62

17 minutes de lecture

En remontant Mulberry Street, je croise un groupe de quatre personnes qui semblent peu recommandables. J’accélère le pas, mais l’un d’eux me rattrape. La discussion se déroule en italien.

— Eh toi, tu nous espionnes ?

— Pour quelle raison ferais-je cela ? soupiré-je. J’ai trop traîné…

— Tu squattes depuis des heures ! On connait tout le monde ici, j’tai jamais vu toi.

— Normal, je n’habite pas ici.

— Retourne dans ton quartier, ici c’est le nôtre, celui des Siciliens !

— Vous avez divisé le quartier en plusieurs groupes ?

— Exact. Toi, je t’ai vu, tu viens de la zone occupée par les Napolitains. Ici, t’es chez nous !

— Tu dois payer un droit de passage si tu veux traverser notre zone ! explique le second.

— Ne puis-je pas être tranquille ? dis-je, agacé.

— On t’a vu discuter avec l’épicier. Tu te débrouilles bien en anglais et vu l’état de ton costume, tu dois avoir pas mal de fric sur toi.

Je sens que cette histoire va mal tourner. Je pose mon sac de course sur le trottoir. Il ordonne à son gars de me fouiller. Avant même qu’il n’atteigne ma poche, il se retrouve à terre. Je lui ai fait une prise de combat qu’il n’a pas vu venir. Il n’a rien compris le gars. Je ricane.

— Quoi ? Mais c’est qui ce type ?! Choppez-le !

Les deux autres se ruent sur moi, poings levés. J’esquive facilement, donne un coup de genou dans le ventre de l’un et un uppercut droit dans la mâchoire de l’autre. Le dernier tire un coup de feu, que j’évite de justesse, la balle explose la vitrine derrière moi. Je riposte en sortant mon arme de mon holster d’épaule, tire un coup dans la main de mon adversaire. Ce dernier lâche son arme.

— Putain de merde ! vocifère-t-il, en tenant sa main ensanglantée.

Un homme sort de l’ombre. Le chef du groupe sans doute. Il s’avance, accompagné de deux autres associés. Je me dresse de toute ma hauteur, sans un mot.

— Laissez-le partir, tranche le chef au bout de quelques secondes de réflexion.

— Mais patron ?

— Silence ! Laissez-le.

Étrange. Pourquoi réagit-il ainsi ? Je récupère mon sac, puis m’éloigne, peu rassuré. Je jette des coups d’œil derrière moi, au cas où il déciderait soudain de riposter. Ils restent tous plantés là sur le trottoir, à me regarder. M’aurait-il reconnu ? Non, impossible. Ils ne me connaissent pas ici. À moins que… L’idée que Marco me recherche me traverse l’esprit. Je secoue la tête pour chasser cette pensée.

Cette nuit-là, je rencontre un autre problème à l’intersection de Lafayette Street et de Bleecker Street. Trois nationalistes américains, ivres, se mettent à m’insulter.

— Hey, le connard de rital, t’es ici chez nous ! peste le premier. Dégage d’ici !

— Tu t’es trompé de chemin ! dit le second. Retourne dans ton quartier de pouilleux !

— On n’aime pas ta race, putain de voleur ! renchérit le troisième.

— Ça y est j’en ai marre. C’est pas possible, c’est une blague ?!

Je ferme les yeux, me tient l’arête du nez entre le pouce et l’index, et pose l’autre main sur ma hanche.

— Putain quelle journée de merde ! Mais laissez-moi tranquille à la fin ! hurlé-je, ouvrant les yeux et en écartant les bras.

Je m’adresse plus au ciel qu’aux hommes. Les trois hommes n’acceptent pas ma réaction, car ils me lancent leurs bouteilles de bière. Ils me ratent. L’un d’eux remonte ses manches, accélère le pas vers moi.

— Tu vas morfler le macaroni !

Je lui donne un coup de pied latéral dans le bassin, le mettant ainsi à genoux. Je l’agrippe ensuite par les cheveux.

— Arrêtez de nous faire chier, si vous voulez éviter les ennuis, compris ?

L’homme secoue la tête en guise d’acceptation. Les trois sont visiblement bien éméchés. Ils n’insistent pas et passent leur chemin.

Je reprends ma route, en donnant de violents coups de pied dans les poubelles sur mon passage. Les poubelles se renversent au sol. Je donne des coups de poings dans les volets des habitations, de rage, de nervosité et d’exaspération.

Arrivé à la maison, je trouve Kate debout dans le salon, face à l’horloge posée sur le buffet. Lorsque je ferme la porte, elle se tourne vers moi, en pleurs et en colère. Elle s’avance, poings serrés, puis me gifle.

— T’as vu l’heure ?! gronde-t-elle. Il est plus de minuit ! T’étais où pendant tout ce temps ? Je me suis fait un sang d’encre !

Je respire profondément, prend le visage de Kate entre mes mains, puis presse légèrement ses joues douces tachetées de roux.

— Je suis désolé. Un client m’a reconnu et m’a interpelé en revenant sur Bleecker Street, mentis-je. Il voulait me montrer d’autres preuves, il m’a invité chez lui et je n’ai pas vu le temps passer.

— C’était une fille n’est-ce pas ?

Je presse plus fortement ses joues.

— Non, tête de linotte ! C’est le client de l’affaire sur laquelle je travaille en ce moment.

— Ah, Monsieur Spencer ?

Kate recule, se dégage de mon emprise.

— Oui, puisque je te le dis. Je vais ranger le café.

Elle me regarde, les yeux rougis par les larmes. Elle semble légèrement rassurée en constatant que je me suis bien rendu à Little Italy acheter du café.

— Tu n’as vraiment fait que ça ? insiste-t-elle lourdement. Tu n’es pas allé rendre visite à une chérie ?

Je baisse la tête, pour masquer la colère qui monte en moi. Ma journée a été assez éprouvante comme ça, inutile qu’elle en rajoute avec sa crise de jalousie ! Je pose les mains à plat sur l’évier, souffle pour garder mon calme.

— Je sais bien que tu plais aux femmes, je ne suis pas dupe !

— Arrête ! Je ne vois personne d’autre que toi, dis-je entre mes dents serrées.

— Mais tu es resté si longtemps dehors ! Tu as certainement flirté avec une autre fille !

— Arrête Kate ! Ça suffit ! J’ai vu Spencer ! D’accord ? Fais-moi confiance, merde !

Je pars de nouveau m’enfermer dans la salle de bain. Cette fois-ci, je prends une longue douche bien fraîche. Les mains plaquées au mur devant moi, je laisse s’écouler l’eau sur ma nuque. Je râle sous l’eau de la douche. Éreinté de subir les doutes de ces imbéciles, de faire face à leurs réactions souvent inattendues, je me sens détruit. Une couleur de peau et de cheveux marquée, génétiquement parlant, je n’ai clairement pas la tête d’un « Marc Anderson » américain. Posséder le physique « méditerranéen » me prédispose en effet à la rencontre de tout un tas d'abrutis finis.

— Tout va bien, Marc ?

Je redresse la tête, je viens d’entendre la voix de Kate. Elle doit s’inquiéter, mais je n’ai pas la force de lui répondre. Je baisse la tête sur mes pieds, l’eau ruisselle sur mon visage. Les États-Unis sont peuplés de gens méfiants, dont la fréquentation a fini par m’apprendre deux ou trois choses sur les discriminations quotidiennes dont je suis victime. Je prends finalement conscience que le poids de l’organisation ajouté à celui d’un physique italien, une réalité affreusement banale, ancrée dans le quotidien, m’use à petit feu. Le rejet fait mal. Il faut que je prenne sur moi et que je passe outre ces remarques désobligeantes pour avancer. Les gens trouveront toujours une raison de se défouler sur moi de toute façon. Pour les uns, je suis un criminel, pour les autres, un immigré venu voler le travail des honnêtes citoyens.

Je ferme le robinet, sors de la douche, attrape une serviette. En m’essuyant les cheveux, je me regarde dans le miroir. Victime des méfiances, des peurs enfouies et pathétiques que je dois affronter au quotidien, je réprime mon ressentiment, pour ne faire qu’un avec mon identité usurpée. Se fondre coûte que coûte dans la masse pour échapper à mon quotidien, à ma famille. Je dois avant tout faire bonne figure auprès de Kate. Je pose la serviette, enfile mon pyjama, puis la rejoins dans la chambre. Je me place sur le côté derrière elle, pose une main sur ses hanches. Nous nous endormons, en silence, blottis l’un contre l’autre.


***

Le lendemain, au déjeuner, Kate pique du bout de sa fourchette les petits pois dans son assiette. Elle semble tracassée par quelque chose. À quoi peut-elle penser ? Notre relation ? Mon attitude ? A-t-elle des doutes ? Je n’ose pas lui demander. Finalement, c’est elle qui brise le silence en m’envoyant une pique.

— Tu y vas souvent quand même dans ce quartier…

En réponse, je lève les yeux aux ciel. Elle recommence une crise de jalousie ?

— J’aime bien, dis-je simplement.

— Beaucoup de gens l’évitent tu sais… ça me fait peur…

— Ah bon ? C’est vivant comme quartier et j’y trouve mon café.

— Juste pour cette raison ?

— Oui, rien d’autre qui en vaille la peine.

— Tu pourrais en trouver ailleurs…

Elle est bien jalouse ! Agacé, je pose brutalement mes couverts, qui tintent et s’entrechoquent sur le bord de l’assiette.

— Non, je préfère ce café là et je ne le trouve que dans ce quartier.

Kate reste dubitative, pince ses lèvres en cœur. Je pose mes coudes sur la table et la scrute du regard.

— Je ne vois personne !

Elle sursaute à cette remarque. Elle n’insiste pas ouvertement sur ce point, s’oriente autrement.

— Dis… tu te sens plus italien qu’américain ?

Je fronce les sourcils, pris au dépourvu. Je ne m’y attendais pas à celle-là.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Tu as un physique bien typé Méditerranée tout de même… et tu passes beaucoup de temps parmi eux…

— Tu dis « eux » maintenant ? Ce sont des gens comme tout le monde !

Elle s’enfonce de plus en plus. Je vois bien qu’elle essaye d’éviter les sarcasmes et les préjugés, mais elle touche un point sensible. Vu ma réaction, elle ne sait plus comment amener la conversation, déviant de son but premier, à savoir si je fréquente une autre femme.

— Euh… c’est-à-dire qu’ils sont différents, pas comme nous… ils sont dangereux et peu soignés.

Je m’appuie sur la table, approche mon visage du sien, la regarde dans le blanc des yeux.

— Je te fais peur ?

— Non…, bredouille-t-elle, détournant son regard. Bien sûr que non, Marc.

Évidemment, Marc Anderson. Et non pas Jack Calpoccini. Je ne peux pas être comme lui. Je suis né aux États-Unis, mais personne ne le voit ainsi. Ce qui met une barrière entre moi et les autres américains. Je me sens le cul entre deux chaises. Dans quel camp est-ce que je me trouve ? Est-ce que je préfère ce pays ou l’Italie ? Fâcheux dilemme auquel je me heurte constamment, ne sachant pas vraiment où est ma place, passant d’une langue à une autre sans difficulté, tantôt américain, tantôt italien. Je ne connais pas l’Italie, mais je suis l’un des leurs. Je connais une partie des États-Unis, étant né sur ce sol, mais je ne suis pas reconnu comme tel.

Je me lève, me poste devant la fenêtre du séjour, puis m’appuie sur le bâti, les bras croisés, réfléchissant de quel côté je me situe.

— Juste un fils d’immigrés… marmonné-je.

J’entends Kate débarrasser la table, et faire la vaisselle.

— Quoi ? Tu as dit quelque chose ?

— J’irais moins dans ce quartier, si cela t’inquiète autant.

Elle me regarde, son torchon à la main.

— Merci Marc, ça me rassure.

Je souris timidement. Je dois me concentrer sur mon travail, soutenir Kate dans ses études et oublier cette fâcheuse journée.

Épuisé, je la rejoins rapidement au lit, après un bon bain. Je la trouve couchée de côté, la lampe de chevet est allumée. Je me place derrière elle, ma main droite sur son bras. Elle remarque la forme spéciale de mon majeur. Elle prend ma main dans la sienne pour observer mes longs doigts de plus près.

— Tiens, je ne l’avais jamais remarqué auparavant… Ton majeur est courbé.

Elle glisse son doigt de la base vers le bout de mon majeur. Je relève la tête, pose mon menton dans le creux de sa nuque.

— Fracture de la première phalange.

— Comment tu t’es fait ça ?

— En tombant sans doute…, improvisé-je.

— Tu ne t’en souviens plus ?

— Ça remonte à loin…

Je change de sujet, enivré par son odeur de parfum à la rose.

— Sa forme me permet de faire des choses intéressantes, susuré-je dans son oreille, en lui mordillant le lobe.

— Comme quoi ? demande-t-elle d’un ton langoureux.

— Ça par exemple.

Je glisse délicatement mon majeur sur la bouche de ma bien aimée, puis sur sa poitrine, son ventre, son nombril, pour finir ma course sous sa culotte, caressant son clitoris. J’enfonce doucement mon doigt dans son vagin, elle gémit. Nous nous embrassons, puis je la pénètre, exerce des mouvements de va-et-vient de plus en plus forts. Mon corps et le sien ne font plus qu’un. Je suis fou amoureux de Kate.

Je revois Giulia quelques jours plus tard en me promenant avec Kate main dans la main, sur Spring Street.

Trois hommes, un grand blond et deux autres châtains, d’une trentaine d’années tournent autour de Giulia, lui soulevant sa jupe, l’attrapant par les cheveux. Elle hurle en italien, implore qu’ils la laissent tranquille. Les types ne comprennent rien, se moquent d’elle. L’un d’eux lui arrache son sac de course des mains et le déchire volontairement pour étendre le contenu au sol à la vue de tous.

— Hey, regardez ça ! se moque le premier. Des pâtes ! Comme c’est original, n’est-ce pas ?

Les trois s’esclaffent dans un rire moqueur et mesquin. Les passants ne réagissent pas, détournent même le regard. Soudain, les gars agrippent Giulia par les épaules pour l’emmener de force au rez-de-chaussée d’un immeuble en construction. Je comprends leur intention. Je lâche la main de Kate pour me précipiter dans l’immeuble pour intervenir. L’un des types plaque Giulia au sol. Elle est en larmes, avec sa culotte descendue sur ses chevilles. Je donne un grand coup de pied dans le bas du dos de l’homme. Il hurle de douleur. Je me retourne pour esquiver l’attaque du deuxième, riposte par un coup de poing direct dans la mâchoire. Le troisième s’élance, je me baisse, pour le faire tomber avec un coup de pied latéral, puis lui administre des coups de pied dans le flanc.

— Foutez le camp bande de lâches !

Les trois hommes se tortillent au sol.

— Tu ne perds rien pour attendre connard de rital !

Je redonne un coup se pied direct dans son nez. Le sang gicle. Il se plaque une main pour stopper le liquide qui dégouline.

— Vous n’avez surtout pas intérêt à poser les mains sur elle ! Déguerpissez !

Ils n’en démordent pas. Ils se relèvent tant bien que mal.

— On va te faire la peau !

L’homme pointe une arme, je réagis vite, sors la mienne, puis lui tire une balle dans le coude. Il braille de douleur. Giulia, consciente, relève la tête pour observer la scène. Merde. Je n’avais pas vraiment envie qu’elle me voit faire ça. Kate aussi est là. Elle examine le combat qui se déroule sous ses yeux. Elle m’a sans doute suivi. Je la vois, cachée derrière les bâches suspendues. Elle ne me quitte pas des yeux. Zut. Les deux autres aident leur camarade, partent ensemble en vociférant des insultes à mon encontre.

Je me tourne vers Giulia, puis vers Kate. Je vais devoir la jouer stratège. J’alterne habilement la discussion entre elles, en parlant tantôt en italien, tantôt en anglais.

— Stai bene ? dis-je en m’agenouillant devant Giulia.

Elle me saute au cou.

— Grazie ! Grazie ! Grazie ! pleure-t-elle dans mes bras.

Je vois Kate du coin de l’œil triturer sa robe. Elle fronce les sourcils et crispe la mâchoire, mécontente. Je me relève, avec Giulia agrippée à ma taille. Elle colle sa tête sur mon torse, respire mon odeur. Nous avançons vers la sortie et Kate.

— Kate, je vais t’expliquer, mais pas maintenant, d’accord ?

— C’est qui… elle ? articule-t-elle douloureusement, dents serrées.

— Une connaissance. Il n’y a rien entre nous.

Giulia toise Kate du regard, l’analyse de bas en haut et de haut en bas, en serrant plus fort ma taille.

— Vraiment ? s’irrite Kate.

Je repousse Giulia, mais elle s’agrippe comme une sangsue. Elle me chope fermement par le bras.

— Ti prego, non lasciarmi sola adesso !

— Ho capito, non preoccuparti. Ti riaccompagno.

— Alors comme ça, tu parles italien maintenant ? Ça t’es venu d’un coup, d’un seul ?

— Kate, pas maintenant ! Je parle mal cette langue. Viens, on la ramène d’abord chez elle.

Kate ne peut que nous suivre, préférant nous surveiller de près. Giulia reste accrochée à mon bras. Je lève les yeux au ciel, je suis en mauvaise posture. Giulia est ravie de cette situation, je le vois dans ses yeux malicieux et son sourire satisfait. Mais je ne peux pas la repousser, pas après ce qui vient de lui arriver. Je la laisse à l’entrée de Little Italy, à l’intersection de Broome Street et Mulberry Street. Je la prends en aparté pour discuter, mais Giulia parle fort. Je suis certain qu’elle le fait exprès. Je n’ai pas le choix d’échanger en italien, elle ne comprend pas l’anglais.

— Je te laisse là, je n’irai pas plus loin.

— Mais pourquoi ? dit-elle. Tout le monde te connait, tu es le bienvenu !

— Justement, je ne veux pas me faire remarquer.

— Ah j’ai compris, à cause d’elle, n’est-ce pas ?

Elle donne un coup de tête en direction de Kate, qui attend la fin de notre conversation incompréhensible pour elle. Sa mine renfrognée me dit que je vais passer un sale quart d’heure. Elle s’agrippe fermement à la bandoulière de son sac à main,

— Oui, elle ne sait pas que je suis connu ici.

— Tu lui fais des cachoteries ?

— Je veux juste la protéger.

À ces mots, Giulia reste circonspecte.

— Tu es ici chez toi tu sais.

— Oui, je sais…

Sa remarque me désole. Je préférerais faire partie des New-yorkais.

— Merci de m’avoir sauvée, ils m’auraient sans doute violée sans ton intervention.

À cette pensée, Giulia sanglote, serre ses propres bras autour d’elle-même. Je la prends dans mes bras pour la réconforter. Kate me fusille du regard. Je n’aurais peut-être pas dû faire ça. Je ne fais rien de mal ! Décidément, les femmes sont bien mystérieuses.

— Fais attention à toi, et habille-toi de manière… moins provocante.

— Quoi ?! Tu insinues que c’est de ma faute ? s’offusque Giulia.

— Non, non…, dis-je en baissant les mains pour la calmer. Non, ce ne sera jamais de ta faute, ce sont des imbéciles.

— Alors pourquoi tu me sors ça ?

— Je veux juste te prévenir que je ne serai pas toujours là pour te venir en aide, que tu dois faire plus attention à toi.

— Okay, tu t’en sors bien. Je sortirai avec un mec costaud pour faire mes courses !

— Oui, si tu veux. Mais tu peux t’en sortir toute seule tu sais.

— Je ferai de mon mieux pour envoyer balader tous ces crétins.

— Prends soin de toi.

Giulia m’embrasse sur la joue, ce qui met Kate en ébullition.

— Ravie d’avoir entrevu l’un de tes talents ! La vieille avait raison, beau et fort ! s’exclame Giulia en me lançant un clin d’œil.

Puis elle me quitte enfin pour rentrer chez elle. Je m’assure qu’elle part sans encombres en la suivant du regard. Je me tourne ensuite vers Kate, nerveux, voyant son regard mauvais. Je lui prends la main, puis nous reprenons notre route en direction de notre domicile. Le silence est pesant, j’étouffe ! Qu’est-ce que je dois lui dire ? M’excuser ? Mais de quoi bon sang ? J’ai juste aidé une amie. Bon, je comprends que Kate ne pense pas comme moi. C’est elle qui brise le silence au milieu du chemin.

— Tu me caches des choses, Marc.

— Non, je parle un peu italien, je n’ai pas tout compris, mentis-je. Je te l’ai déjà dit, j’ai appris quelques mots par ma mère.

— Je savais que tu me trompais.

C’est pas vrai ! Elle croit toujours que je la trompe ? Pourquoi personne ne me fait jamais confiance ? Ça me gonfle, vraiment. Je suis las de cette défiance.

— Non, pour la énième fois je ne te trompe pas !

Je prends Kate par les épaules, la regarde droit dans le blanc des yeux.

— Je t’aime.

Je la sens frissonner. Ma façon de lui déclarer mes sentiments la fait fondre de plaisir. Je souris en coin. J’ai réussi à la déstabiliser. Aucun son ne sort de sa bouche en cœur. Qui plus est, j’ose dire ces mots en public.

— C’est toi que j’aime et que j’aimerai toujours. N’en doute pas une seule seconde, compris ?

Elle acquiesce, boit mes paroles, sans se poser plus de questions.

— D’accord, j’arrête de t’ennuyer avec mes questions…

Elle s’abstient de m'interroger du moins sur l’instant… Elle résiste pendant le reste du trajet, mais la curiosité finit par l’emporter. Dès que nous franchissons le seuil de l’appartement, les questions pleuvent sans qu’elle puisse les arrêter, incontrôlable. Elle se balade dans le salon, pose ses questions en parlant rapidement. Je reste penaud, bouche bée, un sourcil levé, à écouter ce déferlement d’interrogations.

« Qu’est-ce que tu me caches ? D’où connais-tu le combat ? Comment t’as connu cette fille ? Depuis quand tu parles italien ? Où as-tu appris à te servir d’une arme ? Marc, connais-tu vraiment le droit ? Pourquoi tu te fais arrêter dans la rue ? Pourquoi tu l’as prise dans tes bras, hein ? Comment tu te débrouilles avec tes affaires ? Pourquoi tu veux tant acheter ce café ? Tu m’as prise pour une demeurée ? Je suis quoi pour toi ? Pourquoi t’as laissé cette fille t’enlacer ? Pourquoi t’as parlé en italien avec elle ? Tu voulais éviter que je comprenne ? Tu t’intéresses à elle ? Comment t’as fait pour te battre contre trois hommes ? Pourquoi es-tu rentré tardivement la fois dernière ? »

Kate parle sans discontinuer, de manière décousue, levant les mains au ciel, faisant des va-et-vient dans le salon, les joues rouge de colère. Je la stoppe en l’agrippant par le bras.

— Hey ! Arrête Kate, stop, ça suffit ! Calme-toi !

Elle me gifle violemment, puis elle s'énerve contre moi.

— Tu devais tout m’expliquer… Tout !

Elle se met à tambouriner sur ma poitrine. Je l’arrête en lui attrapant les mains, l’enlace pour la calmer. Elle pleure à chaudes larmes.

— Je suis désolé… Kate calme-toi… Viens te poser dans le canapé.

Nous nous asseyons. Je me passe une main dans les cheveux.

— Y a quelque chose qui te contrarie ? lance Kate.

— Comment ? m’étonné-je.

Elle se détache de moi, me regarde bien en face et me montre le geste que je viens de faire.

— Je te connais ! Je sais que tu te passes une main dans les cheveux lorsque tu es mal à l’aise ou que quelque chose te contrarie !

Je baisse ma main, la place machinalement derrière mon dos.

— Ah… je ne m’en étais pas rendu compte…

— Marc ! Dis-moi la vérité !

Je garde mon calme. Je réfléchis vite à une histoire à raconter. Je dois répondre à ses questions, tout en évitant de dévoiler la vérité. À sa grande surprise, je donne les réponses à ses interrogations.

« Alors si je reprends tes questions, ma mère m’a transmis quelques notions en italien, c’est vrai, je me débrouille un peu, sans plus. Mon père m’a appris à me battre et à me servir d’une arme, en tant que bon américain, il est de mon devoir de savoir défendre ma famille, selon ses propos. J’étais de niveau moyen pendant mon cursus à l’université. D’accord, j’avoue j’ai fait des sorties avec les potes. J’ai décroché mon diplôme après avoir révisé comme un malade. Ensuite… ah oui, pour la fille, je l’ai rencontré à la boutique de café, je lui ai bien dit que j’étais déjà pris, que j’aimais ma compagne, elle l’a bien compris. Elle était en danger, je ne pouvais pas laisser faire cela, pour aucune femme d'ailleurs. Je ne ressens strictement rien pour elle. Voilà tu sais tout… je crois… ».

Je regarde de biais Kate qui pleurniche. Ne sachant plus elle-même quelles questions elle a posé, elle accepte mes explications. Elle pose sa tête sur mon épaule. Je pose la mienne en arrière sur le dossier du canapé, souffle calmement et ferme les yeux.

Elle est naïve, pas bête. Pendant combien de temps va-t-elle encore gober mes mensonges ? J’ai réussi à me dépatouiller de ses inquiétudes, mais cette situation commence à me peser. Et pourtant, je ne peux toujours pas lui avouer la vérité.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire LauraAnco ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0