Lundi 08 février 2021
J’ai plus de force, journal. Je ne me rappelle plus, si j’ai mangé ou bien la dernière fois où je suis sorti. Je perds la notion du temps. À chaque fois que j’ouvre les yeux, il fait nuit. Heureusement que mon tel me donne la date et l’heure, sinon je ne pourrais même pas te l’écrire.
La télé est devenue ma seule amie parce que j’ai cramé ma console. Je n’ai plus rien à boire ni à fumer. Il faut que je sorte, mais mon corps ne veut pas suivre mon cerveau.
*** Alekseï ***
En descendant de l’avion, j’ai pris un taxi afin de me rendre directement chez les filles. J’étais pressé d’avoir de leurs nouvelles et surtout d’en prendre de Sacha.
À mon arrivée, nous avons discuté du travail, de l’avancée de mon divorce et de mon séjour à l’hôpital tout en prenant l’apéritif.
— Et Sacha ? Comment il va !
— Mon bébé, ne va pas bien, j’en suis sûre...
— Nous sommes allées le voir le 22 janvier. Il avait bu et son appart était une vraie porcherie. Il a même commencé à fumer. On l’a trouvé très amaigri. Il nous a dits qu’il était à fond dans ses révisions et qu’il ne prenait pas le temps de manger. Apparemment, nous avons dû le saouler encore plus, car il nous a littéralement foutues à la porte.
Les jours qui ont suivi, il nous envoyait un SMS et un selfie. Un coup, il était à l’université, un coup en course ou dehors sous la neige.
— Regarde, sur celle-ci, il avait son beau sourire, mon bébé.
— Oh, my God ! Comment il est maigre et ses yeux sont si cernés ! Mon bel Ange, je ne peux pas le laisser plus longtemps tout seul.
— T’inquiètes, nous avons ses clefs, nous irons le voir demain.
Après l’apéritif, nous nous sommes mis à table. Vers 21 heures, les filles sont allées faire la vaisselle et je suis sorti prendre l’air sur le balcon. Bien que je passais une sympathique soirée en compagnie de mes amies, je ne cessais de penser à mon bel amour. Les photos de Sacha si rachitique m’avaient laissé un goût amer. Tout me portait à croire qu’il mentait sur son état de santé. Je le connaissais assez pour savoir de quoi il était capable. Ce n’était pas à la première dépression qu’il faisait à cause de moi.
(Hé ! Mon pote, le journal ! Regarde, j’ai trouvé du sky dans le bar de la terrasse ! Il fait un peu froid dehors, mais j’y vais quand même ! On se reverra un jour, mon pote !...)
J’ai craqué et j’ai téléphoné à Sacha, sans grande conviction qu’il me réponde. À mon grand étonnement, après trois sonneries, celui-ci décrocha.
— Allô !... Vous êtes qui ?... Vous n’êtes pas dans mes contacts !
Heureux, je l’ai d’abord laissé parler. Ça me fendait le cœur d’entendre sa petite voix enivrée.
— Allô Sacha, c’est moi Alekseï ! Je t’en supplie, ne raccroche pas baby ! Laisse-moi te parler deux minutes.
— D’où tu m’appelles baby, toi ! Tu te prends pour qui connard !
Je savais qu’il avait toutes les raisons du monde d’être en colère contre moi, néanmoins, ses paroles me crevèrent le cœur.
— Sacha, ça va ? Tu as bu ? Où es-tu ?
— Oui, j’ai bu pourquoi ? T’es docteur maintenant ?
Dans le portable, Alekseï entendit un bruit de klaxonne au loin.
— Tu es encore dehors ? Rentre baby... S’il te plaît, rentre, tu vas prendre froid ! Je vais venir te voir demain, nous pourrons avoir une discussion.
— Va te faire foutre avec ton « baby » ! Alekseï ! Va bien te faire foutre ! Je ne veux pas voir ta gueule ! Vous... Vous m’avez détruit.
Et tu étais où pendant que je me faisais défoncer ? Hein ?
Va bien te faire enculer, Alekseï !...
Sur ces mots terribles, il me raccrocha au nez sans que je puisse en placer une.
Complètement désorienté, Alekseï entra en trombe dans l’appartement.
— Irina, Sally ! Filez-moi les clefs de chez Sacha. Je viens de l’avoir au téléphone, je n’attendrai pas une minute de plus. J’y vais maintenant ! Il est dans un tel état que j’ai peur qu’il fasse une connerie !
Les yeux aveuglés par les larmes et ne sachant pas où trouver son manteau, il se mit à tourner en rond comme une boussole qui chercherait le nord.
— Regarde Alekseï. J’ai reçu ça pendant qu’on buvait l’apéro. On voit les lumières de la ville au loin. Il se trouvait sur la terrasse avec une bouteille de whisky à la main. Il arborait un grand sourire, mais il a écrit : « Je ne serais plus un pion sur ce putain d’échiquier, je deviendrais le roi d’un royaume lointain. », sous la photo.
Je suis sorti de l’appartement à toute vitesse. Les filles attrapèrent leur manteau et m’emboîtèrent le pas.
— Attends Alekseï ! Je vais t’y conduire, tu ne sais pas où il habite ! Me cria Irina.
En dix minutes, seulement, nous étions parvenus au pied de son immeuble. Irina ouvrit avec le pass et nous nous ruâmes dans le hall. Les filles prirent l’ascenseur et je choisis d’emprunter les escaliers, que je gravis quatre à quatre. Arrivé le premier, j’ai tambouriné à la porte en attendant qu’elles me rejoignent.
— Sacha, ouvre cette putain de porte, Sacha ! Ouvre, ou je la défonce !
La porte de l’ascenseur s’ouvrit et Irina se précipita sur la serrure. Alekseï ne lui laissa pas le temps de l’ouvrir. Il la bouscula et pénétra dans l’appartement.
Tout était sens dessus-dessous à l’intérieur. Il y avait des cadavres de bouteilles d’alcool semées un peu partout, des cendriers pleins à ras bord de mégots et l’évier débordait de vaisselle sale.
Il jeta un rapide coup d’œil à la recherche de Sacha et se précipita comme une furie sur la terrasse.
Sacha gisait à quelques mètres de moi, en T-shirt et en caleçon. Une bouteille de whisky était explosée près de son visage.
Alekseï s’arrêta net, il avait peur d’être arrivé trop tard comme pour sa mère et que Sacha soit mort sans qu’il puisse l’embrasser une dernière fois. Il avança lentement et s’agenouilla près de lui.
J’ai relevé le haut de son petit corps complètement gelé et je l’ai pressé contre ma poitrine. Craignant qu’il ne soit le dernier, j’ai déposé un baiser sur ses lèvres bleuies.
Les sanglots et les cris d’Alekseï percèrent le silence de la nuit, à des kilomètres à la ronde.
— Alekseï reprends-toi, merde, rentre-le au chaud ! Vite, magne-toi, m’ordonna Irina.
J’ai soulevé doucement le petit corps tout décharné et sans vie de mon baby et je l’ai porté à l’intérieur. Les filles qui m’avaient précédé, avaient débarrassé le canapé pour que je puisse l’y allonger.
Sally posa la couette bien chaude du lit sur Sacha.
Dans l’espoir qu’il revienne à lui, je l’ai frictionné avec empressement pour le réchauffer.
Nous étions tous les trois dépités et en larmes de ne pas le voir réagir.
— Mon amour, je m’en veux tellement de t’avoir abandonné. Si j’avais découvert qu’elle me mentait, je ne t’aurais jamais quitté. Reviens-moi, je t’en supplie. Je ferai de toi l’homme le plus heureux de la terre. Tu es ma vie, mon soleil… Ouvre les yeux Baby !
Après quinze minutes de friction, Sacha s’éveilla avec peine et vit le visage d’Alekseï, à dix centimètres du sien.
— Si tu es là mon amour, c’est que « la Putain » m’a enfin pris ?!
Aucun d’eux ne comprit l’allusion, mais ils eurent un petit rire de joie en constatant qu’il était vivant. Ils l’avaient sauvé in extremis.
Je savais qu’il serait sûrement contre, pourtant, je l’ai embrassé de nouveau. C’était vraiment bon de sentir ses lèvres. Il m’avait tant manqué.
Je l’ai repris dans mes bras et je l’ai transporté jusqu’à son lit. Sally, qui me suivait avec la couette, le recouvrit de nouveau.
— Je vous remercie les filles. Dormez dans la chambre de ses parents si vous ne voulez pas repartir. Je vais dormir avec lui pour lui tenir chaud.
— Ok, mais je ne crois pas qu’il soit d’accord !
— Sally, viens te coucher. Alekseï saura prendre soin de lui.
Je me suis déshabillé et je me suis collé contre lui, l’englobant de tout mon corps. C’était bon de le sentir contre ma peau, même si toucher ses formes squelettiques me renvoyait en pleine gueule que c’était le résultat de mon égoïsme et de ma lâcheté.
De mon égoïsme, parce que je l’avais poursuivi jusqu’à ce qu’il craque pour moi en sachant les risques que nous prenions, et par ma lâcheté, de n’avoir alerté personne lorsque la première occasion s’est présentée.
Comment pourrait-il me pardonner un jour ? C’était impossible. J’avais détruit la personne la plus merveilleuse qu’il m’a été donné de rencontrer. J’avais brisé ses rêves et ils avaient brisé son corps, par ma faute.
Je ne sais pas comment je vais pouvoir retrouver un soupçon d’amour pour moi dans son cœur.
Je peux enfin l’aimer ouvertement et lui apporter un confort de princesse. Je mettrais tout ce qu’il désire à ses pieds, même ma couronne, s’il me le demandait. Je ne veux rien d’autre que la richesse de son amour. J’aime incommensurablement cet homme.
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