Chapitre 19 : Persona non grata

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Dans le silence ambiant, franchir le pas de cette porte ressemblait à une transgression. Comme si d’une certaine manière j’allais déranger le silence. Qu’importe, il me fallait écarter ces vaines considérations et foncer. J’avais soif de savoir, j’étais en quête de réponses, je ne me laisserais pas impressionner par cette étrange atmosphère. L’absence de bruit alimentait ma paranoïa qui, elle-même affuta mon ouïe. Alors que je passais le pas de la porte, un son léger de bruissement d’eau vint caresser mes oreilles. La salle n’était pas très grande, pourtant elle était surchargée de décorations.

Quelqu’un avait savamment disposé la pièce en une succession de cercles concentriques. Le premier cercle traçait le circuit d’une fontaine dont l’eau venait s’écouler vers les cercles inférieurs. Le deuxième ne se composait que de terre. Un troisième venait garnir la terre d’une couche de gazon soigneusement entretenu. Un dernier abritait profusions de plantes décoratives : des ficus, du laurier, des orchidées, etc. Au centre, un homme assis en tailleur semblait en pleine méditation. Les yeux fermés et totalement focalisé sur sa tâche, il ne paraissait pas avoir remarqué notre présence. J’en profitais longuement pour détailler son apparence :

Un teint légèrement hâlé, de cheveux longs blancs se perdant dans son dos, il brillait en lui un éclat de fraicheur alors même qu’il était d’un âge indéfinissable. Si les affres du temps creusaient les traits de son visage, c’était comme à dessein, pour l’embellir. Une collerette faite en laurier séché habillait son cou d’un voile d’élégance. Cet étrange tour de cou remontait jusqu’à son visage dans une spirale d’éventail verdâtre qui se terminait à ses lèvres, les masquant partiellement.

Alors que mon regard insistait sur la curieuse apparence de ce quidam, une intuition dû lui révéler notre présence puisque ce fut sans surprise qu’il rouvrit les yeux.

Il ne quitta pas sa position assise, resta un long moment à nous détailler, Cyclope et moi. Son regard était désintéressé de toute forme de jugement, son expression ne trahissait aucune émotion. Ainsi épuré, son visage ressemblait plutôt à une interface directe avec son âme. Il émanait de lui que notre présence n’était ni crainte, ni appréciée.

Après quelques instants de lutte, il me parut impossible de soutenir son regard. Je me focalisais sur la fontaine, le bruit de l’eau puis sur mon souffle afin de me dérober à son impétueuse aura.

L’atmosphère apaisante de la pièce m’apparaissait maintenant comme particulièrement oppressante. Je reportais mon attention sur Cyclope qui, dans l’échange de regard avec l’inconnu, ne bronchait pas d’un cil. D’une certaine manière, sa détermination restaura mon courage.

Après quelques instants qui parurent comme une éternité, il nous invita à nous assoir d’un signe de main.

Il finit par fermer les yeux à nouveau, comme s’il se préparait à une épreuve alors qu’il tendit la paume de ses mains vers nous.

Décidé à en apprendre plus, que ce soit sur cet être ou sur le dôme tout entier, j’empoignais la gemme de télépathie et me préparai mentalement à l’échange à venir.

Reste calme, ça va bien se passer, tout va bien.

Lorsque la gemme entra en contact pour faire le lien entre nos deux esprits, je ressentis une sensation familière. Mes paupières étaient grandes ouvertes pourtant j'étais comme aveugle.

Le monde s’effaça, la salle disparut et je perdis ma matérialité. Tout s’estompa pour ne laisser qu’un océan de vide. De ces eaux noires, primordiales, d’innombrables remous tourbillonnaient à la surface. Ces maelstroms aspiraient avec tant d’ardeur les eaux environnantes que la mer devint morcelée par une infinité de cavité. De ces enfoncements jaillirent autant de morceau de ma personnalité que je pus en imaginer. L’opération ne cessa de se répéter jusqu’à ce que ma personne supplante l’eau, plus exactement mon être devint les flots : l’océan de vide devint un océan de Zachary. Chaque vague déferlant dans le néant portait des pans entiers de mon âme.

Baigné dans une singulière introspection, j’étais plongé dans un épanouissement onirique. Plus rien ne pouvait m’atteindre, j’étais immergé dans la plénitude de mon être. Je n’existais plus individuellement. Je n’étais plus une goutte dans l’océan, j’étais l’océan.

Le ruissellement de mon être explorait le vide sans fin de cet univers, non pas en quête d’altérité, mais dans une volonté d’expansion infinie. Pourtant, aux confins de mon être je sentis une anomalie. L’écoulement de mon âme fut fouetté par les embruns d’une autre mer.

Courroucé par pareille intrusion, un vent tumultueux agita mon être, l’air se gorgea d’une humidité tempétueuse, préparant un raz-de-marée dévastateur qui rassemblait la totalité de ma personne.

L’autre étendue d’âme dû en faire de même puisque bientôt les deux vagues géantes s’entrechoquèrent dans un fracas cataclysmique. Du choc de ces émanations en résultat une trombe spirituelle, une tornade mêlant nos deux êtres dans une fusion chaotique. Dans l’œil du cyclone, je sentis nos consciences s’incarner, se matérialiser en deux individualités propres, alors que tout autour nous tourbillonnait le flux de nos essences.

Ce spectacle, aussi bouleversant que magnifique, était assurément une des expériences les plus mémorables de ma vie.

Ma surprise était totale lorsque je contemplai l’être qui me faisait face. Comme un savoir latent qui perçait les verrous de mon inconscient, son nom m’était connu, comme si je l’avais toujours su.

-Radicor…

-Je me suis débarrassé de ce nom et de son héritage il y a longtemps, ici on me nomme Laurifer.

Passé la stupéfaction, je compris qu’il ne s’agissait pas du défunt Radicor du dôme de la vue mais bien d’un autre clone du tyran originel.

De clone, il n’avait que le nom et partiellement le physique. C’était en réalité une tout autre personne. Conformément aux instructions du père, chaque enfant du despote avait été élevé selon un modèle particulier : le premier que je rencontrai ne connut pour modèle que la sévérité. Celui qui me faisait face avait connu une toute autre destinée. Son instruction s’était faite en symbiose avec son éducateur. Il avait modelé sa propre formation, son savoir en synergie avec son professeur. Cette seule différence marqua son être en profondeur, tant dans sa personnalité que dans sa manière de gouverner. Il n’avait fondamentalement rien à voir avec le Radicor que j’avais connu.

Alors que j’accédais peu à peu aux tréfonds de son âme, je craignis la réciproque.

Qu’allait-il voir de moi ? Qu’allait-il penser de moi ? Comment aborder sereinement cet être antédiluvien.

Alors que je formulais cette réflexion, cette dernière s’extirpa de mon être pour rejoindre le tourbillon d’essence qui volait autour de nous. Je n’eus aucun doute qu’il en prit conscience.

-Je vais mettre fin à tes appréhensions, Zachary. En toute bienveillance, je n’ai d’autres choix que de te dire ceci : Tu n’es pas le bienvenu ici.

C’était avec soulagement que j’accueilli son jugement. Aussi « négative » qu’elle fût, la sentence était rendue. Je n’avais plus à la craindre, plus à l’anticiper, je n’aurais pas même pas à essayer de m’y soustraire.

-Voilà une formulation assez paradoxale. Permets-moi de te demander, pourquoi ?

La seule énonciation de ma question fit naître en lui un fil de pensée qui, à lui-seul, me fournirait nombre de réponses sur lui et sur le dôme de l’ouïe.

Il me fallut quelques instants pour comprendre comment accéder à la totalité du savoir renfermé par cette connexion. Instinctivement, mon corps se contorsionna au rythme des bourrasques dans d’improbables gesticulations. Emporté dans l’élan de cette danse chimérique, mon organisme se métamorphosa de bipède à serpentiforme, afin de naviguer en toute aisance dans ce tourbillon de conscience. Une fraction de seconde plus tard, je tournoyais en suivant le sens du vent, jusqu’à me fondre dans l’air imprégné par l’âme de Laurifer.

Comme les autres Radicor, il était prédestiné à la régence de son dôme. Pourtant, au lieu d’exercer unilatéralement son autorité de dirigeant, c’est un tout autre chemin qu’il choisit. Quand le tyran originel priva ses maîtres bâtisseurs du sens correspondant à leur dôme respectif, celui en charge de l’ouïe inventa un mécanisme pour échanger par télépathie. Lorsque Laurifer eut l’opportunité de tester ce procédé, il en saisit immédiatement la portée. C’était autour de cette invention qu’il choisit de bâtir son projet de société. L’empathie parfaite à laquelle l’échange d’esprit à esprit permettait d’accéder rendait caduque nombre de fonctions normalement essentielles à la bonne tenue d’une nation. Policiers, militaires, politiciens, prisons, lois, religions, rien de cela n’était nécessaire en ces lieux. Il était devenu évident que tous ces artifices étaient réservés aux hommes incapables de se comprendre entre eux. Aussi difficile qu’il était de concevoir un état sans ces institutions, ce modèle marchait. Il marchait d’autant mieux que plus on utilise la télépathie, plus on cerne l’autre, plus on se cerne soi-même.

Tout le monde devint à même d’identifier la part de nocivité qu’engageait certains de leur propre comportement, à leur égard et envers autrui, et de fait, de lutter contre.

La télépathie n’était pas qu’un simple outil de communication, c’était également un moyen de devenir une meilleure personne. Elle devint une clé pour que la société du dôme s’équilibre elle-même.

Des années plus tard, pour parachever ce que la télépathie avait initié, fut inventé l’internet des pensées : l’intercommunication d’esprit à un niveau sociétal, aussi appelé la transcendance. Au travers de son développement, il fut démontré qu’il était impossible de mettre tout le monde en liaison simultanément. La quantité d’information à stocker et à interpréter était simplement trop grande pour un esprit humain. Le projet s’orienta dans un chemin différent. Par son biais, il était possible de mettre en ligne une partie de son esprit, celle responsable des émotions. De fait, cet « internet des pensées » était un réseau de sentiment permettant à chacun de ressentir les émotions des esprits synchronisés. Toute personne décidant de télécharger sa sensibilité devenait lui-même une partie d’un réseau neuronale plus globale. En conséquence, un esprit heureux participait à la joie collective. Un esprit malheureux affectait l’humeur de la totalité des connectés. En période de liesse, quand tout le monde connaissait la sérénité, le dôme connu des périodes d’idylle tangible.

C’était bien cette innovation, couplé de la télépathie, qui termina de cimenter cette communauté.

Comme Solator me l’avait suggéré, cette société n’était pas guidée par l’impératif mais par l’envie/hedonnisme. Nul n’était enfermé par des contraintes d’horaires, d’argent, d’obligation sociale, d’ambition. Tout le monde était en parfaite maîtrise de son destin. Il était aisé de comprendre pourquoi cela fonctionnait. Chacun œuvrait de son propre chef au bien de la communauté. Etre heureux et le diffuser au sein de la transcendance représentait l’ultime consécration au sein du dôme de l’ouïe. Contribuer au bonheur d’autrui, revenait à contribuer son propre bonheur. A contrario, quand un membre de la communauté éprouvait une sensation de mal-être, il était du devoir de chacun de lui venir en aide.

Voilà pourquoi tous œuvraient spontanément pour la satisfaction de son prochain, que ce soit au travers de son labeur ou de ses loisirs. Un exemple parfait d’une société totalement solidaire, mû par une constante fraternité.

Cette compréhension mutuelle des membres du dôme s’accompagnait de certains travers.

S’il était évident que cette manière de vivre rendait presque impossible la possibilité de cultiver son jardin secret, ce n’était pas la principale tare. Ce peuple si atypique, avait appris à vivre avec la télépathie, avec la transcendance. Ces découvertes façonnaient leur manière de penser de sorte à faciliter la communication et ce dès leur plus jeune âge. Voilà pourquoi, confronté à une personne dont les pensées n’avaient jamais été ouverte à autrui, le contact confinait à l’insoutenable. Intégrer dans leur communauté, quelqu’un qui, a contrario d’eux, avait connu la solitude ou une détresse durable c’était mettre en péril le bonheur collectif. Un misanthrope, un dépressif chronique, ou tout simplement quelqu’un qui avait appris à se débrouiller seul n’avait absolument pas sa place au dôme.

Ces questions n’avaient jamais réellement été abordée avant la venue d’Insitivus. Son escapade au dôme de l’ouïe marqua durablement les esprits.

Cela faisait des années que le dôme n’avait eu de contact avec l’extérieur. Confronté à un être aussi torturé que le maraudeur du désert, leur expérience pouvait être que désastreuse. Quiconque le souhaitait pouvait entrer en contact télépathique avec lui, par contre on lui interdirait l’accès à la conscience émotionnelle du dôme. Cette expérience fit naître en la population du dôme une appréhension vis-à-vis de l’extérieur. Elle éveilla une peur de l’étranger. Pas nécessairement une haine.

De ma propre expérience et de celle que j’ai pu voir d’Insitivus, je compris aisément que quelqu’un n’ayant pas élevé dès son plus jeune âge avec la télépathie, ne pouvait concevoir les dégâts qu’il pouvait causer dans l’esprit d’autrui. A plus forte raison dans cet internet des pensées.

La venue du fils adoptif de Radicor avait créé un précédent inédit. Jusqu’à présent la question de la xénophobie ne se posait même pas, puisque personne ne parvenait jusqu’à eux. N’est xénophobe que celui qui envisage le contact avec l’étranger et le rejette spontanément. Ici, on n’envisageait même plus l’extérieur. Ce dôme, c’était la totalité de leur monde. Rien n’existait au-delà de ses frontières. C’était bien sa venue qui avait créé cette attitude.

Leur peur de l’étranger pouvait s’expliquer. Certains assumaient leur haine, d’autres comme Solator bravaient la douleur que l’étranger pouvait occasionner.

En fouillant dans les souvenirs de Laurifer, j’eus vent des bribes d’une conversation télépathique, je perçus comment Insitivus rajouta de l’huile sur le feu :

« Si tout le monde désigne l’étranger comme ennemi, c’est que l’ennemi se trouve en vous »

Une part de moi sourit intérieurement, ce genre de phrase, c’était typiquement lui.

En fouillant de plus belle, je découvris que si le dôme de la vue avait bien capté une communication de la part de celui de l’ouïe, c’était bien de la main d’Insitivus, afin de les « libérer de leur peur ».

A nouveau, typiquement du Insitivus.

Je saisissais désormais bien mieux pourquoi Laurifer accueillais ma présence avec méfiance, je comprenais maintenant son demi-rejet. J’étais l’incarnation du danger dont Insitivus était la prémices.

Rompant avec le flux d’âme de Laurifer, mon corps fut secoué par d’intenses tressaillements afin de regagner sa forme originelle. De nouveau, je me retrouvais dans l’œil du cyclone, flottant dans l’air ambiant, pourvu de mes deux jambes. Alors que j’observais mon partenaire de symbiose, je sentis poindre en lui un vif intérêt pour ma personne, comme si ma réaction lui était précieuse. Immédiatement, je m’adressai à lui sans aucune animosité.

-ça fait… beaucoup trop d’information à interpréter d’un seul coup. Pourtant je crois pouvoir dire que je comprends. Je comprends votre réaction à mon égard, à l’égard de tout élément extérieur. Je suis logiquement un danger potentiel pour votre communauté et je comprendrais que vous me considériez en tant que tel. Toutefois, pourriez-vous prendre la peine de vérifier avant de m’enfermer dans cette catégorie ?

-J’y comptais bien.

Son corps se mut en une danse irréelle qui, au gré de mouvements ondulatoires impossibles, changea de forme pour prendre une allure serpentine. Il plongea son être dans les rafales que mon âme soufflait.

Par mesure de sécurité, je m’étais limité dans ma recherche de connaissance, ne voulant pas reproduire le coma qu’avait engendré mon premier contact télépathique avec Insitivus. Laurifer en revanche s’abreuvait sans aucune réserve de mes expériences de vies. De ma jeunesse au dôme de la vue jusqu’à mon départ, de ma rencontre avec les cafards jusqu’à ma dernière escapade chez les Tocards, il se nourrit de tout. Je compris bientôt qu’il allait prendre conscience du meurtre de son frère par Insitivus.

Lorsque son corps s’extrait du tourbillon de nos âmes, reprenant forme humaine, son regard s’appesantit sur moi avec lourdeur.

-Mon frère ne savait pas quoi penser de toi, il en va de même pour moi.

Il marqua un temps de pause dans son discours, comme pour digérer la masse de données qu’il venait d’ingérer.

Tu as été une source d’information particulièrement précieuse. Pour autant, ces renseignements ne font que confirmer mes craintes, vis-à-vis de toi et vis-à-vis du monde extérieur. Les Terres Mortes recèlent de dangers périlleux, l’humanité est toujours une menace pour elle-même. Nous ne n’ouvrirons pas nos portes au dôme de l’œil. Je rejette viscéralement ce qu’il est devenu, je ne tolérerais pas que son influence néfaste atteigne mon foyer.

En cet instant, il ressemblait réellement à son frère. Son regard, bien plus expressif que dans la vie réelle, reflétait une palette de sentiments si fournie qu’il en devenait presque indéchiffrable.

Je comprends que ton passage ici n’est qu’une étape éphémère, nous t’accueillerons toi et ton compagnon pendant sa durée. Pendant votre séjour, vous n’accéderez pas à la transcendance, vous ne communiquerez qu’avec ceux qui le souhaitent et personne d’autre. Si vous acceptez ces conditions, nous ne vous mettrons pas dehors.

Son visage oscillait désormais quelque part entre la tendresse et la méfiance.

Des pans entiers de ta personne sont dédiés à ton propre malheur. Tu n’imagines pas la douleur que tu te causes ni la douleur que tu pourrais nous causer. Si tu ne veux pas être consumés, comme l’est Insitivus, fais bien attention. Entoures toi de personnes bienveillante, abandonnes toi à l’indulgence, cède-toi à toi même.

Comme s’il me livrait une partie de sa personne ou qu’il me révélait un grand secret, il me glissa.

Je voudrais pouvoir t’aimer comme un membre de notre grande famille, Zachary. Je ne peux simplement pas me le permettre.

Le silence qui s’ensuivit était aussi éloquent que son discours. Chargé de vœu pieux et de fraternité impossible.

Alors les rafales tempétueuses cessèrent, la trombe spirituelle se délita, et la marée effaça toute trace de notre échange.

En un clignement des yeux, je fus transporté de ce monde onirique pour revenir en terrain connu. La fluidité de ce passage de l’un à l’autre ne fut brutale qu’après coup, me poussant remettre en cause ce qui tient du rêve et ce qui tient du réel. J’observai mes mains, je palpai mon visage, incrédule je dus me convaincre qu’il s’agissait bien là du « vrai » monde.

Mon regard se porta vers Laurifer, c’était comme si j’observais un autre homme. Ce n’était plus un étranger à mes yeux. Je pouvais donner sens à cet énigmatique visage, comme s’il était devenu un proche en un instant à peine. J’aurais voulu en savoir davantage sur la manière dont il percevait mes actions, sur la légitimité de ma lutte, sur mes regrets, mes espoirs. Il n’avait pas choisi d’aborder ces sujets, tout comme je m’étais refréné sur ce que je pouvais apprendre de cette bibliothèque humaine.

Même maintenant il m’est impossible de réaliser le plein potentiel de ce genre d’échange. Une fois que j’y serais habitué, je pourrais tant en apprendre sur l’homme… et sur moi-même.

Une part de la pensée de Laurifer demeurait en moi. Loin de m’en inquiéter, je veillais à ce que cela reste ainsi.

Alors que je me remettais de mes émotions, je vis Cyclope copier mon geste et apposer le même type de gemme sur la paume offerte de Laurifer.

Tout comme pour mon contact, l’échange ne dura qu’un instant. Un instant chargé d’infinis et d’insondables potentiels. Toutefois, si le doyen du dôme de l’ouïe demeurait de marbre après notre entretien, ici c’était l’exact opposé.

Les yeux écarquillés, il était comme figé, dévisageant Cyclope alors que des larmes perlaient le long de ses joues. Bouche bée alors qu’il s’efforçait d’étouffer ses sanglots, mon compère soutenait son regard avec tendresse. Je n’imaginais pas ce patriarche capable de craquer de la sorte. J’avais cette sensation désagréable d’avoir laissé s’échapper l’instant d’une vie, comme si un prodige s’était déroulé sous mes yeux et que j’avais refusé de le voir.

Je brulais d’envie de demander à haute voix à mon fidèle ami ce qu’il venait de se passer, seul mon respect à l’égard de Laurifer me l’interdisait.

Qu’avaient-ils bien pu se dire au cours de cet échange ? Que va-t-il se passer lorsque j’entrerais en contact avec mon camarade Tocard ? Ais-je réellement envie de savoir ?

Je regardais Cyclope avec une inquiétude nouvelle.

Au fond, je n’ai toujours aucune idée de qui il est, de ce qu’il a traversé. Je ne sais même pas si je suis prêt à le savoir. S’il a pu déstabiliser un être aussi grand que Laurifer, j’ai peur de devenir fou à son contact.

Je n’osais me l’avouer pourtant, au-delà de la peur, un dévorant sentiment de curiosité me pousser à outrepasser mes appréhensions.

Avant même que je n’eus le temps de réagir, Laurifer se leva et quitta les lieux.

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