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Suite à cette rencontre fâcheuse, je me rends au restaurant de Giulia. Elle m’accueille froidement, bras croisés, et me lance un regard sévère. Elle s’approche, me dévisage. Dans ses yeux couleur ébène, pétille une émotion que je ne parviens pas à reconnaître, comme si des flammes dansaient derrière ses pupilles aussi sombres que ses iris. Je déglutis difficilement. J’ai un jour de retard, et alors ? Ce n’est pas un drame, si ? Elle m’agrippe les cheveux, inspecte mes hématomes au visage, avec son nez retroussé et sa bouche en cul de poule. Si Giulia réagit comme ça, qu’en sera-t-il de Kate ? Misère… je préfère ne pas trop y penser pour le moment, chaque chose en son temps.

Elle me tire dans la remise de stockage des marchandises, derrière le comptoir, à l'écart des clients et du vacarme environnant. Bien cachés derrière le voile opaque vert pistache, je fourre ma main dans la poche intérieure de ma veste, attrape la liasse de billets, puis la lui tends. Elle compte les dollars comme une véritable femme d’affaires.

— Ce sont des vrais ?

— Oui, évidemment ! dis-je en levant les yeux au ciel.

— Tu fais quoi comme boulot pour gagner autant ?

Je la fusille du regard pour lui signifier de ne pas s’en préoccuper.

— Okay, d’accord. Tu commences à me faire flipper, grogne-t-elle.

— Je reste prudent.

— Tu te méfies de moi ! Je ne t’embobine pas tu sais.

Soudain, des coups de feu et des cris se font entendre.

— Merde, ce sont encore les Gagliano ! peste Giulia.

— Quoi ?

— Ils viennent racketter mon père comme d’hab. C’est le patron de ce resto ! Et la vieille femme que t’as aidé, c’est ma grand-mère.

— J’aurais dû m’en douter…

— Il n’a pas la somme ! Aide-nous, supplie-t-elle en me prenant la main entre les siennes.

— Laisse-moi deviner, il leur doit mille dollars ?

— Oui, mais ils vont demander plus la prochaine fois, ils demandent toujours plus !

— Je ne peux pas t’aider, ce sont vos histoires.

— Tu n’es pas avocat Marc ! Et tu ne t’appelles certainement pas Anderson !

— Comment tu… ? m’étonné-je, abasourdi.

Giulia agite deux cartes sous mon nez, ma carte d’accès au palais de justice et ma carte d’identité, de gauche à droite. Puis elle me les balance au visage. Je les rattrape après deux, trois coups de coude pour éviter qu’elles ne tombent au sol.

— Voleuse !

— San Francisco hein ? T’es pas d’ici, c’est toi qui les as tués !

— Je te dis que non !

— Ne me prends pas pour une idiote ! Aucune, je dis bien AUCUNE famille n’a revendiqué le meurtre des picciotti des Bonanno. Et ça c’est impensable ! Ici, le quartier est divisé en petits zones, chacune dirigée par une famille puissante de l’organisation. Quand un meurtre a lieu contre un des gars d’une famille rivale, je peux t’assurer qu’on est au courant vite fait de qui a fait le coup. Et là, rien ! Un inconnu venu de nulle part !

— Arrête d’imaginer n’importe quoi !

— Vraiment ? Je t’ai vu te battre quand tu m’as défendue ! Tu tires en visant juste, tu parles parfaitement italien, tu connais l’organisation criminelle, et ton physique, n’en parlons même pas ! Et en plus tu me demandes des renseignements sur le meurtre des trois gars ?!

Je me maudis de ne pas avoir pris mes distances avec Giulia et ce quartier italien. Je me mords la lèvre inférieure et fronce les sourcils.

— Arrête, tais-toi, tu vas nous faire remarquer.

— Et alors ? Tu sais te défendre !

— Ça ne te regarde pas ! J’ai assez à faire avec ma famille.

— Tu vois ! Tu n’es pas celui que tu prétends être, Marc ! lance Giulia en levant l’index bien droit devant moi.

Elle ajoute, après un bref coup d’œil en direction de son père :

— Marc ! Il pointe son arme sur mon père ! Il va se faire tuer ! Aide-le, je t’en supplie ! dit-elle les mains jointes, de la panique dans la voix.

Je l’attrape par l’arrière, me colle contre elle, puis lui plaque une main sur la bouche. Giulia se débat et marmonne des sons étouffés sous ma main. Je n’y prête pas attention et observe la scène par une déchirure dans le rideau. Le père de Giulia donne lentement les billets de sa caisse. Ça ne fait aucun doute qu’il essaye de gagner du temps. Quatre hommes occupent l’espace du restaurant. Les clients, attablés, ne bougent pas, attendent sagement que le règlement de compte se termine. Les gars pointent leurs armes sur eux. Celui qui réclame l’argent, prend la parole.

— Le compte n’y est pas. Où est le reste ?

— Je… je ne l’ai pas sur… moi… bégaye le père.

— Giulia, va lui apporter les billets, dis-je au creux de son oreille.

— Quoi ? Moi ?

— Vas-y, je te couvre !

— T’es un monstre, comme tous les autres… renifle-t-elle, tout en s’essuyant les yeux.

— Fais ce que je te dis !

— J’ai peur…

— Ne montre pas tes pleurs, ne montre pas tes peurs, ne montre pas tes émotions.

— Quoi ? D’où tu sors ça ?

— Une phrase que répétait mon père…

Je fais une pause, puis fronce les sourcils.

— Bon, vas-y ! Qu’est-ce que t’attends ?

Giulia me lance un regard haineux avant de rejoindre son père. Pendant ce temps, je sors mon arme de mon holster d’épaule. De là où je me trouve, je vois la scène dans son ensemble, tous les hommes de main, éparpillés dans le restaurant. J’attends qu’ils se rapprochent du premier, pour pouvoir tirer.

— Papa, j’ai mis ça de côté… pleurniche Giulia en tendant la liasse de billets.

— Oh Giulia, non.

— C’est une gentille fille que t’as là ! lance le soi-disant chef de la bande.

Comme je l’avais prévu, les trois autres se rapprochent, curieux de voir la liasse de billets. Ils baissent maladroitement leurs gardes. C’est le moment ! Je profite de ce relâchement pour tirer. Une balle directe dans la poitrine du « parleur ». Les trois autres n’ont pas le temps de dégainer, ne comprenant pas assez rapidement ce qui vient de se produire. Je tire trois coups supplémentaires. Une balle dans la tête du premier, une dans celle du second et la dernière dans le cou du troisième qui tire en l’air en tombant. Les clients protègent leurs têtes en criant. Giulia et son père s’accroupissent derrière le bar. Je sors prudemment, garde mon arme relevée, et vérifie que plus personne ne débarque. Les clients se lèvent à leur tour et viennent timidement contempler les cadavres des hommes à terre. Giulia me rejoint, elle tape des poings sur mon épaule, puis elle me prend dans ses bras. Elle pleure à chaudes larmes sur ma chemise. Le père vient me remercier. Tandis que la vieille femme me regarde tristement, comprenant ainsi son erreur de jugement. Et oui, je ne me trouve pas du bon côté…

— Je…

— Merci Marc ! Merci ! sanglote Giulia.

Je me sens mal à l’aise, je ne voulais pas retomber dans le piège de l’organisation criminelle, ne pas redevenir « Jack Calpoccini ». En tout cas, pas maintenant. Je suis pris d’un essoufflement. Ce que je redoutais le plus, est arrivé. Giulia recule pour m’observer.

— Marc, ça va ?

Je la regarde, d’un air las et triste. Je lui souris en coin.

— Il ne faut pas qu’ils me repèrent.

Elle penche la tête de côté.

— Tu te cachais bien sous l’identité d’un autre. Pour fuir quoi ?

— Cette vie, dis-je simplement.

Tout, absolument tout, me ramène à mes origines, à mon statut de fils d’immigrés, de criminel. J’ai beau m’en éloigner, il y a toujours quelqu’un pour me rappeler que je ne suis pas d’ici, un étranger, rien que par mon physique, et un meurtrier, vu mes aptitudes au combat. Giulia se tient à mon bras. Je me ressaisis, puis me tourne vers elle. Je compte sur elle et tous les autres ici présents pour ne rien dire. Je leur fais promettre qu’ils ne me connaissent pas et qu’ils ne m’ont jamais vu. L’omertà en résumé…

— Mais… on fait quoi de ces hommes ? s’interroge Giulia.

— Vous direz qu’ils se sont entretués.

— D’accord.

— Jure-le moi Giulia !

Mon ton dur et ferme la fait sursauter.

— Tu l’aimes à ce point ? murmure-t-elle, les yeux larmoyants.

Sans attendre de réponse, elle continue.

— Tu vas lui mentir combien de temps encore ?

Je reste silencieux, la repousse, puis recule.

— Ça va m’attirer des ennuis ça… marmonné-je en montrant les cadavres à nos pieds.

Lorsque je relève la tête vers elle, je vois la peur, la terreur dans ses yeux. Je comprends à cet instant ce qui se trame. J’exécute un mouvement circulaire pour lever le bras droit et tenir mon arme à bout portant du front du Caporegime qui vient tout juste de franchir la porte du restaurant. Il réagit avec une seconde de retard, pointe son arme dans le creux de mon épaule droite. Tout se passe très vite, nous nous fixons une fraction de seconde, ni une ni deux, sans un mot, nous tirons. Il reçoit ma balle entre les deux yeux, tandis que je réceptionne la sienne dans le deltoïde, le muscle recouvrant l’articulation de l’épaule. Le sang teinte ma chemise et ma veste en rouge foncé. Je lâche machinalement mon arme, pour tenir mon épaule. Le liquide coule entre mes doigts. Ça fait un mal de chien. J’exerce une pression sur mon muscle pour contrôler l’hémorragie. Giulia accourt vers moi, ramasse mon arme et la range dans ma poche.

— Faut qu’on t’emmène à l’hôpital ! dit-elle, paniquée.

— Vite, suivez-moi ! s’écrie le père en agitant les bras, tel un moulin à vent. Dépêchez-vous, avant que d’autres ne débarquent ici.

— Mais… et vous ? Vous êtes en danger, protesté-je, à demi essoufflé.

— Tant qu’ils ne savent pas qui tu es et d’où tu viens, ils régleront leurs comptes entre eux.

— Je l’espère…

— Faut que tu sortes de ce quartier ! Rentre chez toi ! s’exclame la vieille dame.

Je la fixe, sincèrement désolé. Giulia me tire par le bras.

— Viens !

Nous montons rapidement en voiture, dans une Ford Tudor Model 48 de 1935, bleue foncé. Le père de Giulia conduit jusqu’aux urgences du Bellevue Hospital Center, situé à quinze minutes du lieu où nous nous trouvons. Elle retire ma veste, en prenant soin de ne pas me faire de mal.

— Oh mon dieu, ta chemise est trempée de sang ! s’angoisse Giulia, en plaquant une main sur la bouche.

Je pose par réflexe ma main sur mon épaule. Son père se gare devant les urgences de l’hôpital pour nous déposer. Giulia m’accompagne en me soutenant par mon bras indemne. Dans le hall d’entrée, elle interpelle une infirmière, en italien. Je revois un instant la scène du vieil homme implorant de l’aide dans le couloir du Tribunal, personne ne comprenait ce qu’il racontait, personne pour se soucier de lui. J’observe les allées et venues de ce flot continu d’infirmières qui prennent en charge des patients pour un bras cassé, une main écrasée ou bien encore un œil crevé. Un infirmier en blouse blanche d’une trentaine d’années et un médecin en blouse bleue ciel d’une soixantaine d’années finissent par s’arrêter devant nous. Giulia s’exprime de manière incompréhensible pour eux. Le médecin se tape le front avec la paume de la main.

« Encore un estropié d’un règlement de compte entre gangs », souffle-t-il. Si je pouvais ne pas soigner ces enflures, je le ferais ». Je grimace. Je lui fais remarquer que je comprends ce qu’il marmonne. Sur le moment, le médecin se sent gêné, mais ce sentiment vite passé, il nous fait signe de le suivre dans un box d’auscultation.

— Alors qu’est-ce qui vous amène ? soupire-t-il.

L’infirmier, d’allure robuste, prépare le matériel médical, les bandages et les antiseptiques.

— J’ai reçu une balle dans l’épaule…, dis-je, bouche de travers.

Le médecin soupire, blasé, puis me recommande de retirer ma chemise, et de m’allonger sur la table d’examens. Ensuite, il place la lampe médicale au-dessus de ma blessure. Giulia ne bouge pas, assise dans un recoin du cabinet, elle se ronge les ongles, nerveuse. La blessure n’est pas profonde. Le faisceau musculaire antérieur, ou plus précisément le faisceau claviculaire du deltoïde, est touché. C’est ce qu’il me dit… Soudain, une infirmière entre dans le box, affolée. Un groupe d’ouvriers vient d’arriver. Un incident s’est produit dans l’usine de métallurgie. Ils ont donc besoin de toute urgence du médecin au bloc. L’infirmière repart, le soignant se tourne vers moi. Il m’annonce qu’il décide d’accélérer les choses. Submergés par les urgences en cascade, il n’a pas le temps de m'administrer une anesthésie locale. Il choisit alors d’extraire la balle directement.

— Vous plaisantez ? Je peux patienter si cela vous arrange, dis-je en me redressant péniblement sur la table d’examens.

Il me scrute par-dessus ses lunettes et son masque chirurgical.

— Cela fait près de quarante ans que j’exerce ce métier.

— D’accord, bien. Vous…

— Et je n’ai jamais vu autant de cadavres et d’hommes blessés par balle depuis que vous avez tous débarqués ici. Je soigne jour et nuit. Vous croyez que cela me ravit de soigner des escrocs, venus d’un autre continent, qui prennent un malin plaisir à se cogner sur la gueule ?

— Bon stop. Vous êtes épuisé, je le comprends, soit. Vous vous devez de soigner tout individu malade, vous êtes payé pour ça, non ?

— Je suis proche de la retraite mon p’tit gars. Je peux me permettre d’évacuer mon ressentiment à votre égard ! Même si tu sais parler notre langue, t’es de la même race qu’eux.

— Je suis né ici, j’ai étudié à l’école publique pour apprendre la langue et l’histoire de ce pays. Arrêtez de faire des amalgames !

Il se penche sur moi, en pointant du doigt mes cicatrices sur mon torse, mon visage et ma plaie à l’épaule.

— Et toutes ces blessures ? Tu vas me faire avaler que tu t’es blessé accidentellement ?

Je le toise, renfrogné. L’infirmière revient, toujours aussi nerveuse.

— Docteur, c’est la panique au bloc !

— Bon assez perdu de temps, dit-il en se tapant le genou d’une main. Si tu ne veux pas que ton bras pourrisse, il faut extraire cette balle. Le fléchisseur et rotateur médial de ton bras est endommagé. Si tu veux retrouver l’usage de l’articulation de ton épaule, il faut agir vite.

Je le regarde, craintif. Il ordonne à l’infirmier de m’attacher les poignets avec les sangles du lit. C’est quoi ce délire ? Je commence à me tortiller, Giulia plaque ses mains sur ses yeux, tremble des jambes, collées l’une à l’autre. Elle écarte de temps à autre ses doigts pour jeter un bref coup d’œil.

— Tu dois rester tranquille. On cale tes bras pour te stabiliser.

L’infirmier plaque fermement une main sur ma bouche. Et ça, c’est normal aussi comme procédure ? Je le questionne du regard.

— C’est pour ne pas t’entendre hurler, sinon ça va terroriser les autres patients.

— Je sais ce que je fais, déclare le médecin. J’ai de nombreuses années de pratique à mon actif. Sans anesthésie, tu vas sentir la douleur passer. Je n’ai pas le temps pour ça, mes confrères m’attendent pour des problèmes plus urgents. Vous avez l’habitude de souffrir de toute façon ? ironise-t-il.

Je fais « non » de la tête, il n’y prête pas attention. Je bouge mes jambes, mais l’infirmier bloque mes mouvements en s’appuyant de tout son poids sur mon torse. Giulia commence elle aussi à paniquer, ses larmes coulent toutes seules sur ses joues.

— Allez, on y va. Plus vite ce sera fait, plus vite ce sera terminé.

Le médecin immobilise la zone blessée, désinfecte la plaie, puis enfonce sa pince pour extraire la balle, sans ménagement. Je lutte pour rester immobile. L’infirmier étouffe mes cris de douleur. Je racle la table d’examens avec mes chaussures, me contorsionne pour supporter la douleur. Le médecin dépose la balle extraite sur un plateau. Le bruit métallique fait bondir Giulia de sa chaise. Elle lâche un bref cri. Je me détends. Je l’ai senti passer ! Le médecin me désinfecte la plaie, puis la suture avec des agrafes chirurgicales. Lors de la pose, l'agrafeuse parcourt lentement toute la longueur de la plaie et l'opérateur déclenche le mécanisme permettant d'enfoncer une après l'autre chacune des agrafes dans la peau, de manière la plus rapprochée possible. Je gémis à nouveau. La vache, ça fait mal ! Enfin, il applique de la gaze sur la plaie, puis laisse l’infirmier réaliser le bandage autour de mon épaule. Terminé, il me libère. Je peux enfin respirer et souffler. Je me prends la tête entre les mains. Le médecin part avec précipitation vers le bloc opératoire, sans un mot.

— Ça y est t’es sorti d’affaire, explique l’infirmier. Avec cette technique, la cicatrisation est nettement plus rapide qu’avec la méthode des fils. Ce sera moins gracieux, mais tant pis. Reviens dans quinze jours pour enlever les agrafes, si t’es encore en vie.

— Vous avez vraiment le droit de traiter vos patients de la sorte ?

— Pour les psychopathes ou les dangereux criminels, ouais. Estime-toi heureux d’avoir été soigné.

Giulia se lève pour m’aider à me remettre sur pieds. Nous quittons ensemble la salle.

— T’es blanc à faire peur. Tu tiens le coup ?

— Ça peut aller…

L’épaule me tiraille, la plaie me pique, je suis en sueur, la tête me tourne. À part ça, tout va bien ! Nous rejoignons son père. Il nous attend sur la 1st Avenue, devant l’hôpital. Je m’effondre sur la banquette arrière, m’allonge de côté, la tête sur les genoux de Giulia. Elle me caresse les cheveux.

— Reste avec moi… souffle-t-elle dans le creux de mon oreille, effleurant mon visage avec ses longs cheveux noirs et brillants.

J’entrouvre les yeux.

— Je ne peux pas. C’est avec Kate que je souhaite vivre, loin de tout ça.

— Tu ne peux pas échapper à ton destin, Marc. Tu es un italien de la Camorra. Tu n’arriveras pas à t’opposer bien longtemps à ta famille.

Je me redresse, en évitant de la regarder en face. J’observe le ciel nuageux, songeur et accablé, les bras croisés.

— Pouvez-vous me déposer à l’angle de Minetta Street et de Bleecker Street, s’il vous plaît ? dis-je.

— Bien entendu, répond le père.

— Mais ?! s’étonne Giulia, effarée. Tu ne peux pas te balader dans la rue dans cet état ! Regarde ta chemise, en sang !

— Je cacherais la tâche avec ma veste. Je n’ai pas long à marcher.

— Tu ne peux pas fuir éternellement Marc. Je sais que tu mens sur ton identité. Tu renies ton nom, et ça, ce n’est pas acceptable !

— J’essaie de sortir de ce cercle infernal.

— En tournant le dos à ta famille ? À tes origines ?

— La ferme Giulia.

— Tu es des nôtres, n’aie pas honte de ce que tu es !

— Un mafieux italo-américain, génial ! ironisé-je.

— On a besoin de l’aide des Américains pour en finir avec cette guerre des gangs.

— Tu te crois où ? Dans un film de Gary Cooper ? L’organisation a corrompu la police et les politiciens. C’est à nous de nous débrouiller.

— Pas comme tu le fais ! Pas comme ça…

— Tu me fatigues ! Arrête d’attendre que tout vienne des autres. Si tu veux t’intégrer, fait des efforts, bon sang ! Apprends au moins la langue de ce pays.

— Mais…

— Ensuite, trouve un autre boulot, éloigne-toi de la ville, bouge-toi ! Ce n’est pas une fatalité de rester ici. Pour sortir de cet univers, j’ai changé de nom et alors ? Si cela peut me permettre de donner une vie meilleure à mes enfants, alors je continuerai sans hésiter à renier mes liens. C’est à nous d’agir.

— Tu devrais avoir honte de dire ça, se désole Giulia. Ça t’aide vraiment ?

— Les préjugés sont tenaces chez certains, je l’admets, mais au moins j’essaie, j’ai réussi en tant qu’avocat.

— En ayant menti sur ton nom et ton parcours.

— Va te faire foutre ! Reste là si ça te chante, moi je me casse !

— Nous sommes arrivés…, prévient le père.

Son père est resté silencieux tout le long du trajet, ne prenant pas part au débat. Il me dépose à l’endroit mentionné. Je le gratifie d’un signe de tête. Je sors de la voiture, irascible, et claque la portière. Tandis que Giulia se met à pleurer. Je serre ma veste pour cacher ma chemise. Je rentre chez moi, sans me retourner.

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