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Le soir venu, Kate et moi, debouts dans la cuisine aux murs occupés par les placards beige, essuyons ensemble la vaisselle.

— Tu as l’air épuisé depuis le cas de Dean. Mes parents nous ont invité à déjeuner demain. Ça te changera les idées, propose Kate.

— Pourquoi pas. Ça fait un moment que nous ne sommes pas allés chez eux.

— Oui, la dernière fois c’était il y a deux mois !

— Tant que ça ?

— Je me sens seule ces derniers temps dans cet appartement…

— Pardon… L’affaire avec Dean m’a pris beaucoup de temps.

— Je sais, je ne t’en veux pas.

— Et ton amie, Margaret, tu ne la vois plus ?

— Elle s’est trouvée un nouveau compagnon. Alors… dit-elle en haussant les épaules. Elle n’a plus le temps pour les sorties entre copines.

Kate se met à bouder, joues gonflées. Je pose l’assiette que je tenais dans la main, me tourne vers elle.

— Oh ma pauvre chérie, viens là !

Elle sourit, pose les couverts qu’elle essuyait, se blottit dans mes bras.

— En plus de ça, je ne trouve pas de boulot. On me propose que des postes de secrétaire…

— Mon salaire suffit, prends ton temps pour trouver un poste à la hauteur de ton diplôme. D’accord ?

— Vouiii…

— Tu as besoin de te changer les idées toi aussi. Nous irons chez tes parents demain.

Kate place ses bras autour de mon torse.

— Merci chéri.

Nous nous rendons en voiture chez ses parents pour le déjeuner. Kate sonne à la porte. Sa mère vient nous ouvrir. Elle porte une robe évasée bleue marine avec des pois blancs. Son parfum aux lilas envahit nos narines. Paddy jappe à côté d’elle.

— Bienvenus ! lance-t-elle, enjouée. Entrez, entrez ! J’ai invité un ami italien !

Je regarde Kate, un sourcil levé. Elle est bouche bée.

— Je n’étais pas au courant, chuchote-t-elle en se penchant vers moi.

Nous enlevons nos vestes, les accrochons au porte-manteau situé dans l’entrée, puis nous avançons dans le salon, main dans la main. Je porte une chemise blanche, manches retroussées jusqu’aux coudes et un pantalon noir. Kate est vêtue d’un chemisier rouge à petites fleurs blanches et d’une jupe mi-longue évasée marron. Quoi qu’elle mette, elle est toujours magnifique.

— Je vous présente Serafino, annonce sa mère.

— Bonjour, dit-il.

— Il travaille avec nous à la cordonnerie.

— Bonjour, disons-nous ensemble Kate et moi.

— Maman… à quoi tu joues ? grommelle Kate entre ses dents.

J’observe cet homme, petit, cheveux brun ondulés, peau blanche, grand nez et yeux tombants, la quarantaine. Serafino porte un costume trois pièces bleu roi. Il me toise, grimace légèrement en me voyant. Quoi encore ? C’est pas possible ces suspicions ! S’il est italien, il devrait être de mon côté. Je réfléchis deux secondes. Sans doute un italien du Nord. On ne risque pas de s’entendre. Nous nous installons tous à table, sauf la mère de Kate, qui reste debout à servir ses invités.

— Il vient de Milan, lance sa mère. Marc, vous connaissez ?

— Euh… pas vraiment… Comme je vous l’ai dit, je suis né ici.

— Nous ne sommes pas pareils vous savez. Lui… il vient du sud de l’Italie vous voyez… Par conséquent, nous n’avons pas les mêmes valeurs.

Je fronce les sourcils. J’avais bien deviné. Pas la peine d’en rajouter. Nous nous observons d’un air mauvais, pendant qu’elle sert le repas.

— Ah bon… répond la mère.

— Marc est américain, maman, souffle Kate. À quoi tu joues ?

— Je pensais que cela lui ferait plaisir.

Kate fixe son père, secoue la tête.

— C’est ta mère qui a eu l’idée. Tu la connais, quand elle a une idée en tête…

— C’est un ami, j’invite qui je veux !

Serafino s’adresse à la mère, sans détacher son regard de moi.

— Et je vous remercie pour cette invitation. Ça me fait plaisir de rencontrer des personnes du pays.

— Je suis né ici, redis-je.

Serafino ne prête pas attention à ma remarque et tourne la tête vers la mère de Kate.

— C’est fascinant cette différence entre les Italiens du nord et ceux du sud. Vous ne trouvez pas ?

— C’est ça oui… marmonné-je, sarcastique.

— Ah… Euh… Oui, bien sûr, bafouille la mère. C’est enrichissant de côtoyer différentes personnes, de cultures différentes, j’imagine.

— Maman… soupire Kate en baissant les épaules.

— Allez, allez, continuez de manger ! intervient le père. Ça va refroidir !

Serafino joint les deux mains sur la table, continue sur sa lancée.

— Par exemple, mon artiste préféré c’est Giuseppe Arcimboldo. Et vous, Marc ?

— Modigliani.

— Ah ? J’aurais penché pour un artiste napolitain, comme… Luca Giordano.

— Non, je préfère le style épuré des lignes, des volumes et des couleurs des portraits, ainsi que le trait ample et sûr, tout en courbes, d’Amedeo Modigliani, expliqué-je, grincheux.

Merde, comment a-t-il pu deviner que je suis napolitain ? Ou bien un coup de bluff. C’est peut-être un hasard.

— Je vois, ajoute Serafino. Vous préférez le style moderne, plutôt que les toiles illustres du XVIIe siècle de votre région.

Je tiens mon couteau entre l’index et le majeur, le tapote sur la table, nerveux. À quoi il joue ce con ?

La mère de Kate doit sentir la tension dans l’air. Elle se lève.

— Eh bien, nous allons passer au dessert. Hein ?

Je sors de table aussi, empile les assiettes et les apporte à la cuisine.

— Marc ? Que faites-vous ? Laissez, je vais m’en occuper !

— Vous êtes sûre ? Je peux vous aider.

— Non, non, allez discuter avec Serafino. Ne vous embêtez pas avec ça.

Mais je n’ai pas envie de discuter avec ce type ! Je me tais et fais ce qu’elle me demande, gentiment.

— D’accord, comme vous voudrez. Mais si vous avez besoin, appelez-moi.

— Oh, merci Marc !

Je m’éclipse, mains dans les poches. Je me dirige dans le couloir, m’adosse au mur. D’ici, j’entends Kate et sa mère discuter, leurs paroles se mêlent au son de la vaisselle.

C’est un vrai gentleman ton chéri !

Oui ! Il m’aide à faire la vaisselle, tu sais.

Vraiment ? Je n’en crois pas mes oreilles !

Si, si je t’assure !

Tu en as de la chance ! Ce n’est pas ton père qui ferait ce genre de choses !

Quoi encore ? ronchonne le père.

Elles éclatent de rire. Je souris en fermant les yeux. Serafino arrive à son tour dans le couloir.

— Hey bien, qu’est-ce qui te fais sourire ?

Je change d’expression, me redresse, fronce les sourcils. Caché de la vue de Kate et de ses parents, j’agrippe Serafino par le revers de sa veste et le plaque au mur.

— À quoi joues-tu ?

— Ah ah je le savais.

— Quoi donc ?

— Tu as un accent de Naples quand tu t’énerves. Je me trompe ? Avec ta peau basanée et tes cheveux noirs, tu n’es certainement pas un italien du nord.

— En quoi ça te concerne ?

— Nous, les milanais, nous n’apprécions guère les napolitains.

— Va te faire foutre ! Je suis né à San Francisco !

— Hum, mais physiquement, tu es bien un italien du Mezzogiorno.

— Certainement pas !

— Tu es jeune et impulsif. Tu t’appelles vraiment Marc Anderson ?

— Mon père est américain.

— Vraiment ? Étrange. C’est la version que tu as donné à Kathleen ?

Dans le mille. Sale type. Je ne dois pas me laisser avoir.

— Qu’est-ce que tu me chantes ? Y a pas de version.

— M’hann faa sù !

— Quoi ?!

— C’est un proverbe milanais, tu ne peux pas comprendre.

— Pourquoi parler ce dialecte alors ?

— Lâche-moi tu veux.

Je le relâche, me tiens bien droit devant lui. Il défroisse sa veste et se recoiffe.

— Qu’es-tu venu faire ici ? dis-je, agacé par sa présence.

— J’ai été invité.

— J’en doute. Tu ne t’es pas invité tout seul, par hasard ?

— Méfiant à ce que je vois. La mère de Kathleen m’a beaucoup parlé de toi. J’étais curieux de te rencontrer. Et je ne suis pas déçu.

— Il n’était pas nécessaire de faire le déplacement.

— Au contraire. J’apprécie Kathleen tu sais.

— Éloigne-toi d’elle !

— Oh ! Calme-toi, je ne cherche pas à sortir avec elle. Je me fais seulement du soucis pour elle. Kathleen est comme une petite sœur pour moi. Elle t’aime beaucoup, vraiment beaucoup… Alors… ne la rends pas malheureuse.

— Je m’occupe bien d’elle, je ne ferai jamais de mal à Kate ! Je l’aime !

— J’espère que tu es sincère.

— Je le suis !

— Vraiment ? Tu t’en es bien sorti dis-moi… T’as quitté la Mafia pour devenir avocat ?

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Ah oui, c’est tabou, répond Serafino en regardant ailleurs et se tapotant le menton. Il ne faut pas mentionner ce terme « Mafia », mime-t-il avec les guillemets.

Je plaque rapidement une main sur le mur juste à côté de sa tête de bouffon. Il sursaute, puis m’observe.

— Statte zitto ! Lassame stá !

— Ah ! sourit en coin Serafino. C’est bien ce que je pensais ! T’es bien un napolitain.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Je suis né ici ! Aux États-Unis.

— Oui, mais… tu parles la langue de tes parents. Et tes parents… sont des napolitains.

— Comment peux-tu savoir ça ?

— Je t’explique. Tu m’as bien dit : « Tais-toi ! Laisse-moi tranquille », exact ?

— Oui et alors ?

— Et bien… Tu l’as dit en napolitain.

— Quoi ?

— En italien, tu aurais dit « Stai zitto ! Lasciami stare ! » Or, tu as bien dit « Statte zitto ! Lassame stá ! ». Du napolitain.

Je crisse des dents. Il m’explique avoir été professeur de langues à l’université de Milan. Ici, il se retrouve cordonnier. Il me conseille d’apprendre l’italien pour ne pas me faire démasquer auprès de Kate ou attirer l’attention de napolitains peu recommandables. Il meurt d’envie de dévoiler mon identité à la famille. Je le vois dans son regard et son sourire niais.

— Nun ce pensà mò !

— T’as recommencé ! se moque Serafino. « N’y pense même pas », ça se dit « Ora non pensarci ».

— Arrête ça !

— Ta copine est en droit de savoir qui tu es, non ?

— Boucle-là ! Tout va bien avec Kate. Alors ne viens pas foutre la merde !

— D’accord, d’accord. Je ne ferai rien et je n’ai pas l’intention de te revoir de toute façon.

— Alors, laisse-nous tranquille !

— Je souhaite quand même te dire juste une chose.

— Pas la peine.

— J’insiste. Par respect pour Kathleen et pour ses parents.

— Quoi ?

— Arrête de mentir, Pinocchio, dit-il très sérieusement.

Je me redresse, retire ma main, confus et abattu.

— M’hann faa sù. Ça signifie que tu t’es retrouvé dans une situation sans issue. Tu es englouti par tes mensonges et tu ne peux plus en sortir. Kathleen ne mérite pas ça.

Je fixe Serafino de mes yeux noirs. Il fait de même quelques secondes, puis part retrouver les parents de Kate. Je me passe une main dans les cheveux. À cet instant, je les entends rire dans le salon.

— Ah ! Le dessert est prêt ! Venez vous asseoir.

Je serre les poings, lève la tête et fixe la photo accrochée au mur devant moi, un cliché de Kate, entourée de ses parents, lors de la remise des diplômes. Elle arrive dans le couloir.

— Marc, viens ! Qu’est-ce que tu attends ? Le dessert est servi !

Je me tourne vers elle, lui prends la main pour aller au salon. Je suis silencieux tout le reste de la journée. Je ne peux pas lui dire la vérité.

Le lendemain, je sors du Palais de justice pour rejoindre Kate. Il est midi. Je descends avec entrain les marches, puis ralentis. Je la trouve assise sur un banc sur le trottoir d’en face, un mouchoir à la main. Je traverse la rue, puis arrivée près d'elle, je me penche légèrement. Elle renifle.

— Kate ? Tu pleures ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

Elle se tourne vers moi, les yeux rougis par les larmes.

— Oh Marc !

Je m’assieds à côté d’elle, l’enveloppe de mes bras. Steve passe à côté de nous à cet instant, nous surprenant, enlacés.

— Hey ! Y a des hôtels pour ça !

— Elle pleure, dis-je, attristé.

— Ah désolé… Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Je ne sais pas.

— Je vous laisse alors.

Nous ferions mieux de rentrer. Je l’aide à se lever, la guide vers notre domicile en lui tenant la main. Elle garde la tête basse et ne dit rien tout le long du trajet.

J’enlève ma veste, la pose sur la chaise en osier. Nous nous installons dans le canapé. Kate se met à parler. Elle m’explique avoir rejoint Margaret au matin, et elle l’a vu avec un coquard à l’œil. Elle pense que son copain frappe sa meilleure amie. Même si Margaret ne le dit pas explicitement, ce genre d’incident lui est déjà arrivé. Elle l’a déjà vue avec des bleus sur les bras et dans le cou. Elle se recroqueville. Elle ne reconnait plus son amie. Je pose mes bras autour de ses épaules. Cameron, son copain, est un individu instable et dur. Un ancien flic de quartier, occupé à gérer la circulation, qui a été renvoyé pour avoir tabassé une passante. Il la prise pour une voleuse de sac à main, alors qu'elle était la victime. Margaret a essayé de la convaincre que c'était juste une erreur de jugement. Malgré son nouveau boulot, il reste flic dans sa tête.

— Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Kate se redresse et me regarde d’un air grave.

— Je veux que tu donnes une bonne leçon à ce type.

— Kate, je ne peux pas frapper un…

— Tu sais te défendre Marc ! Je t’ai vu quand tu t’es battu avec ces trois hommes qui embêtaient ta copine !

— Giulia n’est pas ma copine…

— Tu peux lui donner une bonne correction, pour qu’il ne fasse plus de mal à Margaret.

— Kate, je ne peux pas le tabasser comme ça, s’il n’a rien fait. En plus, un ex-flic, il doit avoir une bande de collègues prêts à le défendre.

— Il maltraite ma meilleure amie !

— Faut le prouver ! Je te rappelle que nous sommes des avocats. Avant d’agir, il faut des preuves. Si je le tabasse, alors qu’il est… innocent, c’est moi qui aurai des problèmes avec la justice. Surtout si c’est un ancien flic…

Kate fait la moue, serre ses genoux avec ses bras. Elle baisse la tête, dépitée.

— On ne peut rien faire pour elle alors ?

— J’ai peut-être une idée…

— Laquelle ?

— Se rendre chez eux sans prévenir, genre tu viens avec un bouquet de fleurs pour lui faire une surprise. La consoler de ne pas avoir eu son diplôme par exemple.

— C’est une bonne idée ça ! Si ça se passe mal, on aura l’excuse de la visite surprise à une amie et ce ne sera pas vu comme une violation de domicile.

— Exact. Qu’en penses-tu alors ?

— Je suis partante ! On y va maintenant ?

— Quoi ?

— Il est 15h, dit-elle en regardant l’horloge. À cette heure-ci, ils sont tous les deux chez eux. Cameron travaille maintenant dans un bar de nuit, à partir de 21h.

— D’accord…

J’aurais mieux fait de me taire… Qu’est-ce qui m’a pris de lui suggérer cette idée ? Sans doute pour éviter une énième crise de jalousie. Elle aurait trouvé bizarre que je défende Giulia et non son amie. Kate prend ma main. Nous sortons de notre appartement d’un pas décidé.

Nous passons chez un fleuriste. À l’étal, elle choisit un bouquet de tulipes orange et jaune. Elle entre pour payer à la caisse. En attendant, j’observe les fleurs du magasin, les mains dans les poches. Après un balayage d’ensemble, mon regard se pose sur des roses rouge et rose. Je souris d’un air triste. Kate sort à cet instant. Bouquet en main, nous montons en voiture, direction Gay Street.

La porte d’accès à l’immeuble est ouverte. Nous entrons sans problème, puis montons les escaliers jusqu’au troisième étage. Arrivés sur le palier, nous entendons une dispute. Des cris s’élèvent et des objets se brisent. Kate agrippe mon avant-bras.

— T’entends ces bruits ? Ça vient du quatrième étage ! C’est là où habite Margaret !

Elle se plaque une main devant la bouche. Je la prends par les épaules. Elle tremble. Nous reprenons ensemble la montée. Nous nous arrêtons sur le palier du quatrième étage, qui dessert trois portes. Nous avançons vers le bruit des cris.

— Reste derrière moi.

Kate se ronge les ongles. Nous entendons un cliquetis de verrou derrière nous. Nous nous retournons et croisons une femme sur le palier, vêtue d’une robe de chambre. Elle agrippe le haut de son vêtement et chuchote : « Ils se disputent tous les jours. La femme a des bleus partout. Ça devient insupportable comme situation et les flics ne font rien. Quand ils viennent, c’est l’homme qui ouvre la porte et il dit que tout va bien. La police ne va pas chercher plus loin. C’est honteux ».

Kate se tourne vers moi avec un regard suppliant. Elle agrippe ma manche de veste.

— Tu peux l’aider, hein ?

— Si vous pouvez les calmer, ce serait bien oui, lance la voisine. C’est invivable ces bruits ces derniers temps.

Puis, elle retourne dans son appartement, ferme la porte à clé.

— Marc ? Tu vas faire quelque chose, hein ?

Je me penche vers elle en prenant ses épaules frêles.

— Oui, on va essayer.

Je me redresse, me tourne vers la porte. Des bruits d’objets cassés continuent de parvenir à nos oreilles. Je pose la main sur la poignée ronde et or, la tourne. La porte n’est pas fermée à clé. J’entre, suivi de Kate. J’avance sans faire de bruit. Nos pas sont masqués par les cris, les insultes et les coups. Je me dirige vers le salon, puis stoppe derrière une armoire. De là où je me trouve, je vois Margaret au sol, sur le côté, le visage tuméfié, des traces de sang sur le tapis blanc. Son copain se tient debout à côté d’elle, les poings serrés. Cameron est un type musclé, cheveux blonds ras, au nez crochu et yeux tombants, de dix ans plus âgé que Margaret. Il porte un t-shirt kaki et un pantalon troué aux genoux. Il donne de violents coups de pieds dans le ventre de Margaret. Kate ne peut s’empêcher de pousser un cri, puis elle se plaque les mains sur la bouche, se rendant compte de son erreur. Trop tard, Cameron a entendu le son et se retourne vers nous.

— Qu’est-ce que vous foutez là ?! hurle-t-il.

— Margaret…, sanglote Kate.

Cameron se jette sur moi sans crier gare, m’assène un violent coup de poing dans la mâchoire. Kate écarquille les yeux de peur et de stupéfaction. Je réagis en lui envoyant à mon tour un coup de poing direct dans le nez. Il est déstabilisé. Je donne alors un coup de pied latéral dans le buste. Il tombe à terre. Kate profite de ce moment pour courir vers Margaret. Elle s’agenouille pour la prendre dans ses bras.

— Margaret ? Margaret ! Tu m’entends ? Ça va ?

— Pas vraiment… Qu’est-ce que tu fais là ?

— Nous sommes venus t’aider. Je savais que tu avais des problèmes avec Cameron.

— Il est très violent. Fais attention…

— Marc s’en charge.

Kate tire Margaret vers elle. Elle se redresse légèrement. Toutes les deux se tournent vers nous. Je le vois du coin de l’œil. Cameron se relève, puis essuie le sang à la commissure de ses lèvres. Il fixe les filles.

— Vous n’avez rien à faire là !

— Nous sommes venus rendre visite à Margaret, répond Kate.

— On prévient avant !

— C’était une surprise.

— Menteuse ! Tu es venue m’espionner ! Cette chieuse de Margaret te raconte n’importe quoi sur moi ! Et t’es venue vérifier, pas vrai ?

— Elle est juste venue voir son amie, dis-je.

— La ferme ! Tu vas regretter d’être venue !

Cameron s’avance d’un pas décidé vers Kate, le poing levé. Elle lève ses mains au-dessus de sa tête pour se protéger elle et son amie. J’arrête à temps Cameron en l’attrapant par l’épaule.

— Ne les touche pas !

Il se tourne, je lui donne un rapide et violent coup de poing latéral dans le visage. Il tombe à terre, se relève, prêt à en découdre. Il est robuste le gars ! Un rictus d’amusement se dessine sur son visage, puis il tourne la tête vers Margaret, lui reproche de faire appel à un « rital » pour lui venir en aide. Elle baisse la tête, tremblante.

— Marc est Américain ! s’écrie Kate.

— J’ai fait la guerre contre tes clans, moi, rage Cameron en me fixant. J’ai arrêté un paquet de types comme toi.

— Bien sûr.

— Tu ne me crois pas ? Je vais te montrer ! Et ce n’était pas seulement contre les bonhommes ! Je me suis occupé aussi des gonzesses ! Faut les dresser vos italiennes !

— On ne frappe pas une femme.

— Tu crois que tu peux me faire la morale ? Tu te bats pour défendre tes compatriotes italiens criminels, hein ?

— Non, dis-je calmement.

— Ouais bien sûr… À d’autres ! Tu viens de là-bas ! Il suffit de voir ta gueule !

Cameron se précipite sur moi, lève son poing pour me donner un coup dans le visage. Je l’intercepte, riposte avec un coup de pied dans son genou. Un de ses os craque. Il hurle de douleur. Kate et Margaret nous observent avec des yeux ronds et apeurés. Cameron me fonce dessus pour me plaquer contre la commode derrière moi. Les cadres photos posés dessus se renversent sur le sol. Il abat son poing sur ma mâchoire. Je réagis en lui administrant un coup de genou dans l’abdomen, puis je m’appuie d’une main sur le meuble pour me soulever et lancer mon pied sur son visage. Il tombe à terre, à plat ventre. Je me précipite pour plaquer mon genou dans le creux de son bassin et lui ramener les mains dans le dos. Je me tourne vers Kate, la presse de trouver quelque chose pour l’attacher. Elle se lève, fouille dans les tiroirs de la cuisine. Elle revient avec de la ficelle pour le gigot. Elle observe le type crier de rage. J’entoure ses poignets avec la corde, les serre fortement.

— Tu vas me le payer salaud de Tony ! gueule-t-il, enragé.

— Donne-moi aussi un torchon ! dis-je à Kate.

Elle court dans la cuisine, puis revient avec le torchon.

— Tu vas crever ! Salopard !

Je le bâillonne avec le tissu, pour ne plus l’entendre. Il émet des sons étouffés. Je me lève, essuie mes mains. Kate me prend dans ses bras, m’enlace au niveau de la taille. Margaret nous regarde. Elle se relève avec difficulté, Kate le remarque, se précipite alors pour l’aider. Elle passe le bras de Margaret derrière son cou, pour le poser sur ses épaules. Elle la tient par la taille.

— Ton homme est… doué…

— Oui, Marc a appris à se battre avec son père.

— Hum…, lance Margaret, dubitative.

Kate s’approche de moi.

— Chéri, ça va ? Que fait-on maintenant ?

— Bonne question…, dis-je, mains sur les hanches.

— Appeler la police ? propose Margaret.

Je grimace. Certainement pas.

— Non, ils vont se demander comment tu as fait pour arrêter Cameron.

— Ah, ils ne vont pas me croire, comme d’habitude… pleure Margaret en baissant la tête.

— Ça va te retomber dessus, explique Kate. Cameron sait se défendre et c’est toi qui va être accusée d’avoir appelé du renfort.

— Mais ce n’est pas vrai !

— C’est sans doute ce qu’ils croiront. Ils prendront certainement la défense de Cameron.

— Qu’est-ce que je peux faire alors ?

— Je vais emmener moi-même Cameron à la police. Je leur dirai qu’il m’a agressé dans la rue.

— Mais… ils vont t’écouter ? Ils ne vont pas te prendre pour un…

— Si. Je leur dirai que Cameron m’a agressé, car il ne pouvait pas supporter ma gueule de rital.

Kate fait un sourire triste. Margaret me regarde avec des yeux brillants. Je m’approche des filles.

— Ne t’inquiète pas, il ne te fera plus de mal.

Margaret baisse la tête, pleure à chaudes larmes dans les bras de Kate, tandis que Cameron émet des grognements étouffés. Je me tourne vers lui, avance, le relève par les bras. Je l’emmène de force à l’extérieur de l’appartement. Je piétine au passage le bouquet de tulipes tombé au sol. Je m’occupe de Cameron, tandis que Kate reste en compagnie de Margaret pour la réconforter. Je sors, ferme la porte derrière moi. Je le tire pour descendre l’escalier, puis l’installe dans la voiture. Je roule pour sortir de la ville. Je conduis près d’une heure, jusqu’à Hillside Park. Je regarde Cameron dans le rétroviseur. Il jette des regards apeurés. Je m’arrête au bord de la forêt de Hillside Park. Je me tourne vers Cameron, passe une main par-dessus la banquette conducteur et enlève le torchon de sa bouche. Je le fixe sévèrement. Cameron zieute partout, se penche, se redresse, tourne le tête à droite à gauche, paniqué.

— On est où là ?!

— Au beau milieu de nulle part.

— T’es qu’une pourriture !

— Tu n’aurais pas dû dire ça.

Cameron se débat pour essayer de se détacher. Je me penche sur le côté pour récupérer mon Colt caché sous la banquette. Il s’arrête net en voyant l’arme dans ma main. Je me tourne vers lui et dirige le pistolet sur son front. Je sors de la voiture, ouvre la portière arrière, arme pointée sur lui, puis lui ordonne de me suivre.

— Avance un peu plus loin.

— Tu ne vas pas t’en tirer comme ça ! Un rital qui se fait passer pour un avocat, ça va se savoir !

— Tant que personne n’est là pour me dénoncer, je n’ai rien à craindre.

Cameron s’arrête au bord d’une crevasse large de 4m et profonde de 10m, à vue d'œil. Il se tourne vers moi. J’arbore un regard sombre et dur. Le vent souffle sur nos visages, les feuilles virevoltent autour de nos pieds.

— Ce n’est pas comme ça qu’on règle les problèmes !

— Pour moi, si. Je sais très bien que la police ne fera rien contre toi. Et tu le sais aussi bien que moi. C’est pour cette raison que tu ne te sens aucunement menacé lorsque tu t’en prends à Margaret. Elle sera toujours en danger tant que tu resteras en vie.

Cameron marmonne de rage, lèvres crispées.

— Elle ne récolte que ce qu’elle mérite !

— T’es une belle ordure.

— Tu oses me dire ça ? Toi ? éclate de rire Cameron. Les pourritures comme toi m…

Je ne le laisse pas finir sa phrase. À l’instant où il prononce le mot « pourriture », j’appuie sur la détente. Le coup part, la balle transperce sa tête. Le sang coule sur son front. Son corps tombe à la renverse dans la crevasse. J’avance pour examiner Cameron de haut. J’observe son corps s’enliser, puis s’enfoncer dans la boue. Cette masse visqueuse et brunâtre le recouvre lentement. Au moins comme ça, il ne fera plus de mal à personne et je ne l’entendrai plus parler. Dès que son corps disparait complètement, je tourne les talons, remonte en voiture. Je range mon Colt sous la banquette, puis je retourne à l’appartement de Margaret. Il a raison sur un point, je ne sais pas régler les problèmes autrement.

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