Renaissance

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Lentement, j'ouvre les yeux, mais le monde qui m'entoure se trouble et se déforme dans une brume écarlate. Les murs métalliques deviennent organiques, suintant d'un liquide sombre. Des tentacules mécaniques jaillissent du plafond, se convulsant de manière erratique.

Pris de panique, je tente de me redresser mais mon corps ne m'obéit plus. Je suis paralysée, impuissante, tandis que les machines se rapprochent inexorablement. Leurs appendices articulés me saisissent fermement, m'entravant de toutes parts. La douleur irradie, fulgurante.

Une ombre gigantesque se profile au-dessus de moi, masquant la lumière crue. Magnus ! Mais son corps n'est plus qu'un amalgame de chairs sanguinolentes et de pièces métalliques. Ses yeux injectés de sang me fixent avec démence tandis qu'il brandit des lames aiguisées.

"Te voilà à ma merci, petite vermine..." susurre-t-il de sa voix caverneuse déformée par l'écho métallique.

Ses paroles se transforment en un hurlement strident qui emplit mon crâne et fait vibrer chacun de mes os. La souffrance est insupportable…

Je me débats de toutes mes forces. Peu à peu, les contours de Magnus se brouillent et se dissolvent dans une brume rassurante. La réalité reprend ses droits. J'ouvre les yeux pour découvrir un plafond d'un blanc immaculé. La violence des sensations s'estompe. Étais-je en plein cauchemar ?

Des bruits mécaniques attirent mon attention. Une myriade de bras motorisés s’active autour de moi, maniant des instruments inquiétants. Je suis entourée de robots médicaux !

Bien que paralysée, je ressens chacune de leurs interventions: incisions précises, gestes invasifs, objets manipulés à l'intérieur de mon corps. La douleur transperce par intermittence malgré les sédatifs puissants.

Épuisée, je reste haletante, incapable du plus petit geste. Seuls mes yeux, rapidement, balaient la pièce à la recherche du moindre danger. Mais je suis seule, cernée d'appareils médicaux impersonnels.

Les heures ou les jours qui suivent (difficile à dire dans cet état second) sont un enchevêtrement déroutant de moments de lucidité entrecoupés d’accès de délire et de terreur pure.

Puis tout se calme... Tout s'appaise... Enfin...

Mais, le réveil est une épreuve pire que l'enfantement. Des vagues nauséeuses se propagent dans mon ventre, menaçant de faire jaillir le contenu de mon estomac. La douleur me vrille le crâne et me martèle les tempes avec une intensité insoutenable. Combien de temps ai-je été inconsciente ? Une substance épaisse et amère enduit ma bouche, semblable à de la poix collante. Sans ouvrir les yeux, je l'essuie d’un revers, espérant me débarrasser de cette sensation désagréable.

À peine ce geste accompli qu’une douleur lancinante me transperce l'épaule, irradiant jusque dans ma colonne vertébrale. Je gémis involontairement, comme une nouvelle-née découvrant les affres de la vie. Chaque fibre de mon être est transpercée par la souffrance.

Lentement, j'ouvre les yeux, mais le monde qui m'entoure est flou, déformé par une brume douloureuse. Les contours des objets se fondent les uns dans les autres, créant un tableau désordonné et chaotique. Je tente de bouger, mais affaiblis par cette période d'inconscience prolongée, mes muscles me trahissent. Mes membres tremblent sous l'effort, mes articulations protestent.

Chaque petite parcelle de mon corps semble acquérir une conscience propre, uniquement pour me torturer. Mon cœur pulse contre mon crâne, dont chaque battement résonne comme un coup de marteau. Ma peau me donne l’impression d’être recouverte de millions d’aiguilles acérées, tandis que mes veines bouillonnent d’un feu ardent.

Cette renaissance est un véritable calvaire. J'ai l'impression de me déchirer de l'intérieur pour expulser l'être ancien que j'étais. La souffrance est le prix à payer pour accéder à une nouvelle existence libérée du passé. Tel un phénix qui renaît de ses cendres, je dois endurer les flammes dévorantes avant de pouvoir déployer mes ailes.

Cette torture s'étire indéfiniment, jusqu'à ce que le voile obscurcissant ma vue se dissipe peu à peu. Les contours nets des objets se redessinent et mes vertiges s'estompent. La douleur reflue, me laissant pantelante mais lucide pour affronter ce nouveau monde qui m'entoure. Il me semble que je suis vêtue d'une simple blouse. Le contact du tissu, propre et immaculé, sur ma peau me réconforte. Je suis sans aucun doute dans une chambre d'hopital. Mais un bourdonnement emmane dans la pièce ! Etrange... Où suis-je ?

– Elle se réveille, capitaine !

Je sursaute et j’ouvre les yeux. La pièce, dans laquelle je suis, est baignée par une lumière tamisée, douce et étrangement apaisante.

La voix, profonde, résonne dans la pièce. Ses intonations trahissent l’origine synthétique de ses cordes vocales… Un robot ? Le cauchemar continu ! Je m'attend à voir surgir Magnus, le pantin mécanique, brandissants ses lames sanguinolantes. Spontanément je veux fuir ! Mais fuir où ? La vérité c’est que je suis prisonnière de mes cauchemars. Ailleurs la réalité n'existe plus, c'est le vide, le néant, le froid absolu, la mort.

Je pivote la tête en grimaçant et mes yeux se tournent lentement vers la voix. À ma grande surprise, ils se posent sur une silhouette imposante. Un colosse de plus de deux mètres de haut se dresse devant moi. Sa musculature est celle d'un gladiateur tout droit sorti d'une holo-série, puissante et sculptée avec précision. Une barbe soigneusement taillée encadre un visage brûlé par mille soleils, tandis qu'une cascade de dreadlocks noirs serti d’anneaux d’or et d’argent tombe gracieusement sur ses épaules. Mais ce qui attire le plus mon attention, c'est la moitié de son visage ! Elle semble être faite d’un métal gris mat... Une prothèse synthétique. Son œil gauche a été remplacé par une cyber-optique qui brille d'une lueur froide et énigmatique. Une aura de puissance enveloppe cet individu. Qui est-il ? Quel rôle joue-t-il sur ce navire ? Les questions s'amoncellent dans mon esprit.

L'homme demeure immobile, son attitude est presque indifférente. Je me redresse un peu trop rapidement, et aussitôt une douleur lancinante me traverse le front. Je grimace et je porte instinctivement les mains sur mes tempes pour calmer le vertige qui m'assaille.

– Tiens, bois ! Me lance le géant cybernétisé d'une voix grave. Il me tend une tasse d'un geste lent, presque paternel. Je remarque alors son bras droit, également synthétique. Il porte une prothèse que je reconnais immédiatement : une prothèse-méca, typique des vétérans de la “Légion de l'Espace”.

– C'est du MétaCoff, ça te fera du bien, fillette, ajoute-t-il d'un ton neutre.

– Qui tu traites de fillette ? Je réplique avec un mélange d'exaspération et d'amusement. Ma voix est rauque et s’éraille en bout de phrase, témoignant de l'état pitoyable dans lequel je suis. D’ailleurs, mes bronches et mon larynx me font terriblement souffrir et j’ai du mal à cacher ma douleur. Pourtant, le colosse ne semble pas s'en émouvoir.

– Astérion t’as ramené à bord à moitié morte. J’en ai vu des saloperies dans cette chienne de vie, mais là tu as fait fort : coups, fractures multiples, brulures, lacérations... Tu as passé neuf jours dans le médibloc, subis quatre interventions chir et on t’a plongé dans le coma. Tu peux jouer les dure temps que tu voudras, mais je n'ai pas le temps pour ça."

Il fait une pause, son regard cybernétique me transperçant de part en part. Puis sa voix s'adoucit légèrement :

"Bois ce MétaCoff, ça te fera du bien. J'ai moi-même ajusté les doses de guérison. Tu es entre de bonnes mains, gamine."

Sur ces mots, il se retourne et se dirige vers la porte.

– Quand tu seras présentable, rejoins la passerelle.

Il me laisse seule dans la cabine. Malgré sa rudesse apparente, je sens sa bienveillance qu’il cache derrière une allure débonnaire. Ses quelques mots réconfortants ont chassé une part de l'angoisse qui m'étreignait.

Je jette un coup d'œil autour de moi et j’observe le décor sobre et fonctionnel de la cabine. Une couchette dotée d'un ordi-plafonnier, une tablette rabattable, un gravi-siège, une garde-robe escamotable, une unité sanitaire et un écran hublot offrant une vue étoilée sur l'espace lointain.

Je ne peux m'empêcher de sourire devant cette situation improbable. Me voilà, au cœur de l'inconnu, dans une cabine rudimentaire à bord d'un vaisseau spatial, avec pour compagnon un colosse au visage partiellement métallique. Malgré mes blessures physiques et mon état lamentable, je perçois une lueur d'optimisme grandir en moi. J'ai survécu à l'enfer, et me voilà embarquée vers un futur plein de promesses.

Je me concentre sur le breuvage fumant dans la tasse et hume l'arôme envoûtant du MétaCoff. Je prends une gorgée avec précaution, sentant la chaleur bienfaisante se répandre dans mon corps fatigué. Peu à peu, je sens mes forces revenir, chassant la torpeur qui m'envahissait jusqu'alors.

Après une douche revivifiante, je trouve dans le placard une tenue de Naute parfaitement coupée à ma taille.

Je remarque le nom du navire, le “Molly”, inscrit sur le cœur de la veste. Sur l'épaule droite, un écusson attire mon attention, arborant des symboles stylisés de l’Astronef et de l’Épée. Le signe des “Corsaires” ! Ainsi, je suis sur un navire mercenaire !

J'enfile l’uniforme, l’ajustant avec soin pour un confort optimal.

Satisfaite du résultat, je ressens un soulagement libérateur. Comme si je me débarrassais d’une mue devenue trop étroite. J’ai le sentiment de laisser derrière moi les affres du passé.

Pourtant, la tristesse monte en moi. Mon visage se tort de chagrin. Les larmes et les sanglots m’assaillent. Je m’assoie sur le bord de la couchette, incapable de penser à autre chose que mes frères et sœurs, ma bande de survivants dans les bas-fonds de Kharg. Mon cœur se serre à la pensée de la douce Lilibeth, assassinée… Luang, Jean-Jans et tous les autres. Combien sont encore en vie après l'attaque des ferrailleurs ? Ont-ils trouvé refuge ? J'aimerais tant les revoir, les protéger, leur raconter une fois de plus mes aventures et voir leur regard s’extasier. Mais ils me semblent désormais si loin, comme appartenant à une autre vie que je ne retrouverais jamais...

Je me regarde alors dans le miroir et je vois une jeune femme, aux cheveux courts, fatiguée, le regard éteint. Le visage grave d’une jeune femme de dix-sept ans qui en parait le double. Les épreuves que j'ai traversées ont laissé leurs empreintes, mais derrière l’épuisement, je devine une lueur d'espoir.

Je me lève, essuie mes larmes, me tapote les joues, souris et tire sur le bas de ma veste pour la défroisser. Me voilà prête à affronter le capitaine.

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