, la retourne. Je le laisse chercher la traduction sur Google. Il se contente de marmonner des « hum hum » agaçants, et enfin, il lit les notes de ma mère. Je continue de me ronger les ongles en attendant. Ça y est, il a fini. Il ferme le carnet en lâchant un long soupir.

— Alors ?

— C’est un mafieux.

— Nooooon ! dis-je en me prenant la tête entre les mains.

— Comment ça « non » ? C’est ce que je comprends.

— Je veux dire « non », dans le sens où tu as vu comme moi !

— Je ne te suis plus…

— Aah t’es nouille !

Je lui arrache le carnet des mains.

— Si les journalistes divulguent cette information, ma carrière est foutue !

— Écoute, ils feront la part des choses, et…

— Les médias ? Alors là, tu rêves !

— Tu devrais plutôt avoir pitié pour lui…

— Qui ça ?

— Jack… C’est horrible ce qu’il a vécu. Je n’ose même pas imaginer la peur qu’il a dû ressentir à ce moment-là… Pauvre gosse…

Je le regarde, bras ballants. Ça ne m’est même pas venu à l’esprit. Suis-je devenue si insensible ? Je croirais entendre mon fils, Dylan. Ses reproches à propos de mon manque d’empathie envers ces jeunes délinquants qui échouent dans mon Tribunal, résonnent en moi. Matthew m’observe avec des yeux à la fois doux et tristes.

— Si ce qu’elle dit est vrai… dis-je.

— Pardon ?

— Elle peut très bien avoir inventé cette histoire pour se rendre intéressante.

— Quel intérêt ?

— À quatorze ans, tout est possible. Une crise d’adolescence, un refus des règles et des limites, de l’impulsivité, une recherche de reconnaissance. Souviens-toi de Dylan au même âge.

— Chloé, elle parle de meurtre !

— Comment un père peut-il parler de meurtre à sa propre fille ? C’est insensé.

— Elle ne peut pas l’avoir inventé.

— Je m’attendais à lire son journal intime, pas la vie criminelle de son père.

— Chloé…

— Je n’arrive pas à y croire.

Matthew ne répond pas, il se lève, repart au boulot sans un mot. Les larmes me montent aux yeux.

Je m’assieds sur le sol, à côté du coffre, puis reste un instant à observer le ciel par la fenêtre du toit. Le soleil disparaît derrière les nuages, qui s’agglutinent les uns aux autres. Il commence à pleuvoir. J’allume la lampe sur pied, puis ouvre le carnet suivant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire LauraAnco ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0