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Fin mai, Monica m’agrippe par le bras pour me conduire au petit matin sur Via del Porto, au pied de la Torre Truglia. L’air chaud est agréable. Je retrousse les manches de ma chemise blanche jusqu’aux coudes et desserre les boucles de mes bretelles. Je me passe une main dans les cheveux, m’étire, et m’appuie sur le garde corps en pierre, bras croisé, pour contempler la mer, laissant le vent fouetter mon visage.

Soudain, j’entends le bruit d’une arme qu’on enclenche. Je me retourne, un homme pointe son revolver sur moi. Je vois Monica à quelques mètres de moi, raide comme un piquet. Elle plaque une main devant sa bouche.

— Je me disais bien que j’avais déjà vu ta gueule quelque part. Le napolitain de San Francisco, Jack Calpoccini. Hein ?

— Les nouvelles vont vite, constaté-je.

— Laissez-le tranquille ! s’écrie Monica.

— Non, j’ai besoin de lui !

S’adressant à Monica, l’homme s’égare un cours laps de temps, suffisant pour que je réagisse par surprise. Je lui attrape le bras, le casse au niveau du coude. L’homme crie et lâche son arme. Je lui donne un coup de pied dans le genou, il tombe sur les fesses en gémissant de douleur, puis j’attrape le col de sa chemise, pointe le canon sur son front.

— Qu’est-ce que tu m’veux ?

— Tu ferais mieux de coopérer.

À cet instant, trois hommes arrivent vers nous.

— Va-t’en, crié-je à Monica.

— Enzo, non, je ne peux pas te laisser là !

— Va-t’en ! Je vais me débrouiller. Mets-toi à l’abri, allez !

— Mauvaise idée, s’exclame l’un des hommes.

Il attrape Monica par le cou, la bloque, pointe son arme sur sa tempe.

— Suis-nous sans faire d’histoire.

Je fusille du regard le gars tout en pointant mon Colt sur le front de l’autre. Je réfléchis, je tire sur le gars. L’autre, abasourdi, relâche Monica. Il recule, prend ses jambes à son cou. Je le course et le rattrape. Je le plaque au sol et lui administre plusieurs coups de poings dans la mâchoire jusqu’à ce qu’il tombe dans les vapes. Je me relève, les deux autres prennent la fuite. Je range mon Colt à l’arrière de mon pantalon, bien décidé à les poursuivre. Mais Monica m’attrape la main. Je me retourne, elle pleure.

— Arrête… ça suffit…

La poitrine me serre. Ils me disent tous la même chose ces derniers temps. Ça m’énerve ! Je crispe la mâchoire. Je retire ma main d’un geste vif, et file à la maison, sans me retourner. En entrant, je claque violemment la porte, à tel point que les carreaux de la fenêtre de la cuisine se brisent. Merde. Je m’accroupis pour ramasser les morceaux de verre au sol. Je me coupe la paume de ma main gauche.

— C’est quoi ce bordel ?! s’écrie Giuseppe en dévalant l’escalier.

Je me redresse, jette les débris à la poubelle. Il me suit du regard, sans bouger. Je me place face à lui. Les gouttes de sang tombent sur le sol comme une pluie verglaçante.

— Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Et où est Monica ?

La porte grince, elle entre, mouchoir devant la bouche et yeux rougis par les larmes.

— Monica ? lance-t-il en se précipitant vers elle.

— Des hommes de l’organisation ont attaqué Enzo…

— Quoi ? demande-t-il en tournant la tête vers moi. Qui sont ces hommes ?

— Les hommes de l’autre soir, ceux qui sont venus pendant la fête te prendre ton portefeuille.

Monica se blottit dans les bras de son mari. Elle colle sa tête sur sa poitrine.

— C’est pas possible, comment tu fais pour attirer des ennuis ?

— J’y suis pour rien, ils m’ont reconnu.

— Faut que t’arrêtes de faire des conneries ! me reproche Giuseppe.

— Je n’ai rien fait ! T’écoute quand je te parle ?! Ils m’ont juste reconnu. Je ne sais pas ce qu’ils veulent !

— S’ils font du mal à ta mère, je te vire de chez moi !

— Ça va. Je les ai remis à leur place.

— Tu n’aurais pas dû venir ici, grogne Giuseppe.

Ses propos me transpercent comme des aiguilles acérées.

— Sympa, ça fait plaisir, grogné-je, dents et poings serrés.

— T’as vu les ennuis que tu me causes ?

Giuseppe pique une crise et tape des mains sur la table.

— Je te jure que je n’y suis pour rien ! crié-je.

— Si je t’avais élevé, ça ne serait pas arrivé !

— Oui mais tu n’étais pas là ! Tu n’as jamais été là ! Tu m’as laissé entre les mains de Marco ! hurlé-je.

Je tape des poings sur la table, la tachant au passage de mon sang. Ensuite je grimpe l’escalier, furibond. Je file prendre mes affaires dans la commode de ma chambre, les fourre dans ma valise. J’en ai marre d’être rejeté de partout ! Je me passe les mains dans les cheveux, je sens le liquide imbiber mes cheveux. J’agrippe ma main et constate la belle plaie suintante dans ma paume. Zut, faut que je soigne cette blessure, direction la salle de bain. Je sors et tombe nez à nez avec Giuseppe. Il me fixe d’une mine désolée, son regard se pose sur ma main blessée.

— Pardon… je me suis emporté… Mais avoue que… t’arrives et y a des ennuis.

— Je croirais entendre Alberto… Y a toujours des emmerdes quand je suis là. Ça te va ? T’es content maintenant ?

Je le pousse pour passer, mais il me bloque par le poignet.

— Enzo, calme-toi ! Tu réagis au quart de tour. Reprends-toi.

Je ne réponds pas, je ne me débats pas non plus. Il ne lâche pas mon poignet, se contente de soupirer et de me tirer vers la salle de bain. Il sort des produits d’un tiroir, commence à désinfecter la plaie, et ensuite la bande. Je ne bronche pas. Je le suis au salon. Dans le couloir, il s’arrête devant ma chambre, plisse les yeux. Je grimace, il a dû voir ma valise. Il me jette un œil. Il ne semble pas vexé, mais attristé. Il reprend sa marche, lourde et lente. Nous descendons, Monica nous attend sur le canapé, devant la table basse où sont déposés trois cafés.

— Que se passe-t-il entre vous deux ? demande Monica, d’une voix faible.

— Rien. Je l’ai juste sermonné. Il manque d’éducation ce gosse.

— Chéri ! Enfin…

— Il n’a pas un caractère facile.

— Nous venons de retrouver notre fils, sois gentil avec lui. Il a été élevé par Marco je te rappelle.

— Je sais, je sais ! Mais c’est plus fort que moi. J’ai eu peur de te perdre… alors je m’en suis pris à lui.

— Ne vous en faites pas, je n’ai pas l’intention de rester.

— Enzo… sanglote Monica.

— Je suis venu pour quelques mois à Sperlonga… pas pour y vivre.

Les larmes de Monica coulent sur ses joues, elle baisse la tête. Giuseppe serre les poings.

— C’est p’têt bien toi qui a tué Matteo finalement.

— Comment ? s’étrangle Monica.

Je serre la mâchoire, lui lance un regard sévère. J’en ai assez entendu pour aujourd’hui, je sors en claquant la porte. Les quelques débris restés accrochés à l’encadrure de la fenêtre tombent sur le carrelage blanc. Je les entends se briser.

Je marche en direction de la piazza della Fontana. J’inspecte les alentours, pas de trace des hommes. Les enfants jouent au football, les femmes discutent sur les bancs et des papys jouent aux cartes. Je fourre mes mains dans les poches et lève les yeux vers la tour. Personne n’a entendu le coup de feu ? Étrange. Ils ne semblent pas inquiétés. Je fronce les sourcils.

— Hey, Jack !

Je me retourne, j’écarquille les yeux, c’est Giovanni.

— Putain, mais qu’est-ce que tu fous là ? dis-je, le sourire aux lèvres, bras ouverts.

— Et toi ? qu’est-ce que t’as à faire la gueule ? Tu changes pas, ma parole !

Nous nous serrons dans les bras, nous accueillant avec de grandes tapes dans le dos. Giovanni me prend la tête entre ses mains.

— Ah, j’suis content de te voir !

Il me serre fortement dans ses bras, se redresse et me donne une tape dans le dos. Je manque de tomber. Il me montre ensuite Lisa de la main.

— Ta gamine a voulu te voir. Elle n’a pas arrêté de taper des poings et des pieds jusqu’à ce que je cède.

Je regarde Lisa, toute timide, puis j’ouvre les bras et me penche vers elle avec le sourire. Elle court pour se blottir dans mes bras.

— Comment avez-vous fait pour venir ?

— On a trouvé deux billets pour prendre le bateau pour cette fin mai. Ça sent le roussi en Europe, les gens commencent à avoir peur de bouger, donc facile de trouver.

— Deux billets ? Linda n’est pas venue ?

— Eh… non… répond Giovanni en se frottant l’arrière de la tête. Elle est malade en bateau et ça lui rappelle de mauvais souvenirs...

— Elle a accepté que sa fille vienne me voir, sans broncher ?

— Lisa ne lui a pas laissé le choix. Elle a piqué une de ces crises, tu l’aurais vu… Bref…

Giovanni fourre ses mains dans les poches, balaye la plage de ses yeux sombres. Lisa m’agrippe autour de la taille. Je remarque ma montre à son poignet. Je me penche vers elle.

— Je t’avais dit de m’attendre, dis-je, d’une voix douce.

— Jack, y a des types qui te cherchent… explique Giovanni en replaçant des mèches imaginaires sur le haut de son crâne.

— J’en ai rencontré, affirmé-je en me redressant.

— Quoi ? C’était qui ?

— Ils n’ont pas eu le temps de me le dire.

— Ça n’a pas plu aux Rossi ce que t’as fait à Alfonso…

Je soupire, me passe une main dans les cheveux, observe quelques secondes les vagues s’échouer sur la plage, et fusille du regard Giovanni.

— Il l’a mérité, dis-je dents serrées.

— Jack… Y a pas que ça. J’ai entendu dire dans le milieu que le fils de Robert, le gars qu’est mort, est à tes trousses. Ta tronche circule sur des affiches…

— Il est borné ! C’est Alfonso qui l’a tué ! Fais chier, dis-je en donnant un coup de pied dans le sable.

Les grains s’envolent et atterrissent dans les cheveux de Lisa. Je me penche vers elle et frotte sa tête tout en m’excusant.

— La p’tite était inquiète. Elle voit tout et… elle comprend tout.

— Nous allons repartir.

— Quoi ? Déjà ? Mais on vient d’arriver !

Je soupire, et prends la main de Lisa, pour les accompagner chez Giuseppe et Monica.

En ouvrant la porte, mes parents écarquillent les yeux, bouche bée. Ils se lèvent pour nous accueillir. Ils sont étonnés de revoir l’affranchi et de faire la connaissance de ma fille. Je jette un œil à la fenêtre, Giuseppe a clouté des planches de bois pour obstruer la fenêtre. Je soupire, et regarde ma main bandée, une tâche rouge s’est formée au centre. Je sens une main me tapoter l'épaule, je sursaute, me retourne. Giovanni me regarde avec des yeux larmoyants.

— T’as vu le type sur la photo ? bredouille-t-il.

Je regarde par-dessus son épaule mes parents en compagnie de Lisa dans le salon. Elle est assise sur les genoux de Monica. Ils sourient et rient. Giuseppe lui apporte des biscuits et un verre de jus de citron. Une main passe devant mon visage.

— Ohé, Jack !

— Oui, je sais. C’est Matteo, le frère de Monica… dis-je en m’adossant au plan de travail de la cuisine.

— Merde, lâche-t-il en jetant un œil derrière lui.

— Je n’en savais rien, lancé-je en croisant les bras.

— Tu ne pouvais pas savoir. Qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Elle pense que c’est Marco qui l’a tué.

— C’est le cas, non ?

— En théorie…

— Même si tu tenais l’arme, c’est Marco qui a appuyé sur la détente.

Je baisse la tête et me mordille la lèvre inférieure. J’entends les effusions de joie de Lisa, au loin, telle une mélodie inaccessible. La poitrine me serre.

— Je ne veux plus en parler…

— Je comprends.

Giovanni pose sa main sur mon épaule, puis nous les rejoignons dans le salon. Lisa me tend une photo, avec un sourire compatissant. Elle fait si adulte quand elle le veut. Je la prends, ma main tremble, c’est une image de Monica à la maternité avec un bébé dans les bras. Je me frotte les yeux, ma mère se lève et me prend dans ses bras pour me réconforter. Je sens ses pleurs mouiller le col de ma chemise…

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