33

15 minutes de lecture

Marco débarque dans le salon. Il m’interrompt dans ma lecture, en claquant la porte, je sursaute. Valentina aussi. Le vernis rouge de son gros orteil dérape sur sa peau. Elle peste. Bien fait, c’est crade de se vernir les ongles des doigts de pied sur la table basse, juste sous mon nez. Marco se poste devant moi, roule son journal entre ses mains, me tape la tête avec.

— Jack !

— Oui… ?

Marco pose une main sur le dossier du fauteuil. Il se penche vers moi.

— Bon, tu sais conduire et te battre. Il ne te reste plus que l’apprentissage du sexe.

Encore cette idée ? Il va me lâcher avec ça, oui ?!

— Je te le répète, je sais déjà….

— Et moi, je te dis que non !

Valentina pouffe de rire.

— Ça devient gênant là…

— Un homme doit dominer dans toutes les disciplines de vie. Ce soir, je t’emmène chez BigJo !

Marco se redresse et sort du salon en se frottant les mains. Valentina éclate de rire.

— Arrête de rire !

Mais elle n’arrive pas à s’arrêter. D’une humeur massacrante, je pars m’aérer l’esprit dans le jardin. Je sors le sachet de ma poche. Je l’ai gardé. Mais je n’y touche pas. Je me contente de le regarder. J’hésite encore à en prendre.

Le soir venu, Marco m’emmène sur les Docks pour y rencontrer BigJo. Un homme d’une cinquantaine d’années, corpulent, chauve et barbe grise de trois jours. Il porte des chaines en or autour du cou et une chemise entrouverte en soie colorée. Le cliché du mac. Je secoue la tête, pauvre type. Marco annonce avoir besoin d’une de ses filles, pour que j’apprenne les choses de la vie. Je fais la moue, mains dans les poches. Tous les deux partent dans un rire sarcastique, en s’allumant un cigare.

— Okay, j’ai ce qu’il te faut, annonce BigJo.

Il ramène une prostituée, du nom de Linda, vingt ans, petite, menue avec une robe courte et fluide de couleur crème. Très maquillée, trop même. Un maquillage qui assombrit son visage fin. Trait de liner épais autour des yeux, fard à paupières ostentatoire, rouge à lèvres écarlate et chevelure noire épaisse… Bof.

— Voici Linda. Elle a tout juste huit mois de métier, mais elle fera l’affaire.

BigJo donne une tape sur les fesses de Linda.

— C’est qu’elle est déjà sacrément douée la p’tite !

Il donne un jeu de clés à la fille. Celles d’une chambre d’hôtel située au-dessus de son club clandestin. Une maison close en réalité. J'emboite le pas de Linda, toujours renfrogné. En montant l’escalier menant aux chambres, je jette un regard noir vers mon père. Ils sont en pleine conversation. Ils me surveillent du coin de l’œil. Je ne suis pas d’humeur. Les bruits des ébats sexuels me rappelle ma rencontre avec Angelica…

Arrivés dans la chambre, je prends la parole.

— Écoute je sais déjà comment faire.

— Ah oui ?

— Je ne suis plus puceau, j’ai une petite amie, enfin… j’avais…

Je baisse la tête, en me passant une main dans les cheveux.

— Que veux-tu dire par « avais » ? Tu l’as plaquée ?

— Non… Elle a été…

Je ne peux pas lui dire qu’elle est morte. Je réfléchis à la tournure de ma phrase.

— Ça s’est terminé entre nous… Simplement…

— Ah…

Elle s’assied sur le lit, prend une posture des plus explicites.

— Tu veux commencer par quoi alors ?

J’agite les mains.

— Rien ! dis-je sur un ton de panique.

Je me racle la gorge. Je recommence.

— Euh… rien. Je ne te toucherai pas ce soir.

— Je ne te plais pas ?

— Si, mais mon père m’a ramené ici sans demander mon avis, alors, bon, je ne suis pas chaud…

— À cause de ta petite amie, c’est ça ?

Linda se redresse, croise les jambes. Je m’assois à côté d’elle. Je me repasse une main dans les cheveux. Un geste nerveux.

— Oui. Je pense encore à elle. Je n’ai ni l’envie, ni le désir de coucher avec une autre femme pour le moment.

— T’es trop mignon. Si tous les hommes pouvaient être comme toi.

Je souris tristement.

— Tu comprends alors ?

— Oui, mais… si je ne fais rien, mon Mac va me tuer, c’est mon job, s’il n’entend pas de bruit, il va… je…

Elle se met à sangloter et les larmes commencent à couler sur ses joues, son mascara dégouline. Je prends une serviette sur la table de chevet, lui essuie les yeux. Je lui enlève la moitié du maquillage. Linda est bien plus jolie sans tous ces artifices. Je ne la touche pas. En contrepartie, je lui propose de faire du bruit en imitant un rapport sexuel sur un lit grinçant. Je me lève, commence à taper le lit contre le mur. J’incite Linda à entrer dans mon jeu, qu’elle simule des cris d’extase.

Elle me fixe, bouche bée. Ahurie, elle n’en croit pas ses yeux, ni ses oreilles.

— T’attends quoi ? Bouge !

Elle s’exécute, pour ne pas éveiller les soupçons auprès de son patron. Nous discutons pendant que nous cognons le mur avec le lit.

— Je n’ai jamais vu un homme aussi prévenant que toi.

— Je m’en doute.

— Mes clients habituels me sautent dessus sans vergogne. Certains me font même du mal, ça les excite parait-il…

Je ne dis rien. C’est son boulot après tout. Qu’est-ce que j’y peux ? Je continue à faire grincer le lit. Linda se prend au jeu. Elle gémit de plus en plus fort, jusqu’à la simulation de l’orgasme.

Nous nous arrêtons en souriant. Je lui donne son argent.

— Tu peux revenir demain ? supplie-t-elle.

— Pourquoi ?

— Si je peux faire des pauses… ces rencontres avec toi sont les bienvenues…

Elle sanglote, se tortille les cheveux. Je comprends qu’elle n’a pas choisi d’être là… J’ai un peu de pitié pour elle. J’accepte.

— Oui, si tu veux.

Linda et moi, nous nous revoyons plusieurs fois, nous prenant au jeu des simulations. Elle en profite pour parler de sa vie, comment elle en est arrivée là. L’immigration n’eut pas du bon pour tout le monde.

Je l’écoute. Elle aime ça, ce sentiment d’être entendue, réconfortée. Elle me pose des questions. Je lui réponds. Voilà en quoi consistent nos échanges. Mais cette fois-ci, elle semble ailleurs, perdue dans la lune. Elle me regarde amoureusement, l’esprit dans le vide. Ça craint.

— Qu’est-ce que tu es beau…

— Euh… Tu m’as écouté au moins ? Eh ho ?

Elle a les joues rose, les yeux qui brillent. Elle me fixe, puis ce qui devait arriver, arriva. Elle transgresse notre marché. Elle se penche vers moi pour coller délicatement ses lèvres sur les miennes. Je me laisse guider, avide de désir. Je passe une main dans sa chevelure. Nous nous embrassons. Je savoure ses baisers doux et délicats. Linda m’avoue faire l’amour pour la première fois de sa vie. Je reste dubitatif. Elle se justifie. Elle considère ses rapports comme de la baise, avec ces types qui tirent leur coup. Elle prend le fric. Basta.

Après l’acte, elle pose sa tête sur mon torse. Une sensation agréable au toucher, renforcée par mes muscles saillants, me lance-t-elle. Elle tombe dans le piège de l’amour. Ça m’ennuie, mais j’aime être avec elle. Alors je ne dis rien. J’en profite. Nous nous retrouvons maintenant plusieurs fois par semaine pour faire l’amour. J’expérimente différentes positions sexuelles. Finalement, j’apprends beaucoup auprès de Linda dans ce domaine. Mais à force de se voir ainsi, Linda sent de l’anxiété monter en elle. Allongés de côté sur le lit, j’enveloppe son corps. Je la sens frissonner.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Je suis tombée amoureuse de toi, Jack…

— Moi aussi, je me sens bien avec toi.

— Jack ! Les prostituées n’ont pas le droit d’aimer. On ne peut pas se le permettre. Comment va réagir mon Mac ?

Je réfléchis quelques secondes, me lève, me rhabille. Elle fait de même.

— Je vais réfléchir à une solution. On se revoit dans deux jours, ça te va ?

— D’accord…

Deux jours plus tard, au beau milieu de la nuit, comme promis, je me dirige vers le bâtiment abritant la maison close. En approchant, je vois BigJo pousser une prostituée sur la route. Elle tombe sur le dos. Sa tête cogne le bitume.

— Dégage d’ici ! Putain de droguée ! Tu fous en l’air mon business !

La femme se met à gémir. BigJo tourne les talons, entre dans le bâtiment en claquant la porte derrière lui. Je m’approche de la femme, d’un pas rapide. Je m’accroupis, la prends dans mes bras pour lui relever la tête. Je remarque ses jambes blessées. Du sang suinte de ses éraflures. Puis je scrute son visage. Elle a un œil au beurre noir et des égratignures sur les joues. Ensuite, mon regard s’attarde sur un bijou dans ses cheveux épais noirs. Je le prends. Je le reconnais ce peigne en argent représentant un oiseau bleu décoratif. La peinture est écaillée.

— Angelica ?

Elle ouvre les yeux.

— Oh, ça doit bien faire deux ans que je n’ai pas entendu mon prénom…

— Que t’est-il arrivé ?

— Je te reconnais…

Je lui souris en coin.

— On s’est croisé une fois. Y a longtemps…

— Le… le petit garçon qui se cachait ?

— Tu as une bonne mémoire.

— Comment oublier un si beau visage ?

Angelica prend le peigne, l’effleure entre ses doigts rougis.

— Tu vois, je l’ai toujours gardé avec moi.

Elle toussote, du sang coule de la commissure de ses lèvres, ses yeux se ferment. Je la secoue.

— Hey, qu’est-ce qui s’est passé ?

— BigJo nous drogue… à mort…

Angelica laisse tomber son bras, lâche le peigne, il tombe au sol. Les yeux d’Angelica deviennent vides, elle ne respire plus.

— Angelica ! Angelica !

Je la repose au sol, lui ferme les yeux.

— Merde.

J’entends des bruits de pas. Je me lève, m’éclipse rapidement. Je me cache derrière un entrepôt. J’observe de loin la scène. Deux hommes viennent tourner autour du corps d’Angelica. L’un deux marche sur le peigne, le brise en mille morceaux sous son poids. L’autre pousse du pied le corps de cette femme.

— Cette putain est morte.

— Faut la jeter à l’eau. BigJo nous a dit de nous en débarrasser.

— Encore une qui n’a pas tenu l’alcool et la drogue.

Les deux types prennent le corps par les bras et les pieds, puis le balancent dans l’eau. Ils se frottent ensuite les mains, puis disparaissent dans la nuit noire.

Je sors de ma cachette, avance vers l’endroit où se situait Angelica. J’éparpille du pied les morceaux du peigne bijou, soupire, puis cours vers la maison close. J’entre précipitamment dans la chambre de Linda.

— Jack ! Je suis contente de te…

— Dépêche-toi ! Rassemble tes affaires !

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Je te sors de cet enfer.

Linda se plaque une main devant la bouche, les larmes aux yeux.

— Comment ?

— Viens, j’ai une idée, dis-je en tendant la main vers elle.

Nous sortons de la pièce, main dans la main. Nous nous dirigeons vers le bureau de son mac.

Nous traversons un couloir de miroirs. Quel mauvais goût. Pourtant, je ne peux m’empêcher de m’arrêter devant l’un d’eux. Je me tiens bien droit, avec fière allure, dans mon costume parfaitement coupé, chapeau Stetson sur la tête, une mèche de cheveux me tombant sur l’arête du nez, une main dans la poche, veste retroussée sur le côté, mes abdominaux se dessinant sous mon gilet bleu marine.

— Tu t’admires ?

Je sursaute.

— Non, je…

— Ne t’inquiète pas. Tu assures.

Elle ricane, je souris. Nous avançons jusqu’au bureau de BigJo. Deux hommes de mains gardent la porte d’entrée.

— Que veux-tu à notre chef ?

Même pas un « bonjour ». Direct le type. Encore un homme de peu de mots.

— Discuter d’elle, dis-je en lui montrant Linda derrière moi, d’un signe de tête.

— Attends, j’vais voir s’il accepte de te recevoir.

L’homme referme la porte du bureau. J’attends en silence, en me dandinant d’un pied sur l’autre, les mains dans les poches. Linda est nerveuse elle aussi. Elle se tortille les cheveux. L’autre homme me surveille du coin de l’œil. Au bout de quelques minutes, la porte s’ouvre, le gars me fait signe d’entrer.

Je trouve BigJo, le cigare aux lèvres, avachi dans son fauteuil en cuir, bien trop grand pour lui. Il compte ses billets au-dessus de sa grosse bedaine avec ses doigts boudinés couverts de bagues en or et d’une grosse chevalière en argent à son annulaire droit.

— Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Elle ne te convient plus ?

— Au contraire, elle me satisfait pleinement.

— Alors c’est quoi l’embrouille ?

— Je voudrais l’acheter.

BigJo éclate de rire, lance un signe de tête à ses gars. Réaction prévisible.

— Tu oses venir me déranger pour ça ? T’es con ou quoi ?

— Alors c’est oui ou c’est non ? dis-je, imperturbable.

— Elle m’appartient. C’est mon gagne pain.

— C’est pour cette raison que je te propose de l’acheter.

— Tiens donc ?

— En échange d’une grosse somme d’argent, tu me donnes Linda et toi, tu ne perds pas en bénéfices.

BigJo mordille le bout de son cigare et lance à ses hommes de main :

— Éclatez-moi la gueule de ce p’tit merdeux.

Trois types se retroussent les manches et foncent sur moi.

J’évite l’uppercut du premier, le coup de pied latéral du deuxième, le coup de tête du troisième. J’exécute deux trois prises qui les mettent à terre. Ils se recroquevillent sur eux-mêmes, gémissant comme des gamins. Ça sert finalement, les arts martiaux.

Linda contemple la scène avec des yeux ébahis. Je tire mon arme de mon holster d’épaule et la pointe sur BigJo.

— Je répète, j’achète cette fille !

Je lui balance une belle somme d’argent sur son bureau. Surpris et bouche bée, son cigare tombe au sol. Il acquiesce à contre cœur.

— Okay. Mais que je ne te revois plus foutre la merde ici ! Pigé ?!

— Très clair.

Avec un signe de la main, je lui lance un « ciao ». Linda s’agrippe à mon bras. Elle baisse la tête, me suit. En sortant, elle respire l’air frais matinal et admire le lever du soleil sur la baie de San Francisco. Elle sent la liberté l’envahir. Je me tourne vers elle, d’un air grave.

— Je ne peux pas te garder.

Linda tourne lentement la tête, terrorisée.

— Mais… je ne sais pas où aller…

Je pose mes mains sur ses épaules.

— Écoute, mon père est… comment dire… un homme très dangereux. Il m’a casé avec une femme. Un mariage arrangé… pour unir deux familles puissantes. Alors, s’il te voit avec moi, il risque de…

Je ne finis pas ma phrase. Je me mordille la lèvre inférieure.

— Quoi ? tremble Linda.

— Je ne supporterai pas qu’il s’en prenne à toi sous prétexte que je suis promis à une autre… Tu comprends ? Tu es en danger.

— Mais… ça te va, à toi ?

Non. Mais c’est la seule solution pour qu’elle reste en vie. Ça me rend triste au fond.

— Ça vaut mieux, crois-moi…

— Mais je ne sais pas comment faire, San Francisco est une ville si grande. Ces types m’ont enlevé, arraché à ma famille. Je ne sais plus où ils sont… Comment les retrouver… Cela fait déjà presque un an que je ne suis pas sortie de là…

Elle pointe les abris de fortune des immigrés et l’entrepôt de prostitution. Les larmes perlent sur son visage. Je la prends dans mes bras et la cajole. Je réfléchis à une solution.

— Qu’est-ce que tu aimerais faire ?

— Quoi, moi ?

— Oui, toi, qu’est-ce que tu veux faire ? Serveuse, chanteuse, couturière… ?

Linda sourit et sur un ton plus joyeux, elle répond :

— Coiffeuse ! J’ai toujours été attirée par ce métier, coiffer pour redonner confiance aux femmes, leur donner de l’assurance. Dis comme ça, ça peut paraitre stupide…

Je lui agrippe la main.

— Et bien c’est parfait ça ! Je connais quelqu’un qui peut t’aider.

Je fais un clin d’œil et l’emmène chez Francesca, dans son salon de coiffure.

Elle rencontre une femme corpulente, d’une quarantaine d’années, aux cheveux crantés et portant une blouse rose trop petite pour elle. Francesca discute avec un fort accent italien du sud. Linda parait bien frêle à ses côtés.

Francesca pose ses ciseaux et nous rejoint, les bras grands ouverts.

— Ah Jack, qui m’amènes-tu ?

— Je te présente Linda, elle souhaiterait devenir coiffeuse.

En levant les mains au ciel et faisant des « O » avec l’index et le pouce, Francesca rétorque :

— Comment je fais moi ? Je n’ai pas les moyens de former des gens moi ! J’ai des clients, faut que ça tourne mon cher ami !

Elle pose ses grosses mains couvertes de bagues et de bracelets en pacotille sur ses larges hanches.

— Ne t’inquiète pas comme ça, je te donne ce qu’il faut pour sa formation et pour la loger.

Je lui tends une grosse liasse de billets. Francesca la récupère d’un geste rapide et méfiant. Elle les inspecte. Elle lève un de ses sourcils fin et bien noir.

— C’est pas de l’argent sale au moins ?

Je souris en biais.

— Non, c’est…

— Parce que je les connais les lascars de ta famille !

— Okay, mais pas cett…

— Marco est loin d’être réglo, c’est lui le casse de la banque, n’est-ce pas ?

Francesca me toise du regard. Je lève les mains en guise de paix, dévie la conversation.

— Écoute, elle est en danger, elle ne sait pas où aller, je te fais confiance. Prends l’argent et occupe-toi d’elle. Je ne viendrais pas te déranger. Enfin… juste les fois où j’aurais besoin d’une coupe.

Je lui lance mon plus beau sourire, celui qui chavire les cœurs. Elle rougit.

— D’accord, j’ai compris. Tu m’énerves ! Tu sais bien que je ne peux rien te refuser.

— Occupe-toi de Linda d’accord ? Je passerai peu, pour ne pas éveiller de soupçons auprès de Marco.

Francesca ne rit plus. Elle me regarde avec des yeux de mère.

— Tu es bien trop jeune pour être si mature.

Au même moment, des gosses jettent des œufs sur sa vitrine. Elle sort de sa boutique, une savate à la main.

— Ouste ! Fichez-moi le camp ! Encore ces foutus gamins ! Ah si seulement ils étaient comme toi, Jack !

Vaut mieux pas. Je me tourne vers Linda.

— Linda, fais de ton mieux d’accord ? J’ai donné le nécessaire à Francesca pour que tu ne manques de rien. Je ne pourrai pas te rendre visite souvent, tu comprends ?

Elle fait un « oui » étouffé. Je l’embrasse et retourne dans mon univers sombre et triste.

Deux mois plus tard, je reviens au salon pour voir Linda.

— Oh Jack ! Ça faisait longtemps ! Contente de te voir ! lance Francesca.

— Salut Cesca.

— Salut Linda.

Elle me regarde, finit de ranger ses accessoires de coiffure, puis s’approche de moi. Elle porte un léger maquillage. Elle est séduisante dans sa blouse rose.

— Tu es resplendissante, Linda.

— Allez allez, va t’occuper de lui ! ordonne Francesca en la poussant vers moi.

Je m’installe dans le fauteuil, admirant Linda à travers le miroir en face de moi. Elle m’enlace, enfouit son visage dans mon cou. Elle sanglote. Je m’inquiète. Je lui prends les mains.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

Francesca s’interroge elle aussi. Linda est de nature joviale, en général. Je me lève, pose une main sur sa joue droite. Elle prend ma main dans la sienne, avec un sourire triste. Francesca nous suggère d’aller à l’arrière du salon pour discuter tranquillement. Nous allons dans la remise derrière le salon, qui sert de cuisine et d’entrepôt de produits de coiffure. Elle me regarde, hésitante et évitant mon regard. Elle se tortille les doigts.

— Jack. Je vais partir… Dans un salon de coiffure plus grand, situé dans le sud de San Francisco… Une… une amie m’a offert cette opportunité. Et je suis…

Linda se tait brusquement. Elle ne dit plus aucun mot. Je me penche pour la regarder, prendre son visage entre mes mains.

— Mais c’est très bien ! Je suis fier de toi ! Bravo !

— Mais on ne se verra plus jamais…

Je la fixe avec des yeux doux.

— Ne t’en fais pas Linda, vis ta vie ! Je suis heureux d’avoir fait ta connaissance, des moments passés ensemble, merci pour tout.

— Merci à toi…

Je soupire. Linda baisse la tête, puis s’agrippe les bras. Je ne comprends pas vraiment sa tristesse. S’éloigne-t-elle à cause de mon mariage prévu avec Giorgia ?

— On se reverra peut-être si tu le veux… Le sud de San Francisco, ce n’est pas l’autre bout du monde.

Ma remarque ne la fait pas du tout rire.

— Tu as ta vie, j’ai la mienne…

Cette froideur soudaine me fait mal.

— Pas de soucis. C’est toi qui décide.

Elle plaque une main sur sa bouche pour retenir ses larmes. Je comprends à cet instant qu’elle m’aime plus que je ne le pensais. Elle s’éloigne pour se protéger. Je ne veux pas me marier avec Giorgia. Mais je ne dis rien, car je ne peux rien faire pour la satisfaire. Je suis désolé que ça se termine ainsi entre nous. Je sors en silence, sous le regard triste de Francesca. Le tintement des clochettes de la porte semble bien morose aujourd’hui.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 7 versions.

Vous aimez lire LauraAnco ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0