Chapitre 3 - Alerte : Tempête de bulles de savon
En se réveillant ce matin, Percy ne s’attendait pas à avoir une déclaration d’amour. Déclaration provenant, de surcroit, de la même fille qui l’avait aspergé de thé glacé. Il ne s’attendait pas non plus à avoir la confirmation de l’existence d’êtres divins aux pouvoirs cosmiques… et à l’égo très fragile.
Pourquoi il s’était levé déjà ? Ah oui. Le travail. Toujours le travail.
Pourtant, la journée n’avait pas si mal commencé. Un petit-déjeuner super équilibré avec des céréales à la guimauve et du jus d’orange qui n’a d’orange que la couleur. Un tour de scooter jusqu’à la plage, le vent dans les cheveux. Un ciel bleu, sans nuages, à perte de vue.
À peine arrivé à l’Aigue-Marine, Mathias lança un torchon dans la tête de son ami, comme chaque matin, et se remit à passer le balai sous les tables. Un coup d’œil à l’horloge, Elvis indiquait avec son sourire éclatant 7 h 25.
— T’es presque pas en retard aujourd’hui ! le félicita Mathias.
— T’as vu, je m’améliore, fanfaronna Percy en descendant les chaises des tables.
Tout en faisant le tour de la salle, le jeune homme ne quittait pas des yeux le cabanon de location de surf plus à gauche, sur la plage. Même quand il était obligé de lui tourner le dos pendant son nettoyage des tables, il pivotait rapidement, comme un lapin apeuré traqué par un renard, de sorte à toujours lui faire face. On ne sait jamais.
Étrangement, La Cabane n’avait toujours pas ouvert. Les pédalos, kayaks, paddles et autres planches de surfs étaient toujours sous cadenas. Pourtant, à cette heure, la folle au thé glacé ou son grand-père avait déjà tout installé pour attendre les clients.
— J’ai pas fait gaffe en arrivant, menti Percy. Est-ce que t’as vu si elle…
— Bro, arrête ta fixette sur cette fille ! s’emporta Mathias, son balai toujours dans les mains. Je vais finir par croire que t’es amoureux à force. Pas sûr que Maïa apprécie que tu en regardes une autre.
Percy réprima un rougissement de colère, ou de honte. Il balança son torchon sur la table qu’il venait d’essuyer et s’empara des épaules de son meilleur ami.
— Premièrement, je suis clairement pas intéressé par cette fille ! J’ai besoin de te rappeler ce qu’elle m’a fait ? Alors que j’ai juste voulu l’aider. Mes cheveux ont enfin arrêté de coller après le cinquième lavage, se lamenta le jeune homme.
Mathias, en réponse muette, leva les yeux au ciel.
— Deuxièmement, c’est pas une fixette, je protège juste mes arrières. Et troisièmement, je pourrais draguer toutes les filles et tous les mecs de la Terre, que Maïa Nauru ne fera quand même pas attention à moi.
Cette-fois, Mathias tapota la tête de son ami.
— T’inquiètes pas mon pote. Elle te verra un jour ta Maïa. Mais d’ici-là… si tu pouvais placer les verres et les menus, ça m’arrangerait.
La journée poursuivit son cours. Des clients profitant de leurs vacances. Une patronne profitant de ses employés et des employés profitants des… hum… non, eux, ils profitent de pas grand-chose. Toujours est-il qu’après les commandes, les faux flirts gonflant ses pourboires et les additions, Percy pu enfin prendre une pause bien méritée en début d’après-midi.
La plage était pleine à craquer, les serviettes et les parasols se chevauchaient déjà. Il pensa aux retardataires. Ceux qui venaient vers 16h après une petite sieste sur le transat du camping le plus proche. Les pauvres, ils ne trouveraient jamais assez de place. Enfin, chacun son problème. Percy, lui, devait réfléchir à une façon d’aborder Maïa, sans que Superman soit dans les parages. Bon, déjà, il pouvait décocher “fête” dans sa liste mentale. Très mauvaise idée.
La Cabane maintenait sa devanture fermée. Un couple et leur petit garçon s’approchèrent. La mère toqua au battant en bois et après quelques secondes sans réponse, elle souleva ses épaules. Pas de pédalo pour eux aujourd'hui.
Percy marcha le long de l’eau, zigzaguant entre les enfants et leur seau remplis, et les couples de petits vieux se promenant main dans la main. L’eau était encore un peu fraîche en cette fin juin, mais Percy avait l’habitude. Il en prit un peu dans le creux de ses mains et mouilla sa nuque et ses cheveux. L’eau de mer lui faisait toujours de superbes bouclettes. À lui les pourboires !
Et alors qu’il se relevait, prêt à retourner travailler, il sentit qu’on le tirait en arrière. Une main lui agrippa le bras avec force.
— C’est lui, mon copain ! s’emporta une voix de femme.
Percy cligna des yeux plusieurs fois. À une tête en dessous de lui, une jeune femme se collait contre son torse. Son cœur arrêta tout battement lorsqu’il reconnut des mèches turquoise strier une imposante chevelure blonde. Mais bon, des blondes à forte poitrine et aux mèches bleues, ça courait les rues par ici. Ça ne pouvait quand même pas être elle. De toutes les filles sur cette immense plage, ce n’était tout de même pas…
Le doute ne fut plus permis lorsqu’une brise légère vint soulever une boucle et dévoiler des yeux noisette. Comme la première fois : gloss corail et eyeliner bleu. La ninja à la pagaie.
— Mouais, c'est ça. Alors ramène-le-nous dimanche, on verrait si c’est vrai, répondit un homme en short, chemise en lin et veste de costume bleu foncé, un mélange à la fois audacieux et hideux. Mais t’embêtes pas trop, de toute façon La Cabane est à moi.
L’inconnue au gout vestimentaire douteux partit sans attendre de se prendre un coup de pagaie dans le ventre ou un verre glacé sur la tête. Comme quoi, certains étaient plus chanceux que d’autres. Mal sapé, mais indemne.
La blonde se décrocha de Percy. Du pouce, elle se massa le front. De son côté, le jeune homme n’osait pas bouger. Peut-être que, comme les dinosaures, sa vision se basait sur le mouvement ?
— Je suis désolée, s’excusa-t-elle finalement.
Elle enfouit ses mains dans sa tignasse et alla les placer sur sa nuque.
— Mon cousin est un vrai idiot et j’avais besoin de… Toi ! s’exclama-t-elle, une hargne dans la voix, les yeux écarquillés.
— Tu avais besoin de moi ? répéta Percy, sans pouvoir contenir son sourire.
— Non ! Mais TOI ! Qu’est-ce que tu fais là ? continua la jeune femme, une moue écœurée sur le visage.
La surprise l’avait fait reculer de quelques pas, mais maintenant, elle lui faisait face, les poings sur les hanches et les sourcils froncés.
— Arrête de me suivre partout, pervers.
— Hé, ho, miss sirène, on se calme ! C’est toi qui m’as attrapé le bras ! Et c’est quoi cette histoire de copain ? Si tu veux sortir avec moi, intima Percy en s’approchant d’elle, demande-le-moi, plutôt que d’inventer des stratagèmes bizarres.
Il voulait l’embêter, la pousser dans ses retranchements et la voir rougir jusqu’à la racine des cheveux. Pas de raison qu’il soit le seul gêné et le seul à sentir ses joues chauffées. En plus, il avait une réputation de playboy à maintenir (c’est faux). C’est lui qui invitait les filles et pas l’inverse (encore une fois, c’est faux).
Elle le jugea du regard, l’analysant de la tête aux pieds. Ses mains lâchèrent ses hanches et vinrent soupeser son menton. Un sourcil relevé, elle se mit à faire le tour de Percy.
Normalement, c'était le moment où elle le traitait d’idiot et partait loin, très loin de lui. Pourquoi, à la place, il avait l’impression de passer un test ?
— Humm… fit-elle à voix haute, pensive. Ça pourrait marcher. Sans sucre dans les cheveux et sans ta mine boudeuse, tu ressembles un peu moins à un blobfish.
— A-Attends… Quoi ?
— Sors avec moi, ordonna-t-elle avec un sourire radieux.
La suite de la conversation, vous la connaissez.
Jusqu'au moment où une femme apparut dans un panache de bulle de savon. Et alors, le plus étonnant n’était pas qu’une femme ait fait pouf devant Percy. Ni que le temps semble s’être arrêté autour de lui. Mais plutôt que la mystérieuse apparition ressemblait étrangement à Maïa Nauru. Même yeux chocolat en amande. Même chevelure châtain glissant sur des épaules fines et ciselées. Même jambes interminables dessinées dans du marbre. La femme devant lui était juste plus grande, plus lumineuse, plus… Plus tout. Percy n’avait jamais vu personne d’aussi magnifiquement sublime.
Le truc, c’est que Maïa n’avait jamais arboré une telle expression sur son visage angélique. Le qualificatif “en colère” était trop faible pour décrire le sentiment qui déformait les traits parfaits du visage de la femme.
— Tu te fiches de moi ! explosa la fausse Maïa. Un faux copain ! Je décide de faire de nouveau preuve de curiosité pour les histoires d’amour des mortels et tu me donnes… CA ! hurla-t-elle en ouvrant les mains vers eux.
— Vous vous connaissez ? demanda Percy à l’oreille de Tara.
La jeune femme fit non de la tête. Ses yeux bougeaient en tous sens, semblant chercher une explication à la situation.
— Bonjour, madame ? tenta Percy. Désolé de vous ennuyer avec nos histoires. Mais vous êtes ?
Au moment où la fausse Maïa croisa son regard, une bouffée de chaleur s’empara de Percy. Son visage s’empourpra, ses mains devinrent moites et il peina à trouver suffisamment de salive pour parler sans bégayer.
— Aphrodite. Déesse de la beauté, de l’amour et du désir. Plus belle fille de l’Olympe. La plus intelligente aussi, peu importe ce que vous dira Athéna.
— Vous n’êtes pas Aphrodite.
C’était la première phrase que Tara avait prononcée depuis l’apparition de la femme.
La déesse tourna vers la jeune femme un sourire piteux, de la même façon qu’un humain regarderait une fourmi soulever son poids en nourriture et s’évertuer à acheminer son butin jusqu’à sa fourmilière.
— Pauvre petite chose, roucoula Aphrodite. Je ressens tout ce qui touche à l’amour et au désir.
Les bulles cessèrent de voler autour d’elle et éclatèrent en canon, répandant une multitude d’odeurs plus enivrantes les une que les autres. Le parfum de monoï et du sable chaud. Celui de la pizza cinq fromages de Zio Bruno. L’adoucissant que sa mère utilisait pour laver le doudou de Percy…
Ce dernier papillonna des paupières. De nouveau embarrasser, il se mordit la lèvre inférieure. Il espérait que Tara ne sente pas la même chose. Après tout, si c’était le cas, elle ne saurait pas à quoi font références ces odeurs. Pas vrai ?
— Par exemple, toi, continua la déesse en pointant Percy du doigt. Tu tombes amoureux comme tu changes de short. Un véritable cœur d’artichaut. D’ailleurs, je suis certaine que tu me vois comme ton dernier coup de foudre, n’est-ce pas ? Comment elle s’appelle ?
— Je… je dois avouer que votre ressemblance avec Maïa Nauru est flippante… frappante, je veux dire ! se reprit rapidement Percy.
Il n’avait pas très envie de se mettre une déesse à dos. Même si Tara semblait déjà tenir un bon bout. Justement, Aphrodite reporta son attention sur la jeune femme.
— Et toi, petite Tara. Tu n’es jamais tombée amoureuse, et tu crains d’en être incapable. Mais tu te voiles la face, ma fille. Tu as surtout peur de ne jamais plaire à personne. Crois-moi, je sais ce que c’est, j’ai le même à la maison.
— Vous n’êtes pas réelle, lança la blonde sans rompre le contact visuel avec la déesse.
Si Percy n’était pas aussi obnubilé par l’aura d’Aphrodite, il aurait été impressionné par la témérité de Tara.
Aphrodite, en revanche, n'aimait pas qu’on lui tienne tête. Une vague de colère voila son visage, les poings serrés, épaules relevées, des bulles commençaient à pétiller à ses pieds. Elle ressemblait à une bouilloire en ébullition, prête à exploser d’être restée trop longtemps sur le feu.
— Tu vas voir si je n’existe pas, petite mortelle !
Lorsque Percy se réveilla, il était allongé sur le sable, à côté de Tara et encerclé par des têtes inquiètes des vacanciers recouverts de crème solaire.
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