46

6 minutes de lecture

San Francisco, 1932

J’ai bientôt vingt ans. Avant de les atteindre, je serai marié avec Giorgia. Je ne m’en préoccupe pas, mais alors, absolument pas du tout. J’accompagne Marco et je m’implique encore plus dans ses affaires. Je frappe, je flingue, sur ses ordres.

Aujourd’hui, nous nous rendons sur Chestnut Street, dans un local commercial spécialisé dans la verrerie et la cristallerie. Marco possède plusieurs locaux dans le quartier, les mettant à disposition de patrons en échange d’une compensation financière. Il se dirige vers la caisse de Nino, un homme petit, aux mains abîmées par le travail.

— Ciao, Nino.

— Ah Ma… Marco… Je… je sais… tu viens chercher ton dû.

— C’est intéressant que tu saches pourquoi nous sommes là. Nous ne perdrons pas notre temps.

J’inspecte les alentours, les mains dans les poches. Des hommes armés de barres de fer se tiennent prêts à agir. Ils attendent le signal de leur patron. Avec Giovanni, Fabio, Renato et Livio à mes côtés, ces deux abrutis ne font pas le poids.

— Tu me dois deux mois de loyer. Tu crois que c’est gratuit d’occuper un de mes locaux ?

— Non, bien sûr que non. Mais les affaires ne vont pas bien en ce moment… et…

Marco coupe Nino dans sa phrase en agitant son index devant son visage.

— Non, non, non. J’entends beaucoup trop ce genre d’excuses en ce moment. Ça me fatigue. Tu cherches à me mettre dans l’embarras ?

La sueur perle sur le front de Nino, devenant nerveux et anxieux. Il jette des regards partout dans la pièce. Nino est un verrier de Murano, qui a immigré aux États-Unis, car son travail ne rapportait plus au pays.

— Si tu ne payes pas, je serai obligé de t’expulser. Étant de la même communauté, ça me ferait mal. C’est ce que tu veux ? Me faire de la peine ?

Marco trouve toujours un malin plaisir à tourmenter ses clients.

— C’est pas… ce que je cherche…

— Jack !

Je sursaute. Il m’a surpris à gueuler comme ça !

— Débarrasse-moi de ces types qui rôdent, nous ne pouvons pas discuter tranquillement avec Nino !

Les deux hommes sortent de l’ombre. Ils n’ont ni fusil, ni revolver, qu’est-ce qu’ils comptent faire ? Je dégaine mon arme, appuie sur la détente avec une rapidité et une dextérité impressionnante, à tel point que les affranchis restent bouche bée. Je vise le bide de l’un et la jambe de l’autre. Ils s’écroulent au sol, geignent comme des boeufs avant l’abattoir. J’ai tiré avant même qu’ils aient pu faire quoi que ce soit. Giovanni et Fabio me fixent, à la fois jaloux et déçus.

— Hey ! T’exagères, et nous alors ? me taquine Giovanni.

— Quoi ? Je m’en suis débarrassé c’est tout.

— Mais je voulais cogner moi !

— Bah, moi aussi, on n’a pas pu se défouler ! ajoute Fabio.

Marco se passe une main sur le visage.

— Silence vous trois !

Nino tremble, puis un homme sort de la pénombre. Je ne l’avais pas vu celui-là. Il s’avance, renverse volontairement des vases et des verres sur son passage. Je le reconnais ! C’est BigJo. Que fait-il ici ?

— Bravo ! Impressionnant ! Ton fils a bien grandi, Marco !

BigJo aussi est venu rendre une petite visite à Nino. Marco bombe le torse et fixe Nino de haut avec ses yeux noirs, les lèvres crispées.

— Alors c’est comme ça que tu dépenses mon argent ? En te payant les putes de BigJo ?

— J’allais… j’allais rembourser ! balbutie Nino. Pardon, je voulais juste prendre du bon temps… c’est lui qui m’a proposé…

— Tu m’accuses ? grogne BigJo.

Marco fait signe à Renato d’emmener BigJo pour le frapper. Ils lui assènent des coups de pied dans les côtes et des coups de poing au visage. Pendant ce temps-là, Giovanni et Fabio fouillent les armoires et les placards à la recherche d’argent.

— Trouvé ! annonce fièrement Fabio, en brandissant une liasse de billets dans sa main droite.

Marco se penche au-dessus de Nino, le visage gonflé par les coups.

— Alors comme ça, tu m’as menti ?

— J’en avais besoin pour… payer mon logement et nourrir ma famille…

— Tu possèdes suffisamment de liquide pour aussi me payer, raille Marco en faisant mine de compter les billets.

— Non, c’est pas ce que tu crois…

— Je te laisse la vie sauve pour cette fois. Ne me mens plus jamais, compris ?

— Compris… Pardon patron…

Marco emporte les billets et distribue la somme que Nino devait à BigJo. Nous sortons du local, laissant ce pauvre Nino, seul, sans un sou, blessé au visage et aux côtes.

Dès que nous nous trouvons à l’extérieur, BigJo m’interpelle.

— T’as sacrément bien grandi dis donc. T’as quoi au visage ? C’est nouveau !

Lâche-moi putain ! Marco répond à ma place.

— Une correction. Faut savoir dresser ses gosses !

Marco et BigJo ricanent. Quoi ? Qu’est-ce qu’il raconte comme connerie ?!

— N’importe quoi ! C’est Emilio qui m’a blessé !

— J’avais compris, grogne BigJo.

Ah bon ? Vraiment ? Je serre les poings.

— Au fait, où est Linda ? me demande BigJo, reprenant son sérieux.

Marco allume un cigare. Il nous laisse entre nous, dans notre conversation.

— Je n’en sais rien.

— Menteur !

— Elle est libre ! Fous-lui la paix !

— Que je lui foute la paix ?! J’ai perdu une partie de mon business moi !

— C’est faux, tu es juste contrarié !

— Je perds une nana, je perds du fric !

— Je t’ai payé, tu te rappelles ?

— Pas assez ! File-moi le reste !

— Quel infatué tu fais !

— Quoi ?! C’est quoi ces conneries ?

— Je ne dis que ce que je constate.

— T’as vu comment il me parle ton gosse ? s’emporte BigJo en fixant Marco. Il m’insulte là ?! Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Il lit des bouquins, répond Marco en haussant les épaules. Tu l’insultes là, Jack ?

— Ah ouais, ton gosse me prend de haut quoi !

— Non, ça veut seulement dire que tu affiches une satisfaction sottement prétentieuse pour ce que tu crois être ou crois pouvoir faire. Tu te crois tout permis !

— P’tit merdeux !

BigJo lève son poing, j’esquive, il rate son coup. Je le plaque contre le mur du local.

— Je ne te dois rien ! J’ai payé pour avoir Linda ! Je décide donc de son sort, vu qu’elle m’appartient, c’est clair ?

BigJo me repousse avec force.

— C’est pas un p’tit con dans ton genre qui va me faire la leçon ! Vu ta gueule, t’as pas besoin de putes ! Où est Linda ?!

Sans un mot, je donne de violents coups de pied dans la porte métallisée du local. Marco lève les yeux au ciel, se prend l’arête du nez.

— Tu nous refais une des tes crises ?

BigJo se recroqueville en se protégeant la tête avec ses bras.

— Tu l’oublies ! Compris ? C'est plus tes affaires ! dis-je.

Giovanni tente de m'interpeler avec des gestes incompréhensibles.

— Oups, pauvre Nino… Euh Jack…

— Quoi ?! T’as quelque chose à me reprocher ?

— Non… rien…, s’abstient Giovanni, penaud.

Je continue de plus belle mes coups dans la porte. Soudain, je reçois de l’eau froide sur la tête. Je suis trempé et j’ai froid !

— Mais ça va pas bien ?! Qui a…

Je remarque Fabio avec un seau dans les mains. Marco roule son cigare entre ses dents. Ah ouais, je vois. Il a voulu me calmer.

— T’es calmé ? Nino voulait sortir et tu lui as claqué la porte.

Ah, c’est ça, ce qu’essayait de me dire Giovanni. Tant pis. Je ne lâche pas pour autant mon regard noir de BigJo.

— D’accord, d’accord, t’as payé ton dû c’est vrai, je… je ne m’en mêlerai plus… pitié… laisse-moi la vie sauve, putain !

BigJo lève les mains en l’air pour se rendre, puis joint les mains pour me prier d’arrêter. Il craint désormais des représailles de ma part. Les rôles s’inversent avec le temps. C’est amusant.

— Casse-toi ! dis-je.

BigJo file aussi vite qu’il le peut. Encore un que je ne reverrai plus.

— Merde, il est comme mon frère, Giuseppe, marmonne Marco.

— Pardon ?

— Rien. Rentrons.

J’ai bien entendu pourtant. Ce n’est pas la première fois qu’il me compare à son frère. Cette discussion éveille aussi une interrogation. Qu’est devenue Linda ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 6 versions.

Vous aimez lire LauraAnco ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0