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New-York, 1932

Dès mon arrivée, je me mets à la recherche d’une piaule proche de la New-York University School of Law, située à Greenwich Village.

Je prends une chambre d’hôtel au Washington Square Hotel situé sur Waverly Place. Je paye en liquide pour dix nuits pour commencer. Je pose ma valise, me laisse tomber sur le lit et m’endors pour toute la journée et toute la nuit.

Le lendemain matin, je me réveille, m’étire, prends une douche, puis m’habille. Je m’inspecte dans le miroir. Je taille ma barbe courte de trois jours, puis, je mets du fond de teint sur ma cicatrice, ajuste les lunettes sur mon nez, et place quelques mèches de cheveux devant mon visage. Je me coiffe. Mes cheveux épais recouvrent ma nuque, ondulant aux pointes. J’attrape ma sacoche et mon arme que je cache dans un holster d’épaule sous ma veste. Je sors de l’hôtel.

Je me promène dans les rues de New-York admirant ces grands immeubles et ces gratte-ciel, la tête levée vers les sommets, comme les touristes. J’en suis un en fait. La hauteur de l’Empire State Building m’impressionne. C’est la première fois que je vois une chose pareille de ma vie. J’avance en direction de The BNY, Bank of New-York, située sur Liberty Street. Il faut bien que les chèques de paye de mon futur métier d’avocat soient déposés quelque part. J’utiliserai ce compte pour échanger les chèques contre du liquide, immédiatement, dès réception de mon salaire. J’entre, ouvre un compte au nom de Marc Anderson, dépose une somme d’argent en liquide, suffisante pour être acceptée par le banquier. Je profite de ma balade dans New-York pour m’acheter un nouveau costume trois pièces chez Brooks Brothers.

J´acquiers aussi une mallette pour y ranger les billets verts. Je garde l’habitude de tout payer en liquide, ce qui me permet par la même occasion de gérer moi-même mon argent. Il ne me reste plus qu’à me lancer dans le métier d’avocat. Ma liasse de billets verts peut payer les frais quelques mois, mais arrivera bien le moment où il faudra remplir de nouveau le compte. Hors de question de me plonger dans les affaires criminelles pour en obtenir. Se lancer dans le métier d’avocat reste ma seule option. Merci Marc ! Grâce à lui, je change de vie.

Je me dirige sur Center Street, dans mon costume Prince De Galles gris anthracite flambant neuf, cravate noire sur une chemise blanche, chapeau sur la tête. Je progresse à Foley Square, dans le Civic Center du quartier de Manhattan. Rendu devant le palais de justice, The New-York County Courthouse, je me fige devant ce bâtiment hexagonal avec sa façade en granit, impressionné par ses colonnes imposantes et son grand escalier. Quelques avocats me toisent en descendant les marches.

Je prends une grande inspiration et monte. J’entre dans le hall d’accueil, immense, démesuré avec sa grande hauteur sous plafond. Je reste hébété quelques secondes à balayer la salle du regard et les allées-venues de tous ces gens. J’observe les bureaux d’accueil, tous occupés. Enfin, un emplacement se libère ! J’y vais. La femme a la tête plongée dans ses dossiers. Je m’éclaircis la gorge pour attirer l’attention de la secrétaire.

— Bonjour, Madame.

La femme, d’une cinquantaine d’années, rondelette, aux cheveux blonds courts et bouclés, portant des lunettes rouge en demi-lune, lève la tête de ses documents. Elle me lance un sourire amical. La chaîne métallique dorée, pendouillant sur ses épaules, tinte contre ses boucles d’oreilles imposantes. Elle pose ses doigts boudinés recouverts de bagues sur son bureau, m’invite à m’asseoir.

— Bonjour, alors qu’est-ce qui t’amène ici mon garçon ?

Je retire mon chapeau.

— Et bien, je suis diplômé d’une université de droit, et maintenant je souhaiterais exercer mon métier d’avocat. J’ai besoin de vos conseils, où dois-je m'adresser, comment obtenir des affaires, rencontrer les gens qui ont besoin d’un avocat, pou…

La femme me coupe en levant les bras.

— Oula pas si vite ! Doucement jeune homme.

Je parle vite, faisant des gestes avec les mains, tout en essayant de cacher mon accent italien.

— Tout d’abord, j’ai besoin de vos papiers, carte d’identité et diplôme.

Je les lui remets. Elle n’y voit que du feu. Ça me rassure.

— Oh, l’université de San Francisco, bien, très bien. Qu’est-ce qui t’amène ici alors, dis-moi ?

Je fuis la Mafia ! Non, impossible de sortir un truc pareil.

— La famille, l’envie de découvrir New-York…, dis-je en haussant les épaules.

La femme acquiesce avec joie, scrute ma carte.

— Marc Anderson…, lit-elle, en levant un sourcil, me fixant d’un regard inquisiteur.

Ah, j’ai parlé trop vite. Qu’est-ce qui cloche ? Mon physique ?

— Ma mère a des origines italiennes.

Cette explication semble lui suffire, puisqu’elle poursuit son discours. Ouf.

— Bien, tout est en règle. Voici une carte d’entrée au palais de justice. Avec ça, tu peux te balader partout. Quel est ton domaine d’intérêt ?

— Je me suis orienté vers la défense des victimes d’arnaque par leurs entreprises. Indemnités de licenciement non payées, abus de confiance et abus de faiblesse, salaires non versés, dommage corporel, entre autres.

— D’accord, d’accord. Cependant, tu n’auras peut-être pas de grosses affaires à gérer.

— Ça me convient très bien. Fraîchement diplômé, je ne voudrais pas me planter dès mon premier procès.

La femme rit de bon cœur. Elle semble en parfait accord avec mes propos. Rester modeste et tout devrait bien se passer.

— Tu as raison ! Il est important de garder la tête sur les épaules dans ce milieu, ne pas aller trop vite !

La secrétaire se redresse, pose ses mains à plat sur son bureau.

— Bien, maintenant que tu as ton pass d’entrée, tu dois te rendre dans le hall B, là-bas, montre-t-elle du doigt. Tu attends sur un des bancs, un avocat expérimenté t’appellera. Une sorte d’entretien préalable d’embauche.

Merde. Je ne m’attendais pas à ça. Face à mon inquiétude, elle balaye de la main mes doutes.

— Ne t’inquiète pas, c’est juste une rencontre entre les anciens et les nouveaux tout frais sortis de l’université, pour expliquer comment tout fonctionne ici.

— Très bien. Merci de m’avoir consacré un peu de votre temps.

— Y a pas de quoi, voyons, je suis là pour ça.

— Ah j’oubliais, comment fait-on pour se rendre à l’université ?

— Tu n’en as plus besoin, maintenant que tu es diplômé.

— Juste pour vérifier des éléments que j’aurais oublié, par exemple.

— Oh pour ça tu as la bibliothèque ! Avec ton pass, tu peux y entrer quand tu veux ! La bibliothèque est adjacente à l’université située sur Sullivan Street. Pas de soucis.

— Merci, bonne fin de journée.

— Bonne chance mon garçon !

Je suis dans le couloir, m’installe sur le banc, j’attends d’être appelé. Le subterfuge va-t-il fonctionner jusqu’au bout ? Ma jambe droite tremble. Je ne veux pas retourner à San Francisco et je refuse de vendre de la drogue. Ce boulot, c’est ma seule option pour me sortir de ce merdier. Tout simplement parce que c’est le métier qui m’a attiré sur le moment. J’ai envie de passer de l’autre côté. Voir ce qui se passe chez les juges. Et j’avoue, ça me fait bien marrer l’idée d’un mafioso infiltrant la justice. Je croise les doigts pour réussir.

Un homme petit aux cheveux blancs et moustachu, lunettes rondes sur le nez, ouvre la porte de son bureau. Il m’appelle. Cet avocat s’est montré plutôt prévenant et protecteur. Il ne m’a posé aucune questions pointues en matière de droit, ni d’interrogations embarrassantes sur ma vie personnelle. Je me sens soulagé.

***

Je me rends régulièrement à la bibliothèque du campus pour consulter les livres de droit pénal. Depuis que je suis mon père dans ses affaires, je m’intéresse non seulement aux comptes de la famille, mais aussi aux lois et au droit qu’il transgresse. J’aurai pu choisir d'être comptable, mais je préfère de loin creuser les failles du système. Avant de me consacrer à la résolution d’une affaire, je passe mes premiers jours à la bibliothèque de l’université. Je me sers de ce dont j’ai besoin. Déjà un mois que je vis à New-York sous les traits de Marc Anderson.

Je marche dans la cour du campus universitaire, livre à la main. Je lève la tête pour admirer le ciel bleu et le soleil, puis baisse les yeux. Je me fige. Mon regard se fixe sur une jeune femme, magnifique, aux cheveux longs tombant en cascade sur ses épaules, couleur or. Ses yeux en amande brillent d’une couleur émeraude. Petite, mince, elle est toute mignonne avec son petit nez et ses lèvres pulpeuses en cœur. Elle arbore un sourire radieux sur son visage fin et ovale. Sa peau blanche est parsemée de taches de rousseur. Je l’admire dans sa robe ceinturée en crêpe imprimé noir et blanc. Le coup de foudre. J’ai toujours eu un faible pour les blondes. Elle est lumineuse, rayonnante, éblouissante. Je suis sous le charme.

Je m’approche de ce trésor. Je ne veux pas la laisser s’échapper. Elle sent mon regard intense posé sur elle. Elle se fige en me voyant. J’espère ne pas lui faire peur… Non, ses joues sont toutes rouges. Tombera-t-elle sous mon charme ravageur ? Aime-t-elle les beaux ténébreux à la peau mate ? C’est bien la première fois que ça m’arrive ! Elle me trouble. Je n’ai jamais ressenti une telle puissance magnétique pour personne.

Nous n’arrivons pas à détacher notre regard l’un de l’autre. Nous nous rapprochons. Je la dépasse bien de deux têtes. J’ai envie de la prendre dans mes bras et de ne plus la lâcher.

— Salut, je m’appelle Marc. Marc Anderson.

— Salut. Moi, c’est Kathleen Brennan. Mais… tu peux m’appeler Kate, sourit-elle.

Je me passe une main dans les cheveux. Je me sens bête ! Elle me bouleverse. Je ne sais pas quoi dire !

Je fourre une main dans la poche, livre dans l'autre, sacoche en bandoulière.

— Tu… Ça fait longtemps que tu étudies ici ?

— Je suis en cinquième année de droit. J’ai presque vingt-cinq ans… J’ai fait deux ans en études de lettres, avant… mais ça ne m’a pas plu… Bref, j’ai hâte que ça se termine, rit-elle nerveusement, intimidée. Et toi ?

— Moi ? Ah, euh oui… Moi, j’ai déjà mon diplôme. Je viens à la bibliothèque pour me renseigner sur des affaires. J’ai vingt ans.

— Pardon ? Ce n’est pas possible d’avoir son diplôme aussi jeune !

Oups, qu’est-ce que je raconte ? Je suis confus, ris nerveusement. Je me comporte comme un imbécile ! C’est pas vrai ! C’est elle que je veux. Je ne vais pas la laisser filer à cause de mes bafouillages. Je fouille dans ma sacoche, sort ma carte d’identité, scrute la date de naissance de Marc Anderson inscrite : 2 novembre 1906. Puis, je la range nerveusement.

— Non, j’ai vingt-six ans… Oui, vingt-six.

Kate pouffe de rire.

— T’as besoin de regarder ta carte d’identité pour savoir ton âge ?

— Oui, non, enfin… Tu me déstabilises ! Je raconte n’importe quoi !

Elle plaque sa main devant la bouche, puis se met à ricaner.

— Moi ? Tu dois en avoir pourtant des filles qui te courent après !

— C’est toi qui me plait.

Kate a un mouvement de recul, elle baisse la tête et finit par s'éloigner de moi en trottinant. Merde, ai-je été trop brusque, trop rapide ? À vrai dire, je ne sais pas trop comment m'y prendre. C'était plus simple avec Linda et Sofia... En pensant à elles, mon cœur se serre. Je soupire, rentre à l'hôtel.

Je n'arrive pas à dormir de la nuit, pense constamment à Kate, à ses cheveux blonds lumineux, ses yeux au regard doux, sa silhouette grâcieuse, son sourire radieux et son parfum de rose entêtant.

Dès le lendemain, je me rends à la bibliothèque, j'attends presque deux heures au milieu des livres à guetter sa venue. Je la vois dans une allée, les cheveux attachés en queue de cheval. Je me lève et stoppe net lorsque j'aperçois une femme discuter avec elle. Je n'ose pas l'approcher. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, je sens mes joues chauffer. Je la suis du regard, elle tourne la tête vers moi, sourit, et se cache la bouche derrière son livre. Elle baisse la tête et sors de la pièce. Je retenterai demain.

Son visage, sa seule présence, accapare mes pensées et mes rêves. Je n'arrive pas à l'oublier. Je dois lui parler à nouveau, lui proposer de prendre un café. Si ça marche, tant mieux, sinon... je devrais me résoudre à la laisser... Je me prends la tête entre les mains, cette idée qu'elle puisse me rejeter m'est difficile à accepter.

Le lendemain, je la retrouve dans le parc situé face à l'entrée de la bibliothèque. Je lui attrape la main. Elle sursaute, mais ne crie pas et ne retire pas sa main.

— On peut discuter ? dis-je, en lui lâchant la main.

Elle est rouge comme un coquelicot. Elle acquiesce. Ravi, j'entame la discussion sur ses études, les cours. Les langues se délient, nous discutons de tout et de rien. Nous nous donnons plusieurs fois rendez-vous devant la bibliothèque, à la même heure, dix-huit heures.

Je m'approche d'elle un peu plus chaque jour. Elle ne me repousse plus, nos mains s'effleurent de temps à autre, sans gêne. Après trois semaines à nous voir, je n’hésite plus, j’approche mon visage de celui de Kate. Je pose délicatement une main sur sa joue gauche. Mes doigts plongent dans sa lumineuse chevelure. Je pose mes lèvres sur les siennes. Elle se laisse faire. Elle accepte. Je l’embrasse. Après ce baiser long et sensuel, elle relève la tête vers moi, les yeux brillants.

— Ça te dit de prendre un café ? proposé-je.

— Oui, avec plaisir.

Je lui souris, lui prends la main. Elle devient rouge comme une pivoine, à la fois gênée et ravie. J’ose croire que notre intérêt amoureux est réciproque. Nous sortons du campus main dans la main.

***

Je revois Kate plusieurs fois au café du coin. Nous commandons la même chose à chaque rencontre, nous discutons. Enfin, c’est surtout elle qui parle. Ça m’arrange. J’esquive les questions. C’est une immigrée irlandaise, arrivée avec ses parents à New-York, à l’âge de trois ans. Elle a réussi à intégrer une école prestigieuse, sa plus grande fierté comme elle aime le souligner. Kate attaque sa dernière année d’études, s’accroche pour obtenir son diplôme. Ses parents étaient des cordonniers connus en Irlande. Malgré des revenus modestes, ils ne sont parvenus à se faire qu'une petite place dans le milieu de la chaussure. lls habitent à White Plains, à une heure de route d’ici, ce qui fait trop loin pour elle pour se rendre à l’université. Alors ils louent pour elle un petit appartement proche de l’université, situé à l’angle de Bleecker Street et de Carmine Street, au troisième étage d’un bâtiment en briques rouge.

— Ça m’a l’air charmant.

— Je vais souvent dans le square d’en face pour réviser. C’est joli, tu devrais venir voir.

— Je suis partant, dis-je en finissant mon café.

Kate pose ses coudes sur la table. Elle me scrute de ses beaux yeux verts.

— Bon, et toi alors ?

— Moi ? Je n’ai pas grand-chose d’intéressant à dire…

— Tu as les cheveux si noirs et la peau si dorée. D’où ça te vient ?

Je me passe une main dans les cheveux, embarrassé.

— Ça ne te plait pas ?

Kate se redresse et pointe le doigt vers moi, bras tendu.

— Arrête d’esquiver mes questions ! Tu me plais énormément !

Elle rougit, puis plaque ses mains sur ses genoux.

— Et ton petit accent me fait craquer… Je t’ai tout dit sur moi, alors toi aussi, parle-moi de toi…

Je soupire, touché par ses mimiques…

— Okay. Et bien…

Je me tiens l’arrière de la tête. Je dois mentir pour me sortir de ce pétrin. J’invente un truc, m’explique avec des gestes.

— Mon père est Américain et ma mère est Italienne.

— Tu sais parler italien ?

— Bah, pas vraiment… Ma mère m’a juste appris quelques mots. Elle ne voulait pas parler italien à la maison, pour… s’intégrer au pays. Donc… je ne sais pas parler cette langue…

— Ah… C’est dommage. Et tu habites où ?

— En fait, je vis à l’hôtel pour le moment…

— Vraiment ? Pourquoi ?

— Je suis né à San Francisco et j’y ai fait mes études de droit.

— Qu’est-ce qui t’a amené à New-York alors ?

— Je voulais découvrir cette ville et exercer mon métier ici. Je suis à l’hôtel depuis… trois mois.

Trois mois… La date est déjà dépassée. Je devais rentrer chez moi, pour mon mariage avec Giorgia. Je serais curieux de savoir leurs réactions, à tous. Mon père a certainement dû me chercher partout. J’espère qu’il ne me retrouvera jamais…

— Viens habiter chez moi, suggère Kate.

Je lève un sourcil, sourit en coin, bouche légèrement entrouverte, étonné. Elle s’étonne elle-même par ce qu’elle vient de dire. Elle plaque une main sur sa bouche, puis replace une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Enfin… Je veux dire…

— Je suis tombé sous ton charme dès que j’ai posé les yeux sur toi, dis-je.

— Toi aussi… C’est ça ce qu’on appelle le coup de foudre ?

— Sans doute.

— Alors, viens avec moi !

Nous nous dirigeons vers mon hôtel. Nous nous retrouvons rapidement à nous embrasser et à nous déshabiller avec fougue. Nous tombons sur le lit double. Nous faisons l’amour. Après l’acte, tous les deux en sueur, nous restons allongés, collés l’un à l’autre. La brise du soir vient caresser nos corps nus.

Le lendemain matin, nous sortons de l’hôtel. Je prends ma valise, ma mallette et ma sacoche. Quant à Kate, elle porte mes costumes en sautillant sur place. Je la suis vers son domicile, en souriant. Je m’installe dans cet appartement deux pièces de 60m2. Petit, mais chaleureux et cosy. Ce qui me convient très bien. Kate me fait visiter. Lorsqu’elle me laisse dans la chambre aux murs rose pale, je me hâte de cacher ma mallette d’argent liquide derrière la grande armoire et de ranger mon arme dans la table de chevet, avec mes chaussettes.

Kate entre discrètement dans la chambre et se met à fouiller dans ma valise.

— Hey, ne touche pas !

— Quoi, ça te gêne que je touche à tes sous-vêtements ?

— Oui, enfin… non… tu peux fouiller.

— D’accord !

Elle sort des chemises et des pulls. Puis elle tombe sur le châle rose à petites fleurs violettes.

— Oh ! C’est un châle de fille ! Pourquoi as-tu ça dans ta valise ?

Je continue d’accrocher mes costumes dans l’armoire, le regard vide.

— Je… je n’aurais peut-être pas dû y toucher…

— Non, non ce n’est rien. C’est un souvenir.

— De qui ? De ta mère ?

— Euh… oui…

Je mens une nouvelle fois, en me massant l’arrière de la nuque. Je ne peux pas lui dire d’où je viens, ni mon histoire. Le passé reste caché. C’est mieux comme ça. En vérité, j’ai peur qu’elle me fuit.

— Il est joli.

Kate replie le châle et le range dans le tiroir de la commode. Je soupire et rougis malgré moi en revoyant ce châle dans ses mains. Quelque part, elle ressemble à Astrid, en bien plus jolie. Elle me donne un baiser, puis au moment de sortir, je la rattrape par le poignet et la tire vers moi. J’aime ce son chantant et angélique, lorsqu’elle rit. Nous tombons sur le lit pour nous envoler au septième ciel.

***

Plusieurs mois passent, Kate et moi, nous nous découvrons, toujours fous amoureux l’un de l’autre. Nos traits de personnalité, nos préférences, nos goûts et nos habitudes se dévoilent jour après jour.

Un jour, à la sortie de l’université, Kate m’emmène à la pizzeria, un lieu qu’elle adore. Elle s’y rend souvent d’ailleurs dans ce petit restaurant familial situé en face de l’université. J’y vais pour lui faire plaisir, car en vérité, je n’aime pas y mettre les pieds, à cause du pizzaiolo. À chaque fois que nous franchissons la porte de son restaurant, le cuisinier me parle en italien. Je tiens à garder ma couverture secrète ! Alors, je réponds d’un air agacé, pour esquiver la discussion : « Désolé je ne parle pas italien ».

Kate me regarde de biais, assise, les coudes posés sur la table et les mains sur ses joues.

— T’es sûr ? Pourtant t’as un accent méditerranéen quand tu parles.

— Vraiment ? dis-je d’un sourire forcé.

— C’est un des petits trucs que j’adore chez toi.

— Petit oui, j’échangeais quelques mots d’italien avec ma mère. Avec le temps, j’ai oublié.

Pendant leur repas, la serveuse apporte deux cafés à la table voisine. Puis avec un grand sourire amical, sort en italien : « Ho sputato nel tuo caffè », ce qui signifie « j’ai craché dans ton café ».

Je me retourne, fusille la serveuse du regard, qui sourit. Les clients n’ayant rien compris, la remercient, croyant juste qu’elle leur disait « voilà vos deux cafés ».

La pizza de Kate finie, elle lève une main pour demander deux cafés aussi.

— Non ! m’écrié-je en baissant le bras de Kate violemment.

— Marc, qu’est-ce qui te prends ? Tu m’as fait mal.

Elle se masse le poignet. Je vois le pizzaiolo ricaner, rouler un cure dent de droite à gauche dans sa bouche avec sa langue. La serveuse me fait un clin d’œil. Le cuistot ne s’est pas avoué vaincu, il m’a tendu ce piège pour enfin obtenir la réponse à sa question. Je me suis fait avoir comme un débutant. Quelle andouille !

— Pardon, mais pas de café, pas ici. On s’en va !

— Mais Marc, tu n’as même pas fini ta part…

— Arrête, on se tire j’te dis !

Kate s’exécute, sans un mot. Elle ne m’a jamais vu m’emporter comme ça pour pas grand-chose. Au moment de payer, le pizzaiolo me lance un « j’t’ai grillé » en italien. Je le regarde durement, contenant mon animosité. Je sors sans un merci, ni un au-revoir.

— Marc, enfin, qu’est-ce qui t’as pris de réagir comme ça ? insiste Kate. Qu’est-ce qu’il a dit ?

— La ferme tu veux !

— Mais… ?

— Plus de restaurant italien, c’est compris ? Si tu veux y aller, t’iras sans moi, avec une copine si ça te chante !

— Mais Marc…

— Fous-moi la paix !

Les promeneurs se retournent sur nous, se demandant certainement ce qu’un homme comme moi veut à cette pauvre jeune femme. Kate fait signe de ne pas s’inquiéter et trottine derrière moi, penaude.

En rentrant chez nous, je file dans la salle de bain, me déshabille et prends une douche. J'en ressors, nu comme un vers, quelques gouttes d’eau ruisselant encore sur mon torse musclé. Kate est là, à me contempler avec des yeux brillants de désir. Elle ne peut pas résister. Je m’approche pour l’embrasser, nous nous réconcilions sur l’oreiller, oubliant l’épisode fâcheux de ce midi. Les gens disent « l’amour rend aveugle », c’est bien la cas entre nous.

Le lendemain, je me mets au travail, et Kate, le nez dans ses cours.

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