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Une semaine plus tard, Alberto rentre à la maison. Daniela est heureuse.

Quelqu'un frappe à la porte et entre dans ma chambre. C'est mon frère.

— Hey, Jack, comment ça va ?

Je le fusille du regard.

— Tu oses me demander « comment ça va ? »

Alberto se sent confus, se frotte l’arrière de la tête.

— C’est-à-dire que…

Je dévisage mon frère de mon regard noir.

— Jamais je ne te pardonnerai Al. Jamais ! Tu m’entends ?!

— C’était un accident ! Okay ? Un accident !

— Tu ne sais pas te servir d’une arme. Qu’est-ce que tu foutais avec ?

— C’est papa qui me l’a donné ! J’ai le droit de me défendre aussi !

— Comment as-tu pu faire une chose pareille ?!

— Je viens de te le dire ! C’était un accident !

— T’as tué ma copine, une innocente.

— Et toi alors ? T’as bien tué un pauvre type menotté ! C’est pas lâche de faire ça p’têt ? Et un simple épicier ! T’es mal placé pour me faire la morale !

Hélas, Alberto n’a pas tout à fait tort. Je mets quelques secondes avant de répondre, me mordillant la lèvre inférieure, irrité par les remarques de mon frère.

— Marco m’a menacé à cette époque de son arme sur ma tempe. De plus, ces deux types étaient des adultes !

— Cherche autant d’excuses que tu voudras, ça ne changera rien au fait que toi aussi t’as tué des innocents. Et y a une différence non négligeable entre nous. Pour moi, c’était un coup accidentel. Alors que toi, c’était délibéré.

Sur ces mots, Alberto sort en trombe de ma chambre, en claquant la porte derrière lui. Furieux, je pique une crise en donnant de violents coups de pieds dans la commode. L’un des tiroirs se brise en deux. Marco débarque lui aussi.

— C’est quoi tout ce bordel ?

Ses yeux s’attardent sur le meuble abimé.

— Ça ne t’a pas suffit un jour dans la cave ? Tu veux y retourner ?

— Non.

— Alors, tiens-toi tranquille.

Il claque la porte. Je suis fatigué. Je tente d’oublier, mais je n’y arrive pas. Deux jours passent. Je suis blotti dans le fauteuil du salon, situé près de la fenêtre, un livre à la main. Je ne le lis même pas. Je regarde le ciel parsemé de nuages blancs. Mon esprit divague, rêve de liberté. Maria est là aussi. Elle boit un café sur la table basse.

Marco entre dans le salon et me jette le quotidien à la figure.

— Tiens, regarde ça !

Puis, il repart en riant. Maria pose son café, me rejoint pour regarder le journal.

— De quoi parle l’article ?

— Du décès de Sofia… C’est un article de la United Press. Ils précisent que le meurtre a été perpétué par un Italien…

— Ça ne va faire qu’empirer les stéréotypes sur les italo-américains.

— Ouais… Et encore une fois, l’affaire Sacco et Vanzetti a été citée… Qui plus est, les organisations italiennes ayant pris de l’ampleur, la communauté est bien mal aimée.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Rien… Même si je suis né aux États-Unis, je n’en reste pas moins qu’un fils d’immigrés italiens, un enfant violent. Pour ces raisons, il serait malvenu que j’assiste aux funérailles de Sofia. En plus, Milo a tout vu…

— C’est qui Milo ?

— Un ancien camarade de classe. Je ne t’en ai pas parlé, car Marco a tué son père…

— Mon Dieu ! dit-elle, main plaquée sur la bouche.

— Milo était là quand Marco a frappé son père, et il est revenu le tuer deux jours après… Il n’a pas pu payer son loyer…

— Effectivement… tu ne peux pas retourner à l’école après ça.

Je fronce les sourcils et serre le journal entre mes mains. En vérité, cette histoire arrange Marco. Pour lui, l’école n’est qu’une perte de temps pour des gens insipides.

Mais je refuse d’abandonner aussi facilement. Je continue à étudier en cachette. Je dois bien ça à Madame Johnson. Pour ce faire, je rends visite régulièrement à La Madre Giacinta pour qu’elle me fournisse les livres scolaires dont j’ai besoin pour étudier. Maria accepte volontiers de m’aider sur les apprentissages.

Je rumine. N’ai-je pas été assez vigilant ? Qu’aurais-je dû faire ? Jamais je n’aurais pu imaginer qu’Alberto tire par inadvertance sur Sofia. Si j’avais eu mon Colt sur moi, aurais-je pu agir ? Je m’emporte, balance le journal contre le mur du salon, hurlant en même temps des grossièretés. Il tombe sur un vase. Celui-ci chancelle et se brise sur le sol, en plusieurs morceaux. Je ne tiens pas en place, je me lève, me dirige vers ma chambre d’un pas rapide, les poings serrés. Dorénavant, je porterai toujours mon Colt sur moi. Daniela croise mon chemin. Elle remarque le vase brisé. Je m’en fous. Je l’ignore.

Quelques semaines plus tard, je cueille quatorze roses de couleur fuchsia dans le jardin. Je retire minutieusement les épines avec un couteau, puis réalise un nœud avec un ruban rouge, emprunté à Valentina, pour former un bouquet. Je sors avec. Direction le cimetière du quartier, situé à l’angle de rue de Greenwich Street et Powell Street.

Je déambule dans les allées, regardant partout, à la recherche de la tombe de Sofia. Au bout de quelques minutes, je trouve enfin la stèle et la dalle sommaire.

« Sofia CONTINI – 1912-1926 ».

Je dépose le bouquet, puis me tient debout, triste.

— Je suis désolé Sofia… Je n’ai pas su te protéger… Repose en paix.

Je retiens mes larmes. Je repars.

Dans l’allée principale, je croise Lenny. Qu’est-ce qu’il fiche ici ? Je baisse la tête, accélère le pas. Il me reconnait, se précipite vers moi. Il m’attrape le bras.

— Hey ! Pas si vite !

— Qu’est-ce que vous voulez ?

Lenny lève la tête, regarde en direction de l’endroit d’où je viens. Il plisse les yeux.

— Tu étais sur la tombe de Sofia ?

Lenny se penche vers moi.

— C’est toi qui a tué cette gamine ?

— Quoi ? Non !

— Menteur ! Je sais que tu étais le petit ami de Sofia ! Je suis professeur aussi je te signale ! Je me suis renseigné sur toi !

Je commence à m’inquiéter, essayant de me libérer de son emprise.

— Tous les professeurs ne parlent que de ça dans les écoles !

— Hein ?

— Du meurtre sauvage de cette jeune fille ! Tout le monde sait qu’elle était amoureuse de toi !

— Je… Je ne l’ai pas tué !

— J’aimais Lindsay tu sais. Elle n’avait que vingt-quatre ans. Et tu me l’as prise ! Tu l’as enlevée de ma vie ! Tu as détruit notre vie !

Lenny m’empoigne fermement par les épaules.

— Je suis désolé… Je ne pensais pas que… Jamais… Je ne voulais pas…

— Tu les as tués n’est-ce pas ?

— Non !

— Pourquoi ? Pourquoi as-tu tué Lindsay Johnson ?!

Lenny me secoue violemment et me pousse brutalement. Je tombe à la renverse. Il me saute dessus, serre mon cou avec ses mains. Comme moyen de défense, je lui griffe les mains, racle mes pieds sur le sol graveleux. Je commence à étouffer.

Quant à Lenny, dents serrées, sourcils froncés, bras tremblants, il resserre son étreinte.

— Tu l’as tuée ! Sale… Ordure !

Je ferme les yeux, envoie un fort coup de genou dans l’abdomen de Lenny, qui finit par me lâcher. Il crie de douleur. Je me mets à quatre pattes et tousse, reprends ma respiration.

Il attrape mon pied gauche, me tire vers lui. Je me tourne à moitié, avec mon pied droit, je lui donne un violent coup dans le nez. L’arête craque. Il me lâche, hurle en tenant son nez cassé. Le sang coule abondamment de ses narines.

— Sale gosse !

Je me relève, il m’agrippe le bras pour m’empêcher de fuir. Pour me défendre, j’envoie des coups de genou dans son bas ventre. Il me relâche, se plie en deux, je lui donne un coup de poing dans la mâchoire. Du sang gicle du coin de ses lèvres. Je me prépare à lui administrer un autre coup. Mais je suis stoppé dans mon geste, par une main ferme. Je me retourne, je tombe sur Kenneth.

— C’est pas vrai ! Encore toi ?!

— Arrêtez ce gamin ! hurle Lenny en pointant son doigt vers moi.

— Quoi ?! Je n’ai rien fait ! C’est vous qui m’avez attaqué !

Je me débats avec énergie, me libère de l’emprise du policier.

— Arrête de gesticuler !

Le collègue de Kenneth me frappe avec sa matraque, direct dans le dos. Je tombe à plat ventre, gémit de douleur. Ça, ça fait mal. Les deux gars se précipitent sur moi pour me mettre les mains dans le dos et les attacher avec des menottes.

— Enfermez-le ! s’emporte Lenny. C’est un putain de tueur !

— Calme-toi Lenny ! Tu es professeur bon sang ! Tu devrais faire preuve de plus de patience et de discernement envers les enfants !

— Ce n’est pas un gamin comme les autres, c’est un criminel ! Il a tué Lindsay !

— C’est faux ! dis-je.

— Menteur !

— Rentre chez toi Lenny ! suggère Kenneth. On s’occupe de lui !

— T’es un sale gosse, Jack, souffle nerveusement Lenny. T’es… une belle ordure ! Un meurtrier ! Rien qu’un p’tit merdeux !

Je fixe Lenny, les dents serrées, les poings tremblants.

— Allez, on l’embarque, lance Kenneth.

Lenny essuie son visage tuméfié. Il esquisse un sourire, satisfait que je me fasse embarquer par les flics. Il ne me quitte pas des yeux. Des visiteurs contemplent la scène, au loin. Lenny se met à crier.

— Va crever !

Je tremble de colère. Je retiens mes larmes. Je n’ai plus l’âge de pleurer. Les deux policiers me poussent dans leur voiture. Ils me conduisent au poste.

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