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Je monte péniblement les marches vers l’appartement. J’ouvre la porte, ôte mes chaussures pour entrer silencieusement. Ah, Kate dort sur le canapé. Je me dirige vers la salle de bain. Le cliquetis du verrou la réveille. Zut.

— C’est toi Marc ?

— Oui, je suis rentré. Ne t’inquiète pas, je me change et j’arrive.

J’enlève, non sans douleur, ma veste et ma chemise, que je rassemble en boule pour les jeter discrètement après. Je m’asperge le visage d’eau froide pour me calmer de ma discussion houleuse avec Giulia. Puis je sors sur la pointe des pieds pour prendre une chemise anthracite. Une couleur sombre pour cacher mon bandage à l’épaule. Enfin, je jette mes affaires souillées par le sang dans la poubelle.

— Je descends la poubelle ! dis-je.

Kate ne répond pas. Elle ne se retourne pas non plus. Elle est fâchée. Évidemment qu’elle est fâchée ! Je ne suis pas rentré à la maison depuis trois jours… Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ?

En remontant, je la trouve debout dans la cuisine, une tasse de chocolat chaud fumant dans ses mains, les cheveux ébouriffés, vêtue d’une de mes chemises blanches, bien trop grande pour elle. Je frissonne d’un sentiment d’amour en la voyant dans cette tenue. Je m’avance pour la prendre dans mes bras, mais elle me repousse, ses larmes coulent sur ses joues rosées.

— Où étais-tu Marc ?

Je ressens un malaise parcourir mon corps en la voyant réagir ainsi. Je m’en veux d’avoir trop traîné dans ce quartier. Je ne peux pas lui avouer que la police m’a arrêté, car j’ai tabassé deux types. Je ne vais pas lui raconter que j’ai raccompagné une jeune fille chez elle, sinon elle risque de me refaire une crise de jalousie. Je ne peux pas lui dire non plus qu’un chef de clan m’a tiré une balle dans l’épaule, elle va me poser encore plus de questions sur mon passé. Alors j’invente encore une histoire.

— Un sujet houleux m’a accaparé tout mon temps. Je suis resté au Palais de justice pour travailler. Croulant sous les dossiers, je n’ai pas vu le temps passer.

Kate me gifle, puis balance sa tasse de chocolat chaud contre le mur de la cuisine. Le récipient se brise, les morceaux s’éparpillent sur le carrelage froid et humide, le liquide brun tâche le mur et le sol.

— Tu mens, Marc ! tremble-t-elle.

— Que… Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Evan m’a appelé. J’ai laissé mon numéro de téléphone à Maggie pour qu’elle puisse me contacter au cas où un poste se libérerait pour moi. Mais c’est Evan qui m’a appelé pour me dire qu’il s’inquiétait de ne pas t’avoir vu depuis trois jours. Trois jours, Marc ! répète-t-elle d’une voix stridente et enrouée par le chagrin. Et regarde toi ! Tu as des hématomes sur le visage ! Bon sang, Marc ! Où étais-tu pendant tout ce temps ?

Je ne réponds pas, je suis pris de court, je n’ai rien préparé pour ma défense. Je n’ai aucun argument plausible à lui proposer. Kate me balance un coussin, m’ordonne de dormir sur le canapé cette nuit. Elle se dirige vers la chambre, claque la porte, me laissant au beau milieu du salon, seul avec mes mensonges. Je me passe une main dans les cheveux, me mordille la lèvre inférieure. Je l’ai bien cherché. Je prends un torchon et une pelle, je nettoie les dégâts, jette les débris à la poubelle, puis m’installe sur le canapé. Je n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit. Allongé sur le sofa, je scrute le plafond, mains derrière la tête, et réfléchis à une excuse crédible à sortir. J’observe la lumière de la lune se refléter en faisceaux sur le plafond décrépi. Je décide finalement de parler de la jeune fille que j’ai aidé, du malentendu provoqué par le frère de celle-ci auprès des officiers de police. Je me suis alors retrouvé en cellule, le temps que le flic vérifie mon identité. Ça, elle pourra toujours le constater en se rendant au commissariat en question. Trois jours là-bas, cela semble acceptable.

J’entends des pleurs derrière la porte. Je soupire, je suis désolé de la mener en bourrique. Mais je ne peux pas faire autrement. En fait, je ne sais pas comment faire différemment. Je la rejoins dans le lit, m’allonge derrière elle, l’enveloppe délicatement de mes bras, puis pose ma tête dans la courbure de son cou. Je lui explique au creux de l’oreille ma mésaventure au poste de police, évitant évidemment l’épisode de l’altercation avec Alfonso. Elle ferme les yeux, les larmes coulent toujours sur sa peau rougie. Je lui caresse les cheveux en douceur. J’ai peur de la perdre. Elle représente mon pilier, sur lequel m’appuyer pour tenir debout, faire face à toutes les agressions verbales et physiques. Je l’aime et pourtant, je suis incapable de lui avouer ma véritable identité. Au fond, je me sens coupable de la tromper ainsi. Mais pour la préserver de mon monde violent, je dois lui cacher la vérité.

Ne digérant toujours pas mon absence de ces derniers jours, Kate m'évite toute la journée. Face à ce mur érigé entre nous, je me rends au travail pour l’ouverture des portes du Palais de Justice. Je porte un chapeau pour cacher mes blessures au visage. Je m’engouffre discrètement dans l’enceinte du bâtiment pour m’enfermer dans mon bureau. À peine posé, Evan passe la porte. Depuis quand est-il ici ? Il dort au tribunal, c’est pas possible ! Il est venu me voir pour me rappeler l’heure de la réunion de ce matin. Hum, je n’y crois pas trop à son excuse. Il me surveille, je le sais.

— Je vous saurais gré de vous préparer convenablement pour la réunion. Nous ne portons pas de chapeau en intérieur, voyons.

Je soupire, enlève mon chapeau, puis ajuste ma veste, sans un mot. Evan plisse ses petits yeux de fouine en apercevant les hématomes sur mon visage. Il a tout de même l’amabilité de s’abstenir de faire tout commentaire.

Après la réunion, Maggie m’aborde. Elle est d’abord surprise de me voir la tête basse, caché derrière mes mèches de cheveux, puis elle m’annonce l’arrivée d’une jeune fille du nom de Bethany. Je me souviens d’elle. J’accepte de la recevoir. Je pars à sa rencontre dans le hall d’accueil, suivi de Maggie et d’autres avocats. Je lui souris, puis nous nous dirigeons vers mon bureau. Elle vient pour attaquer ses agresseurs, afin que justice lui soit rendue.

Le lendemain, en rentrant chez moi après une journée de travail bien remplie, j’achète le journal du jour, en date du 4 septembre 1937, à un petit vendeur de rue. En l’ouvrant, je découvre un article sur un vol d’un montant de 80 000 dollars, à main armée, au domicile de Monsieur Robert Tucker, avec ma photo et le nom « Jack Calpoccini » inscrit en-dessous. Quoi ? Je fulmine de rage. Que fait ma photo là-dedans ? Je grimace et réfléchis à ce que m’avait demandé Alfonso. Je suis certain que c’est lui. Je ne vois pas qui d’autre aurait pu faire ça. Je lis la suite de l’article, le père Tucker a bien décrit le physique d’Alfonso et non le mien… Qu’est-ce que c’est que ce délire ? Je constate que le cliché du journal est identique à celui du mois de juillet dernier. Mais les citoyens ne sauront pas nous distinguer. Au final, je ne reste ni plus ni moins qu’un italien. Quelle différence entre moi et un autre ? Je rumine, j’en veux à Alfonso de m’avoir planté un couteau dans le dos avec cette histoire de vol avec violence. Je dois trouver une solution pour laver mon nom de ce préjudice. Dois-je lui casser la gueule ou alors… au contraire… ne pas réagir à ses provocations ? Ici, je porte le nom de « Marc Anderson ». Tant que je ne me manifeste pas, je peux laisser s’évanouir cette information. Je dois à tout prix éviter de me faire démasquer, en mettant de côté mon identité en tant que « Jack Calpoccini ». Je suis tout de même rassuré qu'il n'aie pas mentionné mon nom d'emprunt « Marc Anderson ». Alfonso est une tête de linotte, il oublie tout le temps comment je m’appelle ici. Je me persuade en tout cas que ce soit l’explication. Que mijotes-tu Alfonso ?

Sans plus attendre, j’emporte le journal avec moi et me mets à la recherche d’Alfonso pour mettre ça au clair. Le meilleur moyen de le trouver, est bien entendu le quartier Little Italy. Je le trouve au bout de quarante-cinq minutes à arpenter les rues du coin. Nous nous expliquons sur le vol. Comme je m’en doutais, il me fait porter le chapeau pour se venger. Nous nous engueulons, puis nous nous séparons sur une violente dispute. En partant chez moi, je jette le journal dans la poubelle, furieux.

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