San Francisco, 2012

— Quoi ?!

Je crie en pleine lecture en manquant de m’étrangler. Lisa ? Elle s’appelle Lisa ?! Mais… Ce n’est pas possible ! C’est quoi encore cette histoire ? Je tombe des nues. Ma grand-mère était une pute ? Pardon, prostituée. Je ne peux m’empêcher d’être vulgaire en lisant cela. Je me répète en boucle que je ne dois pas juger les personnes. Quelle tâche compliquée. Lisa, Lisa… J’essaye de me convaincre que cette Lisa est une autre personne que ma mère, qu’elle est juste née la même année, le même mois, le même jour… Je lève la tête vers le plafond mansardé du grenier. Bien évidemment que cette coïncidence ne peut pas être aussi énorme ! Je comprends mieux pourquoi ma mère refusait de me parler de son passé, oubliant volontairement de mentionner le prénom de sa mère. Mince ! Je m’étais persuadée que ma grand-mère était Giorgia ! Je ne m’attendais pas à… ça…

Je pose le carnet, m’allonge quelques instants. Où cela me mène-t-il ? Je suis perdue… et que viennent faire les Tucker là-dedans ?

Je décide d’appeler mon mari, pour lui raconter ma découverte. Je ne peux pas attendre jusqu’à ce soir.

— Eh ben, c’est une sacrée découverte. Je comprends mieux le comportement de ta mère… dit-il.

— J’aurais aimé connaître son histoire bien avant ! Et non pas en épluchant ses notes dans le grenier.

— Elle avait peut-être honte de ses parents…

— Peut-être…

J’observe les notes, mélancolique.

— Elle aurait dû m’en parler ! Tu ne crois pas ?

— Elle voulait peut-être te préserver, ne pas te choquer. Et puis, admets-le, une enfant née d’un père italo-américain mafieux et d’une mère prostituée, ce n’est pas un passé à divulguer partout…

— Mais, je suis sa fille. Elle n’a jamais su nouer de relations avec moi…

— D’après ce que je comprends, elle a vécu sans père, en cachette… Difficile pour elle de comprendre les liens entre parents et enfants.

Je me penche en avant, me prends la tête entre les mains.

— Comment a-t-elle pu devenir médecin avec de tels parents ?

— Chloé… Pas de jugement.

— Tout de même, tu admettras que leur parcours est atypique !

— Elle tient d’eux, je te ferais remarquer. Par sa ténacité et sa persévérance.

— Une tête de mule comme son père.

— Tu m’as dit que ton grand-père était un homme intelligent ?

— Pour un vendeur de drogues, oui.

— Chloé !

— Pardon, pas de jugement intempestif. Marco ne lui a pas laissé le choix…

— Il a vite comprit les affaires de son père aussi.

— C’est vrai. Assez jeune, je dois l’admettre.

— Au moins, ta mère n’a pas suivi les traces de ses parents.

— Oui, elle a suivi sa propre voie. Elle a su se détacher d’eux. Je me demande comment…

— Lis la suite.

— Oui, tu as raison. T’en parler me fait du bien.

— Je suis là pour toi ma chérie.

— Merci…

Il a raison. Je dois continuer, pour comprendre le lien éventuel qui unit ces personnes.

— Tu as le même regard que lui, lâche Matthew.

— Pardon ? Tu disais ?

— Je regarde la photo de l’article. Et je trouve que tu as ses yeux ! crie plus fort Matthew dans le téléphone.

Je ne dis rien, me contente seulement de soupirer, laissant un long silence s’écouler.

— Allô? … Allô ?

— Ah, euh… pardon. Je réfléchissais. Je te laisse, dis-je avant de raccrocher.

Je laisse mon regard vagabonder, puis me lance dans une nouvelle session de Pranayama. Je descends ensuite au salon pour me poser au bureau. J'allume l'ordinateur, navigue sur Internet, fouille sur les réseaux sociaux à la recherche d'éléments sur la famille Tucker. J'aurais dû commencer par là, mais je me reposais trop sur les épaules de l'inspecteur Jefferson, qui ne peut plus rien pour moi dorénavant. Mon cœur se serre à cette pensée.