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New-York, 1938

En sortant de l’immeuble, sac de vêtements à la main, je monte en voiture et file au quartier Little Italy. Je n’ai plus rien qui me retient ici… Je jette un œil dans le rétroviseur. Je vois une voiture noire me coller. J’ai bien l’impression d’être suivi… Je me gare sur Mott Street. L’autre fait de même. Deux officiers de police en sortent, ils me tombent dessus, accompagnés de deux hommes. Je crois reconnaître l’un d’eux, le plus jeune. Je lève la tête vers le quatrième étage et aperçois Lisa à la fenêtre. Elle ne doit pas voir ce que je suis capable de faire. Alors, je les suis, sans faire d’histoire.

— Comment m’avez-vous trouvé ?

— En suivant votre voiture depuis la sortie du cimetière de White Plains. C’est moi qui ai été averti du meurtre de votre femme.

— Je vois… Que voulez-vous savoir ?

— Nos questions ne concernent pas votre épouse, mais plutôt Robert Tucker.

— En quoi cela me concerne ?

— Suivez-nous sans faire d’histoire, Jack Calpoccini, annonce l’un des officiers.

— Vous vous trompez de personne, mon nom est…

Je n’ai pas le temps de répondre que le second officier me plaque à plat ventre sur le capot de la voiture. Il me passe les menottes dans le dos. Je lève à moitié la tête pour regarder Lisa, je lui souris pour qu’elle ne s’inquiète pas. Elle agrippe le rideau en voile de coton vert pomme.

— Nous verrons cela au poste, déclare le plus âgé des policiers.

Les badauds se tournent vers nous. Pas de vague, pour éviter tout attroupement supplémentaire. Nous montons dans la voiture noire. Le flic démarre, gyrophares allumés. Je leur expliquerai au poste.

Arrivés au commissariat, le policier m’entraine au fond du couloir. Il m’assied de force sur une chaise, mains toujours menottées, dans une cellule à l’abri des regards. Une pièce sombre de 10m2 éclairée par un tube au néon défectueux, accroché au plafond, grésillant et clignotant par intermittence.

— Tu es bien Jack Calpoccini, n’est-ce pas ? commence le policier en chef.

— Non, affirmé-je.

— Menteur ! lance un gars, furieux.

Il se présente, Francis Tucker, puis lève deux journaux. L’un sur l’avis de recherche de Jack Calpoccini et l’autre, l’article sur le vol de Robert Tucker.

— C’est toi là-dessus !

— Je lui ressemble, mais ce n’est pas moi, mens-je, exténué.

Francis sort à ce moment-là un papier.

— Ton nom et ta signature se trouvent sur ce document.

— Ce n’est pas ma signature, dis-je calmement. Ni mon nom.

Francis, enragé, me donne de violents coups de poing directs dans la mâchoire. Il agrippe le col de ma chemise.

— Arrête ça ! hurle-t-il. C’est toi, j’en suis certain ! C’est toi le responsable du vol de mon père !

— Prouve-le.

Les deux policiers et le jeune se lancent des regards interrogateurs.

— Je t’ai vu !

— Où ça ?

— Chez mon père ! Accompagné d’une gamine, la soeur de ce type ! dit-il en pointant du doigt le jeune homme.

Je l’observe, c’est bien lui que j’ai vu à la fenêtre de l’étage, le jour où j’ai raccompagné Bethany, et lui qui avait crié « police » lorsqu’il m’avait aperçu avec sa sœur.

— Cela ne constitue pas une preuve contre moi.

— Une autre personne vous accompagnait, continue Francis. Vous parliez italien entre vous.

Francis grince des dents, serre les poings, puis se remet à me frapper au visage. Je me retiens de crier, je ne lui ferai pas ce plaisir. Je supporte très bien la douleur.

— Pourriture ! Tu crois que tu vas réussir à me berner ?! Va te faire foutre, salopard !

Francis frappe de plus belle, mais cette fois-ci, il me donne des coups dans le ventre et les côtes. Je grimace de douleur, me mordille la lèvre inférieure. Je résiste comme je peux. Soudain, le jeune policier stoppe les gestes de Francis.

— Arrêtez, gardez votre calme. Sa pièce d’identité indique bien qu’il s’agit de Marc Anderson, un avocat de San Francisco…

— Balivernes ! Comment pouvez-vous croire un type pareil ? Ils mentent tous !

Francis se remet à évacuer sa colère sur moi, sous le regard du jeune homme et des deux policiers, dubitatifs. À cet instant, une jeune fille hurle. Francis cesse tout de suite ses coups. Le jeune homme la rejoint. Je la reconnais. C’est Bethany. Il agrippe le bras de sa sœur et l’emmène loin d’ici.

— Bethany s’est éprise de toi, me reproche Francis. Évidemment, comme toutes les filles, tu les attires comme des mouches pas vrai ?

— Qu’est-ce qui te prend ? Je l’ai juste aidé !

— Ouais c’est ça, à d’autres !

Francis donne ensuite une enveloppe au jeune policier.

— Mason ! Voilà l’acte de prêt authentique entre mon père et ce type, crache Francis en me pointant du doigt.

Mason ouvre l’enveloppe, prend le document, fronce les sourcils.

— Mais… ? Qu’est-ce que ça signifie ? Il est inscrit Alfonso Spinelli sur l’acte…

— Quoi ?! Impossible ! s’écrie Francis.

Mason montre l’acte à son supérieur qui confirme la signature d’un autre homme. Il approuve l’authenticité du document, tamponné et signé par un notaire.

— Les signatures sont identiques sur le document et l’acte. Tous deux signés par une même personne, Alfonso… Il n’y a pas de doute possible, l’homme en face de nous est innocent…

Mason et son chef se regardent, gênés, par leur grossière erreur de jugement.

— C’est un coup monté et je le prouverai ! s’écrie Francis. Je te traquerai comme un chien, même tes gosses et tes petits-enfants s’il le faut !

— T’arriveras à vivre jusque-là ? me moqué-je.

Francis me frappe de nouveau dans la mâchoire. Je n’aurais pas dû le provoquer. Je sens un truc dur dans ma bouche, je crache au sol. C’est une molaire. Ah merde, je n’aime pas perdre de dents.

— Sale fils de chien ! Je ne te laisserai pas t’en tirer comme ça. T’es complice de ce type, Alfonso ! J’en suis sûr ! Tout le monde le saura que c’est toi le coupable, le cerveau de la bande, même mes propres gamins !

— Encore faudrait-il que t’arrives à choper avec ta gueule de chien écrasé.

Merde, mais tais-toi, Jack.

— Sale nuisible ! Pourriture !

Francis me pousse. Je tombe sur le côté, mains toujours attachées dans le dos. Il prend la chaise, la projette contre le mur. Celle-ci se fracasse. Il m’administre des coups de pied dans le flanc, déversant sa haine. Je crache du sang. Là ça fait mal. Le chef lui ordonne d’en rester là et de quitter immédiatement les lieux. Francis crache au sol, sort en rage.

— Sacrée bavure policière pour une première mission…, lancé-je, péniblement.

Mason tremble de peur, peut-être effrayé par l’idée d’être licencié, de se retrouver sans emploi, ou renvoyé à jamais du service de police. Le chef aussi semble paniquer. Il vient me détacher, retire délicatement les menottes. Je reste au sol, affaibli par les coups portés par Francis.

— Nous ne te poursuivrons pas. Nous classerons l’affaire. Nous ne pouvons pas effacer ce qu’écrivent les journalistes, mais la moindre des choses est de clore l’enquête.

— Vous ne pouvez pas faire de démenti ?

— Cela nous contraindrait à… à… bégaye Mason.

— … à admettre votre bévue, finis-je.

— Pars d’ici. L’affaire n’ira pas plus loin. Sois tranquille.

Je me redresse avec difficulté, en me tenant le flanc gauche. Mason m’aide à tenir debout.

— Francis n’est pas de cet avis… dis-je.

— S´il te plait, ne dis rien, supplie Mason.

Je ricane derrière mes mèches de cheveux sanguinolentes et mes yeux gonflés. Je me passe une main dans les cheveux.

— Mon nom est Marc Anderson. Je n’ai rien à voir avec toute cette histoire.

— Oui… et cet acte vous innocente, dit-il en agitant le document.

Mason le plie et le range dans une pochette en carton qu’il scelle.

— Nous avons commis une grave erreur. Notre carrière en sera forcément impactée. Nous ne pouvons rien contre vous. Nous ne vous attaquerons donc pas, ni nous, ni Francis.

— Vraiment ?

— J’y veillerai.

Je ne réponds pas, je préfère rester méfiant à son égard et prendre ses propos avec des pincettes. Je ne pardonne pas pour autant leur faute.

— S’il arrive quoi que ce soit en rapport avec cette affaire, je vous jure que je vous retrouverai pour récupérer ce document. Si la situation dégénère, je ne vous laisserai pas vous en sortir. Nous n’en resterons pas là, croyez-moi. Vous assumerez votre faute devant un Tribunal.

Mason déglutit avec grand-peine, la sueur perle sur son front. Son chef pose une main sur son épaule, il sursaute.

— Allons-nous en.

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