Le Tor de Gurvald

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Depuis quelques jours, le Molly file à vitesse de croisière, propulsé à travers le "Spaceless" par ses puissants moteurs à Matière Noire. Nous approchons du redoutable Tor de Gurvald.

Je me tiens aux côtés de Djed et du capitaine Janes dans la salle des cartes. Sur l'écran géant, les NavOrdis tracent des routes potentielles à travers le dédale d'astéroïdes. Mais la tâche s'avère complexe.

– On pourrait passer par là, propose Djed. Même si la zone est dense en astéroïdes, on devrait pouvoir zigzaguer.

Janes observe les calculs des NavOrdis et secoue la tête.

– Trop risqué. La moindre déviation de trajectoire et on se fracasse sur un rocher. Il nous faut un couloir plus large et direct.

Djed soupire et efface l'itinéraire. Ses doigts courent alors sur le tableau de programmation du NavOrdi.

– Bon, on reconfigure les paramètres de calcul. Distance minimale aux astéroïdes portée à 2 000 km. Tolérance de déviation de trajectoire réduite à 1%. Algorithme de détection d'obstacles mis à jour.

Les NavOrdis se remettent au travail. Le tracé de plusieurs routes potentielles apparaît, chaque fois rejeté par le programme. La frustration se lit sur le visage de Djed.

– fichu Tas de cailloux! Rien à faire, aucune route sûre détectée.

Le capitaine pose une main apaisante sur son épaule.

– Nous finirons par trouver une solution fiable Djed. Rien ne sert de se précipiter.

Son calme olympien force le respect. Elle ordonne alors :

– Bascule les cartes en H-alpha et en OIII, on va débusquer ce maudit passage. Ensuite, on calculera une route sûre jusqu'à Joe.

– D'acc, capitaine! s'exclame Djed, remotivé.

En les observant, je prends conscience de la complexité extrême de la navigation spatiale. Mais aussi de la détermination sans faille de ce duo hors norme.

Cela fait des heures que Djed étudie les cartes du Tor de Gurvald, cherchant désespérément un passage sûr à travers ce dédale d'astéroïdes fourmillant de pièges mortels.

– Je crois que j'ai enfin quelque chose, annonce-t-il soudain. Un étroit chenal où les astéroïdes sont suffisamment espacés.

Il désigne une fine brèche sur la carte en 3D. Le capitaine Janes examine le tracé, sourcils froncés.

– C'est risqué, mais jouable. Nous devrons naviguer au ralenti et effectuer chaque manœuvre avec une précision chirurgicale. La moindre déviation de cap et nous percutons un astéroïde.

– Compris capitaine. Je vais calibrer manuellement chaque paramètre de navigation. Vitesse réduite à 5% de la capacité maximale du Molly. Tolérance de déviation à 0,005%. Systèmes anticollisions paramétrés au maximum.

Ses doigts parcourent rapidement les écrans tactiles, optimisant chaque réglage. Janes hoche la tête.

– Bien. Dans cette zone, les courants gravitationnels peuvent nous projeter sur un astéroïde en un clin d'œil. Reste vigilant !

Djed acquiesce..

– Et méfie-toi des naufrageurs, ajoute-t-elle. Ils peuvent altérer les relevés de l'OrdiNav pour nous échouer sur un rocher. Fais des vérifications manuelles toutes les 15 minutes.

– Compris capitaine. J'active l'astrolabe pour des relevés stellaires supplémentaires.

Il me fait signe d'approcher.

– Adda, tu vas m'assister. Je t'ai appris à faire des points de navigation. Tes relevés manuels me seront précieux.

J'acquiesce, intimidée par la responsabilité mais déterminée à me montrer digne de sa confiance.

Ainsi débute notre périlleuse traversée du couloir rocheux. Chaque fibre de mon être est tendue, scrutant les moindres variations sur les écrans de contrôle. Djed pilote avec une concentration extrême, parfois corrigeant notre cap de quelques microns seulement.

Toutes les 15 minutes, j'effectue un point stellaire via l'astrolabe puis compare aux données de l'OrdiNav. Pour l'instant, aucune divergence suspecte.

Au bout de 2 heures de ce régime tendu, une goutte de sueur perle sur le front de Djed.

– Le plus dur reste à venir, murmure-t-il. Nous arrivons dans la zone des naufrageurs...

La Bossman se tourne vers Djed :

– Méfiance, pilote. L'OrdiNav pourrait être faussé.

Djed hoche la tête, concentré pour garder notre cap. C'est l'heure pour moi d'utiliser l'astrolabe sidéral pour vérifier notre position exacte.

Je fais pivoter l'immense bras articulé de l'appareil pour pointer ses capteurs vers un amas stellaire de référence. L'astrolabe analyse alors les subtilités de courbure de l'espace-temps environnant, générées par la masse des astres.

Grâce à ces mesures gravitationnelles extrêmement précises, l'ordinateur de bord calcule notre position absolue dans la trame du cosmos. Un point de repère fiable, à l'abri des illusions d'optique ou des signaux pirates.

Je compare ces coordonnées à celles indiquées par l'OrdiNav. Pour l'instant, pas de divergence alarmante. Mais ma vigilance reste de mise.

Je répète l'opération à intervalles réguliers, affinant mon maniement. La sensation grisante de tenir l'immensité de l'univers dans mes mains m'envahit.

Après plusieurs détections sans histoires, je repère maintenant une infime divergence entre la position calculée et celle indiquée par l'OrdiNav.

– Écart de 0,2 degré sur l'écliptique galactique ! dis-je d'une voix tendue. Des balises faussaires ont dû altérer l'OrdiNav.

Réagissant au quart de tour, Djed ajuste notre cap de 0,2 degrés. Nous venons d'éviter de justesse une catastrophe. Sans mon intervention, nous aurions percuté un immense astéroïde masqué par des leurres optiques.

Je reprends mes vérifications, plongée dans une concentration extrême. Chaque nouvel écart détecté pourrait signer notre arrêt de mort.

Dans les entrailles du Molly, Kappa se démène comme un beau diable pour maintenir les réacteurs au maximum de leur capacité. Sans lui, le vaisseau ne serait qu'une coquille ingouvernable à la merci des forces cosmiques.

Je l'observe un instant sur les écrans de contrôle de ma console.

Tel un virtuose, ses mains expertes voltigent entre les tableaux de commande, ajustant inlassablement chaque paramètre. Ses yeux scannent frénétiquement les écrans de contrôle, traquant le moindre signe de faiblesse.

Quand une alarme retentit, il bondit instantanément sur le poste concerné pour résoudre le problème. Ici, il reconnecte en hâte des relais défectueux. Là, il modifie les réglages des injecteurs de matière noire pour optimiser la poussée.

J'observe fascinée le ballet incessant de Kappa pour dompter cette machinerie complexe. Chacun de ses gestes démontre une connaissance intuitive des systèmes, fruit de décennies d'expérience.

Lorsqu'une surcharge menace la turbine à ions du réacteur tribord, en une fraction de seconde, Kappa allège la charge du réacteur et détourne la production vers le générateur bâbord. Le tout sans interrompre la propulsion, exploit technique inouï !

Sans même lever les yeux de ses écrans, il me lance :

– Alors p'tite dame, on s'amuse bien sur la passerelle ? Accroche-toi, le spectacle ne fait que commencer !

Et sur un clin d'œil malicieux à la caméra, il repart au combat contre les caprices de ses précieux moteurs.

Grâce à ce mécanicien hors pair, le Molly peut repousser les limites du possible, pour nous propulser là où nul vaisseau n'est jamais allé.

Mais après trois heures d'un régime hyper tendu, une collision frontale semble inévitable. Un énorme planétoïde a surgi devant nous, dissimulé par un brouillard magnétique.

– Obstacle droit devant à 2 000 mètres ! hurle Djed. Trop tard pour l'évitement !

Les alarmes hurlent tandis qu'il tente désespérément de nous soustraire à cette masse rocheuse. Le Molly frôle de peu sa surface, manquant de se fracasser contre une avancée de la paroi.

Nous passons à seulement 500 mètres du planétoïde, si près que nos boucliers répulseurs s'embrasent sous la friction. Enfin, nous émergeons indemnes de l'autre côté. Soulagés mais exténués.

Les heures s'écoulent lentement tandis que Djed est à la manœuvre depuis plus de huit heures désormais. Les forces gravitationnelles gigantesques en jeu dans le Tor commencent à avoir raison de sa vigueur surhumaine.

Je peux lire la fatigue sur son visage, au fur et à mesure que la tension nerveuse entame ses réserves. Ses traits se creusent. Par moment, son regard se voile, ses gestes sont moins assurés à la barre.

Je sens qu'il arrive aux limites de ses capacités. Le moindre fléchissement pourrait nous être fatal. Mais le repos n'est pas une option viable. Dans ce goulet, toute relève est impossible.

Harassé, Djed réussit, de peu, une correction de trajectoire. Le Molly dévie dangereusement avant que Djed ne reprenne le contrôle in-extremis.

– Allez Djed, tiens bon ! Tu peux le faire ! Murmuré-je pour l'encourager.

Hochant la tête, il se reconcentre péniblement. Ses jointures blanchissent sous l'effort pour maintenir le cap.

Plus que jamais, sa maîtrise exceptionnelle sera déterminante pour sortir vivants de ce piège mortel. Je prie intérieurement pour que ses forces ne l'abandonnent pas avant la sortie du labyrinthe. Nos vies ne tiennent qu'à son courage et à son abnégation.

Soudain, je vois Djed vaciller dangereusement, au bord de l'évanouissement. En un éclair, je réalise que nos vies sont entre mes mains. Mes réflexes prennent le dessus.

Je me précipite et m'empare fermement des commandes. Djed s'effondre sur son siège, à bout de forces. Mais il a tenu bon jusqu'au bout, nous permettant d'entrevoir la sortie de ce couloir mortel.

– Adda, tiens bon ! Ordonne la Bossman. Nous ne pouvons pas nous permettre de dévier. Nous sommes si proches.

Désormais, notre salut repose sur mes frêles épaules. Moi, l'apprentie pilote, je dois assurer cette dernière ligne droite. La peur me tord les entrailles. Alors je gifle la panique, comme une vieille connaissance. 

Rassemblant tout mon courage, je maintiens notre cap du mieux possible. Je lutte de toutes mes forces contre les vents cosmiques, me riant des écueils qui menacent le Molly. A ce moment, je réalise la prouesse de Djed pendant toutes ces heures. 

C'est un combat de titans entre ma volonté et les colossales forces gravitationnelles qui assaillent le navire. Je serre les dents, bandant mes maigres muscles jusqu'à la rupture pour garder la trajectoire à travers le maelström d'énergie.

Après quelques secondes, qui me paraissent des heures, la sortie se dessine enfin. Plus que quelques encablures avant de quitter ce couloir maudit !

Kappa pousse les réacteurs, et nous atteignons la zone de sureté en un dernier bond. Nous sommes passés d'un cheveu, mais nous l'avons fait. Épuisée, je laisse éclater ma joie tandis que, derrière nous, le chenal se referme.

Finalement, Djed reprend conscience, se redresse avec effort et reprend les commandes. Il me regarde avec un sourire d'épuisement mêlé de gratitude.

– Merci, Adda. Sans toi, je n'aurais pas réussi à maintenir le cap. Tu es une partenaire inestimable.

La tension extrême des dernières heures retombe progressivement à mesure que nous nous éloignons du couloir mortel. Kappa nous apporte des litres de MétaCafé bienvenus pour nous requinquer après cet exploit épuisant.

Maintenant hors de danger, Djed peut se permettre de relâcher quelque peu sa concentration de pilote d'élite. Ses traits se détendent et il échange des plaisanteries avec Kappa pour décompresser.

Quant à moi, je suis toujours à mon poste, guettant le moindre signe de problème. Mais la fatigue commence à peser sur mes frêles épaules après ce marathon intense.

Kappa s'en aperçoit et vient près de moi :

– Allez ma grande, tu devrais aller te reposer. Tu l'as bien mérité ! Je vais prendre le relais ici.

J'hésite, réticente à quitter mon poste. Mais le molosse Astérion vient appuyer la requête de Kappa en me poussant fermement vers la sortie de son museau.

– D'accord, vous avez gagné ! dis-je en riant. Je vous laisse les commandes, les gars.

Soulagée de lâcher prise, je me laisse guider par Astérion jusqu'à ma cabine. Sur le chemin, je contemple le spectacle hypnotique des astéroïdes virevoltant autour de nous, désormais inoffensifs.

Enfin, notre destination apparaît : l'astéroïde AS782P se détache dans le lointain, immense joyau sombre aux reflets métalliques. Nous y serons dans quelques heures.

Avant cela, je compte bien suivre les ordres et savourer un repos bien mérité. Etant donné les épreuves traversées, je pourrais dormir une semaine entière !

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