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Piqué par la curiosité, je me rends dès le lendemain chez Francesca. Elle se montre peu enthousiaste à me voir entrer dans le salon.

— Qu’est-ce que tu fais là ? gronde Francesca.

Elle se précipite vers la porte d’entrée pour la refermer au plus vite, tournant la pancarte « fermé », et guettant si quelqu’un nous voit ou pas. Puis elle se tourna vers moi. Sa collègue proche d’elle, pas très rassurée non plus, reste en retrait. Aucune cliente.

— Sympa l’accueil…

— Jack ! Fais pas le malin avec moi ! Y a tes gars qui rôdent autour de mon salon de coiffure !

— Pardon ?

— Depuis que tu as ramené Linda ici, ils épient mon salon !

— Ce doit être des types de BigJo. Je l’ai sermonné hier, il ne devrait plus te créer d’ennuis.

— C’est vrai que je n’ai vu personne traîner ce matin… remarque son employée.

Une jeune femme aux cheveux décolorés en blond minaude en me regardant; elle tortille les boucles de ses longs cheveux. Je lui lance un sourire.

— Qu’est-ce que tu veux ? se méfie Francesca.

— Pour commencer, calme-toi, tu me connais quand même !

— Je ne sais plus… Tu me fais peur avec ta balafre sur le visage !

— Moi j’trouve pas, coupe la femme blonde décolorée.

— Tais-toi tu veux bien !

— Bah c’est vrai quoi. Il est plutôt pas mal.

— Va te rendre utile, passe un coup de balais, ça t’occupera ! Et toi Jack, pour la centième fois qu’est-ce que tu viens foutre ici ?

— Tu exagères là.

Voyant son regard inquisiteur, je me ravise et explique le pourquoi de ma venue.

— Je voulais une coupe de cheveux, mais je vais passer mon chemin.

— Oui, t’as plutôt intérêt !

— Je suis venu pour te demander des nouvelles de Linda.

— J’en étais sûre ! se plaint Francesca en levant les mains et les yeux au ciel.

— Écoute, dis-moi où elle est et je ne remettrai plus les pieds ici, promis.

— Je ne sais pas bon sang ! Vu tous ces types qui arpentent le quartier, il était plus prudent de couper les ponts pour elle et pour moi.

Voyant mon air déçu, elle ajoute :

— Bien évidemment que je ne laisse pas mes filles dans la nature. Je suis en contact avec une de ses amies, Bianca. Elle sert d’intermédiaire entre nous, pour ne pas éveiller les soupçons. Va la voir si tu veux des nouvelles. Ne compte pas sur moi pour t’en donner.

— D’accord, pas de soucis. Où puis-je trouver… Bianca, c’est ça ?

— Au Bimbo’s 365 Club, soupire Francesca.

— Merci, Cesca.

Je m’éclipse, et je ne reviendrai plus au salon. Je réajuste mon chapeau, puis marmonne à voix basse en marchant dans la rue. Les travailleurs évitent les hommes de la mafia. Les Américains fuient les Italiens. Décidément, je me sens rejeté par tout le monde. Est-ce ma faute si je suis né de parents napolitains appartenant au monde de la Mafia ? Je dois vivre avec de toute façon. Je n’ai guère le choix pour le moment.

Je me rends un soir de février au Bimbo’s 365 Club sur Market Street. J’entre, m’installe à une table située dans un coin sombre du club. Je fais gaffe à me placer dos au mur pour éviter les mauvaises surprises. Je retire mon chapeau et commande un verre de Martini Bianco en expliquant que je veux la boisson italienne et non pas le cocktail. Les politiciens ont enfin compris que la prohibition n’apportait rien de bon pour les citoyens. Le Volstead Act a été abrogé l’année dernière. Les bars peuvent à nouveau vendre de l’alcool. Ça n’empêche pas pour autant la Mafia de prospérer sur d’autres activités, comme la drogue.

Bref, la serveuse me rapporte ma boisson. Je lui attrape le poignet, elle se penche vers moi. Je lui demande à voir Bianca. Elle acquiesce, puis s’en va rejoindre une femme, sans doute sa supérieure. Je les observe discuter. Elles me jettent des coups d’œil furtifs.

La patronne s’approche de moi. Malgré la pénombre, je distingue une assez belle femme, mince et élégante.

— "Bonsoi, je suis cheffe".

Elle parle un mauvais anglais. Son accent est trop présent pour que je comprenne quoi que ce soit. J’engage la conversation en italien. Elle semble ravie, puisque qu’elle m’offre un magnifique sourire. Elle me serre la main sans prendre la peine d’enlever ses gants.

— Ah, un bel italien qui parle sa langue natale, ça fait plaisir. Alors, dis-moi, il parait que tu veux voir Bianca ?

— Oui, je ne souhaite pas l’ennuyer je vous rassure, juste lui parler.

— Puis-je savoir à quel sujet ?

— C’est Francesca qui m’envoie. Elle m’a dit de voir Bianca, car elle aurait des informations sur une amie que je recherche.

— Okay, si c’est Francesca qui t’envoie, je peux te faire confiance. Attends moi-là.

Elle part dans le couloir, situé entre le bar et la scène. Une femme vêtue d’une robe Charleston rouge ressort, avec un plateau à la main. Elle s’approche de moi pour me déposer un verre de Whisky. Je n’aime pas ça, moi !

— Je suis Bianca. Que voulez-vous ? demande-t-elle en se penchant pour déposer le verre sur la table.

— Francesca m’a envoyé vers vous. Vous savez où se trouve Linda, n’est-ce pas ?

Bianca relève la tête, embarrassée. Elle fait un tour d’horizon.

— Je finis ma tournée. Quand je vous enverrai un signe de la main, venez me rejoindre à l’arrière du club.

J’attends, buvant mon verre de Bianchissimo. Je ne touche pas au Whisky. Je savoure la saveur subtile de fleur de vanille et de vin blanc, tranquillement, en admirant le spectacle de danseuses et de musiciens sur la scène. Après deux chansons, Bianca me lance le signe. Je bois d’une traite le reste de ma boisson, jette quelques pièces sur la table, puis me lève pour la rejoindre à l’arrière du club.

À l’instant où je franchis la porte arrière, je surprends Bianca embrasser passionnément une femme. Ah ouais, elle est de ce bord là… Je glisse mes mains dans les poches en attendant. Je me sens un peu embarrassé. Lorsqu’elle se libère de l’étreinte de sa compagne, elle se rend compte de ma présence. C’est elle qui m’a dit de venir ! Si elle ne voulait pas que je la vois, il fallait m’appeler plus tard. Sa partenaire sursaute en me voyant, gênée elle aussi. Peut-être qu’elles pensaient à ce moment-là que j’étais capable de leur causer du tort. Ce n’est pas mon genre. Elles font ce qu’elles veulent, après tout. Bianca chuchote quelque chose à l’oreille de son amie, puis elles s’avancent vers moi en se tenant par la main. Bianca porte un manteau en fausse fourrure. Elle se montre nerveuse.

— Tu ne diras rien, n’est-ce pas ? dit-elle d’une voix cassée.

— Non, cela ne me regarde pas.

Les deux femmes se regardent, tout de même inquiètes.

— Ne vous inquiétez pas, je n’ai aucun intérêt à rapporter quoi que ce soit, à qui que ce soit. Promis, je n’ai rien vu, ajouté-je en levant les mains pour les rassurer, vu leur réaction craintive.

Bianca regarde sa compagne et lui fais signe de filer. Puis, elle se tourne vers moi.

— Alors, choqué ?

— Pardon ?

— Voir deux femmes s’embrasser, ça t’a fait quoi ? Gêné ?

— Je dirais plutôt… étrange et excitant.

— Pervers !

Je souris amicalement. Elle ne s’attarde pas à des explications sur son penchant pour les femmes, et entre dans le vif du sujet.

— Que lui veux-tu à Linda ?

— Linda et moi… sortions ensemble il y a trois ans.

— Te fous pas de ma gueule ! s'emporte Bianca. Linda était prostituée à cette époque !

— Oui, mais… Bon, j’avoue je l’ai connu en tant que prostituée, au début… jusqu’à ce que l’on éprouve des sentiments l’un envers l’autre. Je l’ai sortie de là. Je l’ai emmenée chez Cesca pour qu’elle devienne coiffeuse. Je la voyais de temps en temps, puis un jour elle a décidé de partir…

Bianca soupire.

— Ah je vois… Tu es le fameux Jack Calpoccini c’est ça ?

— Oui, comment connais-tu mon nom ?

— Elle me parle souvent de toi. Linda est une véritable amie pour moi. J’étais prostituée moi-aussi. Quand elle est sortie, elle a demandé à Francesca de m’aider. Mais la coiffure, c’était pas mon truc.

— Donc, tu as préféré venir ici ?

— C’est Linda qui m’a guidée vers Lorena, la responsable que tu as croisé. Serveuse me convient beaucoup mieux.

— Je vois. Et… tu as de ses nouvelles alors ? Comment va-t-elle ?

— Pourquoi veux-tu la voir soudainement ? Après tant d’années ? Pourquoi t’as pas essayé de la voir avant ?

— Désolé… il s’est passé tant de choses. Et je ne voulais pas qu’elle soit en danger.

— Parce que maintenant oui ? Ça n’a plus d’importance qu’elle soit en danger ?

— Ce que je veux dire, c’est qu’elle n’a plus rien à craindre.

— Pas pour longtemps, rectifie Bianca d’un ton sec.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Elle est tombée enceinte de toi, débile ! Elle a élevé sa gosse toute seule ! T’étais où pendant tout ce temps ?

Le choc ! Je digère l’information avant de répondre.

— Je… je ne savais pas, elle est partie sans rien me dire.

— C’est ça, tous les mêmes ! La rengaine classique quoi, pfff. C’est pour ça que j’aime pas les mecs, je préfère les femmes ! balance Bianca en crachant par terre.

Puis elle s’allume une cigarette.

— T’en veux une ?

— Non merci.

— Comme tu veux.

— Bon écoute, je t’assure que je ne savais rien. Cette gosse est de moi, tu en es sûre ?

— Bien sûr que oui, elle se vantait de n’avoir couché avec aucun autre homme après toi ! Elle va avoir trois ans sa gamine !

— Attends, attends. Elle en a rencontré des hommes. Rien ne garantit que sa fille soit de moi.

Bianca donne un coup de pied dans la poubelle, énervée.

— Je te dis que sa gosse est de toi !

J’insiste.

— Comment peux-tu en être aussi sûre ?! Elle a couché avec plein de mecs !

— Elle a refusé.

— Quoi ?

— Dès qu’elle t’a rencontré la première fois, elle est tombée amoureuse de toi.

— Mais je n’avais que seize ans et elle vingt…

— Je sais… Elle n’en avait pas conscience au début. Mais dès qu’elle a fait l’amour avec toi, elle le savait. Elle n’avait plus de doutes, elle t’aimait… vraiment. Alors elle a décidé de refuser les clients.

— BigJo l’a laissée faire ?

— Non… Elle a agit en cachette.

— Comment ?

— En demandant à une amie de prendre les passes à sa place…

Bianca tourne la tête de côté, baissant le regard, gênée.

— Toi. Cette amie, c’est toi, n’est-ce pas ?

— Elle m’a suppliée de l’aider. Elle refusait tout contact avec d’autres hommes. Elle ne voulait coucher qu’avec toi et personne d’autre. Ce stratagème a duré un mois. En fait… Jusqu’à ce que tu la sortes de cet enfer.

— Je vois…

— D’ailleurs, merci de l’avoir sortie de la prostitution. Sans ça, je ne sais pas combien de temps j’aurais tenu…

J’observe tristement Bianca.

— Si je comprends bien, c’est pendant ce mois où elle n’avait des relations qu’avec moi qu’elle est tombée enceinte.

— Oui, exactement.

Je soupire. Merde. Ça n’aurait pas dû arriver… Ou peut-être que si. Ce genre de choses ne se contrôle pas toujours. J’espère ne pas avoir d’autres enfants cachés…

— Je te dis la vérité, Jack ! Nous, les prostituées, nous faisons généralement gaffe à ne pas tomber enceintes ! Mais avec toi, elle s’est laissée aller, car c’était différent. Elle ressentait de l’amour.

— D’accord, d’accord, dis-je en levant les mains. Et en échange, elle t’a sortie de là à son tour ?

— Oui. Elle est venue en douce, un soir, m’emmener loin de ce terrible endroit.

— BigJo ne t’a pas poursuivi ?

— Je ne rapportais plus tant que ça. Alors… Il m’a remplacé par de nouvelles recrues… plus jeunes…

Bianca se frotte les bras, nerveuse, puis elle me fixe.

— La fille de Linda te ressemble beaucoup. Je n’ai aucun doute sur le fait que tu sois le père. Ton portrait craché.

— J’en jugerai par moi-même.

— Tsss, t’es toujours sur la défensive comme ça ?

— Je suis juste prudent.

— C’est le milieu qui veut ça, hein ?

Je me passe une main dans les cheveux, relevant ma mèche au passage, dévoilant ainsi ma cicatrice. Bianca reste pantoise, sa cigarette tombe au sol.

— C’est une sacrée cicatrice que t’as là…

— Bon, venons-en au fait. Tu peux me dire où se trouve Linda ?

— Non. Faut que je lui en parle avant, voir si elle a envie de te revoir.

Bianca se sent mal à l’aise. Elle scrute ma cicatrice de manière peu discrète. Je replace à la hâte quelques mèches de cheveux devant mes yeux pour cacher la balafre. Puis je pose les mains sur mes hanches et fixe Bianca.

— Alors ?

— Ah, euh, oui, répond-elle en secouant la tête. Reviens dans trois jours, que je puisse avoir le temps de discuter avec elle.

— D’accord.

Bianca et moi, nous nous rencontrons plusieurs fois au Club, avant de pouvoir revoir Linda.

Ce soir-là, nous prenons un verre autour d’une table au fond de la salle.

— Tu sais, t’es sacrément beau gosse. Je comprends pourquoi Linda s’est éprise de toi.

— Pourtant elle est partie…

Bianca pose ses deux mains sur la table, se penche en avant.

— Parce que t’étais un gamin ! Et puis elle avait peur de ta famille.

— Ce que je peux comprendre…

— Linda est belle. J’avoue, j’ai tenté ma chance auprès d’elle.

— Vraiment ?

— Oui, mais elle m’a repoussé. Elle n’a d’yeux que pour toi, ajoute-t-elle en levant les yeux au ciel. Linda est une chouette fille, alors s’il lui arrive quoi que ce soit, je…

— Rassure-toi, il ne lui arrivera rien. J’ai les moyens de la défendre.

— Hum… Ta balafre dit le contraire, se méfie Bianca, sceptique.

— Un malentendu stupide…

Nous sourions.

— Comme je te le disais, Linda est prête à te voir. Tu lui manques, annonce-t-elle en me tendant un bout de papier. Voici le lieu du rendez-vous.

— Merci.

— Bonnes retrouvailles ! Je te laisse, je retourne bosser.

Je regarde ce qu’il y avait d’inscrit : rendez-vous le 27 avril à Crissy Field East Beach, à seize heures. Suivi d’un cœur dessiné. Je me lève à mon tour, range le papier dans ma poche. En sortant, Bianca m’interpelle.

— Fais gaffe j’t’ai à l’œil !

Je lui lance un clin d’œil en guise d’au-revoir.

Le 27 avril 1932, je me rends comme prévu sur Crissy Field East Beach. J’arrive en avance, m’assieds sur le sable fin et froid, les coudes posés sur les genoux relevés, les mains ballantes, cheveux au vent. Ça ne se voit pas, mais je suis extrêmement nerveux ! En attendant, je rêve de ce pont qui permettra de traverser le détroit du Golden Gate pour relier San Francisco à Sausalito. C’est en projet en tout cas. Perdu dans mes pensées, je ne vois pas l’arrivée de Linda.

C’est elle qui m’interpelle :

— Jack ?

Je me retourne, je la reconnais tout de suite. Toujours aussi jolie, mais fatiguée et amincie. Je me lève pour l’accueillir, mais mon regard se pose sur cette petite fille aux cheveux noirs attachés en queue de cheval tenant sa mère par la main. Mon pouls s’accélère. Qu’est-ce que je dois faire ? C’est ma fille et je suis incapable de réagir. Je suis papa. Je n’arrive pas à y croire. Cette idée me semble tellement… insensée. Linda prend les devants, elle s’approche pour caresser doucement ma cicatrice avec le bout de ses doigts. Elle se met sur la pointe des pieds. Je suis bien plus grand qu’elle. Elle me donne un baiser sur la joue. La petite tire sur la robe de sa mère. Linda la prends dans ses bras. Elle se blottit dans le cou de sa maman.

— C’est une jolie petite fille.

— Elle te ressemble, Jack… Je suis désolée de te l’avoir caché. Tu n’avais que seize ans à l’époque. Et avec Marco… j’avais trop peur qu’il nous retrouve et lui fasse du mal.

— Je comprends…

Je détourne la tête vers les vagues. Je ne sais pas quoi lui dire, ni à elle, ni à ma… à ma… fille. Elle est toute petite. Je soupire. La seule chose qui me vient à l’esprit pour débloquer la situation est de lui tendre une liasse de billets. Linda secoue la tête.

— Jack, non !

— C’est pour t’aider.

— Je n’en ai pas besoin, Jack ! J’ai élevé notre fille toute seule et je continuerai !

— C’était ton choix, je t’aurais aidé si tu me l’avais dit !

— Je sais Jack, je sais. Je ne te demande rien. Je ne veux pas de ta pitié, ni de ton argent. J’ai seulement accepté de te voir, parce que… j’en avais envie, moi aussi… et… pour elle.

— D’accord. Qu’est-ce que tu souhaites alors ?

— Que tu ne la laisses pas tomber.

— Comment ?

— Passe un peu de temps avec elle, tout simplement…

Je regarde cette petite chose. Elle me sourit, puis se cache dans les cheveux de sa mère.

— Bianca restera notre intermédiaire pour nos points de rencontre, d’accord ?

— Ça marche.

— Je suis contente de te revoir Jack…

— Moi aussi…

Linda rougit. Ses yeux sont tristes. Sans doute les liens aussi. Nous ne pouvons pas vivre ensemble, et nous le savons tous les deux. Je dois cacher ma fille à mon père, à Vitali, à tous… pour la protéger. Si Marco apprend son existence, je n’ose imaginer sa réaction.

— T’es toujours aussi beau… marmonne Linda.

Je me contente d’esquisser un sourire. Je ne l’aime pas à la hauteur des sentiments qu’elle éprouve pour moi. Je suis désolé, mais je n’arrive pas à lui avouer, car il y a cette petite. Je détourne la tête vers la mer, me mordillant la lèvre inférieure. Je tente un truc quand même, pour ne pas me montrer indifférent ou indigne. Je suis père ! Je n’arrive pas à le réaliser. Je n’ai assisté à rien ! Ni à sa grossesse, ni aux heures d'attente dans le couloir pendant son accouchement, ni aux premiers mois de la vie de ma fille…

— Tu… Tu arriveras à t’en sortir ? Toute seule ?

— Oui, je suis plus forte que tu ne le crois.

— D’accord, d’accord, dis-je.

Linda me prend la main.

— Tu me manques, mais je sais me débrouiller seule.

Elle m’embrasse amoureusement, sous les yeux interrogateurs de notre fille.

— Tiens, regarde, c’est ton papa !

Cette phrase me serre la poitrine. Mettre des mots sur ma situation, me transperce, me perturbe. Ce n’est pas de la faute de ma fille. Elle n’a rien demandé. Elle est là. Je ne peux pas le nier. Je ne peux la laisser tomber. Je l’observe et lui souris. Elle réagit de même et me tend les bras. Surpris, je recule et interroge Linda du regard.

— Prends-là dans tes bras, nigaud… se moque Linda.

Je m’exécute, comme un pantin. Elle entoure ses petits bras dodus autour de mon cou. Sa joue dodue se colle contre mon visage. Elle sent bon la lavande, sa peau est douce et chaude. Mes lèvres tremblent. J’ai du mal à contenir mes larmes. Linda le constate. Elle plaque une main sur sa bouche. Touchée par cet instant, ses larmes coulent sur ses joues. La voix enrouée, prise par les sanglots enfouis, Linda me révèle son nom.

— Elle s’appelle Lisa. Notre fille est née le 12 octobre 1929.

— Quoi ?

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