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San Francisco, 2012

La sonnerie du téléphone me tire de mes pensées. Je sursaute, puis décroche, c’est Matthew. Il m’informe avoir découvert des informations sur Robert Tucker. En consultant la page LinkedIn du petit-fils Tyler, il a trouvé des collaborateurs de l’entreprise dans laquelle il travaille, une usine spécialisée en menuiserie, héritée de son père Francis.

Mon mari s’est permis de contacter des collègues, prétextant une demande d’information pour un article de presse. Seule l'ancienne responsable RH a accepté de répondre à ses questions. Elle a travaillé pendant trente ans pour Francis Tucker. Elle l’a décrit comme un être rancunier et arrogant, mais supportable quand on savait le brosser dans le sens du poil. Aujourd'hui il n'est plus de ce monde, et c'est Tyler qui a repris l'affaire. L'entreprise bat de l'aile. Elle lui a donné ensuite quelques renseignements sur l’histoire de la boîte, sa date de création, le lieu du siège social, et le nom du patron, Robert Tucker. Cet homme était une figure paternelle modèle pour Francis. Pointilleux, méticuleux, méthodique, que ce soit au travail ou au sein du foyer, il ne dérogeait jamais à la règle. L'histoire de son décès est restée mystérieuse jusqu'à ce que les medias en parlent.

Là où veut en venir Matthew, c’est que le bout de papier apporté par Fanny est peut-être un leurre, un subterfuge pour nous guider vers une mauvaise voie. Il pense qu’il existe deux actes : un faux, celui que nous avons vu et un authentique, réalisé dans les règles de l’art. Il arrive à la même hypothèse que l'inspecteur Jefferson.

— Qui pourrait posséder cet acte ? dis-je.

— C’est ce que nous allons découvrir.

— Et s’il n’existe que celui transmis par Fanny ?

— Nous devons creuser cette piste en tout cas.

— Comment ?

— Va peut-être falloir trouver une taupe pour infiltrer le commissariat…

— Tu te crois dans NCIS ?

Matthew éclate de rire.

— Quoi qu’il en soit, nous devons trouver un moyen de récupérer ce faux acte et chercher le vrai.

— Je vais tenter de demander une copie à Brad.

— T’es sérieuse ?

— Tu as une autre idée ?

J’entends Matthew soupirer.

— Tu devrais demander un avocat.

— Qui ça ?

— Morin...

— Il est sur une affaire.

— Bryton est un ami de longue date. Il peut sûrement t'aider.

Je pouffe en visualisant la tête de Maître Morin. Il n'a pas l'allure à s'appeler Bryton, il est grand, mince, cheveux bouclés chatain, aux yeux à moitié fermés et nez crochu, sans oublier son accent canadien. Matthew se demande ce qui me prend. Les nerfs qui lâchent sans doute. Nous avons dîné plusieurs fois avec lui et sa femme Giselle. Nous nous cotoyons au Tribunal depuis de nombreuses années.

Nous nous mettons d’accord, je m’occupe de cet acte et lui, continue ses recherches sur la famille Tucker.

Tout d’un coup, je pense à Flavio, l’autre camarade de classe de Jack. Nous ne connaissons pas son nom de famille. Je sais juste qu’il trainait avec Alfonso Spinelli. Quelque chose me tracasse, mais je ne saurais dire quoi. J’observe la pluie glisser sur la fenêtre du toit. Le vol et le meurtre ont eu lieu à New-York… Que faisait-il là-bas ? Je regarde ma montre, il est 19h32. J’appellerai Brad demain matin à la première heure. En attendant, je continue de chercher un élément dans ces notes… Page suivante, Lisa – jour 32, 10 novembre 1943. Mon père s’est rendu chez Aaron…

Ma poitrine se serre lorsque je lis « mon père a changé d’identité pour fuir l’organisation ». Le commissaire Mitchell a-t-il raison ? Je secoue la tête de gauche à droite. Non ! Il a pris un nouveau nom avant même la date du meurtre de Robert. Qu’est-ce que cela signifie ? Il a choisi de quitter son destin criminel. C’est ça, évidemment. Je m’en persuade en tout cas.

Il en a raconté des histoires à ma mère… Était-il assis au coin du feu à lui lire ses aventures ? J’en doute. Ce n’est pas le genre de choses que l’on explique à ses enfants pour les endormir. Je soupire. Bon sang, pourquoi écrire un journal sur son père ? Je feuillette les pages précédentes, elle ne parle pratiquement pas de sa mère.

Je regarde le ciel voilé par la fenêtre. Je me lève, descends à la cuisine. Les meubles en bois sculpté semblent figés dans le temps. Je prends une tasse en porcelaine blanche avec de petites fleurs roses peintes dessus. Je me prépare de nouveau un thé au jasmin, m’adosse au plan de travail, souffle sur la fumée dégagée par l’eau chaude, puis bois mon breuvage à petites gorgées.

Je me sens ballonnée, par l’angoisse. Je ne connais vraiment rien sur ma famille. Je prends mon téléphone et appelle Dylan. Je tombe sur son répondeur. Il m’agace. Je le pose à côté de la bouilloire beige. Même cette couleur est dépassée, ça ne se fait plus ce genre de modèle d’électroménager ! J’observe le luminaire suspendu en forme de fontaine inversée. Il jure avec les murs tapissés de cerises rouges. Je secoue la tête, ma mère n’a jamais voulu moderniser son intérieur. Elle se sentait bien chez elle, elle ne voulait pas vivre dans une maison épurée et moderne, comme chez moi. Elle me répétait toujours qu’elle avait l’impression d’être en maison de retraite. Allez faire comprendre à une vieille femme les modes de décoration d’intérieur du moment. Je souris, finis mon thé, dépose la tasse dans l’évier en granit, puis remonte au grenier.

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