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(Lecture journal de Bethany)

— Je n’arrivais pas à oublier le visage de ce beau jeune homme. Dès le lendemain de mon rendez-vous avec Jack au Palais de Justice et du vol chez Monsieur Tucker, je n’ai pas pu m’empêcher de me rendre au quartier italien, pour le revoir. Je gardais précieusement le cadeau qu’il m’avait offert, ce joli petit carnet que je ne quittais jamais. Je m’y suis rendue, dans l’espoir de le croiser. Et par chance, ce 4 septembre, je l’ai aperçu, en pleine discussion avec un homme dénommé Alfonso. Je me suis approchée discrètement et me suis assise sur un banc avec un journal à la main, situé à quelques mètres d’eux. Ils se disputaient tous les deux à propos de l’article du journal. Mon coup de cœur mentionna le nom de son adversaire, Alfonso Spinelli. Un nom que j’ai tout de suite notifié dans mon carnet. C’est Jack qui m’a dit d’écrire ce que je ressentais. Comme une thérapie. Depuis l’agression, je n’arrivais plus à dormir, prise d’angoisse et de tourments. Il avait raison, écrire m’a aidé à surmonter mes peurs. J’écoutais leur conversation. Alfonso avait emprunté de l’argent à notre propriétaire, Robert Tucker, pour pouvoir rembourser une dette auprès d’un clan mafieux. En entendant cela, mon cœur s’est mis à palpiter, mes mains devinrent moites. Il a accusé Jack pour se venger. Mais de quoi ? Les deux hommes se sont soudain mis à parler en italien. Puis Alfonso, un homme à la peau mate, aux cheveux frisés noirs, avec de grands yeux et un nez aquilin est parti, furieux. Il me faisait peur celui-là avec son cache-œil posé sur son œil gauche. Ne le voyant plus, je me suis levée et me suis approchée de Jack. Je l’ai interpelé, il s’est retourné et m’a reconnu. Mon cœur battait la chamade, mes joues devinrent rouge écarlates. Qu’est-ce qu’il était beau cet homme. J’avais envie de lui sauter dessus ! J’ai laissé échapper mon carnet sur le sol. Il s’est baissé pour le ramasser, j’ai fait de même et à ce moment là, nos deux mains se sont effleurées. Quelle agréable sensation de bien être, emplie de désir, je…

J’arrête là la lecture. Je rougis moi aussi, gênée devant ces propos d’adolescente. Puis je regarde les trois petits cœurs dessinés à côté. Je comprends pourquoi Monsieur Carl Smith n’a pas souhaité continuer le récit de sa sœur, trop intime, trop personnel. Je m’éclaircis la voix, puis continue la lecture quelques lignes plus loin, sur les conseils de Matthew.

— Il ne m’a pas oublié ! J’étais aux anges ! Mais quand il a passé sa main dans ses cheveux, j’ai entrevu une photo dans la poche intérieure de sa veste. La photo d’une femme. Mon monde s’est effondré. Quelle sotte de ne pas l’avoir vu dès le début. Évidemment qu’il est en couple. Un aussi bel homme ne peut pas être célibataire. Je me suis mordue la lèvre inférieure, honteuse de ce que j’ai pu m’imaginer faire avec lui. Il s’est approché de moi et m’a demandé si j’allais bien, comment je me sentais. Il a pris le temps de me demander de mes nouvelles, même si nous nous étions vus la veille. Je l’ai rassuré, je n’étais pas prête à parler de mon agression. Car en vérité, j’en avais honte. Honte de moi, mais aussi honte de mon frère qui l’a frappé. Je déteste mon frère Carl. Je ne peux plus le voir. Jack ne l’a pas mentionné, m’a épargné la douleur de ce qui s’est passé en me posant des questions sur moi, mes projets, mon avenir, rien que sur moi. Une minute merveilleuse où je me suis sentie valorisée, écoutée, comprise. Trop captivée par son petit accent italien et sa belle élocution, j’en ai oublié l’essentiel, parler de ce que j’ai entendu, puis il m’a serré la main et il est parti. J’aurais aimé qu’il me fasse au moins la bise sur la joue… Tant pis. J’ai pu toucher sa main ! Je sais qu’il est innocent car il est venu me sauver le 29 août 1937 à 19h30. Un homme aussi attentionné ne peut pas être un voleur. Je l’ai revu le 1er septembre pour le sortir de prison. C’était la moindre des choses que je puisse faire pour lui. J’ai appris à cette occasion que Jack, de son nom Marc Anderson, était un avocat exerçant au Palais de Justice de New-York. Marc, ou Jack, peut-être qu’il utilisait son deuxième prénom. Cela n’avait pas d’importance pour moi. Le 3 septembre 1937, je pris la décision de le revoir, pour qu’il mette ces deux salopards derrière les barreaux. J’étais prête à me confier, à me défendre pour que Justice soit faite. Le viol est passible d’emprisonnement, si je ne me trompe pas. J’en ai parlé à mon frère, mais il ne voulut rien savoir, estima que je perdais mon temps. Quel abruti, il ne comprenait vraiment rien à rien. Et puis, je voulais revoir Jack, je me sentais en sécurité auprès de lui, rassurée… Avec mon frère, nous avons eu une violente dispute ce jour-là. Je suis partie furieuse au Palais de justice à 9h du matin. Arrivée sur place, j’ai attendu Jack. Il a accepté de me recevoir à 11h10 après sa réunion. J’étais aux anges. J’ai passé la journée avec lui. Mais je fus incapable de parler de mon viol… J’ai juste discuté de ma peur lorsqu’ils m’arrachèrent mon sac à main avec violence. Il m’a conseillé de déposer plainte auprès de la police. Mais je ne voulais pas qu’il soit accusé de nouveau à tort et puis, la première fois, ils n'avaient même pas voulu entendre ma parole. Je voulais faire part de mon viol auprès de Jack, qu’il traque les deux types pour les coffrer. Mais je n’ai pas pu… Je me sentais souillée, je ne pouvais pas lui avouer une chose pareille, non, pas devant lui. Salie à vie par ces deux pourritures, je ne me supportais plus. J’avais honte qu’il l’apprenne. Et puis mon frère m’a dit que personne ne me croirait. Alors je me suis dégonflée, je n’en ai pas parlé. Au lieu de ça, nous avons discuté ensemble de mes projets d’avenir et j’ai déversé mon mépris envers mon frère. Il m’a une nouvelle fois écoutée, sans juger, sans critiquer. Il m’a remonté le moral. Il a pris le temps de m'écouter, cela m’a énormément touché. Nous avons passé la journée ensemble. Le vol chez Monsieur Tucker eut lieu le même jour à 10h30 d’après le quotidien. Il était donc impossible pour Jack de se trouver au domicile de Robert Tucker ce jour-là, puisqu’il se trouvait avec moi au Tribunal. Les journaux racontent vraiment n’importe quoi. Mon frère refuse que je me rende au siège de ce journal pour rétablir la vérité. Il ne comprend rien, m’empêche de vivre. Je n’oublierai jamais cette date du 3 septembre 1937, un jour maussade devenu lumineux par la simple présence de cet homme ténébreux. Sans l’intervention de mon abruti de frère, j’aurais pu être heureuse plus longtemps.

Je relève la tête, alterne mon regard entre Carl et Matthew, puis j’observe avec bienveillance le carnet de Bethany. Un carnet que mon grand-père avait tenu. Entre les deux pages suivantes, se trouve la photo de l’article du journal, écornée, déchirée dans les coins, abîmée. Des cœurs sont dessinés dessus tout autour de son visage. Je soulève délicatement le bout de papier qui s’effrite à chaque geste et je trouve des déchirures le long de la reliure. Des pages ont été arrachées. Je fronce les sourcils, dans l’expectative. Carl reprend la parole.

— C’est moi. J’ai arraché les pages, car la suite est une lettre de suicide qui m’était destinée.

— Pardon ? lançons-nous ensemble Matthew et moi.

— Oui, elle a découvert qu’elle était enceinte de son violeur. Elle ne pouvait pas supporter un tel fardeau, alors elle s’est jetée du haut du toit de notre maison. J’ai découvert son corps devant l’entrée de notre maison en rentrant du travail…

Carl se frotte les yeux, exténué par ces révélations. Il tremble de fatigue et de honte.

— Je me suis trompé sur son compte… dit-il d’une voix faible.

— Qui ça ? demandé-je, même si je connais la réponse.

— Sur votre grand-père… Il a été prévenant envers ma petite sœur… J’ai fait l’erreur de le juger et ainsi l’enfermer dans une case, et diminuer mon ouverture d’esprit… Je l’ai mal jugé…. Ma sœur en a souffert… par ma faute… ma sœur, ma petite sœur…

Il cache ses yeux, enfouit son visage. Matthew prend le carnet et le met dans un sachet en plastique. Il demande à Carl de lui transmettre les pages manquantes, mais ce dernier ne répond pas, perdu dans ses tourments. Carl se reproche de s’être enfui de chez Robert Tucker après la mort de sa sœur, comme un lâche rejetant la réalité. L’infirmière entre dans la chambre. Voyant Monsieur Smith effondré, elle nous somme de partir. Nous nous exécutons en remerciant Carl de nous avoir accordé de son temps. Matthew arrête le dictaphone et range son téléphone dans sa poche de jean. Le carnet de Bethany nous suffit amplement. Même si rien n’a été mentionné au sujet des actes de prêts au cours de cet échange, nous avons tout de même obtenu des preuves supplémentaires pour innocenter ma famille.

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