Chapitre 22 : Le présent de Pandore

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Chapitre 22 : Le présent de Pandore.

Dans la foulée, la direction importait peu, seul notre fuite comptait. Notre course nous amena à totalement dépasser les champs. Nous fûmes chanceux dans notre cavalcade puisque notre fuite nous avait rapproché du dôme.

Le danger écarté, nous prîmes le temps d’observer les environs.

Il était rafraichissant de voir autre chose que du sable. Notre voyage, depuis le dôme de l’Ouïe, avait été marqué par l’apparition de paysage verdoyants, de nature sauvage et luxuriante qui contrastait avec tout ce que ne nous avions jamais connu des Terres Mortes.

Désormais à l’horizon s’esquissait un nouveau tableau.

Au loin, les feuilles rouges orangées de l’automne se dérobaient aux arbres imposant d’une forêt majestueuse. Plus nous nous approchions, plus le climat se rafraîchissait. Ni Cyclope ni moi n’avions prévu de vêtements chauds.

Ce n’était qu’à quelques kilomètres de nous, pourtant, nous étions séparé d’une saison.

Echapper à la mort nous auras mis de bonne humeur, la conversation entre mon frère et moi allait bon train.

-Que crois-tu que nous allons trouver là-bas ?

J’attendais sa réponse avec une certaine curiosité, me demandant à quel point son vécu de Tocard pouvait imprégner son imagination.

-L’inconnu. Et toi, que penses-tu y voir ?

Sans réfléchir, je répondis immédiatement.

-Mon expérience des Terres Mortes me pousserait à te répondre la mort. Mais qui sait…

-Je devrais plutôt te demander, qu’espères-tu y voir ?

La question méritait réflexion.

-Quelque chose d’atypique, un modèle de société différent. Une bonne surprise. Voilà ce que j’aimerais y trouver.

Nous traversions désormais la forêt. L’horizon obstrué par d’épais feuillages continuait d’alimenter nos fantasmes d’aventure. L’inconnu stimulait notre envie. Avec un mélange d’appréhension et de curiosité, nous guettions le moindre signe de vie sauvage.

Etait-ce nos regards, trop peu habitué à cette nature ? La fatigue due à cette nuit écourtée ? Rien ne nous permis de constater une quelconque présence animale. Nous la sentions pourtant tout autour de nous. C’était tout un monde qui nous était inaccessible alors même que nous le franchissions. Cette impression fit naître une sensation d’oppression malaisante.

Tant mieux, espérons que ce sentiment persiste pour d’autres humains. Puisse notre incapacité à comprendre et notre peur nous préserver de détruire cet environnement.

Si nous captions parfois des bruissements étranges dans les environs, ou des sons qui nous furent totalement inconnus, nous ne parvenions jamais à identifier la source.

Quelques heures plus tard notre marche nous conduisit à l’orée du bois, débouchant sur une plaine sinistre.

Nos peuples avaient nommé l’extérieur les « Terres Mortes » par association : L’aridité rendait toute vie difficile. Pourtant, la vue qui se présentait à nous faisait bien plus honneur à ce terme : un territoire en putréfaction, figé dans sa rigidité cadavérique.

Asséché, noires, mortes.

Je me sentais comme un vers explorant un cadavre. Un vers qui s’infiltrait dans les entrailles d’une terre désolée, vainement à la recherche de nourriture perdue.

Le sol était dur, la terre plutôt noire, comme si elle avait été brulée, sillonnée de craquelures saillantes. L’ensemble donnait l’impression de veines asséchée.

Ma raison me gardait d’observer par-delà les fissures, craignant d’y voir le squelette de notre planète.

De la luxuriance à laquelle nous nous étions soustrait ne subsistait que de trop rares arbres morts, dont les branchages dénudés semblaient tendre la main au ciel, appelant à l’aide dans un râle d’agonie interminable.

Était-ce la main de l’homme qui ravagea ces terres ? Ou la nature, se jouant d’elle-même, put-elle créer spontanément pareil biome ?

Fasciné autant qu’effrayé, je m’apprêtais à interroger Cyclope sur ses impressions quand je le vis redoubler de vigilance. Il s’exprima d’un ton qui renvoyait tant sa détermination que sa peur.

-Cafards. Aucun doute. Plus aucun bruit tant qu’on n’est pas sûr qu’ils soient partis.

J’observais ce paysage avec un regard nouveau, empreint d’effroi.

Naïvement, je pensais que dévaster la nature pour son propre intérêt n’était que l’apanage de l’homme.

Je secouais la tête.

Même ici, la vie est possible. Si elle l’est dans le désert, rien ne me permet de penser que ce lieu est inhabitable. Les comparer à l’homme est une imbécilité. Les cafards ont dévasté cette zone, alors que nous, nous avons rendu toute vie impossible dans les deux tiers du globe. C’est incomparable.

Fort heureusement la vue dégagée qu’offrait ces plaines nous assurait de notre sécurité. Nous poursuivîmes notre marche en prenant garde de ne pas observer les crevasses, de peur d’y croiser un nuisible.

En quelques heures de marche, nous arrivâmes dans une curieuse installation. Il serait plus exact de parler de ruines. Cyclope et moi n’avions aucun doute sur ce qui s’était tramé ici. Ce lieu était le point d’arrivée de l’incursion des blattes, comme en témoignait les grands cratères qui parsemaient ces terres. Elles avaient éradiqué presque toute trace de présence humaine.

On devinait une installation de la taille d’un village. Nous estimions au vue des fondations restantes qu’il devait y avoir une dizaine de bâtiments.

Un seul tenait encore debout.

Nous nous maintenions à distance raisonnable du village. A l’affut du moindre bruit pendant des heures. Mon frère et moi demeurions aux aguets, maquillant notre peur derrière un voile de prudence.

Pas un seul instant nous ne pensions rebrousser chemin ou effectuer un détour. L’effroi était bien là, pourtant la curiosité l’emporter sur elle.

Au moment où notre excès de vigilance se confondait avec de la bêtise, lorsque nous fûmes certains que la voie était sécurisée, nous rassemblâmes notre courage pour pénétrer à l’intérieur des gravats.

Je laissais mon compère ouvrir la voie. Son peuple se confrontait aux cafards depuis des années. Il saurait estimer avec le plus de justesse la situation et le cas échéant, de décider de notre retraite.

Suivant Cyclope comme son ombre, j’étais saisi d’effroi à l’idée de me retrouver seul en ces terres hantées par la mort. En dépit de cela, une sorte de curiosité archéologique me poussait à m’attarder sur chaque gravats, retourner chaque parcelle de terre, m’attendant à y repérer des trésors culturels de peuples disparus.

La survie prime sur l’avidité. Ecoutes ta peur, refrènes tes envies et suis le.

Si l’on faisait abstraction de cette épée de Damoclès, piller ce village abandonné aurait pu être une activité des plus ludiques.

Une fois que nos recherches confirmèrent que l’endroit était totalement désert, nous nous retrouvions au chevet de la porte du dernier bâtiment encore debout.

La porte entrouverte de la maison sonnait comme une invitation viciée à rentrer. J’en franchis le pas, au mépris du danger.

N’eut été de la poussière qui embaumait les lieux, on aurait pu croire que le lieu fut toujours en activité. L’endroit avait été préservé de toute intrusion et semblait toujours fonctionnel. Nous naviguions en pleine inconnue dans ce qui avait dû être un laboratoire de recherche scientifique. Muni de technologie de pointe, inconnues tant de moi que de Cyclope, nous nous résolvions rapidement à chercher ce qui pouvait nous être utile et à décamper aussitôt. Notre attention fut soudainement happée par deux éléments distincts.

Cyclope hurla à la vue d’une carapace de blatte. Fort heureusement, cette dernière géante et silencieuse se révéla vraisemblablement vide. L’environnement dans lequel elle était enfermée ne trompait pas, ça ne pouvait être qu’une cellule.

Pour ma part, mon intérêt se porta pour un dispositif qui ressemblait fort à un lecteur cassette holographique. A côté de l’appareil, trois cassettes entassées les unes sur les autres avec chacune une étiquette « 2 », « 3 », « 4 ». Au sommeil de la machine qui me faisait face, je pouvais voir une dernière cassette déjà encastrée, étiquetée « 1 ». Cette technologie n’était pas ignorée du dôme de la vue, hélas je ne l’avais jamais manipulée moi-même. Pour autant, tout profane que j’étais, je reconnus quelques inscriptions que la poussière n’avait pas totalement effacée correspondant à des boutons « ouverture », « lecture », « pause ». Rien ne me permettait de croire que cela marcherait, qu’aucune source d’énergie externe ne pouvait alimenter la machine, cependant, personne n’aurait pu m’empêcher d’appuyer sur le bouton lecture.

Apparu alors la silhouette fantomatique d’un homme. Un individu grand, que j’estimais trentenaire, aux cheveux blond, mi-long dont la frange masquait partiellement son regard. Derrière ses épaisses lunettes on devinait des yeux d’un bleu intense dont l’hologramme peinait à retranscrire la beauté.

Je ne pus retenir un hoquet de surprise lorsque sa voix emplis le laboratoire abandonné.

-A vous qui pénétrez dans ce tombeau, je vous prie d’employer la plus grande précaution en manipulant les instruments présents dans cette pièce. Une mauvaise utilisation de ces derniers pourrait signer votre perte et reproduire la tragédie dont je fus le triste artisan.

L’homme s’exprimait d’une voix fluette, agréable à l’oreille mais empreinte d’un flagrant désespoir.

Mes travaux sont dangereux et ne devraient être étudiés qu’en connaissance de cause. S’il n’y avait pas une infime chance pour que ces travaux profitent à tous, j’aurais déjà tout détruit moi-même. Si toutefois elles venaient à tomber en de mauvaise main, alors rien ne saurait excuser ma faute et le sort de l’humanité en serait bouleversé à jamais.

Un clic caractéristique m’informait de la fin de la retransmission.

Après m’avoir assuré que le cafard de l’autre pièce était mort, Cyclope me rejoignit pour partager mes découvertes. Pendant que je sortais la cassette « 1 » pour enfoncer la « 2 » dans l’appareil, mon compère commenta.

-C’était un avertissement assez clair, on ne devrait peut-être pas en écouter davantage.

J’admirais la sagesse de Cyclope alors même que je n’avais aucunement l’intention de la respecter.

-Tu as entièrement raison mon ami. Pourtant comment résister à pareil appel ? Plus la mise en garde est alarmante, plus il devint irrésistible de l’outrepasser.

Ou bien ce scientifique fou voulait que l’on étudie ses travaux. Ou aussi talentueux qu’il était dans son domaine, il était épouvantable en terme de communication.

Sur ces mots, j’appuyais sur le bouton « lecture ».

-Je me nomme Abiotos. Je suis le scientifique en chef des recherches de l’expédition Prodromoi. Au travers de ces enregistrements, je vous présenterais le déroulé de mes travaux au fur et à mesure de mes progressions. Nous en sommes encore à une étape préliminaire, cela dit, il me semble déjà pouvoir vous expliquer de quoi il en retourne.

Il se racla la gorge pour éclaircir sa voix.

Mes études portent sur l’espèce des Blattarias, du groupe des Dictyoptera, communément appelée cafards, blattes ou cancrelats. Comme certaines autres espèces, on qualifie les cafards d’animaux sociales, c’est-à-dire qu’ils interagissent très fréquemment avec d’autres membres de leurs espèces. Leurs vies et la reproduction notamment dépendent fortement d’une cohésion globale.

La caméra holographique recula pour élargir son cadre, affichant désormais aux côtés du scientifique un tableau noir et une craie. Le scientifique se saisit de la craie pour y dessiner un schéma détaillé de cafards.

Comme vous pouvez le voir, on distingue dans l’anatomie des Blattarias, plusieurs éléments intriguant. Outre les 3 paires de pattes, cet exosquelette massif et cette paire d’aile, le sujet de nos observations se portera sur ces antennes.

Pour appuyer ses explications, il montrer du doigt chaque partie qu’il évoquait.

Ces longues et fines membranes recèlent à nos yeux des merveilles cachées. Nous supposons qu’en l’absence de langage oral, le secret de leur communication se trouve derrière ces appendices. Nombreux sont les éclaireurs nous ayant rapporté des sortes de « conversations » sinon des changements de comportement brutaux après que ces antennes se soient animées.

L’objectif de la caméra holographique effectua un gros plan sur le visage d’Abiotos, comme pour insister sur ses propos.

De plus en plus de théorie émergent sur la possibilité qu’un signal radio puisse court-circuiter leur communication, d’autres encore soutiennent que nous puissions émuler leurs fréquences afin d’établir un semblant de dialogue. Si nous n’en sommes pas encore là, la suite des travaux promet d’être passionnante.

A nouveau, ce même clic caractéristique sonnant la fin de la cassette. Je m’empressais d’enfoncer la troisième cassette. Alors que Cyclope renchérit.

-C’est bien de connaître son ennemi mais là, ils ont joué avec le feu. On a bien vu comment ça s’est terminé pour eux.

Avant d’appuyer sur lecture, je lui répondis.

-Pour que tous ces morts ne soient pas en vain, nous nous devons de continuer.

Je ne sais plus exactement si j’essayais de le convaincre ou si j’essayais de justifier le bien fondé de mon obsession.

Abiotos reprit.

-Après l’élaboration d’un prototype sensé imiter les fréquences radios émises par les cafards, les premières observations se sont révélées décevantes. Une expédition en terrain hostile nous aura permis de noter quelques éléments intéressants.

Se saisissant d’un curieux appareil muni d’une petite parabole, il continua son argumentation.

Les spécimens à portée du rayon d’action de l’Imponere n’ont pas tous été sensible à son effet.

Il désigna l’engin alors qu’il prononçait le mot « Imponere ».

En réalité, la plupart n’y ont même pas prêté attention. Sur le trajet du retour, nous avons pu croiser un cancrelat isolé qui, intrigué par notre appareil sembla « ciller ». Il s’immobilisa, comme intrigué avant de repartir dans sa route.

Aussi flutée que sa voix puisse être, son visage lui traduisait une expression de gravité.

La capture du spécimen AX003 recueillis lors de l’expédition répondra à toutes nos questions.

Joignant le geste à la parole, il désigna la cellule d’un signe de main alors qu’il prononçait le mot « spécimen ». Suivant les gestes du scientifique, la caméra pointa vers la petite chambre d’isolement. On y voyait un cafard, immobile qui croisa l’objectif de la caméra d’un air imperturbable.

Cyclope gloussa alors qu’à nouveau le même déclic se fit entendre.

-Ils n’ont pas coupé les antennes.

Je lui rétorquais immédiatement.

-Pas le choix s’ils voulaient étudier leur mode de communication.

Mon frère enchaina.

-C’est pour ça qu’ils sont morts.

Je n’eus pour réponse que d’enclencher la dernière cassette.

Alors que l’image de la cassette holographique apparaissait, nous pouvions déjà voir la différence par rapport aux autres enregistrements. Cette dernière démarrait sur du vide, le scientifique n’apparaissant que quelques secondes plus tard, comme s’il avait dû l’actionner lui-même. De même, alors qu’Abiotos rayonnait sur les autres cassettes par un calme olympien, c’était désormais une mine paniquée, épuisée qui trônait sur son visage.

Après quelques instants où il paraissait reprendre son souffle et mobiliser sa concentration, il prit la parole.

Ceci est la conclusion de mes travaux. Nous …

Il mit un temps avant d’enchainer son propos.

Nous avons réussi nos objectifs. Nous sommes parvenus à intimer des ordres simples au spécimen AX003. Des choses simples tel que se déplacer, attaquer ou se coucher. L’Imponere fonctionne. Nous pensons que si son fonctionnement avait été perturbé lors des premiers essais, la faute en incombait avec la proximité d’une ruche voisine. Dans nos locaux, le spécimen répond positivement à 100 % de nos ordres.

Il hésita à nouveau.

Pour autant, si nos recherches sont un succès. Nous avons payé le prix de nos découvertes. D’autres blattes nous ont attaquées. Nous ignorons comment ou pourquoi mais le spécimen AX003 a dû émettre une sorte de signal de détresse. A moins que la ruche elle-même ne traque le positionnement de chacun de ses membres. Quoiqu’il en soit, la colonie a été attaquée.

Il insista sur ces prochains mots.

Toute la colonie est morte. Je suis le dernier survivant. Par un… heureux hasard, les cafards semblent attirés autour de moi mais refusent de rentrer. Je pense que l’Imponere rend leur action ou leur directive confuse.

Après avoir poussé un long soupire, il poursuivit.

L’ironie de la situation est difficile à apprécier. Je me retrouve prisonnier de mon laboratoire, enfermé par les mêmes créatures que j’étais sensé étudier.

D’un ton résolu, Abiotos conclut.

Je ne resterais pas ici à attendre la mort, je préfère encore périr en tentant de m’échapper qu’une lente agonie. Si quelqu’un tombe sur mes travaux, qu’il soit conscient des risques qu’ils impliquent.

Le scientifique sorti du cadre de la caméra holographique pour l’éteindre, mettant fin au dernier enregistrement.

Cyclope et moi n’osions plus échanger ni un mot ni un regard. Avant même d’exprimer notre propos, nous étions pertinemment conscients du désaccord qui allait animer notre conversation.

Le tocard fut le premier à prendre la parole.

-Je présume que tu vas le garder ?

Un sourire aux coins des lèvres, je lui répondis.

-Y a-t-il seulement un autre choix ?

Mon frère gloussa en entendant ma question.

-Evidemment. Nous posons laisser les choses tel quel ou même détruire ce qui reste de ces travaux.

Je m’indignais de cette suggestion.

-Je n’ai jamais été du genre à saccager des sépultures, encore moins de manquer de respect aux défunts.

L’expression de Cyclope se durcit légèrement.

-Moi non plus, mais en l’occurrence, ici… cela pourrait réellement sauver des vies.

Mon ton se fit plus sec, malgré mon flegme habituel, il me tenait à cœur de défendre ce propos.

-Préserver ce lieu ou même récupérer cet instrument pourrait également en sauver plus. Cyclope, avec ceci, nous pourrions écarter la menace des cafards pour tout ton peuple.

Le tocard baissa la tête et son visage s’assombrit.

-J’y ai pensé Zachary. C’est la première chose que j’ai envisagé. C’est très tentant pour moi. Mais sauver mon peuple pourrait en condamner d’autres.

Alors que la conversation se poursuivait, je m’emparais de l’appareil dont parlait Abiotos.

Il ne s’agit pas seulement de condamner un peuple mais également de détruire tout un écosystème. Regardes ce que les cafards ont fait à ces terres. Ce n’est pas seulement une question d’humains.

Il marquait un point solide. La dévastation qu’engendrait les cafards était une véritable catastrophe naturelle.

Ce n’est pas juste un outil de contrôle. C’est une arme. Une arme très dangereuse dont la simple existence est une menace pour toute vie sur terre.

Son discours était convainquant, pourtant cela ne suffit pas à me faire baisser les armes.

-Cette… machine en elle-même n’est pas plus dangereuse qu’une autre arme. Ce que tu devrais redouter c’est son porteur. Si d’aventure elle tombait en des mains vertueuses, peut-être qu’une utilisation savante pourrait conduire au salut de tous.

Cyclope ancra son regard dans le mien, me fixant d’un visage impassible.

-Es-tu une main vertueuse ?

J’ai tant subi au sein des Terres Mortes… Peu importe comment j’imagine le futur, avec une arme pareille dans les mains, cela m’assure la sérénité. Elle découragera quiconque de s’opposer à moi.

Mes pensées m’indiquèrent la réponse à sa question.

-Clairement, non.

Le visage de Cyclope suggérait une forme de compassion, de sollicitude.

-Alors tu dois comprendre que cet objet en ta possession représente un danger pour tout le monde.

Comme pour répondre à son expression, les traits de mon visage se radoucirent.

-Je le conçois, mon ami.

Je sentais une forme de déception dans le ton de sa voix.

-Malgré cela, tu t’obstines à le garder.

Je hochais la tête pour appuyer mon propos.

-Je ne suis pas une main vertueuse, je ne devrais pas posséder pareil engin. Et pourtant, je vais le garder. Je te demande de me faire confiance, Cyclope. Je n’utiliserais ceci qu’en dernier recours. Je pense que l’effet de dissuasion qu’elle inspire suffira à nullifier toute menace.

Cyclope secoua la tête pour manifester sa négation et son désarroi.

-Personne ne devrait disposer d’un pouvoir pareil, cet « effet de dissuasion » pourrait asservir tout un peuple.

Je rangeais le dispositif dans ma besace.

-Ta mise en garde est la preuve de ta sagesse, Cyclope. Permets-moi de te poser une question. Vois-tu en moi un dictateur en puissance ?

Fort de sa propre expérience, mon frère répondit immédiatement.

-Tout homme de pouvoir est un dictateur en puissance, surtout avec les moyens dont tu disposes maintenant. Ça n’est pas propre à toi.

Je soutenais vivement le regard de cyclope et posai ma main sur mon cœur.

-Je te fais le serment de ne jamais en devenir un. Que jamais je n’utiliserais ceci à la légère. Que si d’aventure je devais utiliser cette arme un jour, ce serait contre une menace aussi grande que celle que représentent les cafards. Que jamais je ne l’utiliserais à des fins personnelles.

J’étais parfaitement sincère au moment de prononcer ces vœux et mon frère dût le remarquer. Après une ultime mise en garde, ses protestations cessèrent et son visage se détendit.

-Je n’oublierais jamais ta promesse, puisses-tu en faire de même.

Un silence solennel s’installa alors que nous franchissions la porte du laboratoire. Nous reprenions nos recherches au sein de la colonie. Hélas, notre dur labeur se solda par un échec. Le seul élément qui attira notre attention fut la profusion de seringues abandonnées çà et là.

Quand on observait le contenant, on pouvait y voir les restes d’un liquide curieux aux reflets irisés. Ni moi ni mon compère n’avions les compétences pour identifier ce fluide.

Cyclope revint sur la conversation précédente sur un ton plus léger, arborant un air pensif.

Qu’est ce qui pourrait être plus dangereux que les cafards.

Mon frère et moi répondions de concert.

-l’homme.

Nous riions ensemble de bon cœur quelques instants, dissipant quelque peu la vigueur de notre altercation passée.

-J’ignore quelle menace pourrait égaler celle des cafards. Ce que je sais par contre, c’est que les Terres Mortes recèlent de merveilles mais également de dangers inconnus. Des terres dont tu ne sais rien, il faut être prêt à tout.

Après un examen minutieux des vestiges de l’installation, il était temps de prendre une décision. Nous avions deux options : Profiter d’un temps de répit et de cette installation pour avoir un abri idéal pour la nuit. Ou bien repartir sur le champ et ne pas perdre davantage de temps quitte à dormir dans des conditions plus spartiates.

Cyclope et moi étions en train de déterminer l’heure en jaugeant la position du soleil quand tout à coup mon frère se figea de surprise.

Emerveillé, il pointa son doigt dans le ciel pour désigner une forme se découpant dans les nuages rouges des Terres Mortes.

-Qu’est-ce que c’est que ça ?

Je regardais en direction de ce qu’il désignait pour découvrir une créature ancestrale. Un être que je n’avais jamais vu autre part que dans des livres d’histoires. Il était trop haut dans le ciel pour que l’on ne puisse distinguer autre chose que ses contours gracieux qui évoquait une élégance céleste. L’animal volait en décrivant une trajectoire circulaire bien au-dessus de nous qui laissait penser qu’il nous épiait.

-C’est un rapace, je crois. Ils sont censés être éteint depuis des décennies. Il est invraisemblable que l’on en croise un, pourtant…

Cyclope m’interrompit.

-C’est dangereux ?

Immédiatement je le rassurais.

-Si je me souviens bien, pas pour nous. C’est le genre d’oiseau qui ne se nourrit ou de cadavres ou de petits animaux. Tu n’as rien à craindre.

Inquiet, le tocard reprit d’une voix peu assurée.

-S’il est là, s’il nous suit c’est qu’il pense que nous allons mourir ?

Je haussais les sourcils, surpris de voir mon ami si anxieux.

-Ce n’est pas impossible. Ou alors c’est parce que nous sommes les seules proies qu’il a pu repérer, qui saurait le dire…

Je devinais dans les propos de mon compère tantôt la peur, tantôt la fascination.

J’aurais du mal à estimer sa taille… mais avec ses ailes déployées, il a l’air gigantesque…

Un passage plus précis de mes cours de biologie me revint en tête quand il évoqua la taille de l’animal.

-Si mes souvenirs sont exacts, certains de ces oiseaux pouvaient enlever des petits enfants avec l’aide de leurs serres. Et par serre j’entends ses pattes. Rassures toi, aucun oiseau ne sera assez grand pour te soulever.

J’appuyais mes propos en lui donnant une petite tape amicale sur l’épaule.

Mon ami, je te propose quelque chose. Ce soir nous dormons dans le laboratoire d’Abiotos, tu auras tout le temps d’étudier ce rapace. Et demain nous reprenons la route en toute sérénité.

Je sentais que la perspective d’être suivie par une créature inconnue ne l’enchantait guère, aussi, je supposais que lui donner le temps de s’y familiariser allait l’aider.

En guise de réponse il acquiesça de la tête.

Alors que nous défaisions notre paquetage, je me fis la réflexion que ce devait être le lieu le plus sinistre où nous n’avions jamais campé.

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