Dimanche 13 décembre 2020

4 minutes de lecture

*** Jules ***

Je ne cessais de penser à celui qui était devenu mon petit patient préféré. J’avais hâte d’être arrivé au service pour aller le voir avant de prendre mon tour de garde.

N’obtenant pas de réponse après avoir toqué à sa porte, j’ai ouvert et j’ai glissé ma tête à l’intérieur. Sacha paraissait dormir.

Je me suis approché du lit et j’ai examiné son visage. Les compresses froides avaient été efficaces. Il avait bien dégonflé en quelques heures. Je pouvais enfin me faire une idée de son visage.

Alors que j’écartais minutieusement les boucles qui se trouvaient devant ses yeux. Sacha sursauta et m’empoigna le poignet. Ses magnifiques yeux bleus me dévisageaient.

— Salut Sacha, moi, aussi, je suis content de te voir ! Il me relâcha et repoussa brutalement mon bras. Je suis venu te faire un petit coucou et voir comment tu allais.

Manque de pot pour moi, mon cher patient avait retrouvé l’usage de la parole.

— Déjà d’une, tu ne me touches pas quand je dors, et de deux, je ne suis pas ton pote, ok ! Je ne veux pas de traitement de faveur de ta part.

Je fus blessé par ses paroles, alors que je ne le connaissais même pas.

— Désolé Sacha. Je ne voulais pas te réveiller. Je m’inquiétais juste pour toi. Je vais y aller, alors.

— Tu peux me filer le truc pour pisser.

Était-il toujours aussi impoli ?

J’ai contourné le lit et j’ai posé l’urinal sur son bassin.

— Tiens ! Tu biperas quand t’auras fini !

Je suis reparti avec une dégaine de chien battu.

J’avais à peine enfilé ma tenue qu’une infirmière me hua.

— Jules ! La 352 a besoin de tes services.

— La 352 ? Tu ne peux pas envoyer quelqu’un d’autre ? Je crois qu’il n’aime pas du tout ma présence.

— Ben, profites-en pour faire connaissance. C’est calme aujourd’hui, on t’appellera si on a besoin de toi.

M’attendant encore à ses paroles blessantes, j’ai traîné les pieds jusqu’à sa chambre. J’ai toqué et je suis entré sans attendre sa réponse. J’ai attrapé l’urinoir, qu’il avait replacé à l’endroit même où je l’avais laissé, et je suis allé le vider.

De retour, je l’ai raccroché à sa droite. J’ai vérifié les machines et la perfusion sans même lui adresser une parole ou un regard et j’ai tourné les talons.

— Jules ! Attends !

— Ouais, quoi encore ?

— Excuse-moi pour ce matin. Je n’aurais pas dû réagir de cette façon. J’ai beaucoup de mal à digérer ce qu’ils m’ont fait subir. Tu n’y es pour rien, tu ne fais que ton boulot.

— T’inquiètes, je comprends ta frustration. Je ne sais pas comment, moi, j’aurais réagi à ta place. Nous sommes du même monde, je ne suis pas à l’abri de me faire agresser par des homophobes un jour.

J’ai du temps de libre, tu veux que je te fasse la lecture, que je mette de la musique, que tu aimeras plus que celle de la chaîne de l’hosto ou autre…

— J’ai envie de rien… Je me sens vide… Détruit !

Incontrôlablement ses larmes ruisselaient.

Je me suis assis sur le bord de son lit et j’ai tapoté sa cuisse. Le ppercevant tretressaillir à travers la couverture, j’ai enlevé aussitôt sa main.

— Désolé, je n’ai pas réfléchi. Je voulais juste te consoler.

Tu peux me dire tout ce que tu as sur le cœur. Je ne pourrais jamais comprendre ta souffrance physique, mais je peux atténuer ta souffrance morale.

— Je te remercie.

Le bipeur de Jules retentit.

— Je dois filer. Je reviendrai te voir dès que j’ai cinq minutes ?

— Ok ! Je vais dormir, j’ai que ça à faire !

Ayant le droit de recevoir que sa famille proche à cause de son état, Sacha n’eut pas d’autre visiteur de l’après-midi. Ses grands-parents s’étaient vus obligés de rendre visite à sa grande tante.

— Sacha, réveille-toi ! C’est l’heure du dîner.

— Hein, quoi, déjà ?

— Désolé, je n’ai pas pu revenir avant. Mais regarde ça à l’air bon. C’est du « Trois étoiles au guide Michelin » ! Je rigolais en changeant la poche de sa perfusion.

Bouffe-le toi-même !

— Ça y est, tu redeviens désagréable.

— J’ai mal et j’ai pas vraiment le cœur à rire. Sorry !

— D’accord ! Pas de soucis. J’ai fini ma journée, je peux rester avec toi, si tu veux. Je vais te redresser un peu et je vais te chercher de l’eau fraîche.

Voilà, tiens, bois-en un peu.

Tout doucement, Jules glissa une main derrière la nuque de Sacha et de l’autre, il porta le verre à sa bouche.

— Ça va ?

— Hum, ouais.

Ne sachant pas comment combler la conversation, j’ai pris la zappette pour trouver un truc à regarder. Je ne voulais ni le faire rire ni le faire pleurer, mais il me demanda de m’arrêter sur la sixième chaîne, qui diffusait une émission sur la Bulgarie.

— Sacha, tu es sûr de ton choix ? Laura m’a parlé de…

— Ta gueule, Jules !

C’était trop tard. Dès qu’il entendit le mot « Bulgarie », il se mit à pleurer.

Je suis resté, une petite heure, silencieusement, assis sur la chaise près de son lit. Je focalisais plus sur ses sanglots que sur l’émission. Il avait besoin de quelqu’un pour le consoler, mais absolument pas de moi, un inconnu.

Une fois qu’il fut endormi, je l’ai bordé et je suis rentré chez moi.

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