Chapitre 4 - Les bons comptes font les faux petits amis

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Un pin de glace enrubanné d’une serviette, Tara se rafraichissait le visage, assise au bar de l’Aigue-Marine. À côté d’elle, le blobfish à cheveux avait simplement abandonné la vie, le front posé contre le comptoir.

— Tu crois que ce qu’on a vu…

— On a rien vu. C’était une hallucination due à la chaleur, le coupa Tara en passant la serviette humide sur son cou. C’est ce qu’on dit les secouristes.

— Une hallucination ? Mais on a vu la même chose. Et d’où une hallucination sent la pizza et même mon d… Enfin, cette Aphrodite avait l’air plus que réel, je trouve, se reprit-il.

— On a vu une femme. C’est tout. Y en a pleins à la plage. Et on n'a même pas vu la même. Toi, tu vas vu Maïa, moi, j'ai vu une meuf qui ressemble à l’actrice Amita Suman.

— Et tu ne trouve pas ça encore plus étrange ? Hé, mais, tu connais Maïa Nauru ?

La gérante du bar-restaurant arriva à ce moment. De sa démarche féline, elle apporta deux verres sur un plateau. Sa ressemblance avec l’idiot d’à côté tait frappante. Des cheveux d’un brun foncé et bouclés, une peau burinée constellée de grains de beauté, un nez droit dirigeant le regard vers une bouche aux lèvres fines figées en un rictus taquin. La seule différence, outre leur style vestimentaire, l’une préférant la couleur et les imprimés animaux, et l’autre habillé sans aucune originalité, était la couleur de leurs yeux. La femme avait de magnifiques yeux noirs, scintillants comme deux obsidiennes. Quant au blobfish, même si sa tête ne revenait pas trop à Tara, la surfeuse devait bien avouer que ses iris de la couleur de l’océan étaient assez remarquables.

La femme se posta derrière le bar. Elle tendit une citronnade à Tara et un thé glacé à Percy.

— Vous nous avez fait peur. Nos deux évanouis de la plage, surnomma la patronne, une main ébouriffant les cheveux du garçon. Je t’avais dit de faire attention Percy. C'est pas encore la saison haute, mais le soleil tape fort déjà.

Le blobfish, dont le prénom était donc Percy, s’empara de sa paille du bout des dents et fit des bulles dans son verre. De temps à autre, il lançait des regards concaves vers Tara, cachant sa boisson du coude.

— T’inquiètes, le rassura Tara en soufflant, je ne vais pas le renverser sur ta tête.

— Je préfère me méfier.

La gérante donna une tape sur la tête du jeune homme et déblatéra tout un tas de mots dans une autre langue. De l’espagnol ? De l’italien peut-être ? En tout cas, bien que Tara n’en comprit pas un traitre mot, elle se douta que ce n’était pas que des paroles d’amour.

— Bon, les secouristes ont dit que vous devez rester au calme encore un moment. Alors Percy tu as quartier libre pour cette après-midi. Mais je te veux sur le pont pour le service du soir ! Comprit ?

Le fameux Percy haussa des épaules, continuant de faire des bulles dans son thé glacé.

— Merci Madame, remercia Tara.

Elle termina son verre d’une traite et s’apprêta à sortir sa carte bancaire de la poche de son short.

La femme l’arrêta d’un geste de la main en faisant non de la tête.

— C’est la maison qui offre, ma chérie, pour te remettre de tes émotions. Et appelle-moi Sienna.

— Merci, Sienna, répondit Tara, touchée par l’élan d’affection de la patronne.

— Alors, elle, elle a le droit à “ma chérie” mais moi, je suis “Uccello senza cervello” ! s’indigna Percy.

Sa copie féminine et plus âgée l’embrassa en passant de l’autre côté et parti en direction des cuisines.

Bon, il était temps pour Tara de quitter tout ce petit monde et de rejoindre sa maison. Elle avait besoin d’aller se coucher et de péter un câble en bon et dû forme, planquée sous sa couverture et sa montagne de peluche. Parce qu’elle avait beau se repasser la scène en boucle, elle ne trouvait aucune explication.

Sa celebrity crush, enfin une femme lui ressemblant comme deux gouttes d’eau, était apparue devant elle, entourée de bulles colorées. Elle avait mis à nu une de ses plus grandes hontes et, tout ça, devant le gars qu’elle avait fait passer pour son copain, à son insupportable cousin. Et cerise sur le gâteau, la “déesse” l’avait engueulée et menacée. Déjà que le problème de La Cabane lui prenait la tête, mais là, c’était le pompon sur la queue du Mickey.

— Attends-moi ! entendit-elle derrière elle.

Plongée dans ses pensées, elle n’avait pas remarqué qu’elle avait quitté le bar et se dirigeait instinctivement vers la cabane de location. De toute façon, la seule chose qui pouvait la calmer était une petite baignade, alors autant en profiter pour récupérer sa planche.

— Est-ce que ta proposition de faux petit ami tiens toujours ?

— Vu ta tête quand je t’en ai parlé, j’ai cru comprendre que cette idée t’horrifiait, lança Tara, sans pour autant s’arrêter.

En quelques enjambées rapides, Percy la rattrapa et marcha près d’elle. Son immense sourire obligeait ses yeux à se fermer. Dommage, c’était la seule partie intéressante de sa personne.

— Horrifié, tout de suite, les grands mots. Non, je pense qu’on pourrait s’aider mutuellement. Toi, tu as besoin d’un copain pour… Je sais pas trop… Impressionner Gatsby le Magnifique version Wish ? Pas vrai ? Hé bah, je peux être ce copain !

La comparaison de son cousin avec ce personnage exécrable fit rire Tara. Ok, cet idiot avait l’art de la métaphore, elle ne pouvait le nier.

— Et toi, qu’est-ce que tu y gagnes ? demanda-t-elle, suspicieuse.

— Tu as dit que tu connaissais Maïa Nauru. J’aimerais que tu joues les cupidons pour moi.

— Tu sais qu’elle flirt avec Ethan Kimura ? Et que c’est réciproque ? fit remarquer Tara.

Elle retira la clé qu’elle gardait toujours en collier autour de son cou et la plaça dans la serrure de La Cabane. La porte s’ouvrit sans difficulté. L’odeur de wax, une cire spéciale pour rendre les planches de surf antidérapantes, satura les sens de Tara. Ses yeux s’agrandirent. C’est cette odeur qu’elle avait sentie près de la soi-disant Aphrodite. Sa tête commença à tourner. Finalement, elle irait peut-être juste tremper les pieds aujourd'hui.

— Je sais, mais ils ne sortent pas ensemble ! Alors, j'ai encore une chance.

— Maïa est une amie, tu te rends compte que tu me demandes de faire tomber dans les bras de mon amie, un mec que je ne connais même pas ? Si ça se trouve, t’es un dangereux psychopathe. Tu m’as quand même pas lâché des yeux depuis deux jours.

— Donc, ça veut dire que tu as demandé à un dangereux psychopathe de sortir avec toi. Et pour ma défense, tu m’avais renversé mon verre alors que je venais juste t’aider.

Le blobfish marquait un point.

— Ok, c’est légitime, t’as des doutes, reprit-il, les bras en l’air comme pour marquer son innocence. Voilà ce que je te propose. Je me fais passer pour ton copain ce dimanche. J’éblouis ton cousin avec ma répartie cinglante et ma beauté de dieu grecque. Et toi, ça te permettra de juger si je suis quelqu’un d’assez bien pour Maïa. Ça te va ?

Tara rangea deux pagaies qui étaient tombées sur le sol. Pourquoi sous cette idée idiote, et trop peu rentable pour lui, elle sentait que celle qui se faisait manipuler… c’était elle ?

— Tu te rends compte que t’es perdant, dans cette histoire ? l’interpella-t-elle en sortant la tête à l’extérieur. Car dans tous les cas, j'aurais ce que je veux. Toi, en revanche… Qu’est-ce qui te dit que je ne mentirais pour ne pas te présenter Maïa ? Si je te dis que tu n’es pas digne ?

Percy s’adossa à la porte de la cabane. Ses boucles brunes formaient des ombres, ondulant sur ses longs cils noirs. Mais ce n'est pas possible ! Ce garçon n’arrêtait jamais de sourire ?

— Parce que tu n'es pas comme ça. Je le sens. Et j’ai un vrai don avec les gens. Ça doit être mon côté lion. Alors… Deal ?

Tara prit quelques secondes pour réfléchir. D’un côté, elle avait besoin de lui pour rabattre le caquet de son cousin. De l’autre, elle ne lui faisait vraiment pas confiance. Et la menace d’Aphrodite avait beau être stupide et certainement l’invention de son cerveau fatigué, elle ne disparaissait pas de son esprit.

— Vois ça comme en essai gratuit, appuya Percy en lui tendant une main amicale.

Ce gars était un vrai requin des affaires.

Exaspérée, Tara lui serra la main. De toute manière, le plus important pour le moment, c'était La Cabane. Le reste attendra.

La surfeuse ne pensait pas ça possible, mais le sourire du jeune homme se fit encore plus grand. Elle leva les yeux au ciel, et reporta son attention sur l’océan. Dans quoi s'était-elle embarquée ?

— Merci d’avoir souscrit à l’offre de découverte Percy boyfriend ! Vous disposez d’un essai gratuit de sept jours et sans engagement ! conclut-il avec la voix enjouée des acteurs de slogans publicitaires.

Un frisson parcourut Tara. Plus loin, dans l’eau, elle crut apercevoir un amas de bulle éclaté.

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