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Lorsque je reprends connaissance, je distingue des lumières blanches, avec le sentiment étrange d’être en mouvement. Je fixe le plafond qui défile sous mes yeux. J’entends du brouhaha autour de moi. Tiens, je suis à l’arrêt. Mon regard se fixe sur une énorme lampe au-dessus de ma tête. Des hommes et des femmes en blouse blanche se penchent sur mon visage. Ils bougent les lèvres, semblent me parler. Mais de quoi ?

Je ne distingue que des acouphènes. Un masque d’anesthésie se pose sur ma bouche et mon nez. Les blouses blanches s’agitent. Je capte la phrase d’une infirmière :

— On s'occupe de vous.

Ça y est, j’ai compris. Je suis à l’hôpital. Rassuré, je referme doucement les yeux. Je m’endors.

Je me réveille dans une chambre aux murs blancs, me redresse doucement, péniblement. Je ne vois que de l’œil gauche. Il n’y a pas touché. Ouf. Et le droit ?! Je touche mon visage, je sens un bandage épais. Je distingue les stries de la bande blanche. J’ai mes deux yeux. Je tente de m’assoir. Aïe, une vive douleur dans les côtes m’empêche de le faire. Je me rallonge, épuisé et fatigué. La tête me tourne. Je soupire, ferme les yeux et plaque mes deux mains sur mon visage.

Une infirmière passe pour s’assurer que je sois réveillé. Elle vérifie rapidement les perfusions, et s'éclipse. J’observe la chambre. Personne. Je suis tout seul. Personne n’est là, ni un patient, ni ma famille. Personne n’a fait le déplacement pour rester à mon chevet ? Cette pensée me serre la poitrine. Tous étaient présents pour Alberto. Et moi ? Je grince des dents. J’ai bientôt vingt ans, je ne vais pas me mettre à pleurer ! Et puis quoi encore ? Je refuse de l’avouer, mais l’absence de ma mère me fait atrocement mal.

Le lendemain, une jeune infirmière vient changer mes bandages. Elle tremble, fait tomber un flacon de désinfectant. Je l’observe. Elle sursaute. Elle renverse le plateau de soins. Dans un fracas, les seringues et les fioles se brisent.

— Pardon, je suis désolée, je ne peux pas… sanglote-t-elle.

Elle sort en courant. Qu’est-ce qui lui prend ? Je fais si peur que ça ? Je contemple les morceaux de verre au sol et les liquides se répandent doucement sur le carrelage blanc. L’infirmière en chef entre, c'est une femme d’une cinquantaine d’années, baraquée comme une armoire à glace. Elle me fait flipper avec ses lunettes en demi-lune perchées sur le bout de son nez crochu. Elle est passée où la p’tite infirmière ?

— Bon, c’est moi qui vais m’occuper de vous. Veuillez excuser la jeune demoiselle. Elle débute.

— Je ne lui voulais aucun mal. D’ailleurs, je suis à moitié dans les vappes, je ne peux pas faire grand-chose.

J’esquisse un sourire. L’infirmière ne rit pas du tout. Ma tentative pour détendre l’atmosphère est complètement loupée. Elle change mes bandages sans prendre de pincettes, ce qui me fait grimacer un geste sur deux.

— Voilà, j’ai fini. Je vous laisse avec votre frère.

Je suis bien surpris de sa venue.

— Salut Al.

— S’lut.

Alberto ne tient pas en place, faisant des va-et-vient incessants dans la pièce. Puis il vérifie que personne ne passe dans le couloir, ni ne l’entende. Personne à l’horizon, il se précipite sur moi, m’empoigne la mâchoire d’une main, me serrant les joues avec ses doigts boudinés. Qu’est qu’il a cet imbécile ? Il a un grain, c’est pas possible !

— J’en ai marre de voir ta gueule ! crache Alberto. N’importe quoi pour te faire remarquer, hein ?

Alberto relâche son emprise. Je reprends mon souffle. Sa jalousie tourne à l’obsession. Il m’énerve !

— Mais t’es complètement taré ma parole !

— Papa ne parle que toi à la maison. Jack par-ci, Jack par-là… J’en ai marre !

— Que veux-tu que je fasse ?

— Arrête de te rendre intéressant !

— De quoi ?! Je ne fais qu’obéir aux ordres !

— Tu t’es battu contre Emilio. Il en est fier.

— À propos, qui a éliminé Emilio ?

— Giovanni.

— C'est ce que je pensais...

— T’as fait exprès ? relance Alberto.

— Mais de quoi tu parles ? Je ne voulais même pas y aller à ce foutu rendez-vous !

— T’as gagné des points.

— T’es sérieux, là ? Tu t’écoutes parler des fois ?

— Il ne me regarde même plus, depuis cette affaire.

— Je te ferai remarquer qu’il n’y a personne ici ! Papa n’est pas venu, ni maman, ni Maria, ni…

— Okay, ça va, j’ai compris.

— Arrête de dire n’importe quoi alors !

Il crispe la mâchoire, serre les poings. Il scrute l’horizon par la fenêtre.

— Ne me fais plus d’ombre. C’est clair ?

Je lève un sourcil, étonné.

— Ça n’a jamais été mon intention. Je me défends, c’est tout !

— Ouais, excuse facile.

Il m’agace cet abruti ! Il me donne un coup de poing dans le ventre avant de partir. Je me plie en deux. Salaud ! C’est pas possible, la jalousie et la peur contrôlent ses agissements. Il est jaloux de l’importance que je représente pour Marco. Quel gamin. Il a seulement peur de se retrouver seul, que son père lui tourne le dos. Je n’espère qu’une seule chose : que tout cela cesse.

Le lendemain matin, le médecin entre dans ma chambre, annonçant que l’hôpital ne peut pas me garder une nuit supplémentaire. Il a jugé que le délais de récupération était bien suffisant. Une sortie précipitée certes, mais au vu des circonstances, un départ bienvenu. Une personne comme moi n’est guère appréciée dans le service. Le médecin a appliqué le principe de déontologie. De part son serment d’Hippocrate il se devait de soigner tous les blessés, quelles que soient leurs mœurs, leurs antécédents, leur vie. Il a effectué son devoir. En revanche, rien ne l’oblige à me garder ici plus longtemps. Il m’informe que je dois revenir dans quinze jours pour retirer les fils. Entendu. Il repart. Bref entretien. Bon, comment vais-je rentrer chez moi ? Je n’ai personne pour me raccompagner.

Je me lève, enfile mes vêtements. Au moment de mettre ma veste, je vois de grands yeux ronds apparaître à la porte entrouverte. Une femme entre. La flippe ! Je souffle, nerveux. Ce n’est que Giorgia. Je soupire. Que fait-elle ici ?

— Ton père nous a tout raconté.

Euh, bonjour d’abord, non ? Je ne sais pas quoi dire. Je finis de mettre ma veste.

— Ah…

Je vérifie si je n’ai rien laissé. Je n’avais pas grand-chose de toute façon. Je me dirige vers la sortie. Giorgia me regarde avec des yeux larmoyants. Je frissonne. Comment vais-je supporter ce regard tous les jours pour le restant de ma vie ? Rien que d’y penser, le stress s’empare de mon corps. Elle me tend la main. Je mets les miennes dans les poches. Elle s’agrippe à mon bras. Je ne l’ai pas vu venir celle-là. Coriace cette Giorgia. Je me laisse guider. Il faudra bien que je m’habitue. Elle semble gentille et prévenante. Même si je ne l’aime pas, au fond de moi, ça me touche qu’elle soit ici. Parce que c’est surtout la seule qui soit venue me chercher.

Don Vitali et deux de ses hommes nous attendent dans sa voiture, garée devant le San Francisco General Hospital.

— Comment tu te sens ? lance Vitali.

J’écarquille les yeux, stupéfait. Il s’inquiète de mon état de santé ? Sympathique le type.

— Ça va…

— Tu as un sacré courage pour avoir osé affronter Emilio Giacomuzzi.

Je n’avais pas le choix surtout.

— Ou de l'inconscience…

Il éclate de rire.

— T’a-t-il pris ton œil ?

— Non.

— Ah, tant mieux.

Giorgia sourit, elle seule.

— Par contre, il m’a fait une belle entaille au visage.

— Ça s’estompera avec le temps. L’important est d’avoir ses deux yeux. Tu as besoin d’une bonne vue pour surveiller tes futurs rejetons.

Je déglutis avec difficulté. Et merde, je n’avais pas penser à ce point. Faire des gosses avec Giorgia ? Même pas en rêve ! Je laisse ma tête se plaquer contre la vitre. J’ai envie de vomir.

— Ça va, Jack ? Tu n’as pas l’air bien…

— Je suis fatigué.

— Tu as subi un sacré choc. C’est normal. Repose-toi mon garçon.

Je ne suis pas sûr que Marco me laissera tranquille.

Nous arrivons chez moi. Marco les accueille les bras ouverts. Et moi ?! Même pas un regard, ni la moindre inquiétude face à son fils. J’ai envie de me barrer d’ici. Comme un éclair de lucidité, le nom d’Aaron me revient à l’esprit. Le type des faux papiers, dont m’a parlé Milo. Et si c’était ça la solution ? Marco me tire de mes pensées en me prenant par les épaules. Tout le long du dîner, mon esprit est accaparé par cette idée.

Quinze jours plus tard, le médecin me retire les fils.

Je constate l’ampleur des dégâts dans le miroir de la salle de bain. J’enlève le bandage. Je découvre une cicatrice épaisse, boursouflée, coupant mon visage dans le sens de la diagonale, partant du coin droit de mon front, descendant jusqu’au coin gauche de ma mâchoire, coupant au passage la racine de mon nez et ma joue gauche. Ma paupière inférieure droite est enflée, teintée de violet. Quant à mon côté gauche, le blanc de mon œil est injecté de sang. Je glisse des doigts tremblants sur la cicatrice. Puis je me cramponne au rebord du lavabo, comme pour éviter de tomber. Je baisse la tête, dégoûté. Je prends une grande inspiration, relève la tête, me redresse devant le miroir. Je fixe mon image avec mes yeux sombres, mes sourcils froncés et mes lèvres pincées. Je ramène une mèche de cheveux sur le côté gauche pour cacher une partie de la cicatrice. Je soupire.

Deux jours plus tard, un court article du San Francisco Chronicle, relate la mort de ce tueur dérangé, Emilio Giacomuzzi. Suite à cette rencontre déstabilisante et anxiogène, Alberto ne réclame plus de suivre notre père dans ses affaires. Je ne l’aurai plus dans les pattes. C’est déjà ça de gagné.

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