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San Francisco, 1932

Je retrouve Linda et Lisa comme promis sur la plage. Je rends la poupée réparée à Lisa. Son visage s’illumine. Un vrai rayon de soleil. Elle s’avance pour m'enlacer, mais Linda l’en empêche.

— Linda…

— Plus je te vois, plus j’ai envie de rester auprès de toi. Tu n’imagines pas à quel point cela me fait mal.

Je fronce les sourcils. Un jour elle veut, l’autre elle ne veut plus. Décidément, je n’arrive pas à la suivre. Je me penche vers Lisa pour lui donner une photo de moi. J’ai seize ans là-dessus, mais ça fera l’affaire. Elle la range avec précaution dans la poche de sa robe. Elle lâche la main de sa mère pour venir me faire un bisou sur la joue. Puis elle repart se cacher derrière les jambes de Linda. Je me relève. Elle me fusille du regard.

— Qu’est-ce que tu cherches à faire ?

Je soupire. Elle commence sérieusement à m’énerver. Qu’est-ce qu’elle a à réagir ainsi ? Elle me fait tourner en bourrique. J’esquive sa question.

— Ma carte d’identité, dis-je en tendant la main.

Elle devient rouge de gêne. Elle sort la carte de son sac à main et me la rend. Je la mets dans ma poche.

— C’est tout je crois.

— Oui, dis-je, attristé.

— Nous serons peut-être amenés à nous croiser…

— Tu as changé d’avis ?

— Je ne sais pas, sanglote Linda.

Okay, on ne va pas avancer comme ça. Je comprends qu’on ne se reverra pas de si tôt, mais qu’elle n’est pas fermée à d’éventuelles retrouvailles. Je me penche vers Lisa.

— Prends bien soin de ta maman, elle a besoin de toi. D’accord ?

Elle répond « oui » de la tête, en serrant fortement sa poupée dans ses bras. Puis, sans un mot, nous nous quittons.

Je serre les poings en rentrant chez moi. À cause des actes de mon père, Linda éloigne ma fille. J’en ai le cœur déchiré, rien que de penser à la possibilité de ne plus jamais la revoir. Je me suis attaché malgré moi à cette enfant, la chair de ma chair. Et c’est pour cette raison que je devais lui éviter tout danger.

***

Je reprends mes habitudes, pour espérer ne pas penser à Lisa. Je n’y arrive pas. Chaque jour qui passe, je cogite, je me pose des questions sur son avenir. Pourquoi suis-je si inquiet ? Je secoue la tête.

Allez, ce matin, un nouveau rendez-vous d’affaire m’attend. Ça me change les idées. Étrange comment les douleurs s’atténuent avec le temps. Bref, je monte dans une Packard Model 1002 de 1933, couleur crème, en compagnie de Giovanni et Fabio. Nous nous dirigeons à l’angle de Carroll Avenue et Jennings Street, où se trouvent des entrepôts et des usines. Je me gare le long du trottoir. Nous descendons de voiture, scrutant les environs.

— Tiens… Marco est en retard, constate Giovanni.

— Il a bien dit rendez-vous à 9 heures pile ici ?

— Ouais, vérifie Giovanni en zieutant sa montre à gousset. Il est 9h10. En général, il arrive en avance.

Soudain, un homme nous interpelle.

— Hey, les corbeaux ! Foutez le camp !

Putain, pas dès le matin ! Ça devient lassant à force. Ça va me poursuivre toute ma vie ? Ça me saoule. Nous nous retournons tous les trois vers l’homme qui vient de lancer cette remarque désobligeante. Un groupe de trois vilains blonds en salopette bleue et chemise salie par la suie, se pointent derrière lui. Fabio s’allume une cigarette.

— Il vient de nous traiter de corbeau ? souligne Giovanni. On le prend comment ?

— Ça n’a rien d’aimable, soupiré-je. C’est une insulte.

— Ah ouais ?

— Qu’est-ce que vous foutez là ? s’écrie l’homme.

— Nous avons rendez-vous, répond Fabio.

— Sale Piaf ! Votre rôle c’est d’aller bosser sur les chantiers et de la boucler !

Je m’adosse au capot de la voiture, fronce les sourcils, croise les bras.

— On travaille, abruti ! s’offusque Giovanni.

— Qui tu traites d’abruti ? s’insurge l’homme. Espèce de déchet !

Et voilà, ça recommence. Toujours la même réaction. À croire qu’ils cherchent tous à se prendre une branlée. S’ils s’ennuient tant que ça, qu’ils le disent directement, on gagnera du temps. Les trois hommes sortent des outils de leur poche, des clés à molette, des pinces et un marteau. Ils innovent. Chacun tente des trucs. Je souris.

— Ah ces ouvriers américains… Certains ne perdent pas une seule occasion de nous faire sentir que nous valons moins que les autres.

— On les remet à leur place ? propose Giovanni en faisant craquer les os des mains.

— Laisse tomber.

— Tu te défiles ? s’exclame l’homme.

Je le fixe de mon regard noir, puis lui tourne le dos. Dégage et vite si tu ne veux pas repartir chez toi en rampant. Giovanni et Fabio attendent mon signal. Mais l’homme ne se montre pas patient. Il lance une clé à molette sur la tête de Giovanni. Il se met à crier de douleur en se tenant l’arrière de la tête à deux mains. Les gars se mettent à ricaner. Je me retourne, poings serrés. Alors là, ça va chier !

— Viens te battre si t’es un homme ! s’écrie l’homme.

J’arrive ! Pas besoin de me le dire deux fois. Avec Fabio nous avançons d’un pas rapide vers eux. Ils lancent leurs outils en direction de la voiture. Je regarde les objets passer et finir leur course sur la carrosserie. Les impacts laissent des creux visibles sur la tôle.

— Comment avez-vous pu vous payer une voiture pareille ?! lance le gars.

— En travaillant, répond Fabio, cigarette en coin.

— Voleurs ! hurle le second. Retournez d’où vous venez !

— Avec les déchets, saleté de Ritals ! précise le troisième.

Ils vont le regretter ces cons. Nous accélérons le pas. Ils flippent. Ils reculent, puis se mettent à courir dans la direction opposée. Ils nous provoquent et après ils n’ont pas les couilles de nous affronter !

— Revenez ici bande de lâches !

Hors de question de les laisser filer ! Nous les coursons. Les blonds courent sur Jennings Street, puis tournent sur Egbert Avenue. Je distance Fabio et les rattrape à mi-chemin. J’attrape le premier homme par les bretelles de sa salopette, le tire en arrière pour le faire tomber. Les deux autres stoppent. Ils donnent des coups de poings, que j’esquive. Trop lents. Je riposte avec des coups de pied directs. Fabio nous rejoint enfin. Uppercut dans le visage du type aux bretelles. Les trois se retrouvent à terre, gémissant de douleur.

— Arrêtez de nous insulter ! grondé-je.

— Alors arrêtez de foutre la merde !

— Nous sommes juste venus pour un rendez-vous d’affaire, répond Fabio. C’est vous qui êtes venus nous emmerder !

Les hommes grimacent, se relèvent péniblement.

— Les immigrés dans votre genre n’ont rien à faire chez nous ! déclare le gars, sûr de lui.

— Je suis né ici vous savez.

Les deux hommes se regardent, puis me scrutent. Okay, mauvais exemple. Ils n’ont pas l’air convaincu.

— Tu nous feras jamais avaler une chose pareille ! Saleté de Macaroni !

J’avance vers eux, bien droit, le regard noir, poings serrés. La peur se lit sur le visage des trois hommes. Ils prennent la fuite. Trouillards ! Nous les laissons disparaître.

— Je ne voudrais pas te vexer, mais tu es napolitain avant tout, tu sais…, remarque Fabio.

— Un pied en Californie par mon lieu de naissance, un pied à Naples par mes ancêtres, je ne me sens jamais à la bonne place.

— Allez viens, on va retrouver Giovanni et les autres. Ton père doit être arrivé.

J’observe le mur blanc de l’entrepôt, puis je tourne la tête vers une porte entrouverte sur le local d’en face. J’avance et vois des pots de peinture rouge avec un pinceau. Je retire ma veste, que je tends à Fabio. Il me regarde avec des yeux ronds. J’avoue, je dois paraître bizarre. Je retrousse mes manches, attrape le pinceau, le trempe dans le pot de peinture rouge. Puis je me place devant le mur blanc. Je commence à écrire. Fabio penche la tête de côté en me regardant. Je repose le pinceau dans le pot, me frotte les mains, puis reprends ma veste des mains de Fabio. Je l’enfile, puis contemple l’inscription, mains sur les hanches. Il lit la phrase à haute voix : « Je suis Rital et fier de l’être ».

— Mais pourquoi ?

— J’en ai assez d’entendre ce surnom péjoratif. J’ai donc décidé de le transcender.

— Euh… en plus clair ?

— Cet adjectif est dévalorisant, les Américains nous insultent en nous appelant « Rital » continuellement. Ils rappellent aux immigrés et à leurs descendants qu’ils sont des réfugiés Italiens et rien d’autres. En écrivant ça, je dépasse cette réalité et je montre que je suis fier d’être Italien.

— Ah ouais. Pas con. Et tu l’es ?

— De ?

— Fier de tes origines ?

Je me passe une main dans les cheveux.

— Oui… quelque part oui… Même si je souhaiterais que ce ne soit pas la première chose qu’on pointe du doigt en me regardant.

— J’aime bien ce que tu as écrit.

Nous échangeons un sourire, puis nous retournons sur Carroll Avenue. Marco, Livio, Renato et Giovanni nous attendent. Giovanni se tient l’arrière de la tête avec une serviette blanche.

— Où étiez-vous passés ?! s’emporte Marco.

— Régler un problème.

— Vous en avez mis du temps !

— Ne commence pas ! C’est toi qui était en retard à la base !

Marco lève un sourcil. Les affranchis nous regardent avec des yeux étonnés. Bah quoi ? Je n’ai plus dix ans ! Je lui réponds et alors ?

— Pourquoi étais-tu en retard ? dis-je.

— Un problème à régler.

— Alors tu n’as rien à me reprocher.

Marco me fusille du regard. Fabio intervient.

— Bon… On y va ? Notre interlocuteur doit nous attendre…

Mon père grimace, ne lâchant pas son regard.

— Effectivement. Nous avons assez perdu de temps. Allons-y.

Marco se retourne, suivit par ses affranchis. Je mets les mains dans les poches, les suis à mon tour. Nous entrons dans l’entrepôt.


***

Je me rends le soir même au 365 Club pour remercier Bianca. Je ne l’ai pas encore fait. Elle m’a permis de revoir Linda et de connaître Lisa. La moindre des politesses est de lui dire « merci ». En arrivant sur les lieux, je reçois un accueil… hostile. Un serveur costaud m’empoigne par le bras, pour me pousser dehors. Je réajuste ma veste. Il me somme de dégager et de ne plus foutre les pieds ici. Il tente de me frapper. J’esquive, puis lui donne un coup de genou dans le ventre. L’homme se plie en deux, et se tient le bide.

— Bianca a été tuée, sale fils de pute !

— Quoi, quand ça ?

Mon sang ne fait qu’un tour.

— Bianca a été retrouvée morte ce matin à côté des poubelles.

Je me retourne. L’homme qui vient de prononcer cette phrase n’est autre que le patron du Club, Agostino Giuntoli, adossé au mur et fumant un cigare. Il me montre d’un signe de tête Marco, mains dans les poches, posté sur le trottoir d’en face. Je comprends immédiatement. Agostino écrase son cigare au sol.

— Ne remets plus jamais les pieds ici.

Puis sans un mot, il retourne dans le club avec le serveur. Je serre les poings. Quelle ordure. Décidément, Marco ne changera jamais. Je contiens ma colère. Pourquoi ne puis-je pas parler avec quelqu’un sans que cette personne se fasse tuer ? Je me passe les mains dans les cheveux nerveusement. Je n’en reviens pas de cet acharnement. Je me retiens de le tabasser ici. Je comprends la cause de son retard de ce matin. Je le suis, sans émettre le moindre son, monte en voiture, en silence. Le long du trajet, je regarde les lumières des réverbères défiler sous mes yeux, dans la nuit noire de la ville. Seulement cinq minutes de distance nous séparent de notre habitation. Sous ce silence pesant, les minutes semblent s’éterniser.

Enfin arrivés. Je claque volontairement la portière et reste derrière Marco. Je bouillonne. Après ces années à encaisser, l’assassinat de Bianca est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. C’est sans doute puéril, mais je me laisse emporter par la haine et la colère. Je ne supporte plus Marco et encore moins ce mode de vie qu’il m’impose. Sur le pas de la porte, j’explose. Je lève mon poing droit pour cogner mon père. Il me stoppe en m’agrippant le bras, puis me repousse violemment dans la maison. Je ne tombe pas. Je me redresse. Je lui fais face. Renato entre à son tour.

— P’tit con ! grommelle Marco.

— C’était juste une connaissance, rien d’autre !

— La ferme ! Tes absences répétées après nos rendez-vous m’ont mis hors de moi ! Tu dois faire les comptes avec nous ! Pas traîner avec je ne sais qui !

— Nous faisions rien bon sang ! En plus elle n’est pas du tout attirée par les hommes ! Elle aime les femmes !

— De mieux en mieux ! s’estomaque Marco. Mon fils n’a pas à être vu en compagnie d’une traînée dans son genre !

— Qu’est-ce que ça peut te faire ?!

— Tu te rends compte de l’image que cela donne de notre famille ?!

— Et toi, quelle image tu donnes en tuant tout le monde pour rien ?

— La puissance, Jack, la puissance et le respect !

Je fronce les sourcils, serre les poings et m’élance pour lui donner un coup de poing dans la joue droite, puis un coup de genou dans le ventre. Marco se défend en m’adressant un coup de poing latéral gauche. Je recule, sors mon arme et la pointe sur Marco. J’en ai plus qu’assez de supporter tout ça ! Tous ces meurtres, toute cette haine ! Tous mes souvenirs remontent à la surface, me submergent. C'en est trop. Au moment où j’appuie sur la détente, Renato m’attrape par derrière. Il abaisse mon bras. Déstabilisé, la balle se loge dans le genou gauche de Marco. Renato m’arrache mon arme des mains. Marco gémit, assis sur le sol, regardant sa jambe désarticulée, brisée au niveau du genou. Je l’observe avec une grande colère dans les yeux.

Réveillés par le bruit, Alberto descend rapidement les marches, suivit de près par Valentina et Maria. De même, Giovanni, Fabio et Livio accourent dans le hall, attirés par le bruit du coup de feu. Paola sort elle aussi de la cuisine.

— Mais t’es complètement malade ! s’écrie Alberto.

— Merde, je l’ai loupé ! dis-je en poussant Renato.

— Quoi ?! T’as voulu tuer papa ?! T’es taré !

— C’est bien fait !

Je me suis senti stupide d’avoir répondu comme un gosse. J’en ai tellement marre de tout ça, que je ne réfléchis plus. J’en veux à tout le monde. Et encore plus à Marco. Mon frère aide mon père à s’assoir. Il s’agrippe fermement aux épaules d’Alberto.

— Dégage, lance Marco.

— Comment ?

— Tu m’as très bien entendu. Sors d’ici. Dégage de chez moi !

— Et bien parfait ! dis-je en ouvrant les bras, agacé et irrité.

— Je te donne deux mois pour te calmer ! Fais ce que tu veux, démerde-toi, mais reviens dans deux mois sans faute pour ton mariage !

C’est ça, même pas en rêve. Tu me laisses enfin partir. Tu peux toujours courir pour que je revienne. Je n’écoute plus. Je contemple le genou en sang de mon père, puis les personnes présentes dans la pièce, apeurées et choquées par mon geste. J’arrache l’arme des mains de Renato, puis pars en courant dans ma chambre. Je prends une valise, ouvre avec brutalité les tiroirs, attrape des vêtements et jette tout en pagaille dans la malle. En prenant mes affaires dans la commode, j’aperçois le châle rose avec de petites fleurs violettes. Je l’emporte aussi avec moi. J’appuie sur la valise avec mon genou pour pouvoir la fermer et serrer les lanières. La rage a pris le dessus cette nuit-là. Sans Bianca, je perds tout moyen de contacter Linda et de revoir ma fille. Je ne supporte plus cette situation. Je chope au passage une sacoche contenant une grosse liasse de billets. Marco en laisse un peu partout dans les commodes. Je dévale l’escalier, évitant les regards perçant de toute la famille. Je pose la main sur la poignée, essoufflé. Alberto s’adresse à moi.

— Jack ! Papa a le genou en sang !

Je ne me retourne pas, crispe les doigts.

— Laisse-le partir, intervient Marco. Je ne veux plus le voir pour un bon moment !

Je tourne la poignée, ouvre la porte. Toujours de dos, je m’adresse à Giovanni.

— Prends ta voiture et dépose moi à SoMa.

Giovanni tourne la tête vers Marco, d’un air interrogateur.

— Vas-y ! Qu’est-ce que t’attends ? Emmène-le !

— Oui… okay patron.

En partant, j’entends hurler mon père.

— Va te faire foutre, Jack ! Sale petit merdeux ! Sale gosse !

Je monte en voiture avec Giovanni. La grille de l’entrée s’ouvre. Il démarre. Ciao. Nous disparaissons dans la nuit noire.

Il me dépose à l’endroit demandé. Il regarde le quartier plongé dans le noir. Quelques lumières brillent ici et là dans des entrepôts et des locaux crasseux.

— C’est bon, tu peux me laisser là.

— T’es sûr ? T’as tiré sur ton père et il t’a foutu dehors, mais si tu reviens et que tu t’excuses… enfin t’es pas dans ton état normal, alors je…

— Oui ! Merci de m’avoir accompagné jusqu’ici. Maintenant tu peux partir. Je ne remettrai pas les pieds chez moi.

— Mais…

— Giovanni, rentre chez toi !

Penaud, Giovanni se retourne, soupire. Au moment où il remonte en voiture, je l’intercepte.

— Attends !

— Quoi ? T’as changé d’avis ?

— Non. Je veux juste que tu surveilles Lisa discrètement. Qu’il ne lui arrive rien…

— Jack… Hey ! Minute papillon. Tu comptes partir combien de temps ?

— Longtemps.

— Mais… et ton mariage ?

— Annulé. Je me barre.

— Qu’est-ce que je vais dire à ton père ? Je risque des emmerdes !

Giovanni se prend la tête entre les mains, anxieux.

— Hey, Giovanni ! Tu ne dis rien ! C’est tout.

— Ah…

— Tu n’es au courant de rien. Tu m’as déposé et t’es reparti. On n’a pas échangé, cette discussion n’a pas eu lieu. Compris ?

— Euh…

J’insiste, en italien cette fois, pour être sûr qu’il ait bien compris et m’assurer qu’il veillera sur Lisa. Je ne peux compter que sur lui… J’ai besoin de l’entendre de sa bouche.

— È chiaro, Giovanni ?

— Sì, sì… capito bene.

— Tienila d’occhio, ti prego…

— Puoi contare su di me.

Giovanni esquisse un sourire, puis remonte en voiture. Il disparait dans les ruelles du quartier.

Je soupire, regarde autour de moi, puis m’aventure vers un bâtiment délabré sur les quais. Des prostituées, aguichant de potentiels clients, se trouvent devant l’entrée. Inutile de chercher un hôtel de touristes par ici. Je dois passer la nuit dans cette maison close, pour éviter de dormir dans la rue. Je m’aventure dans le hall d’entrée. Des femmes en petites tenues me guident vers le réceptionniste.

— Une chambre pour la nuit ou quelques heures ? demande l’hôte sans détour, un type chauve et gras, aux yeux vairons.

— Une nuit.

— Quel genre de femme qu’il te faut ?

— Calme, silencieuse et discrète.

L’homme se redresse de son bureau, me toise du regard de la tête aux pieds, en s’attardant un peu trop longtemps sur ma chaussure gauche en cuir noir, tachée par une goutte de sang. Sans doute celui de Marco.

— Ça te fera six dollars, souffle bruyamment le gars.

Je pose les billets sur la table, le regard dur, sans aucun sourire.

— Sweety, viens là ma belle. Elle sera ta compagne cette nuit.

Il me lance un clin d’œil, Je reste stoïque.

— Pas de conneries ? ajoute-t-il, visiblement inquiet

— Pas d’inquiétude, dis-je avec froideur.

Je suis la femme dans une chambre au deuxième étage, entendant au passage les bruits des ébats des clients dans les chambres voisines. Certes, j’aurais préféré me trouver ailleurs, mais à cette heure tardive, je n’ai guère le choix pour trouver une piaule où dormir. Une fois entrés dans la chambre, la jeune femme commence à se déshabiller. Je la stoppe dans son élan. Je ne suis pas là pour ça. Je souhaite juste dormir. Cet endroit est le seul d’ouvert. La femme approuve d’un signe de tête et se rhabille. Je ne souhaite pas discuter non plus, ni être touché. Elle secoue de nouveau la tête, silencieusement.

— Tu peux parler pour répondre tu sais ?

Là encore, aucun son ne sort, elle gesticule de la tête pour répondre « non ».

— Tu es muette ?

La femme admet son handicap d’un hochement de tête. Je suis désolé pour elle. Évidemment, dans ce contexte, elle correspond aux critères demandés. Elle me fait un sourire et s’allonge dos à moi sur le lit. Je fais de même et m’endors à moitié, réfléchissant à la démarche à suivre pour la suite. Suite à l’incident avec Marco, rejeté par ma famille, ma décision de changer de vie se renforce. Je ne pardonnerai pas ces actes de malveillance envers les personnes que je côtoie. Je dois protéger Linda et ma fille. Pour cela, je me résous à m’éloigner d’elles et de toute ma famille, plus déterminé que jamais, à vivre autre chose que le mode de vie mafieux.

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