Quatre gâteaux et un cyborg !

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Après une nuit réparatrice, bercée par le ronronnement apaisant des moteurs, la faim me tenaille à mon réveil. À peine habillée, je me précipite dans la cambuse, résolue à satisfaire mon appétit d’ogresse.

L'autoCoq de bord est un modèle ancien mais il représente à mes yeux une merveille de technologie. Fini les rations insipides ou avariées, récupérées dans les bacs de recyclage.

D'une main tremblante d'impatience, je pianote mon matricule sur le clavier : ADdA-Zx4B. Aussitôt, de délicieuses effluves chatouillent mes narines tandis que l'appareil prépare le menu du jour.

Mon choix se porte sur un alléchant ragout de bœuf braisé aux herbes aromatiques d'Arturus. De tendres morceaux de viande nappés d'une onctueuse sauce tomate au basilic Genovese. Le tout accompagné de légumes croquants cultivés sous les lunes de Rigel. Rien que d'en saliver, mon estomac se met à gargouiller bruyamment !

Une fois servi, ce repas fumant dégage un arôme absolument divin. Puis je prends le temps de choisir quelques douceurs parmi l'incroyable sélection proposée. Mon regard gourmand hésite entre le moelleux au chocolat nappé d’un coulis de menthe rouge des plaines de Sirius, le crémeux à la Gianduja de Rigel ou la tarte aux myrtilles de Borel. Finalement, je succombe à la tentation d'un assortiment : moelleux, crémeux et tarte se retrouvent illico sur mon plateau, j’y ajoute un flan caramélisé à l'ancienne.

Une fois à table, j'engloutis ma première bouchée avec délectation, savourant l'explosion de saveurs dans ma bouche. La viande fondante se marie à merveille avec la rondeur acidulée de la sauce tomate. Quant aux légumes, leur fraîcheur éclate sous mes dents.

Au moment d'engloutir une seconde et généreuse bouchée de bœuf juteux, une voix caverneuse me fait sursauter :

– Alors p'tite, on reprend des forces ?

Kappa, le cyber-mécano géant, s'installe en face et dépose son énorme gamelle débordante de viande et légumes. Dans son autre main, une chope de bière noire. Amusée, je lui adresse une grimace moqueuse en guise de réponse.

- Moi c'est Kappa, ma p'tite dame ! Ici on est une famille, et la famille c'est sacré. J'espère que ce vieux Molly t'as pas trop secouée cette nuit ?

– Non, non, ça va, je réponds en engloutissant une bouchée de ragout.

Le géant m'observe, l'œil rieur, et hoche la tête devant mes quatre desserts.

– Doucement sur la bouffe ma grande, ça va te bloquer le gosier ! Me conseille-t-il avec bonhomie.

J'acquiesce, la bouche pleine, sous son regard malicieux.

– Dis donc, tu sais où on va au moins ? me demande-t-il, l'air de rien.

– Euh non, pas du tout... Raconte ! Je réplique avec curiosité.

Kappa point son couteau vers la table, traçant une carte imaginaire.

– Direction Cor Corali ma p'tite dame ! annonce-t-il théâtralement.

J'en lâche presque ma fourchette sous le coup de la surprise.

– Le Zoo Galactique ?! M’exclamé-je, manquant de m'étouffer.

– Tout juste ! répond-il en savourant son effet. Notre cher Molly a été choisi pour une mission de la plus haute importance... Mais chut, c'est top secret !

Il pose un doigt sur ses lèvres avant de me faire un clin d'œil complice. Puis, du bout de son couteau, il décrit un trajet sinueux.

– Avant ça, faut qu'on fasse un détour par le “Tor de Gurvald” pour ravitailler un prospecteur du nom de Joe Toussaint. Il vit dans une solitude quasi-monastique, mais c'est un chic type, un homme à part, un original.

Sur ce, il enfourne une belle part de viande juteuse et mastique avec enthousiasme. Ses mimiques exagérées me font pouffer de rire.

Curieuse, je l'interromps.

– Le Tor de Gurvald ? Qu'est-ce donc que cette contrée ?

Kappa serre les mâchoires, sa face prenant un air grave.

– Le Tor de Gurvald... Rien que ce nom fait frémir les plus courageux, commence-t-il d'une voix caverneuse.

D'un geste lent, il mime dans les airs un amas dense d'astéroïdes.

– C'est une jungle spatiale, un vaste champ d’astéroïde doublé d’un sinistre cimetière d'épaves et de carcasses stellaires. Il y a 500 ans, la flotte de l’Hégémonie Canopus et les forces de l’Oligarchie de Ours s'y sont entretuées, sans pitié, laissant des milliers de débris flottant entre les roches géantes.

Ses yeux brillent, comme il singe le fracas titanesque de la bataille.

– Depuis, le Tor est devenu un repère de pirates sanguinaires et de mineurs impitoyables. La loi du plus fort y règne en maître. Attaques, trahisons, règlements de compte... aucune infamie n'est trop basse dans cette région maudite !

Il ponctue ses phrases de grands gestes évocateurs. Captivée, je bois ses paroles, imaginant déjà mille périls parmi ces astéroïdes. Kappa reprend, toujours plus théâtral :

– Le Tor de Gurvald... rien que d’y penser, ça me provoque des sueurs froides ! Que les dieux et le Grand Magicien nous protègent lorsque nous pénétrerons dans son antre. Car pour atteindre le planétoïde de Joe Thoussain, nous devrons affronter les horreurs tapies dans les entrailles de ce nid de piraterie spatiale !

Sur cette tirade, il mord dans un morceau de pain avec une expression féroce. Malgré son ton mélodramatique, je frissonne à l'idée des dangers qui nous attendent dans cette effroyable zone de l’espace…

Abasourdie, j’arrête de m'empiffrer et le fixe d'un regard incrédule. Les risques auxquels nous nous exposons en nous aventurant dans un tel territoire me semblent tout simplement insensés.

– Sérieusement ? Je veux dire, est-ce vraiment prudent de s'y rendre ?

Kappa poursuit son récit, le regard empreint de nostalgie :

– Joe Toussaint... celui-là a du répondant ! Autrefois il faisait partie de l'équipage, aux côtés de Janes et de l'ancien capitaine. Ils ont arpenté tous les ports, des mégapoles rutilantes de l'amas de Gion, jusqu'aux misérables trous perdus dans la lointaine Bordure de Caliban.

Il marque une pause, les yeux dans le vague, avant de reprendre :

– Quand le père de Janes a disparu dans la zone interdite de Fra Maro, laissant à sa fille le Molly en héritage, Joe a préféré quitter le navire avec sa part. Pas question pour lui de voguer dans l'espace sans son vieux capitaine.

Kappa avale une gorgée de bière avant de poursuivre d'un ton empreint de respect :

– Alors il est devenu mineur d'astéroïdes, creusant sans relâche les entrailles rocheuses du Tor de Gurvald. Joe a la ténacité d'un diable, mais il sait aussi reconnaître quand vient le temps de requérir l'aide de ses anciens compagnons.

Il tapote la table du doigt, l'air solennel.

– Retiens bien ceci, petite : dans le monde des corsaires, une poignée de main et une parole donnée valent tous les contrats du monde. Joe est un membre de la famille. Alors quand il appelle à l'aide, on accourt, parce que tel est notre devoir.

Ses paroles résonnent en moi. L'importance des liens humains dans cet univers impitoyable m'apparaît soudain, avec clarté. Dans l'espace, l'entraide entre marins est un code sacré. J’ai immédiatement une pensée pour mes frères et sœurs restés sur Kharg. Ma gorge se noue, mais je fais bonne figure devant le colosse.

L'idée de pénétrer dans cette région infestée de dangers me fait frissonner. Pourtant, il semble que notre destin soit lié à cet homme solitaire. Suis-je prête à affronter ce qui m’attend ?

- Mais ce n'est pas tout, ma petite dame ! révèle Kappa, le regard soudain plus perçant qu'une lame damasquinée.

Intriguée, je me penche légèrement en avant avec avidité, cherchant à percer les secrets de notre mission.

– Une fois sortis des crocs acérés du Tor de Gurvald, notre prochaine escale sera la station spatiale de Port-Franc 7, annonce Kappa d'un ton théâtral.

Puis, du bout de son couteau, il entame trace un cercle tourbillonnant autour de mon verre de limonade, tel un chef étoilé préparant un met raffiné.

– Là-bas, nous aurons pour tâche de charger à bord du Molly des spécimens d'animaux exotiques... des créatures aussi rares et précieuses que du caviar Stellari ou du miel de Saturne ! Déclame-t-il en tournoyant avec virtuosité.

Je suis des yeux la valse hypnotique de sa lame, suspendue à ses lèvres.

– Ces bêtes fabuleuses sont destinées au Zoo Galactique. Elles ont été capturées par un traqueur du nom de Sarg, aussi retors qu'une hyène des steppes de Loriscamp.

D'un geste précis, Kappa plante la pointe de son couteau entre mes doigts, me faisant sursauter.

– Mais attention petite, il ne faudra pas jouer avec ces créatures comme avec de vulgaires moustiques ! Ce sera à nous de les escorter jusqu'à destination sans heurts. Une tâche aussi délicate que de cuire un soufflé Andromédien !

Sur ces mots, il porte un morceau de carotte à sa bouche et le mastique avec délectation, savourant son effet dramatique.

Captivée par son récit imagé, j'oscille entre excitation à l'idée de ces merveilles zoologiques, et appréhension face aux périls qui jalonnent notre route. Mais à l'évocation du Zoo Galactique, mon regard s'illumine.

Soudain, la pointe du couteau de Kappa vient se planter dans mon moelleux au chocolat ! Surprise, je pousse un cri de protestation amusée.

Kappa me fixe, ses yeux pétillant de malice. D'un geste théâtral, il retire sa lame, emportant avec elle la moitié de mon dessert. Avant que j'aie pu réagir, il enfourne le morceau et l'engloutit goulûment !

– Hé, mon gâteau ! M’exclamé-je en riant, faussement outrée par son culot.

– Hum... délicieux ! réplique-t-il en se pourléchant, l'air victorieux. Il va falloir être plus rapide que ça, jeune mousse !

Je ne peux m'empêcher de pouffer devant son air espiègle. Derrière ses facéties, Kappa est comme un grand frère bienveillant qui aime me taquiner.

– Tu ne perds rien pour attendre, vieux barbouze ! Dis-je en brandissant ma cuillère vers lui d'un air de défi amical. La prochaine part de cake est pour moi !

– Ah oui ? Viens la chercher si t'es une vraie naute !

Sur ce, Kappa attrape le reste du cake et le brandit au-dessus de sa tête avec un sourire provocateur. Ni une ni deux, je me jette sur lui pour tenter de récupérer son butin, riant aux éclats.

Bien que je reparte les mains vides, mon cœur est rempli de joie. Avec Kappa, je me sens déjà comme un membre de la famille.

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