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San Francisco, 1939

Plutôt chanceux d'avoir obtenu une place pour le trajet en train et à la suite pour le bateau, je ne râle pas sur la date de mon départ fixée au 12 avril. En attendant, je continue de suivre Marco dans ses affaires, en gardant une certaine distance. Enfin, c'est plutôt ma famille qui me met à l’écart, car elle me reproche d'avoir essayé de vivre autrement... Et alors ? Fils d’immigré, fils de mafieux, je n’ai que ça comme choix ? Être « fils de » ? Non, je voulais rompre cette chaîne et me construire moi-même en brisant le lien d'appartenance qui m'unissait à Marco.

Marco continue l’extorsion auprès des commerçants et des entreprises. Alberto et Prisca s’occupent des paris illégaux. Valentina et Pietro travaillent dans le trafic de voitures. Quant à Maria et Fabrizio, ils cherchent des terrains publics pour investir. Je soupire, je reprends mon rôle de racketteur. Plus j’attends pour partir en Italie, plus j’appréhende mon voyage, dans ce pays inconnu.

Ce jour du 16 février 1939, nous nous rendons sur Pier 23 pour récupérer de la marchandise illicite en provenance de Berkeley Marina. Et surprise, j’aperçois un gars en fauteuil roulant au milieu du ponton. Je m’approche de lui d’un pas déterminé.

— Alfonso !

Il se retourne, c’est bien lui. Je lis la peur dans ses yeux. Je pose mes mains sur le dossier du fauteuil. Dès que je le vois, j’ai une furieuse envie de lui casser la gueule.

— Qu’est-ce que tu fiches ici tout seul ? dis-je, dents serrées.

— Tu crois pas que t’en as déjà assez fait ? panique-t-il.

Je crispe la mâchoire et le pousse jusqu’au bord.

— Arrête ! Qu’est-ce que tu fous ?!

— Tu ne t’es pas pendu depuis le temps ?

— Et pourquoi je ferais ça ? Hein ? Va te faire foutre, Jack !

Je grimace, place un pied sur son siège, je le pousse encore un peu, la roue arrière droite quitte le sol pour se retrouver au-dessus de l’eau. La sueur dégouline sur les tempes d’Alfonso.

— Putain, arrête !

— Qui t’accompagne ? dis-je d’une voix glaciale.

— Personne ! répond-il, droit dans les yeux.

— Qu’est-ce que tu fous là tout seul alors ?

Je pousse de quelques millimètres le fauteuil.

— Stop ! J’suis avec Fabrizio ! J’avoue… Je lui indique les coins stratégiques de futurs chantiers.

— Tu lui as raconté ce qui s’est passé, n’est-ce pas ?

— Pietro a tout vu, connard ! Il était dans la tribune avec son père !

Obnubilé par ma vengeance, je ne l’ai pas vu. Je comprends mieux pourquoi Maria et Valentina ont peur de moi. Il m’agace à foutre son nez partout et à suivre les Calpoccini comme un chien.

— Qu’est-ce que tu veux, bordel ?! Personne ne te recherche ! C’est fini cette histoire avec Robert !

— Je ne te pardonnerai jamais ce que tu as fait à Kate.

Je pousse encore le fauteuil. Les deux roues arrières sont dans le vide maintenant.

— Jack, je t’en prie ! Arrête !

— Une dette de sang se paie par le sang.

La peur déforme son visage. Je souris en coin. Si plus personne ne me poursuit, je n’ai plus besoin de le garder sous le coude en cas d’arrestation. J’en ai marre de ce fouineur. Je ne partirai pas serein tant qu’il sera en vie.

— Pourriture ! crache Alfonso, le front luisant.

— Tu n’aurais pas dû dire ça.

Cette fois-ci, je pousse violemment le fauteuil. Il part en arrière, Alfonso crie, puis tombe dans l’eau. Je me place au bord du ponton, mains dans les poches et le regarde se noyer. Sans mains et sans jambes, il ne peut pas nager. Il lutte, mais la mer finit par l’engloutir. Des bulles remontent à la surface, puis plus rien. Le calme plat. Alfonso et son fauteuil roulant ont sombré dans les profondeurs. Je souffle un bon coup. De la vapeur sort de ma bouche, je me sens beaucoup mieux. Je me retourne, je tombe nez à nez avec Fabrizio. Il me donne un coup de poing dans la mâchoire. Ma tête dévie sur le côté, je manque de tomber.

— Ordure !

J’essuie le sang qui coule à la commissure de mes lèvres avec l’index et le majeur, contemple ce liquide rouge, et lui envoie un uppercut. Ses pieds quittent le sol, il est projeté en arrière, tombe sur le dos. Je me place au-dessus de lui, me penche pour lui attraper le col de sa chemise.

— Ne viens pas m’emmerder, si tu tiens à la vie, compris ?

Il agite la tête de haut en bas. Je le relâche d’un geste brusque. Il se cogne l’arrière du crâne. Je me redresse et aperçois Marco qui m’attend, mains sur les hanches, le regard sévère. Il est temps que je parte d’ici.

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