Dans les mâchoires du destin

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Le souffle court, je slalome entre les piliers de métal rouillé, tous les sens aux aguets. Derrière moi, les pas lourds et les rires déments se rapprochent inexorablement. La pénombre oppressante engloutit le moindre son, ne laissant place qu'à la certitude viscérale du danger. Je dois trouver une issue, et vite. Car dans l'obscurité, la mort avance à grands pas...

Cela fait maintenant de longues minutes que je fuis à travers le dédale des anciens terminaux du spatioport. Le gang des ferrailleurs me pourchasse sans relâche, bien décidé à me faire la peau. Surtout leur chef, Magnus. Le regard injecté de sang et la bave bleutée aux lèvres, il est complètement sous l'emprise de la drogue. Et deux de ses sbires tout aussi déchaînés l'accompagnent dans cette chasse à l'humain.

Moi, Adda.

Leur proie.

J'accélère encore l'allure, entre les carcasses de rames aérospatiales abandonnées. Me fondre dans les ombres, devenir invisible, tel est mon seul espoir. Derrière moi, un rire aliéné résonne, beaucoup trop proche. Une sueur glacée coule le long de mon échine. Ils me rattrapent...

Soudain, mon regard se pose sur une lourde porte blindée entrebâillée. Une salle de maintenance ! Sans hésiter, je m'y engouffre et referme le battant derrière moi. L'obscurité m'engloutit totalement. Je retiens mon souffle, tous les sens en alerte. Dehors, les bruits de course s'approchent... puis s'estompent. Ils ont dépassé la cachette sans la voir. Un intense soulagement m'envahit. Mais je sais que ce répit sera de courte durée.

Prudemment, je m'enfonce entre les imposantes machines qui emplissent la pièce. Leurs formes massives se devinent à peine dans l'obscurité ambiante. Mes doigts effleurent les surfaces glacées et suintantes d'huile. Un lourd silence règne, juste troublé par le goutte à goutte sinistre tombant des tuyauteries.

Soudain, une lueur ! Tout au bout, une petite fenêtre laisse filtrer la lumière blafarde de Kharg. Sur la pointe des pieds, je m'en approche. Assez grande pour me laisser passer ! C'est ma porte de sortie. Mais au moment de m'extirper, des voix furieuses retentissent juste derrière le mur. Ils m'ont retrouvée !

Fébrilement, je cherche une idée, n'importe quoi pour les retarder. Mon regard se pose sur une étagère croulant sous les bidons d'huile. Et s'ils glissaient malencontreusement en travers du chemin ? Ni une ni deux, je renverse le contenu huileux sur le sol déjà crasseux. Puis attrape un lourd tournevis traînant là et le lance de toutes mes forces dans la petite fenêtre. Le bruit du verre brisé les attirera ici à coup sûr...

Effectivement, la porte blindée vole en éclat une seconde plus tard.

– Elle est là ! jubile Magnus. Tu vas payer, petite pestiférée…

Derrière lui, ses deux acolytes avancent en chancelant, le regard vitreux et vague. Leurs rires résonnent, tels les glapissements de chacals.

Je plonge dans l'ouverture exiguë au moment où une décharge de plasma fait fondre le métal là où je me tenais une seconde plus tôt. La puanteur de métal brûlé me saisit à la gorge, acre et écœurante. Dehors, je dévale la butte escarpée sans regarder en arrière. Derrière moi, des cris de rage indiquent que mes poursuivants sont tombés dans le piège. Mais pas pour longtemps.

La course effrénée reprend entre les entrepôts désaffectés. Un rapide coup d'œil par dessus mon épaule m'apprend que Magnus et ses acolytes furibonds sont déjà sortis du bâtiment. Leurs pas lourds martèlent le sol inégal, malgré le sol glissant.

– Tu ne pourras pas courir éternellement, charogne ! ricane Magnus. Quand je t'attraperai, tu supplieras pour que je t'achève !

Ses menaces glacent mon sang, et je force mes jambes à avancer plus vite, puisant dans mes ultimes réserves d'énergie. L'air acide de Kargh brûle mes poumons à chaque inspiration.

Soudain, mon pied accroche un obstacle et je m'étale de tout mon long. Le choc expulse l'air de mes poumons et je reste un instant sonnée. Des étoiles dansent devant mes yeux tandis que j'aspire désespérément à retrouver mon souffle. Au loin, les rires cruels se rapprochent à nouveau, inexorablement...

Non ! Je ne mourrai pas ici sans me battre ! Ignorant la douleur, je me relève d'un bond et reprends ma course vers les entrepôts. Il me reste une chance, aussi mince soit-elle. Mes jambes brûlent et mes poumons sont en feu, mais l'adrénaline me pousse en avant. Encore un effort !

Derrière moi, Magnus hurle des insanités, ponctuant ses injures de descriptions précises des souffrances qu'il me réserve. La peur panique menace de me terrasser, mais la volonté farouche de survivre l'emporte.

Soudain, sa voix modifie du tout au tout.

– J'ai réglé son compte à ce petit morveux de Luang ! lance-t-il. Égorgé comme le porcelet qu'il était ! Et ton copain Jean-Jans gardera le souvenir de notre petite discussion à coups de barre de fer...

Ses paroles glaçantes me donnent la nausée. Il ment, il doit mentir ! Il veut me déstabiliser, me forcer sortir pour l’affronter. Au fond de moi, je sais que mes amis sont en sécurité, loin d’ici.

Enfin j'atteins mon objectif. La zone de stockage ! Sans ralentir, j'ouvre tous les robinets à ma portée. Un torrent d'hydrocarbures se déverse, formant rapidement une nappe gluante. Puis je bondis derrière une massive colonne métallique, haletante. Quelques secondes plus tard, mes poursuivants arrivent en trombe... et dérapent sur la mare de mazoute !

Magnus pousse un hurlement de fureur tandis que ses deux acolytes tentent de se relever, en vain. C'est le moment. J'actionne le levier que j'ai repéré un peu plus tôt. Un grésillement... puis un formidable arc électrique jaillit entre deux gaines métalliques !

Le liquide inflammable s'embrase instantanément dans un tourbillon de flammes et de fumées toxiques. Prit au piège de l'incendie, les hommes hurlent de terreur. Leurs silhouettes deviennent floues derrière le rideau ardent qui grossit à vue d’œil.

Mais je n'ai pas le temps de savourer ce succès. Une soudaine déflagration me projette à terre. Une cuve a explosé sous l'effet de la chaleur. Les flammes se propagent à une vitesse folle, léchant déjà les murs de l'entrepôt où je me trouve.

Hébétée, je tente de ramper vers la sortie. Mais un deuxième réservoir explose juste au-dessus de moi, déversant son contenu en fusion. Le choc me fait perdre connaissance l'espace d'un instant. Lorsque je reprends mes esprits, mes vêtements sont en partie brûlés et une atroce douleur irradie dans tout mon corps.

Je ne pourrai jamais sortir à temps... Mes forces m'abandonnent et je m'effondre, impuissante face à la fournaise qui engloutit tout. Le crépitement assourdissant des flammes emplit mes oreilles tandis que leur souffle ardent lèche mon visage. C'est donc ainsi que le cours de ma vie finira ? Rongée par le feu au cœur d'un entrepôt désaffecté ?

Peu à peu, l'inconscience bienfaitrice m'attire dans ses limbes apaisantes. L'incendie, la douleur, tout s'estompe. Mon esprit sombre dans un néant libérateur, délivré de la souffrance et de la peur.

Combien de temps s'est écoulé ? Une minute, une heure ? Un violent spasme me tire brutalement des ténèbres. Tout mon corps semble n'être que douleur. Péniblement, j'ouvre les yeux, m'attendant à voir les flammes dancer autour de moi. Mais à la place, c'est une étrange pénombre humide qui m'entoure.

Où suis-je ? Étourdie, je tente de me redresser mais des liens entravent mes mouvements. Mes poignets sont solidement attachés au-dessus de ma tête et mes pieds pendent dans le vide, frôlant à peine le sol. Je suis ligotée à une poutre de métal !

La mémoire me revient progressivement. L'incendie... J'ai dû être tirée des flammes in extremis par Magnus. Le soulagement d'être en vie laisse rapidement place à l'effroi. S'il m'a sauvée, ce n'est sûrement pas par compassion. Non, le chef des ferrailleurs doit avoir d'autres projets, bien plus sombres, me concernant...

Comme pour confirmer mes pensées, une silhouette massive émerge de l'obscurité. Magnus, le visage noirci et l'œil torve, avance vers moi d'une démarche claudicante. L'incendie ne l'a donc pas épargné. Mais sa folie meurtrière, elle, est intacte...

– Te voilà enfin à ma merci, susurre-t-il de sa voix gutturale. As-tu la moindre idée du mal que tu m'as fait, vermine? Il est temps de payer. Et nous avons tout notre temps…

Son rire rauque fait dresser les poils de ma nuque. Sans pouvoir me défendre, je ne peux qu'attendre mon sort, le cœur battant. Soudain, une douleur atroce me vrille la joue. Le goût métallique du sang emplit ma bouche. Le misérable vient de me donner un formidable coup de poing. Un filet carmin colore déjà sa bague de cheftaine.

– Ça, c'est pour le cyclopoïde que tu m'as fait perdre ! crache-t-il avec un rictus mauvais. Voyons si tu apprécies la brûlure du plasma…

Impuissante, je le vois pointer son arme sur moi. Un faisceau d'énergie en jaillit, frôlant mon flanc. Ma combinaison fond instantanément, laissant une plaie béante d'où suinte le liquide vitale. La chair à vif irradie d'une souffrance inimaginable. Pourtant, pas un son ne franchit mes lèvres serrées. Je ne lui ferai pas ce plaisir...

Magnus peste et me gifle à nouveau avec force. Puis il plaque la tête encore brûlante de son arme sur mon ventre, appuyant jusqu'à ce que la peau rougisse.

– Pas très bavarde on dirait ? Ricane-t-il. J'ai ce qu'il faut pour délier les langues…

D'un geste brusque, il déchire ma combinaison du col jusqu'à la taille, exposant ma poitrine nue. Je tente de le repousser à coups de pieds mais il esquive facilement avant de me frapper au visage.

– Doucement ma jolie... Le plaisir ne fait que commencer.

Son regard lubrique me donne la nausée. Mais ce n'est que le début du cauchemar. Le froid métal d'une lame se pose sur ma clavicule, puis remonte lentement vers ma gorge. Sous la pression, la peau cède, laissant perler le sang.

– Dis-moi, à ton avis quelle partie de ton corps inutile je devrais trancher en premier ? Susurre le monstre.

Avant que je puisse répondre, la pointe acérée entaille profondément mon avant-bras couvert de brûlures et d’émataumes. La souffrance est si atroce que je ne peux retenir un hurlement. Mais ce son ne fait qu'accroître le sadisme de Magnus. Encore et encore, il dessine des sillons écarlates le long de mes membres, se délectant de mes cris.

C'est alors qu'un grognement caverneux le fige net. Dans l'embrasure béante, deux yeux flamboient dans la pénombre. Le molosse entre avec lenteur, babines retroussées sur ses crocs. Son regard balaie la scène, s'attardant sur mes blessures. Un feulement monte de sa gorge, vibrante promesse de mort...

Saisi de terreur, Magnus décharge son arme sur la bête. Mais les tirs ricochent sur ses écailles massives. D'un revers de sa queue hérissée d'épines, la bête balaie les deux acolytes qui tentent de prendre la fuite. Ils s'effondrent, le crâne en sang.

Le lâche tente alors de me prendre en otage, plaquant la lame sur ma gorge. Mais c'est peine perdue. Les puissants tentacules du molosse le saisissent et l'envoient valser à travers la pièce. Je ferme les yeux tandis que des bruits atroces emplissent l'air. Hurlements qui deviennent gargouillements, craquements d'os broyés...

Enfin, le silence revient, juste troublé par la respiration lourde de la bête. Je rouvre les yeux. Le corps sanguinolent de Magnus gît, méconnaissable, dans une mare écarlate. Mes liens tombent, sectionnés net par des tentacules habiles.

Épuisée mais sauve, je m'effondre dans l'étreinte douce de son encolure. Ses crocs si terrifiants quelques instants plus tôt sont maintenant mon refuge. Fermant les paupières, je laisse l'apaisement m'envahir. Le “monstre” veille sur moi. La peur et la souffrance ne sont plus.

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